Sans filet


Jack gigote sur son siège. Il est aux commandes depuis environ neuf heures maintenant. Il avait déjà fait de longs trajets auparavant mais d'habitude, il arrivait à se détendre, à laisser son esprit errer. Aucune chance que cela se passe ainsi aujourd'hui. Il est incapable d'oublier qu'il n'est pas seul. Ajouter à cela la tension qui ne veut pas s'échapper de sa colonne vertébrale et la fatigue générale issue des années et voici un magnifique tableau de Jack O'Neill.

Carter avait de nouveau disparu dans la cale une heure après leur départ, marmonnant quelque chose à propos de prendre du repos. Il se rappelle s'être fait la remarque qu'elle avait été prompte à passer de l'état de mutisme à celui de se camoufler derrière les mots. Il n'avait pas pris la peine de la rappeler à lui, conscient du fait qu'ils marchaient encore sur des oeufs. Il n'était pas bien sûr de savoir si laisser les choses se dérouler ainsi était une bonne ou mauvaise décision.

Tendant soudain l'oreille, Jack distingue le bruit de ses pas dans le compartiment d'à côté. « Carter ? »

Un long silence succède à son appel et il peut presque l'imaginer debout derrière le sas, se demandant si elle pouvait se permettre de faire l'autruche ou non. Il est presque certain qu'elle l'ignorera dès qu'elle aura passé le pas de la porte.

Elle avance jusqu'à la limite de sa vision.

« Ca vous dérange de prendre les commandes un moment ? » Demande-t-il en se massant les épaules.

Elle ne répond pas. Il se redresse et la retrouve figée devant le tableau de bord, les mains jointes dans son dos. S'il ne la connaissait pas aussi bien, il penserait qu'elle est…effrayée.

« Carter ? »

Elle détache difficilement son regard du tableau de bord et fait un pas en arrière. « Il ne voudrait mieux pas. » Répond-elle, mais ses yeux sont déjà revenus vers les commandes.

« Vous avez déjà fait voler ces choses une bonne douzaine de fois. » Lui rappelle-t-il.

Elle secoue la tête. « C'était il y a longtemps. »

Le vaisseau est équipé d'un pilote automatique. Il aurait été facile de laisser l'engin se diriger tout seul, même si cela sous entendait que Jack ne dormirait jamais vraiment, restant à l'affût d'une potentielle panne générale qui les mettrait dans la mouise. Mais la façon dont Carter regarde les manettes le pousse à insister.

« J'ai besoin de dormir et nous n'avons pas le luxe de nous laisser flotter au hasard dans l'espace en attendant. » Réplique-t-il.

Elle ne relève pas la tentative de bluff et cela encourage Jack dans ses suppositions.

« Carter ? » La presse-t-il.

« Je n'ai plus touché à aucune technologie. » Marmonne-t-elle, surprise par sa propre confession.

Quoi ? « Vous n'avez… »

« Non. »

« Depuis… ? »

« Ouais. »

« Jamais ? »

« Non. »

Elle est toujours à deux mètres du tableau de commandes, les fixant presque douloureusement.

« Pourquoi ? »

Elle hausse les épaules avec indifférence. « Je…Je ne l'ai pas fait, c'est tout. »

Il n'est pas psychologue mais il sait que chacun gère ses démons à sa façon. Il connait de fait les raisons de son silence. Les tenants et aboutissants lui sont évidents. Mais la technologie ? Ahnur était démodé, ou plus précisément, faible et instable. Il n'avait jamais employé de gadget dernier cri sur elle. Seulement les poings de Jack.

Il baisse les yeux sur ses mains.

Elles fonctionnaient plutôt bien.

Il la regarde s'approcher d'un des sièges et serrer l'appuie tête tandis qu'elle se penche en avant.

Elle n'a pas peur, bien au contraire. Elle en meurt d'envie.

« Pourquoi ? » Répète-t-il d'une voix douce, mais insistante.

« Je ne sais pas. »

Lui a bien une petite idée. « Est-ce cela que vous avez fait pendant ces cinq dernières années ? Vous punir ? »

Elle ne se retourne pas vers lui. « Peut-être. »

Carter n'est pas quelqu'un de nature hésitante. Et encore moins quelqu'un qui l'admet.

« Et vous ? » Demande-t-elle à son tour, le dos toujours tourné vers lui mais relevant la tête pour enfin le regarder. « Vous êtes-vous puni ? »

« Non » Répond-il. Et c'est la vérité. Pour lui, ces cinq dernières années avaient eu un autre but. Celui de garder la tête hors de l'eau, repousser ses démons, rester l'esprit occupé et garder une longueur d'avance. Tous les moyens avaient été bons pour refouler l'homme qu'il était devenu malgré lui.

Il n'avait pas eu besoin de se punir. Le châtiment pour lui, c'était d'être en vie.

« Vous attendez ma permission ? » Demande-t-il, joignant la parole à un mouvement de tête désignant les commandes.

Il voit l'accusation frapper droit dans le mile, la vérité transparaissant dans ses yeux avant qu'elle ne les détourne de lui. Elle prend une grande inspiration avant d'avancer sa main vers le tableau de bord et prendre place dans le siège.

« Non, » Déclare-t-elle. « Plus maintenant. »

C'était leur première vraie conversation et déjà elle le remettait en place.

Il l'observe un moment, suivant ses mouvements hésitants. Il peut sentir le vaisseau vaciller légèrement sous ses gestes maladroits tandis qu'elle essaie de se souvenir, de retrouver ses habitudes.

C'est la première fois depuis qu'il s'est réveillé dans cette grotte sur une autre planète il y a de cela des années, qu'il ne perçoit pas chez elle de mouvements saccadés, mais bien une forme de grâce. Ce ne sont pas des gestes mécaniques mais un rappel du passé, empreint d'un début de sérénité.

Il se sent soudain soulagé.

Dans sa petite alcôve, il reste longtemps allongé sans trouver le sommeil, percevant les soubresauts de l'engin tandis qu'elle cherche à l'équilibrer. Il ne veut pas s'interroger sur ce sentiment de soulagement persistant qui ne le lâche pas. Il en est libéré lorsqu'il sombre enfin.


Vala est agitée.

Cam observe la façon dont elle passe la main dans ses cheveux comme si une seule mèche de travers pouvait rendre la situation catastrophique. S'il ne connaissait pas le contexte, il penserait qu'elle s'apprête à se rendre à un rendez vous galant, et non à une rencontre avec l'Alliance Lucienne. Cam essaie d'évaluer les réactions de Jackson face à cette attitude, mais il constate que l'homme est focalisé sur les deux crétins qui leur servent de guide dans les couloirs du Hatak de Netan.

Une fois n'est pas coutume, Cam regrette que O'Neill ne les ait pas accompagné. Il connait très mal Vala mais il se demande si cette agitation n'est pas le prélude d'une future tentative d'évasion. Sans O'Neill, elle est la seule personne à savoir véritablement où ils mettent les pieds. Elle est leur jauge à désastre, sauf qu'il n'en connait pas le mode d'emploi.

Les deux gros bras les font rentrer dans une sorte de salle de commandement, un grand bureau trônant en face d'une immense fenêtre. A n'en pas douter, Netan avait beaucoup appris sur l'intimidation au fil des vols qu'il avait dû perpétrer chez les Goa'ulds.

Devant lui, Vala stoppe soudainement son avancée dès qu'elle franchit le pas de la porte. « Et bien, vous vouliez Netan. Je vous y ai conduis. Amusez-vous bien les gars. »

Cam touche son bras. « Attendez une minute. »

Elle évite soigneusement le contact et il perçoit le tranchant qui traverse son regard, derrière sa beauté exposée. « Je n'ai pas le temps de m'attarder. » Dit-elle, penchant sa tête sur le côté. « J'ai un autre RDV très urgent ailleurs. »

Cam jette un coup d'œil à Jackson, mais l'homme se contente de relever un sourcil, comme si la situation n'était pas aussi dramatique qu'elle le paraissait.

Vala le dépasse, sans aucun doute pour sortir et rejoindre son vaisseau, mais elle stoppe soudain à mi-chemin, et pâlit. Cam suit son regard et tombe sur un homme qui remplit l'espace dans l'embrasure de la porte.

Netan n'est pas particulièrement grand, mais ce qui lui manque en taille, il le rattrape par sa prestance. La barbichette coupée en pointe et la tenue noire font un peu cliché, mais l'homme n'a pas encore ouvert la bouche que la tension est déjà palpable dans la pièce.

« Moi je crois que tu vas rester avec nous encore un peu, Vala. » Enonce Netan d'une voix basse. Il y a quelque chose de terrifiant dans le choix de ses mots. C'est à la fois une requête et un état de fait, comme s'il la défiait de le décevoir.

Vala lui sourit comme si le choix de rester avait été le sien. « Bien sûr. » Prononce-t-elle avant de rejoindre la file qu'ils composent. Elle se rapproche de Jackson, toujours le sourire aux lèvres, et murmure. « Je vais tuer Jack. Cette fois, je vais vraiment le faire. »

Jackson semble à peine s'attarder sur la menace de mort, trop occupé à détailler Netan comme s'il était un fascinant puzzle.

« Parlez. » Ordonne Netan en se plaçant derrière son bureau.

Cam refuse de céder du terrain, de changer de posture face au ton impérieux de Netan. Inutile de tourner autour du pot. « Vous avez certainement déjà dû en entendre parler : nous cherchons à éliminer Anubis. Nous nous sommes dit que vous voudriez peut-être y participer. »

« Ai-je l'air stupide d'après vous ? »

Parmi les nombreux mots qui viennent à Cam pour décrire Netan, stupide ne fait clairement pas parti de la liste. A côté de lui, Vala est très calme, ce qui d'une certaine manière est plus inquiétant encore que son agitation précédente.

« Nous avons pour ainsi dire trouver un moyen d'équilibrer les chances. » Rétorque Cam sans se démonter.

Pour la première fois, Netan semble légèrement intéressé. « Les guerriers Khull ? »

Cam sourit. « Ils ne sont plus vraiment un problème. »

Quelque chose s'anime au fond du regard de Netan. Une lueur de cupidité ou bien d'attrait à tous les possibles qui, venant d'un homme comme lui, étaient aussi effrayantes l'une que l'autre. L'homme s'installe plus confortablement dans son siège, signifiant que la conversation allait prendre un nouveau tournant. Son attitude laisse penser à Cam que Netan ne fait rien sans un minimum de préméditation.

« Vous avez besoin de vaisseaux » Conclut-il.

La flotte lucienne est très importante. La seule qui a une chance de rivaliser face à celle d'Anubis sans se faire écraser comme un vulgaire insecte.

« Effectivement. » Approuve Cam.

Netan reste un long moment silencieux, les mains croisées devant lui, évaluant le pour et le contre de la situation. Qu'il les garde debout pendant sa réflexion n'échappe pas au militaire. Tandis que les minutes s'étirent, il entend le soupir agacé et presque inaudible de Jackson, mais Cam est davantage intéressé par l'incessant et impatient tapotement des doigts de Vala.

Il ne sait pas bien s'il s'agit là d'un test, d'une démonstration abusive visant à montrer qui est en position de force dans cette relation. Ou bien Netan souhaite simplement mettre leurs nerfs à l'épreuve avant de conclure avec eux un marché. Cam finit par observer Vala et se calquer sur sa tranquillité de façade.

Après ce qui sembla être plus d'une heure mais qui vraisemblablement n'avait duré qu'une dizaine de minutes, Netan reprend la parole. « Je pense que nous pouvons trouver un accord. »

Cam sent ses épaules se détendre, mais à côté de lui, Vala a toujours le comportement d'un rat prêt à quitter précipitamment le navire.

A juste titre, car Netan n'en a pas tout à fait terminé. « Evidemment, vous conviendrez que nous avons besoin d'une démonstration de vos capacités à éliminer les soldats. »

« Une démonstration ? » Demande Cam. Ils avaient volontairement limité les tests pour ne pas trop attirer l'attention du Goa'uld.

« Oui. Un de nos avant-postes est tombé aux mains d'Anubis récemment. Il est à présent tenu par deux guerriers Khull. C'est le lieu idéal pour tester votre technologie. »

Mais surtout une occasion en or pour Netan de récupérer un important avant-poste sans avoir à bouger le petit doigt. O'Neill avait raison : cet homme était un foutu salopard.

Jackson tente d'intercéder. « Nous avons fait ces tests de manière approfondie. Je peux vous assurer que ça fonctionne. »

Les yeux de Netan se rétrécissent. Pour lui, l'archéologue est un simple subalterne qui s'est exprimé sans sa permission. « Si nous prenons le parti de combattre Anubis, pensez-vous vraiment que nous allons nous contenter de vous croire sur parole, Tau'ri ? »

« Ecoutez » Intervient Cam avant que le tempérament de Jackson les fasse tous tuer, « Anubis ne sait pas ce que nous préparons. Si nous commençons à tirer sur toute son armée, il va s'en rendre compte. »

Vala pince durement Cam. « Puis-je vous parler un moment ? » Elle envoie à Netan un sourire charmeur, la tête penchée de côté comme pour dire « Que voulez-vous ? Ce sont des Tau'ri ! »

L'homme reste de marbre.

Ils se calent ensemble dans un recoin, essayant de gagner un tant soit peu d'intimité. « Nous ne pouvons pas faire ça » Commence Cam.

La voix de Vala se réduit à un sifflement. « Etes-vous complètement fous ? Si nous n'acceptons pas, nous ne sortirons pas vivants d'ici. » Elle leur jette un coup d'œil. « Vous pouvez comprendre ça, non ? »

Avant de venir ici, il aurait pu penser qu'il s'agissait de paranoïa. Mais entre-temps, il avait rencontré le chef de l'alliance. Il secoue la tête. « C'est impossible. Nous devons encore améliorer nos armes. »

« Alors faites-le. » Assène Vala.

« Nous ne pouvons pas juste- »

Elle enfonce ses doigts dans son bras. « Il me semble que vos chances de gagner sans l'Alliance Lucienne sont à peu près les mêmes que de sortir vivants de cet endroit si vous refusez. »

« Ce n'est pas pour autant qu'il faut se précipiter. » Maintient Cam. Il y avait un plan, qui s'était construit durant des années.

« Non. » Dit Jackson, brisant le silence. « Elle a raison. »

Vala le regarde, aussi surpris que Cam par son intervention. « Excusez-moi ? »

« Ecoutez, plus on attend et plus on a de chance de laisser Anubis filer. »

Cam fixe l'archéologue. « Et foncer tête baissée n'est pas…imprudent ? »

Il hausse des épaules comme si l'imprudence n'était pas vraiment le problème. « Le plan est prêt depuis des mois. Nous attendons juste l'aval de Rodney. »

« Oui mais- »

« Mais quoi ? » L'interrompt Jackson. « Si ce que nous attendons c'est un miracle pour nous sauver…et bien, ça n'arrivera pas. Les Asgards sont morts, les Tok'ra et les Jaffas ne sont pas loin de les suivre. Et nous sommes les prochains sur la liste. Ca fait deux ans. Il est temps d'agir. Ou de mourir. »

Cam cligne de yeux, un peu ébranlé par la rude analyse de leur situation. Pourtant, l'archéologue a raison. Ils n'avaient rien fait d'autre que de se cacher pendant qu'Anubis les traquait et détruisait leurs bases les unes après les autres. Omega et quelques petits avant-postes étaient les seules protections qui leur restaient. S'ils attendaient encore, ils n'auraient plus assez de personnes pour mettre leur plan à exécution.

Cam se passe une main sur le visage. « Nous avons besoin de cinq jours. Trois au minimum. »

Jackson acquiesce. « Alors, allons récupérer l'avant-poste de Netan pour lui. »

Reynolds allait l'écorcher vif.


Trois jours se sont écoulés depuis que Sam était imprudemment rentrée dans l'Orphée, et s'était piégée avec Jack. Jusqu'ici, ils s'étaient contentés de se tourner autour, se relayant aux commandes.

Les longues périodes de silence qui ponctuent ces instants n'ennuient pas Sam. Ce qui est plus étrange, c'est surtout que Jack ne semble pas non plus s'en soucier. Il réapparait environ toutes les huit heures et reste debout à côté d'elle jusqu'à ce qu'elle lui cède sa place. Mais le plus surprenant reste son incapacité à se détacher des manettes, de céder le contrôle. Et cela, peu importe son état d'épuisement.

C'est comme si une partie oubliée d'elle-même revenait progressivement à la vie. Comme un afflux de sang vers un membre engourdi entrainant une forme de protestation par manque d'oxygénation. C'est douloureux. Ca la brûle. Ca rend les choses plus nettes, beaucoup plus nettes qu'elles ne l'ont été d'aussi loin qu'elle s'en souvienne.

Elle essaie de lui en vouloir pour ça, de se rappeler que c'est justement ce qu'elle voulait éviter par-dessous tout. Mais maintenant qu'elle a retrouvé la sensation des commandes dans ses mains, le bourdonnement du vaisseau, elle ne supporte plus l'idée de laisser ce sentiment filer.

A la place, elle se perd dans la contemplation de la mécanique de l'engin. Certains process sont familiers, d'autres totalement nouveaux, avec une configuration qu'elle n'a jamais vu. Le vaisseau est une machine hybride, une fascinante contradiction. Au début elle s'était demandé s'il avait trouvé ce vaisseau ainsi, mais plus elle le manipule et plus elle reconnait certains caractères distinctifs. C'est comme une signature. Une empreinte digitale. Il l'avait modulé, modifié, à la limite du chaos et de la simplicité, les deux se superposant dangereusement. Il avait mis en place des systèmes d'urgences imprudents qui certes, le sortiraient certainement de situations extrêmes, mais pas sans une forte probabilité d'accident ou de brûlure. Prendre le risque ou mourir. Ce vaisseau contenait sa part de secrets, de masques, de camouflages, de faux semblants, tous si imbriqués les uns aux autres qu'ils en étaient devenus indiscernables. Un grand soin couplé à une grande imprudent, le tout soupoudré d'un soupçon de vanité.

Elle n'a aucune idée de ce qui permet à tout cela de tenir en place.

Ce qui rend la chose d'autant plus effrayante, puisque le moindre problème pourrait tout détruire en un clin d'oeil.

Un des panneaux émet des signaux lumineux et le corps de Sam réagit immédiatement, les sortant de l'hyper espace tandis qu'ils se rapprochent de leur destination.

Jack apparait en quelques instants, observant la planète devant eux. « Ah, P9R-872. J'ai entendu dire que c'était un charmant endroit en cette période de l'année. »

C'est supposé être un trait d'humour. Elle le sait. Pourtant, comme beaucoup d'autres choses, cela ne fonctionne plus. Elle perçoit l'écho d'autres missions, en d'autres temps, mais cela se superpose et se heurte au tranchant dans l'intonation de sa voix.

« Ca peut prendre du temps avant de localiser la structure à sa surface. » Annonce Sam, essayant de retrouver son ancienne routine.

« J'enclenche le scan. » Répond-il en se laissant choir dans le deuxième siège et en prenant les commandes auxiliaires.

Leur capacité à retomber dans leurs schémas d'actions, sans signaux tacites ou d'échange de mots, est une des rares choses dont ils disposent encore. Mais il existe des moments comme celui-ci où l'un d'eux effectue quelque chose à laquelle l'autre ne s'attend pas. C'est un rappel brutal que rien n'est vraiment comme avant. Elle regarde ses doigts se mouvoir avec habitude et enclencher sans difficulté le calcul d'algorithmes complexes. Alors tout s'arrête. Il devient soudain un simple étranger, recouvert d'habits et d'un tatouage inconnu.

Mais ces moments sont plus faciles à gérer que ceux où le changement est encore plus inattendu. Ces instants où son visage prend soudain une expression dure et distante, comme si un bouton invisible avait été enclenché.

Elle l'entend parfois marmonner pour lui-même des mots durs, frustrés, remplis de dégoût et d'épuisement. Elle connait ce ton, elle s'en rappelle de mieux en mieux. C'était cette intonation qu'il avait eu ce dernier jour dans la forêt, sa tête baissée contre ses mains, ses lèvres frôlant ses jointures.

Je suis désolé. Si désolé…

Et bon sang, cette seule pensée la rend nauséeuse, faisant resurgir son sentiment d'impuissance et d'engourdissement. Ses doigts s'enfoncent dans ses cuisses, sa respiration devenant courte et rapide. Sa tête commence à tourner.

« Carter ? » La voix semble lointaine.

Elle secoue la tête. Respires Sam. Respire. Ca va passer. Ca passe toujours.

Elle se force à se focaliser sur l'écran en face d'eux, affichant un certain nombre d'informations sur la surface de la planète. Elle laisse les données et les chiffres l'éloigner du gouffre, comme ils l'avaient fait d'innombrables fois auparavant. Tendant la main, elle les fait défiler, tentant de les interpréter et d'ignorer le tremblement de ses doigts.

Elle sent toujours son regard posé sur elle. « Votre vaisseau…» Dit-elle, essayant de détourner l'attention de l'homme qui l'observe. Ce qu'elle se rappelle de la parole, c'est que parfois les mots cachent mieux encore les pensées que le silence.

Ses épaules sont tendues mais la voix de Jack est calme, soigneusement modulée. « Et bien ? »

« Vous avez fait tout ceci vous-même ? » Elle est impressionnée. Mais ce vaisseau met en exergue la dureté de sa vie passée.

« Qui aurait cru qu'un vieux loup comme moi aurait pu apprendre de nouveaux trucs, n'est-ce pas ? » Elle reconnait cette manière qu'il a de déprécier son intelligence, de la minimiser et même de la dénigrer.

Elle réfléchit à ce qu'elle-même avait appris depuis, mais son seul talent semblait être le silence.

Elle se concentre à nouveau sur l'écran.

« Carter- » Mais un bip insistant l'interrompt, indiquant que le scan a trouvé quelque chose.

« Il y a une faible émission d'énergie du côté de l'hémisphère sud. » Répond Sam, analysant les données.

« C'est donc ça. » Il y a quelque chose d'indéfinissable dans le ton qu'emploie Jack.

Sam s'éclaircit la gorge. « Ne devrions-nous pas y jeter un coup d'œil ? »

Il la regarde de l'autre côté du cockpit. « N'est-ce pas pour cela que nous sommes ici ? »

« Bien sûr. » Répond-elle une fraction de secondes trop tard.

Il la fixe suffisamment longtemps pour lui faire voir il a remarqué. « Alors je suppose que vous feriez mieux de nous faire atterrir. »

Elle acquiesce, reconnaissante de pouvoir se concentrer sur quelque chose. C'est pour ça que tu es venue.

Le vaisseau pivote et vibre contre l'atmosphère de la planète. Au point où elle ne sait plus bien si ce sont ses mains qui tremblent, ou l'ensemble de la carlingue qui lutte contre la gravité.


La lumière des anneaux de transport les dépose au cœur de l'obscurité. Jack allume sa lampe de poche, balayant l'espace. Il peut sentir Carter debout derrière lui, tous deux essayant de capter le moindre son.

De longues secondes s'écoulent et aucun signe de vie ne se manifeste. Jack avance précautionneusement hors des anneaux. La pièce se trouve alors enveloppée d'une lumière chaude.

« C'est vous qui avez fait ça ? » Demande Carter.

Il peut sentir un léger bourdonnement familier dans ses os, comme si son corps reconnaissait en quelque sorte cet endroit sans que son esprit ne puisse néanmoins l'identifier. « Je n'en suis pas sûr. » Hésite-t-il.

Les murs sont d'un gris lisse, sur lesquels repose au-dessus d'eux un large dôme. Il ne voit pas d'où provient la lumière. C'est comme si c'était les murs eux même qui rayonnaient. Au pied du dôme se trouvent des ouvertures à intervalles réguliers.

Carter le regarde comme si elle attendait qu'il lui indique par où commencer.

Il secoue la tête en guise de réponse. « Ca Carter, c'est votre domaine, pas le mien. »

Elle se mordille la lèvre, dardant chaque porte jusqu'à s'arrêter sur une. Elle franchit l'ouverture, sa lampe éloignant difficilement l'obscurité qui règne à l'intérieur.

Jack la suit quelques pas derrière, la pièce s'illuminant dès qu'il en franchit le seuil.

Carter lui jette un œil mais il hausse les épaules en guise de réponse.

Cette pièce-ci est loin d'être vide. Du sol au plafond, elle est remplie d'un tas d'objets, la plupart recouverts d'un tissu fin et vaporeux qui donne à l'ensemble des allures de maison hantée.

Devant lui, Carter retire délicatement un des tissus d'une des caisses, une nuée de poussière s'élevant dans l'air. Il semble clair que cet endroit n'a pas été visité depuis des siècles. Carter agite distraitement sa main devant son visage, toussant légèrement.

« Qu'est-ce que c'est ? » Lui demande Jack quand elle finit par regarder le contenu de la caisse.

« Des cristaux. » Répond-elle, relevant un fragment bleu pour qu'il le voit.

« Vraiment ? » Etaient-ils réellement tombés sur un entrepôt de technologie des Anciens ? Cela semble un peu trop beau pour être vrai.

Carter place le cristal dans la lumière, fronçant les sourcils. Après l'avoir reposé à sa place, elle commence à retirer tous les tissus, inondant la zone d'un nuage de poussière.

« Carter », objecte Jack.

« Ils sont tous brisés. »

« Quoi ? » Il regarde la rangée de caisses proprement posées, contenant chacune une couleur de cristal différent comme si quelqu'un s'était amusé à les classer pour ensuite les recycler.

Elle enfonce sa main dans un tas de cristaux rouges, en ramasse une poignée et les laisse retomber comme une pluie de rubis. « Tous. Cassés ou brûlés. »

Apparemment Daniel avait raison, cet endroit était un entrepôt, mais qui servait de décharge.

« Venez, » L'incite Carter, sa voix laissant poindre quelque chose qui ressemble à de l'excitation. Il n'y avait bien qu'elle pour trouver quelque chose d'excitant dans une décharge. « Voyons les autres salles. »

Il n'objecte pas, la suivant sagement d'une pièce à l'autre. Toutes ont l'air abandonnées. Certaines sont aussi bien rangées que la première, d'autres sont plus chaotiques, comme si les habitants c'étaient précipités avant de partir. Et partout, cette poussière déposée par les années.

Il a perdu le compte des pièces quand ils pénètrent dans ce qui semble davantage être une nouvelle zone de stockage s'ouvrant sur une salle plus étendue, contenant des machines et engins de diagnostics. Les murs sont bordés de consoles et d'ordinateurs évolués, ce qui attire immédiatement l'attention de Carter.

Elle est assez prudente pour ne pas farfouiller dans leurs programmes mais elle regarde les écrans avec une telle lueur dans les yeux, que la réminiscence que cela évoque en lui en est presque douloureuse.

Jack se force à détourner le regard et c'est à cet instant qu'il la voit, à moitié cachée derrière une étagère. Il se demande si cette chose avait entendu ses prières, murmurant dans sa tête. Comme si elle l'avait toujours attendu là, prête à lui offrir toutes les réponses.

« Vous savez, » Dit-il en traversant tranquillement la pièce, « je crois que j'ai trouvé une meilleure façon de nous débarrasser d'Anubis. »

« Quoi ? » L'interroge Carter distraitement.

Jack pousse l'étagère de côté, le mur s'animant face à lui. Des bras métalliques et flexibles l'enveloppent, le rapprochant encore. Il pense entendre un cri quelque part, le son de quelque chose qui tombe. Mais la seule chose dont il prend conscience ensuite, c'est qu'il est allongé au sol et que Carter est penchée au-dessus de lui. Ses joues sont pâles et tachetées par endroit. Ses mains planent près de son visage sans le toucher, comme si elle avait peur du contact.

« Pourquoi ? » Demande-t-elle, la voix brisée. « Pourquoi avez-vous fait ça ? »

Parce que peut-être que comme elle, il n'avait à présent plus besoin de sa permission.