Chapitre 2
Match contre la Royal Academy
Jude balaya des yeux l'immensité du stade, encore vide de spectateurs. Celui-ci était impressionnant, symbole incontesté de l'équipe incroyable que fut celle de la Royal Academy pendant près de quarante. Il n'y était pas retourné souvent depuis qu'il avait quitté ce club pour celui de Raimon, mais chaque fois qu'il y revenait, il se sentait véritablement chez lui.
Il avait grandi ici. C'est sur ce terrain, en frôlant cette pelouse, qu'il était devenu le joueur qu'il était.
C'était d'autant plus vrai aujourd'hui, que Ray Dark, avait été libéré. Et sûrement Jude était-il parano, mais il croyait le voir dans chaque coin d'ombre du stade.
- Cet endroit est toujours aussi flippant, fit remarquer Marc en s'avançant près de lui.
Axel arriva à son tour, et posa une main sur l'épaule de Jude.
- Il n'est pas là, Jude ! Et il ne viendra pas, tu as entendu ce que M. Hillman a dit.
Jude ne répondit rien, et s'en retourna vers les vestiaires pour se changer. Il se laissa perdre dans le dédale de couloirs, à la fois si familier et si étranger, jusqu'à arriver aux vestiaires des visiteurs. Ça aussi, il ne croyait pas qu'il s'y habituerait un jour.
Quand il en poussa la porte, Célia, Nelly, Emi et Miya étaient déjà là. Il ignora le regard compatissant de sa petite-amie, un peu agacé de lui inspirer autant de pitié, et alla jusqu'à la place qui lui était attribuée.
C'est seulement à ce moment-là qu'il le remarqua. À la place de Marc, celle réservée au gardien de but titulaire, un garçon châtain, aux grands yeux rouges, était déjà assis. Jude plissa les yeux, surpris. Il allait dire quelque chose, mais derrière lui, la porte se rouvrait avec fracas, laissant entrer le reste de l'équipe et l'entraîneur Hillman.
Comme lui auparavant, Marc et Axel se figèrent devant le garçon.
- Les garçons, je vous présente Danny Yavol, notre second gardien de but, dit le coach.
Tous les regards se posèrent sur le garçon, dont le sourire amusé avait un on ne-savait quoi d'agaçant.
- S'lut, lança-t-il.
De l'autre côté de la pièce, Jude vit Célia se ratatiner sur elle-même. Son attitude l'intrigua, et il sentit aussitôt que quelque chose ne se déroulerait pas comme prévu.
- Danny est titularisé pour le match d'aujourd'hui, Marc tu resteras sur le banc.
- Quoi ? s'écrièrent de concert Axel et Nathan.
Les autres membres de l'équipe y allèrent chacun de leur commentaire, seul Jude et Heath gardant le silence, réfléchissant à ce que cela voulait dire. Marc s'était contenté de hausser les épaules, visiblement peu touché. Mais ce comportement n'étonnait pas son ami : Marc n'avait jamais été du genre en remettre en question les choix d'un entraîneur.
- Mais coach, Marc est notre capitaine ! s'écria Nathan. Et puis, nous ne connaissons pas ce Danny, on ne s'est même jamais entraîné avec lui, c'est un choix complètement stupide.
- C'est un match de préparation Nathan, l'objectif est d'apprendre à jouer ensemble.
- Mais on ne sait même pas qui il est, coach.
Le rire sec de Danny empêcha Seymour Hillman de répondre quoi que ce soit. Tout le monde le regardait, véritablement décontenancé.
- Tu ne me connais pas Nathan, mais moi, je vous connais tous. Et c'est la seule chose qui compte.
- On doit pouvoir faire confiance à celui qui garde nos arrières, répondit Nathan sur la défensive.
- Pourquoi ? Parce que tu ne te fais pas assez confiance pour défendre correctement ?
Un silence pesant accueillit cette question. Finalement, c'est M. Hillman qui le dispersa.
- Bien, préparez-vous, je veux vous voir sur le terrain dans un quart d'heure.
L'entraîneur et les filles sortirent rapidement. Jude et Axel échangèrent un regard, et se dépêchèrent d'un commun d'accord de se changer pour rattraper Célia. En quittant les vestiaires, ils traînèrent Marc derrière eux.
Célia était assise sur le banc, entre Emi et Miya. Nelly discutait activement avec l'entraîneur, à quelques mètres de-là. Jude nota le léger mouvement de recul d'Axel en apercevant la blonde, mais il s'approcha quand même.
- Je ne sais pas qui est Danny Yavol, lâcha Célia avant même qu'ils ne lui aient posé la question.
Évidemment, sa sœur n'était pas stupide.
- Comment ça tu ne sais rien ? insista Jude.
- M. Hillman m'a chargé de l'avertir qu'il était titularisé pour la rencontre d'aujourd'hui. Je voulais le trouver chez lui, mais il a regardé votre entraînement il y a deux jours. Je lui ai dit à ce moment-là.
- Il était là ? s'étonna Axel. Je ne l'ai pas vu.
Il consulta Jude et Marc, qui eux aussi, hochèrent négativement la tête.
- M. Hillman ne m'a rien dit, et j'ai eu beau chercher, il n'y avait rien. Il n'a jamais été licencié dans un club de foot du pays, et je ne suis même pas sûr qu'il ait grandi ici. Il est né à Kobe, il a mon âge, et c'est tout. Il n'a aucun dossier médical, rien. Je sais juste que…
- Tu sais juste quoi ? La pressa son frère.
- Qu'il regarde des matchs de foot à la télé.
Tous baissèrent la tête. Cette information n'était pas utile en quoi que ce soit. Jude contempla le coach Hillman, se demandant ce qu'il avait prévu. Il n'avait pas recruté Danny Yavol pour rien. Sa venue dans l'équipe avait un sens.
- Marc, ça va ? demanda Miya en lorgnant le capitaine.
Celui-ci, qui regardait dans le vide jusqu'à maintenant, releva la tête, un grand sourire aux lèvres.
- Pourquoi ça n'irait pas ? J'ai hâte de voir ce que ce Danny vaut en tant que gardien de but.
- Ça ne te dérange vraiment pas ? insista Emi. Tu es le capitaine de cette équipe.
Pour toute réponse, Marc retira son brassard et le tendit à Jude.
- Pas aujourd'hui.
Composition des équipes
Raimon
Danny Yavol
Shawn Frost – Acker Reese – Jack Wallside – Nathan Swift
Aïden Mandel – Jude Sharp – Heath Moore
Giuliano Vespussi – Axel Blaze – Elliot Ember
Royal Academy
Joseph King
Peter Drent – Ben Simmons– Alan Master – Gus Martin
Herman Waldon – Caleb Stonewall– Derek Swing
David Samford – Daniel Hatch – Cliff Tomlinson
Début de la première mi-temps, 17h00
Commentateur : Bienvenue, chers téléspectateurs, à cette rencontre de préparation opposant l'équipe du lycée Raimon à celle de la Royal Academy. Les joueurs sont en place sur le terrain, c'est Raimon qui donnera le coup d'envoi.
La partie promet d'être surprenante. Comme beaucoup d'entre vous l'ont déjà constaté, Marc Evans, le capitaine attitré de Raimon, n'a pas été titularisé. Quelles belles surprises nous réserve donc Danny Yavol ?
Axel Blaze donne le ballon à Vespussi. Le joueur d'origine italienne qui a rejoint Raimon la saison dernière est le meilleur buteur de la saison en cours. Son coéquipier Axel Blaze s'est quant à lui illustré au cours du championnat allemand qui vient juste de se terminer.
Giuliano Vespussi passe le défenseur Ben Simmons, et se présente devant le but de King. Il passe le ballon à Eliot Ember dans son dos, celui-ci renvoie à Axel Blaze qui se prépare à tirer.
Incroyable ! The Last Resort, la super-technique de l'attaquant de feu, a encore évolué depuis son séjour en Allemagne. Malheureusement, Joseph King parvient à arrêter ce tir, bien qu'il ait rencontré quelques difficultés. Il redonne son ballon à Alan Master qui donne le ballon à Caleb Stonewall.
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Danny passait un moment absolument incroyable. Depuis sa cage, il percevait avec netteté chaque mouvement esquissé par ses nouveaux coéquipiers, et par ses adversaires. Ils étaient rapides, fluides, puissants. Il n'avait jamais assisté à une partie aussi incroyable, si technique et si professionnelle. Ce n'était plus une partie de football qui se jouait devant lui, il assistait à la création d'une œuvre d'art.
Les pièces maîtresses étaient sans conteste les deux capitaines, Jude Sharp et Caleb Stonewall, qui peignaient avec une intelligence exceptionnelle. Chaque détail, du tacle défensif à la passe en profondeur, était illustré avec une perfection aveuglante.
Le jeune gardien trépignait, incapable de rester affalé contre son poteau, les yeux sans cesse en action. Il ne savait plus où regarder. Lorsqu'il décidait de se fixer sur le ballon, les mouvements des joueurs démarqués l'intriguaient considérablement et il détournait la tête.
- Concentre-toi Danny ! Lui hurla Nathan, alors qu'il parvenait de justesse à repousser une attaque de la Royal Academy, tu n'as jamais vu un match de football ou quoi ?
Cette réflexion de la part du défenseur lui remit les idées en place. Il ne voulait pas passer pour un admirateur excessif, il devait refréner son enthousiasme.
Il fit de son mieux pour se débarrasser de son air béat, et recommença à suivre le ballon des yeux. Une demi-heure de jeu était passée, et même s'il était clair que Raimon dominait largement la rencontre, Danny trouvait que la Royal Academy était tout aussi méritante.
Le ballon arriva entre les pieds de David Samford, qui dribbla Nathan, puis Jack avec une aisance enivrante. Danny le regardait faire avec un plaisir certain jusqu'à ce que l'attaquant se retrouve devant lui. Juste devant lui. Sans aucun défenseur entre eux.
Danny soupira de dépit. Il avait cru qu'une équipe comme Raimon ne se laisserait pas dépasser aussi facilement. Rien qu'à imaginer l'effort qu'il allait devoir faire, il en était déjà fatigué.
- Manchot empereur N°7 !
Le ballon fonça vers Danny dans un éclat de couleur resplendissant. Obnubilé par les manchots colorés qui fonçaient sur lui, il oublia simplement pourquoi il était ici.
Le ballon transperça les filets sans qu'il n'ait pu faire quoi que ce soit. C'est le coup de sifflet de l'arbitre, annonçant la validité du but, qui le ramena à la réalité.
- C'est une blague ? Hurlait Nathan en venait vers. Mais qu'est-ce que tu as fait ? Tu es certain d'être un gardien de but ? Tu… Tu sais jouer au moins ?
Danny n'eut pas le temps de lui répondre, le reste de l'équipe accourait vers lui.
- Il faut le faire sortir, déclara Aïden en faisant des signes vers le banc, on a besoin de Marc.
- Danny, qu'est-ce qui s'est passé ? demanda Jude, plus calme.
Le rire de Giuliano fut la goutte d'eau faisant déborder le vase. Danny s'énerva. Il pointa Nathan d'un doigt accusateur.
- Je t'ai choisi parce que j'étais certain que tu étais suffisamment compétent pour défendre ce but. Mais tu t'es laissé dribbler comme un bleu par Samford. Qui es-tu pour remettre en question mes compétences ? Tu n'es pas mieux que moi.
Il se tourna vers Aïden.
- Quant à toi, occupe-toi de passer correctement le ballon. Giuliano n'a pas reçu une seule de tes passes. Et tu n'as même pas daigné regarder Axel alors qu'il est très souvent démarqué.
Puis, il regarda Giuliano.
- Pourquoi est-ce que tu ris ? Tu n'as pas marqué le moindre but, pourtant c'est ton boulot, non ? Si tu en avais déjà planté deux, vous ne seriez pas en train de vous plaindre.
Nathan, Aïden et Giuliano, comme tous les autres, se tournèrent vers Jude, le seul à qui il n'avait rien dit. En tant que capitaine, c'était lui qui aurait dû dire quelque chose.
- Ne me regardez pas comme ça, Danny a raison. Nous avons tous notre part de responsabilité dans ce but. David a traversé le terrain sans rencontrer le moindre obstacle.
- Mais Jude…
- Non, Nathan ! Tu t'apprêtes à disputer un tournoi international. Tu ne peux pas te faire dribbler aussi facilement. Aïden, ouvre les yeux ! Sur le terrain, vous n'êtes plus que des coéquipiers, quand même bien même vos relations sont tendues. Giuliano, trouve le chemin du but. Il nous reste quinze minutes. Je veux qu'à la mi-temps nous ayons égalisé.
Ses coéquipiers se dispersèrent. Quand il ne resta plus que Jude devant lui, ce dernier lui fit face, l'œil sévère.
- Tu es doué pour critiquer le travail des autres, j'ose espérer que tu sais faire œuvre de la même analyse quand il s'agit de ton propre travail.
- Je me suis laissé distraire, ça ne se reproduira plus.
- Je n'ai aucun doute là-dessus, mais juste au cas où, si tu laisses encore passer un tir, je ferais en sorte que tu n'aies pas d'autre choix que de quitter le terrain.
- Tu es prêt à me blesser pour gagner ce match ? Ce n'est qu'un match de préparation.
- Je serai toujours prêt à tout pour la victoire.
Le sourire de Danny s'élargit alors que Jude se détournait pour rejoindre le milieu de terrain.
- Comme prévu, dit-il encore, la pomme ne tombe jamais bien loin de l'arbre.
Jude ne fit aucun geste laissant entendre qu'il l'avait entendu, pourtant, Danny sut avec certitude que c'était le cas.
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Commentateur : Il reste cinq minutes avant la fin de la première mi-temps. L'équipe de Raimon, menée au score grâce à une superbe réalisation de David Samford, est en possession du ballon. Aïden Mandel cherche Giuliano Vespussi, mais celui-ci est fortement marqué par Drent et Simmons.
Axel Blaze est démarqué, mais Mandel ne lui donne pas le ballon. Il décide d'aller au but tout seul. Incroyable ! La super-technique de tir d'Aïden Mandel, le Feu Follet, éblouit le stade. Le milieu de terrain de Raimon jongle avec ces petites flammes qui se multiplient et qui foncent rapidement vers le but. Joseph King est complètement aveuglé et ne sait plus où donner de la tête. Buuuuuuut ! Aïden Mandel égalise, alors que l'arbitre siffle la fin de la première mi-temps. Nous nous quittons sur ce score d'un partout.
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Axel échangea un dernier regard avec Aïden, avant de rejoindre Marc et Jude, à l'écart du banc. Son ami, relégué au rang de remplaçant, lui lança une bouteille de jus de ginseng, qu'il attrapa au vol. Il s'empressa d'en avaler plusieurs goulées, épuisé de courir pour rien.
Il avait à peine touché le ballon, la faute à Aïden qui s'essayait davantage à trouver Eliot et Giuliano plutôt que lui. Il aurait voulu lui en parler, avoir une conversation mature avec lui, mais la vérité était qu'il n'avait absolument pas envie de s'approcher de lui. Il se contenterait donc d'attendre que Jude reprenne les rênes du jeu.
Mais pour l'instant, son ami semblait davantage préoccupé par Danny. Axel ne savait pas si Jude avait déjà remarqué à quel point le gardien de but avait fait acte d'observation.
- Nous ne savons rien sur Danny, dit Jude alors qu'il se laisser tomber au sol, près de Marc, mais lui, il sait beaucoup de choses sur nous.
- Comment sais-tu ça ? Lui demanda Marc, qui naturellement, n'avait rien entendu de leurs discussions en équipe près du but.
- Il a piqué Nathan sur sa confiance en lui en sachant pertinemment qu'il en manque, et quand il a parlé d'Aïden, je suis certain de l'avoir vu te regarder Axel. Il sait pourquoi vous êtes aussi distant l'un envers l'autre. C'est évident. Et puis…
- Et puis quoi ? insista Marc.
- Je crois qu'il m'a comparé à Ray Dark.
Axel haussait un sourcil dubitatif en direction de son ami. Il y avait des choses qu'on pouvait relever simplement en observant l'attitude des gens. Pour lui, Nathan se promenait presque avec une pancarte « Je doute de moi » sur le front, et n'importe qui pouvait voir qu'il s'entendait moyennement avec leur partenaire allemand. Et qui n'était pas au courant, dans ce stade, que c'était Ray Dark qui avait formé Jude Sharp ?
Cependant, il préféra ne pas le contredire. Il y avait quelque chose d'autre qui l'interrogeait davantage.
- Il a dit à Nathan qu'il l'avait choisi, rappela Axel, parce qu'il le jugeait compétent. Qu'est-ce que ça veut dire ?
- Quoi ?
- C'est vrai, se souvint Jude en portant ses doigts à son menton, c'est ce qu'il a dit. Mais je ne comprends pas pourquoi.
- Vous croyez que le coach lui a laissé choisir la composition ? Souleva Marc.
- Où au moins les défenseurs ? proposa aussi Axel.
- Je ne sais pas. Ça n'a aucun sens. Je ne suis même pas sûr qu'il soit capable d'arrêter un but. Il a passé toute la première mi-temps à rêvasser.
- Non, dit Marc, il n'a pas rêvassé, il a regardé le match.
- Quelle différence ?
- Quand je suis sur le terrain, je vois beaucoup de choses depuis mes cages, mais la plupart du temps, je me concentre presque exclusivement sur le ballon. Je ne veux pas le perdre de vu. Je contrôle les joueurs susceptibles de le recevoir dans la périphérie de mon champ de vision. Danny lui, il regarde tout le terrain. Il s'est concentré aussi bien sur toi, Axel, que sur Elliot. Il a suivi toute le parcourt de David au moment où il a marqué son but, et il le regardait déjà quand il était loin d'avoir le ballon.
- C'est un bon observateur et alors ? Reprit Jude, Heath et Caleb le sont aussi, n'empêche qu'ils jouent correctement.
- Le coach Hillman l'a choisi pour quelque chose, et je suis persuadé que ça à un rapport avec cette capacité.
- Marc a raison, renchérit Axel, laissons-lui du temps.
Jude approuva d'un lent signe de tête, avant de finalement se laisser lui aussi tomber à côté d'eux. Après quelques minutes de repos, Célia entourait de David Samford et Caleb Stonewall vint vers eux.
- Sympa ce nouveau gardien, se moqua Caleb, je ne suis pas certain de faire validé mon transfert si c'est pour laisser un boulet pareil protéger nos arrières.
- Ton transfert ? s'étonna Jude.
Le sourire moqueur de Caleb s'agrandit alors que Marc se relevait pour le féliciter. Le coach les avait prévenues qu'il manquait deux joueurs aux derniers entraînements. Il était évident pour Axel que Caleb les rejoindrait, même s'il avait eu des doutes en voyant la composition de la Royal Academy.
- M. Hillman a demandé aux joueurs transférés de jouer avec leurs équipes habituelles pour les matchs de préparation. La semaine prochaine, Raimon jouera contre Sélène. Je vous rejoindrai, mais Heath portera le maillot de son école.
- Je comprends mieux, conclut Jude.
- Caleb et David ont eu connaissance de certaines informations en ce qui concerne le tournoi. Je pensais que vous aimeriez les entendre maintenant.
Le sourire de Marc s'agrandit alors qu'il pressait Célia et les deux joueurs de s'asseoir avec eux.
- Alors ? insista encore le gardien de but.
- Deti Dyavola, commença David, c'est le nom du club russe qui participe au tournoi.
- Je n'en ai jamais entendu parler, avoua Jude, ce ne sont pas des clubs connus qui sont sélectionnés ?
- Selon le règlement oui, expliqua Célia, mais le club russe a été créer la même année que le tournoi. D'après mes recherches, le fondateur du Football Frontier des Clubs Légendaires est celui qui a fondé le club.
- Cet homme est mort, c'est peut-être une sorte d'hommage, avança Axel.
- Eh bien justement, renchérit Caleb, d'après certaines rumeurs, le fondateur serait bel et bien vivant. Il vivrait en Russie depuis toutes ces années et aurait passé tout son temps à endurcir son équipe.
- Pourquoi laisser croire à tous qu'il est mort ?
- C'est une bonne question Marc. Mais pour moi, il n'y a que deux raisons possibles, dit David. Soit il était en danger, soit il était dangereux.
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- Depuis quand est-ce que tu joues perso comme ça ? s'étrangla Emi en voyant Aïden revenir vers le banc.
Celui-ci l'ignora et se dirigea vers les vestiaires. Elle le talonna, décidée à avoir une réponse.
- Aïden, je te parle ! Pourquoi n'as-tu pas passé le ballon à Axel ? Il était démarqué !
Toujours aucune réponse. Le jeune homme pénétra dans la pièce, et se dirigea en vitesse vers les lavabos. Il passa la tête sous les tuyaux et se laissa asperger d'eau fraîche.
- Aïden !
- Laisse-moi ! s'énerva-t-il finalement en relevant violemment la tête.
Une gerbe d'étincelle aqueuse s'agita autour d'eux, clapotant sur les bras nus d'Emi. Elle insista, bien qu'elle fit attention d'adoucir son ton.
- Dis-moi, s'il te plaît. Tu ne joues pas comme à ton habitude.
Aïden soupira.
- Pourquoi devrais-je passer le ballon à Axel ? J'ai marqué ce but, c'est bien la preuve que je peux faire aussi bien que lui.
- On croirait entendre Andreas parler, soupira-t-elle, je croyais que tu étais différent.
- Eh bien comme tu peux le voir, non, je ne le suis pas. Je commence même à le comprendre figure-toi.
Aïden se laissa choir contre le mur carrelé, parcouru des gouttes d'eau qui coulaient de ses mèches trempées. Emi soupira en s'agenouillant en face de lui.
- Pardon. Tu es un excellent joueur, et tu avais tout autant le droit que lui de tirer. Ce n'est pas ce que je voulais te reprocher. Juste… Il y a de la tension entre vous, et je ne veux pas qu'on te fasse porter le chapeau.
- Axel en est tout autant responsable que moi.
- Je sais. Mais il est leur ami depuis bien plus longtemps que toi.
Aïden essuya d'une main l'eau qui commençait à le chatouiller.
- Je vais faire un effort, dit-il, mais tu vas devoir en faire aussi Emi.
La blonde le dévisagea, surprise, attendant qu'il s'explique. Elle détesta le regard exaspéré qu'Aïden lui renvoya, comme si elle savait pertinemment de quoi il parlait.
- On doit le dire à Andreas. Et il faut qu'on le fasse avant de le voir en Russie.
Emi déglutit.
- Non, on ne peut pas.
- Ah oui ? Et qu'est-ce qu'on lui dira lorsqu'on le verra là-bas ?
- Je… Je ne sais pas.
- Toi et moi savons pertinemment qu'il le prendra mal. Si on le lui cache, ce sera pire. Autant en finir, et supporter sa colère de loin.
- Pourquoi est-ce qu'il le prendrait mal ? C'est notre ami, il sera content pour nous.
Aïden la contempla quelques secondes avant qu'une étincelle passe dans ses yeux verts. Il savait des choses qu'elle-même ignorait, Emi n'en doutait pas.
- Alors nous n'avons qu'à le lui dire.
- Toi, tu peux le faire, il n'y a pas besoin que je sois là.
Aïden éclata de rire. Mais c'était un rire effrayant, qui ne lui allait absolument pas.
- Je n'ai jamais connu quelqu'un d'aussi lâche que toi Emi… D'abord Axel, maintenant Andreas.
- Oui ! Je suis lâche et alors ?
- J'y retourne, le match ne va pas tarder à reprendre.
Aïden quitta les vestiaires d'un pas pressé, laissant Emi seule au milieu de la pièce. C'était toujours aussi étonnant pour elle de voir son petit ami en colère. Il avait toujours été d'un tempérament joyeux. Il ne s'énervait jamais. Même sur un terrain de football, la blonde avait toujours été impressionnée de son sang-froid.
Mais depuis qu'ils étaient ensemble, c'est beaucoup plus fréquent de voir Aïden contrarié.
Emi prit quelques minutes pour se calmer, avant de rejoindre le stade. Quand elle ouvrit la porte, Axel se tenait derrière elle.
Elle soupira.
S'il y avait bien quelqu'un qu'elle n'avait pas envie de voir, c'était bien lui. Et en plus de ça, il lui bloquait le passage.
Il ne bougeait pas. La regardait seulement.
- Tu comptes rester là longtemps ? dit-elle, plus agressive qu'elle ne l'aurait voulu.
- C'est toi qui m'empêches de rentrer.
Emi leva les yeux au ciel. Il jouait les sérieux, mais il était tout aussi gamin que la plupart de ses copains. Peu désireuse de s'éterniser ici avec lui, elle se décala pour le laisser entrer. Avant qu'elle ne puisse s'en aller, Axel lui demanda :
- Vous vous êtes disputé ?
- Ce ne sont pas tes oignons !
Elle quitta les vestiaires en vitesse, pressée d'être de nouveau à l'air libre.
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Début de la deuxième mi-temps, 18h09
Le match avait repris depuis déjà vingt minutes quand Axel marqua un second but, après une magnifique passe de Heath. Celui-ci, apparemment mécontent du comportement d'Aïden en première mi-temps, s'évertuait depuis à faire tourner le ballon uniquement entre lui, Jude, Elliot et Axel.
Giuliano, qui était malheureusement évincé de ce schéma, ne semblait pas lui en tenir rigueur, et se dépensait à attirer la défense de la Royal Academy vers lui.
Miya suivait le match sans parvenir à être pleinement dedans. À côté d'elle, Marc ne cessait de gigoter, et n'était pas avare de commentaires. Jusqu'à présent, le capitaine de Raimon ne l'avait jamais spécialement agacé, mais elle n'avait encore jamais eu l'occasion de regarder un match à côté de lui. Chaque fois qu'elle parvenait à se concentrer sur une action, Marc attirait son attention sur autre chose : un mouvement de Caleb, un contact trop prononcé de Daniel, une parade magnifique de David.
Et puis, il y avait Danny, aussi. Marc se posait des questions… et toujours à haute voix. Toutes les deux ou trois minutes, son regard se posait sur le gardien, et il se questionnait.
Chaque fois, Miya espérait que Seymour Hillman le fasse taire en répondant à au moins l'une d'entre elles. Mais le vieux restaurateur restait impassible.
Bien sûr, Danny l'intriguait elle aussi. Sa façon de sourire, son attitude, la manière dont il bougeait lui rappelaient quelqu'un. Mais elle ne parvenait pas à savoir qui exactement.
- Oh ! Ce n'est pas passé loin ! s'écria Marc.
En même temps, il se releva pour féliciter Elliot qui avait manqué de peu le coin transversal. Son intervention eut le mérite de remettre Miya dans la partie. Caleb avait le ballon entre les pieds, et avançait avec sa confiance habituelle. Il passa Jude, puis Aïden, tout en cherchant Daniel Hash ou David.
À côté d'elle, Marc commentait chaque action, en lançant sans cesse des coups d'œil anxieux en direction de Danny, qui suivait la partie avec une désinvolture inquiétante. Miya craignait que le même scénario qu'en première mi-temps ne se reproduise, et que Danny, trop absorbé par une super-technique, se rate complètement.
Comme les réflexions du garçon à côté d'elle l'avaient laissé entendre, David se retrouva une nouvelle fois devant le but. Derrière lui, Nathan arrivait en courant, criant à Danny quelques paroles que Miya ne pouvait pas comprendre depuis sa place.
Elle chercha Jude du regard, qui s'était arrêté, et regardait le gardien de but. Il ne paraissait pas inquiet, et Miya ne parvint pas à s'enlever de la tête qu'il avait compris quelque chose.
David ne s'embêta pas à changer de super-technique. Avec une précision parfaite, le ballon, épaulé de manchots colorés, fonçait vers Danny avec une vitesse et une puissance surprenante.
Le cœur de Miya fit une embardée en constatant que le gardien de but ne réagissait toujours pas.
Et puis soudain, le ballon ralentit brusquement. Danny n'avait pas bougé pourtant. Ce qui avait changé, c'était ses yeux. Ses yeux rouges étaient lumineux, hypnotisant. Et le ballon suivait le mouvement de ses pupilles.
Les trépignements de Marc et ses remarques excités étaient lointains, Miya ne se concentrait que sur ce ballon, qui était inexorablement attiré vers le sol. Et même quand il toucha la pelouse, il continua de persister, comme s'il cherchait à s'enfoncer dans les profondeurs de la terre. Et alors seulement, il disparut.
Le silence pesa dans le stade. Tous étaient subjugués, incapables de comprendre ce qui s'était passé. Et alors, dans une gerbe d'étincelles lumineuses, le ballon réapparu entre les mains de Danny.
- Que… qu'est-ce que c'était que cette super-technique ? s'époumonait Marc, les yeux brillants d'émotions.
- La Descente aux Enfers, daigna enfin répondre Seymour Hillman.
Marc se précipita vers lui pour lui poser encore plus de questions, avoir plus d'informations, savoir comment Danny s'y prenait pour réaliser une technique pareille.
Miya, elle, était incapable de détacher ses yeux de Danny. Il avait tourné la tête vers Jude, et lui souriait largement. Et alors seulement, elle sut à qui Danny ressemblait tant.
