Semi était fatigué, épuisé même. La douleur de son corps l'empêchait de se mouvoir comme il le voulait et chaque petit geste demandait une énergie qu'il ne possédait plus, il soupira et finit par sortir de sa chambre sans prendre la peine de fermer la porte, puis se dirigea vers la cuisine. Son petit déjeuner du jour se résuma en un simple verre de jus de pomme pour accompagner ses médicaments.
Nous étions lundi et c'était le jour ou l'infirmière passait et il ne voulait pas subir ses réprimandes, alors suite à ce simple verre il alla se laver et s'habilla en soupirant. Son corps était aussi lourd que son cœur ce qui ne pouvait dire qu'une chose choisie, il était encore trop gros, imparfait.
Au moment où il arriva dans le salon, la sonnette retentit et il alla ouvrir, la boule au ventre.
-Bonjour, murmura le jeune homme à son infirmière.
-Bonjour Semi, comment vas-tu aujourd'hui?
-J'ai quelques douleurs dans mes membres, autrement tout va bien.
-Bien, déclara la femme en installant son matériel. Aujourd'hui tu vas avoir ta prise de sang mensuelle, tu es bien à jeun?
-Oui bien sûr, menti Eita. Il voulait fausser les résultats.
-D'ailleurs comment se passent les repas en ce moment?
C'était une question que Semi craignait, il se savait épier dans ses réponses, jugé. Ce qu'il détestait le plus c'était le fait que l'on note sa réponse.
-Je ne mange pratiquement rien, avoua-t-il coupable.
Et l'infirmière écrivit, ce qui irrita Eita mais il ne dit rien et se contenta de sourire pour faire bonne impression.
-Je vais commencer par écouter votre coeur et prendre votre tension avant de faire la prise de sang, vous voulez bien?
Il s'installa dans son canapé de façon à ce que l'infirmière puisse l'ausculter.
Comme prévu elle commença par écouter son coeur en silence, une fois choisi faite, elle nota quelque chose dans son carnet puis prit sa tension.
-Votre tension est encore basse, l'informa-t-elle avant de noter encore une fois, ce qui exaspéra Semi au plus haut point.
-Bien maintenant la prise de sang, annonça la femme avant de lui prendre délicatement le bras, un garrot ne sera pas nécessaire, annonça-t-elle avant de piquer pour prélever une petite quantité de sang. Elle remplit plusieurs petits flacons avant de retirer l'aiguille et de placer un pansement sur le bras du malade.
-Maintenant la balance, dit l'infirmière en plaçant l'objet au sol, c'était le moment que le jeune homme redoutait le plus, il avait peur. Il s'était forcé à aller aux toilettes avant l'arrivée de l'infirmière et avait vomi de la bile dans le lavabo, il ne pouvait rien faire de plus pour le moment.
Il monta sur la balance le cœur lourd et fixa le plafond peu désireux de voir les chiffres qui s'affichaient sur le pèse-personne.
-32, annonça l'infirmière, soit deux kilos de plus.
Eita ne dit rien, attendant le départ de l'autre personne pour exprimer le fond de sa pensée. Après avoir noté, rangé et pris son argent l'infirmière partit en lui souhaitant une bonne semaine. Une fois la porte fermée, Semi se mit à pleurer, il était faible et il savait mais s'il n'était plus malade, que deviendrait-il? Pour parler de lui, les gens disaient "le malade" ce qui renforçait chez le concerné l'idée qu'il ne serait plus rien s'il venait à guérir.
Il avait la chance d'être entourée de personnes incroyables mais s'atteraient-elles encore à lui sans ses troubles du comportement alimentaire? S'il faisait 30kg de plus, pourrait-il se regarder dans un miroir et se trouver bien? Il était bien incapable de le dire, bien trop noyé dans l'océan du désespoir. Il ne savait même plus quand et comment tout cela avait débuté, pourquoi il en était arrivé là.
Il se tortura l'esprit durant plusieurs minutes avant de se décider à sortir faire des cours, il était obligé de se déplacer en voiture ayant de la peine à marcher et surtout pour éviter les regards emplis de douleur et de pitié des gens dans la rue .
Le trajet jusqu'au magasin était paisible, des enfants qui jouaient dans le parc, des couples qui discutaient, les oiseaux qui chantaient, tout cela était très agréable.
Arrivé au magasin, Semi pris un chariot et se dirigea vers les rayons alimentaires. Il commença par prendre une grande quantité de pâtes, de riz, de semoule et de lentilles avant de diriger un pas propriétaire vers le rayon gâteau qu'il dévalisa également. Il continue ainsi dans plusieurs rayons avant de se diriger vers la caisse avec difficulté, son chariot étant bien trop lourd pour lui.
-Cela vous fera un total de 340 euros et 83 centimes s'il vous plaît, déclara la caissière. Le jeune homme paya et se dirigea vers sa voiture pour la remplir, c'était également pour cela qu'elle lui était nécessaire. Il regarda son coffre rempli et soupira, il savait qu'en période de boulimie tout cela ne lui ferait que quelques jours alors que chez quelqu'un d'autre ferait plusieurs semaines.
Une fois à son domicile il rangea ses commissions puis décida de regarder tranquillement la télévision.
Quelques heures plus tard, la sonnette retentit et Semi se leva avec difficulté pour se diriger vers son entrée. Il ouvrit et Goshiki apparut, un sourire rayonnant sur le visage.
-Bonjour, dit-il simplement en entrant, suivi de prêt par son chien.
-Bonjour Goshiki, sourit faiblement Semi, et bonjour à toi aussi Kase, dit-il en caressant le berger australien.
Ils s'installèrent sur le canapé et Eita éteignit la télévision afin que la discussion soit plus simple et moins fatigante pour son interlocuteur.
-Alors Goshiki, comment vas-tu aujourd'hui? Questionna Semi.
-Ecoute-je vais plutôt bien, je suis allé faire un tour au parc à côté de la clinique tout à l'heure pour moi dégourdir un peu et promener Kase. Toi par contre ça va pas fort apparemment.
Et il avait raison, quelque chose de tracassait son ami, une petite phrase lâchée comme une insulte qui avait profondément béni Eita.
-Je suis un peu fatigué rien de bien grave, menti le jeune homme, il savait que son ami avait de grandes difficultés dans le domaine social et que décrypter les gens lui était difficile. Pour autant il savait également qu'il le connaissait par cœur et qu'il était donc impossible de lui mentir sans que cela ne se remarque.
-Mh mh pas de ça avec moi Semi, je te connais trop bien, je sens que tu ne vas pas bien alors dis moi! Imposa le plus jeune sans délicatesse.
-Je suis allé à la clinique hier, commença Semi.
-Et? le pressa Goshiki.
-Un homme qui accompagnait sa femme m'a vu pendant que j'attendais dans la salle prévue à cet effet. Aucun doute sur le fait que la dame était comme moi. L'homme m'a jugé du regard un moment avant de moi dire d'un ton froid que souffrir ainsi qu'une maladie de femme était une honte, que je n'avais aucun honneur en tant qu'homme, que j'étais pitoyable ... Bref c'était ma fête.
-Et tu as répondu quoi?
-Je n'ai rien dit, avoua-t-il, et sa femme non plus d'ailleurs, elle a juste tourné le regard d'un air coupable.
-Y'a des cons partout mon pauvre, ne prend pas ça trop au sérieux.
-Je sais mais je n'arrive pas à oublier le regard de dégoût qu'il a posé sur moi, je plains sa pauvre femme s'il est comme ça avec elle.
-Tu es plus qu'un malade Semi, commença le plus jeune, tu es un battant, une personne en ou sur qui on peut toujours compter et un ami très précieux alors s'il te plaît ne regarde pas trop les gens, ils sont bien plus moches que toi crois moi, ils n'en valent pas la peine.
-J'ai pris 2kg, déclara le plus vieux sans préambule.
-Et tu le vis comment? Questionna simplement son ami.
-J'ai peur. murmura Semi.
-Peur de quoi? Insista Tsutomu en caressant la tête de sa chienne.
-Que les gens ne me regardent plus, qu'ils se désintéressent de moi, qu'ils me laissent tomber. Je veux dire aux yeux de tous je suis Semi le malade alors je deviendrais quoi si je ne l'étais plus? Dit Eita qui finit sa phrase essoufflé par le stress.
-Semi, répond son interlocuteur sans réfléchir, tu deviendrais Semi, ce que tu as toujours été à mes yeux.
Eita sourit, profondément touché par les paroles qu'il venait d'entendre. Pour autant il savait pertinemment que son combat était encore long mais pourtant il avait évolué, progressé. La preuve à présent, il arrivait à se dire qu'il pouvait et voulait aller mieux, il faisait de multiples efforts pour se réconcilier avec lui-même.
-Bien, nous allons devoir y aller, nous avons encore plein de choses à faire, soupira Tsutomu, bonne soirée Semi, prend bien soin de toi d'accord?
-Bonne soirée, je te promets de faire de mon mieux.
Et le plus jeune partit d'un pas traînant de l'avoir Semi seul avec ses pensées.
Plusieurs jours passèrent et Goshiki vint lui rendre visite régulièrement ainsi que Tendou parfois accompagné d'Ushijima. En soi, le quotidien de Semi était plutôt répétitif ce qui lui faisait du bien, il était de nature un peu renfermé et la routine le rassurait.
Deux jours plus tard, il eut faim, comme si son organisme si longuement privé se vengeait. Il devait manger, c'était irrépressible, douloureux, incontrôlable ... et surtout insupportable devant plus pour Eita pour qui la faim était la pire des sensations.
Sachant fort bien qu'il ne pouvait pas lutter, il se dirigea vers sa cuisine et mangea, prenant à peine le temps de mâcher, de toute façon il savait qu'il ne garderait rien.
Il lutta pourtant, essayant de garder ce qu'il venait d'ingurgiter, mais dans son cerveau malade les choses étaient différentes, nourriture signifiait prix de poids et ça ne pouvait pas le supporter. Il ne comprenait même plus cette pensée irrationnelle sachant pourtant fort bien que son état inquiétait et que c'était, il le pensait, la seule raison pour laquelle les gens le regardaient. En réalité c'était ce qui lui faisait le plus peur, disparaître avec sa maladie, ne plus intéresser les gens, être seul à nouveau.
Il ne put résister bien longtemps, une fois les choses finies dans la gorge le brûlait, son ventre lui faisait mal, il voyait des étoiles et avait mal à la tête. Pourtant une partie de lui était satisfaite, presque aussi bruyante que celle qui lui disait qu'il était pitoyable et Semi ne savait plus quoi faire, il était perdu. Il pouvait retourner à la clinique s'il le voulait mais il ne parvenait pas à s'y résoudre, c'était un combat qu'il voulait gagner seul envers et contre tous.
C'est l'esprit occupé qu'il reçut la visite lumineuse de Tendou qui, fort excentrique parvenait l'espace d'un instant à lui faire oublier ses différents tracas, c'était l'une des personnes les plus précieuses à ses yeux , l'un de ses meilleur soutien et Semi le remerciait énormément pour cela.
Tendou rentra vers 19 heures et Semi mangea son 4ème repas de la journée. Une fois l'estomac vide et la toilette réalisée, il part se coucher sans oublier de prendre ses différents médicaments et par réflexe que par envie.
Entre deux pensées il finit par s'endormir épuisé par ses repas et ce qui s'ensuivit.
Il n'était qu'au début de son combat, il le savait, mais à présent il voulait se battre et il ne lâchera rien.
