Chapitre 2 - "Mr. Moore a toujours été un crétin, après tout."
"Teddy !"
Plumard trop petit. Bruit de ressorts. Soupir. Il se leva de mauvaise grâce. Le ton de sa logeuse ne lui plaisait pas du tout. Qu'avait-il bien pu faire, cette fois-ci ? Ramasser son tee-shirt sur le dossier de la chaise. Odeur de tabac froid. Se laver les mains dans l'évier fixé à même le mur. "N'oublie pas de cacher le magazine", pensa-t-il. Il se frotta les mains avec le savon verdâtre. Un, deux, trois tours… Ça irait. Teddy passa une paume humide dans sa tignasse bleue. L'ébouriffa. Retourner près du lit, fourrer sous le matelas un amas de pages cornées et tachées. Personne n'avait envie que Mrs Harris, la sexagénaire fouineuse qui lui faisait une vie de chien, tombe sur des clichés de mecs à poil. Elle passait son temps à fouiller sa piaule.
Il ouvrit la porte et tomba nez-à-nez avec ladite Mrs. Harris. Elle s'appliquait chaque jour à devenir un peu plus une caricature d'elle-même. Bigoudis dans les cheveux, un déshabillé transparent réhaussé de fausse fourrure rose sur les épaules. Clope au bec. Elle était adossée au cadre de la porte. Négligeante. Flegmatique. Sale. Un peu plus, et elle aurait craché sa fumée au visage de Teddy. Ses longs ongles cramoisis attrapèrent son bras musclé. Le pincèrent sans vraiment lui faire mal.
"Teddy, je t'appelle depuis dix minutes !
-Pardon, Mrs. Harris, j'vous ai pas entendu", Teddy répondit.
Ton faux, désolé sans l'être. "J'avais pas envie de t'entendre", il pensa sans le dire. Impossible de dire ça. Il ne pouvait pas l'envoyer promener. C'était la seule qui acceptait qu'il ait presque deux semaines de retard sur son loyer tous les mois. Pour quelle raison, ça… Teddy séchait. Ses beaux yeux, probablement… Ou le fait qu'il ne porte jamais de tee-shirt en allant à la douche. Il traversait les parties communes en short, rien d'autre.
"Un hibou pour toi, en bas. La sale bête a fait des fientes partout sur mon comptoir ! Elle m'a presque mordue, quand j'ai voulu prendre la lettre, alors tu te débrouilles avec elle. Et tu me nettoies le plan de travail", hurla-t-elle à Teddy alors qu'il disparaissait dans l'escalier.
Bruit de grincement. Descendre les marches quatre à quatre. Empressement. Il n'avait pas envie qu'elle lui colle au train. Mrs. Harris était une plaie. Elle s'amusait à lire son courrier par-dessus son épaule. En plus, elle savait le faire d'une distance impressionnante pour quelqu'un de son âge ! Il n'attendait aucun hibou. Pourvu qu'il arrive du Congrès magique des Etats-Unis ! Mr. Moore aurait pu revoir sa position… Trois mois après ? Ça semblait peu probable, mais sait-on jamais.
Teddy pénétra dans la grande cuisine ouverte. L'avalanche de rose qui semblait s'être abattue sur la maison l'écœurait de plus en plus. Assiettes roses. Gobelets roses. Bonbon. Fushia. Rubis. Criad. Ça détonnait sur les murs blancs de la cuisine. Même les manches des couteaux ! Plan de travail en faux granite rose sur le comptoir. Il jurait avec la nappe framboise de l'îlot central. Impression de trop-plein. Le rose qui dégoulinait sur les ustensiles rendait la pièce plus petite. L'étouffait.
Il s'approcha des voilages fushia de la grande fenêtre. Un superbe hibou Grand-Duc l'attendait. Épaisse enveloppe de parchemin dans son bec. Teddy tira la tronche. Le Congrès utilisait du papier glacé pour transmettre ses lettres. Rien à voir avec l'enveloppe que ce piaf lui tendait. Il était stupide : ici, personne n'utilisait de hibou. Les américains préféraient les carouges, plus petits et plus rapides. Non, a priori cette lettre arrivait d'Angleterre. À tous les coups, c'était Harry et Ginny qui venaient aux nouvelles. Ils allaient lui proposer de venir passer Noël au Terrier. Comme chaque année. Ils envoyaient une lettre tous les mois depuis cinq ans. Mais il avait reçu la dernière deux semaines avant… En y repensant, peut-être un peu plus... L'inactivité lui faisait perdre la notion du temps.
Gamelle d'eau pour le piaf. Coup d'oeil au comptoir. Une seule fiente, minuscule. Il fallait toujours que Mrs. Harris en fasse des tonnes… Il attrapa un couteau rose. Décachetta la lettre. L'enveloppe tomba sur ses pompes. Ah. Elle ne venait pas d'Harry et Ginny. C'était Percy qui lui écrivait. Son oncle. Enfin.. Adoptif. Il n'avait pas connu ses parents. Juste la maison bizarre et trop pleine des Weasley. Sa presque famille. Son presque oncle. Depuis 25 ans.
La lettre ! Surprenante. Percy ne lui écrivait pas souvent. Il se concentra pour déchiffrer ses pattes de mouches.
"De bonnes nouvelles ?"
La voix traînante de Mrs. Harris. Elle se tenait à deux pas de lui.
"Plutôt oui, il souffla. Du boulot.
-Ah ! J'aurai peut-être enfin mes loyers à l'heure, alors."
Reproche à peine dissimulé. Il s'en fichait.
"Je crois pas, non, il répliqua. Je rentre à Londres."
Affolement de Mrs Harris. Yeux ronds. Bouche-bée. Elle faillit avaler sa clope.
Nuages menaçant au-dessus de Londres. Ciel gris. Pavés gris. Béton gris. Tison de cigarette. Teddy l'écrasa d'un mouvement de talon. Sur son épaule, son sac. Un énorme fourbi à grosses sangles marrons qui pesait trop lourd. Il remontait la rue vers l'entrée du Ministère de la Magie. Est-ce qu'il avait une dégaine de touriste ? Personne ne le regardait, en tout cas. Marcher, marcher, marcher. Le Portoloin l'avait lâché non-loin des bureaux. Apparaître juste devant aurait pu alerter les moldus qui se baladaient aux alentours. Marcher, encore. Bouffée d'euphorie. il aimait marcher dans les rues de la capitale. Cinq ans sans les arpenter, elles lui avaient manqué.
Cinq ans de New-York ! Cinq ans d'Etats-Unis. Cinq ans qui étaient passé à une vitesse folle. Ce n'était pas la veille qu'il s'en allait travailler au Congrès Magique des Etats-Unis ? Percy l'avait bien aidé, sur ce coup-là. Il avait 20 ans à l'époque. Culpabilité. Revenir maintenant vers celui qui lui avait permis de partir alors qu'il s'était fait viré trois mois aupravant… Viré pour une raison dure à avaler, en plus ! Son boss, Mr. Moore, avait un fils de son âge qui montrait un peu d'intérêt pour les relations magiques internationales, et beaucoup d'intérêt pour Teddy. Mr. Moore n'avait pas vraiment apprécié retrouver son fils avec son assistant dans son propre lit. Sous son propre toit.
Pour les autres, Teddy avait perdu son job car son boss le jugeait prêt, après cinq ans à ses côtés, à devenir autre chose qu'un assistant. En vrai, il avait interdiction d'approcher à nouveau le Congrès, la famille Moore et en particulier Aaron, le fils. Bien dommage. Aaron avait un joli sourire et il en pinçait pour Teddy. Mais du jour au lendemain, silence radio. Teddy avait eu le temps de se remettre, en trois mois. La perte de son boulot le mettait plus en rogne que le silence d'Aaron. Il aimait bien le jeune homme, sans plus. Pas de quoi chouiner.
Devant lui, la cabine rouge. Panneau "Hors service" collé sur la vitre. Enfin ! L'entrée du Ministère. Il attrapa la poignée. Une pensée, fugace. Personne ne savait qu'il était là. Quelqu'un allait pouvoir lui filer un badge ? Il aurait dû envoyer un hibou pour dire qu'il arrivait… Ou mieux, répondre à Percy. Teddy se mordit l'intérieur de la joue. Il était trop impulsif. Soudain, il commença à flipper. Percy. Il allait dire quoi, Percy, quand il débarquerait dans son bureau en tee-shirt et short en plein mois de décembre, son sac de baroudeur sur le dos, deux jours seulement après le hibou ? Son boulot. Il allait parler de son boulot. Il allait demander comment il avait quitté son job. Ensuite il serait déçu. Ses méninges tournaient à toute vitesse. Il était revenu au pays sans réfléchir. Il s'était contenté de rassembler ses affaires, laisser son fric à Mrs. Harris pour la faire taire, et de prendre le premier Portoloin que la commission des transports lui avait désigné. Quel crétin !
"Nom, prénom, objet de la visite ?"
Crachotement. Voix de l'opératrice dans le combiné. Blanc. Teddy ne savait pas quoi dire. Est-ce qu'il voulait vraiment se rendre au Ministère, tout compte fait ? Plus insistante, la voix grésilla encore dans son oreille.
"Nom, prénom, objet de la visite ?
-Lupin, Teddy, visite de courtoisie à un parlementaire, Teddy lâcha.
-Attendez un instant."
Clic. Communication coupée. Silence. Il reposa le combiné sur son socle. Cliquetis pas vraiment rassurants dans la cabine. Puis "Bonk !" sonore. Le casier à monnaie s'ouvrit. Dedans, un gros badge rond sur lequel était inscrit "Lupin, Edward, visite de courtoisie à Monsieur Percy Weasley, député parlementaire." Teddy renifla. Personne ne l'appelait "Edward"... Même pas Molly quand elle l'engueulait ! Il accrocha le badge sur son tee-shirt. La cabine descendit dans les entrailles du Ministère.
"Teddy, quel plaisir !"
Signe discret à l'assistante. La porte se referma. Percy se leva du fauteuil. Grand sourire, bras ouvert. Léger malaise chez Teddy. Dans son souvenir, Percy n'était pas un homme affectueux. Mais c'était le premier visage familier qu'il voyait depuis son arrivée. Ça, ça lui faisait plaisir. Familier aussi, le bureau. Il avait travaillé là. La pièce était identique à ses souvenirs : les bouquins trop nombreux sur les étagères, le carreau magique qui donnait sur un coin de Londres, le feu qui ronronnait dans la cheminée, les binocles de son oncle posées à droite des plumes… La seule inconnue, c'était la secrétaire. Normal : après tout, c'était lui qui occupait ce poste avant. Lors du cours passage de Percy au département des relations magiques internationales. C'était pour se faire pardonner d'abandonner ce poste et de le laisser en plan qu'il lui avait trouvé un job au Congrès. Un joli cadeau de départ, sans blague ! Son cœur se serra. Il avait de l'estime et de l'admiration pour Percy. L'idée de le décevoir lui tordait le bide.
"Tu arrives directement de New York ? Pas trop froid ? Percy demanda en avisant ses fringues trop légères.
-Oh, le temps de New York n'est pas si éloigné de celui de Londres, mais moi j'ai toujours trop chaud.
-Mais pose ton sac, assieds-toi ! Tu veux une tasse de thé ?
-Un soda, c'est possible ?
-Merlin, Percy murmura d'un ton grave, les américains ont donc réussi à te corrompre à ce point ?"
Éclat de rire. Percy passa la tête par la porte pour demander à son assistante de leur apporter une tasse de Christmas Tea et un soda à l'orange. Teddy se laissa tomber dans un fauteuil en velours. Percy le mettait en confiance. Pas de faux-semblants.
"Alors, comment était New York ? Percy demanda en se rasseyant. Et le Congrès ? Différent du Ministère, j'imagine. Ils sont plus… Ah, comment dire…
-Bruyants ?
-Précisément, Percy approuva, ils sont plus bruyants. Plus modernes. Et méfiants, aussi. J'ai entendu dire Mr. Moore t'avais congédié, il y a quelques mois ?"
Gorge sèche. Mains qui tremblent. Teddy déglutit.
"Tu n'as pas à t'en faire, il m'a tout expliqué. Il avait besoin de la place pour son fils, et tu travaillais pour lui depuis cinq ans, il était peut-être temps de se lancer dans autre chose. De toute façon, les américains n'ont pas le même, euh… Respect que nous pour le travail accompli, disons ça comme ça, Percy termina en levant les yeux au ciel. Ici, on t'aurait proposé une nouvelle position, mais enfin."
Soupir. Soulagement.
"Oui, Teddy dit en se relâchant, c'est dommage.
-Enfin, enfin, si c'est ce qui te fait rentrer au pays, je ne me plains pas ! Je suis bien content de te voir. Que penses-tu de ma proposition ?"
Percy tout craché, ça ! Sauter à pieds joints dans le boulot, deux minutes à peine après son arrivée. Mais Percy n'avait jamais été intéressé par les banalités d'usage. Il n'avait pas beaucoup vieilli, en cinq ans : sa crinière rousse flamboyait sur son crâne, impeccablement plaquée en arrière, et sur son nez, les gros verres qui encerclaient ses yeux étaient sans doute les mêmes. Tiré à quatre épingles, comme d'habitude. Sa robe noire tombait à la perfection sur ses épaules étroites. La seule touche de couleur, c'était une cravate rouge qui dépassait du col. Et son bureau rangé au cordeau ! Pas un morceau de parchemin ne dépassait de la pile qui attendait sagement sur le côté. Tout l'inverse de Teddy. Malgré cinq ans de travail au Congrès, il restait désordonné. Il perdait tout ! Et passait son temps à chercher ses papiers... Il oubliait même d'attacher ses cravates. Pic de honte. Même sa tenue d'aujourd'hui ne ressemblait à rien. Un bermuda de baroudeur et un tee-shirt tâché. Qu'avaient pensé les employés du Ministère ? Qu'il se rendait au pub ?
"J'ai pas très bien compris ce que tu me proposes, il hésita, mais je serai très heureux de bosser à nouveau avec toi.
-Ah, voilà qui fait plaisir à entendre, Percy s'écria. Je ne voulais pas entrer dans les détails dans ma lettre, il ajouta, tu sais qu'ici tout se sait… Je voudrais que tu prennes part à la campagne électorale, comme je te le disais dans ma lettre.
-Ça, j'ai saisi. C'est la partie sur Poudlard qui est plus obscure.
-J'y viens. Comme tu le sais, le 5 mai prochain, tous les sorciers et sorcières en âge de voter seront appelés à prendre le chemin des urnes. Or, tu as dû t'informer de la situation politique ici, mais l'Union Sorcière, que je vais représenter cette année…"
Point d'arrogance. Regard fier. Il bomba le torse.
"L'Union Sorcière est, je vais être franc, dans une mauvaise passe. Déjà, nous avons du mal à nous maintenir au même niveau que le Parti des Mages depuis une dizaine d'années, comme tu le sais, mais surtout, ils ont un nouveau candidat. Un candidat jeune, charismatique et surtout très riche. Un Sang-Pur d'une grande famille. Est-ce que le nom de Drago Malefoy te dit quelque chose ?"
Teddy fit oui de la tête. Un été au Terrier, il était jeune, Hermione et Percy n'avaient que son nom à la bouche. Peu de souvenir, mais ils n'étaient pas contents. Cet homme pouvait fiche en l'air tout leur travail, s'il avait bien compris.
"Son arrivée à la tête du Parti des Mages n'a absolument rien de réjouissant, Percy continua d'un ton grave. Nous avons réussi à maintenir, depuis dix ans, le statut quo avec Algol Yaxley, car notre Ministre n'est pas très, hum… Actif, il termina après une pause. Mais je crains que Malefoy ne soit plus enclin à revenir sur les mesures que Kingsley avait prises lors des ses mandats précédents. C'est même certain : après tout, il a des intérêts financiers dans à peu près tout ce que produit le monde sorcier, et il a beaucoup d'amis à Gringott. Ma priorité est, évidemment, d'assurer la pérennité de ce que Kingsley a bâti", Percy déclara en regardant Teddy droit dans les yeux.
Pas besoin de réponse. Il comprenait très bien. "Si tu peux récupérer la charge de Ministre de la Magie dans la foulée, tu ne diras pas non." Sourire entendu. Ils formaient une bonne équipe, tous les deux. Teddy était doué en politique. Il comprenait ce langage muet. C'était peut-être pour ça que Percy l'avait fait revenir.
Une pause. Percy resta silencieux. Laissa le temps à son assistante de déposer une tasse de thé fumante et un grand verre orange sur la desserte. Il se remit à parler quand elle referma la porte.
"J'ai eu une idée, Percy dit enfin. Les jeunes votent de moins en moins car ils ne se sentent pas concernés. Je crois qu'il est temps qu'on aille à leur rencontre, qu'on leur explique en quoi c'est important.
-C'est interdit, ça non ?" Teddy rétorqua.
Percy sourit.
"Justement, non. Il est interdit de faire campagne ou de recruter pour une association politique, mais là je te parle de cours de citoyenneté. D'éducation. D'information. C'est cela, reprit-il fier de sa formule, c'est mener à bien une mission d'information de ces jeunes pour qu'ils comprennent leurs droits et devoirs.
-Et McGonagall ?"
Pour sûr, la directrice de Poudlard avait son mot à dire dans l'histoire. Le choix du prof, par exemple.
"McGonagall connaît et comprend les enjeux de la vie politique, et trouve que c'est une excellente idée pour apprendre aux jeunes l'importance de la démocratie. Elle approuve mon choix."
Ça ne l'étonnait pas, elle l'avait toujours eu à la bonne.
"De toute façon, je ne parle pas d'embrigader des jeunes pour constituer des milices, mais de les informer sur la vie politique de leur pays, et sur leur droit. En sommes, nous ne ferions qu'approfondir leur cours d'Histoire de la Magie. Et puis, il s'agit de quelques rencontres facultatives, sans obligation d'assister aux cours… On est loin du recrutement massif !"
Changement discret de ton. Mise en garde voilée. Teddy comprit. Éviter à tout prix de suggérer cette idée à d'autres qui pourraient l'utiliser à leurs fins.
Pause. Il réfléchit.
"Pourquoi moi ? il demanda.
-Tu es jeune, tu t'y connais en politique… J'ai besoin de quelqu'un de confiance, quelqu'un de ton âge avec de l'expérience. Quelqu'un qui ne sera pas nommé à ce poste par le Parti des Mages. Et puis, tu comprends mieux les jeunes sorciers que moi. J'ai déjà du mal à cerner mes propres filles, et elles sont plus proches de ton âge que de celui d'un adolescent de 17 ans", il ajouta en riant.
Molly et Lucy. Quelque chose comme 24 et 22 ans. Plus vraiment des écolières. Molly, il la connaissait mieux. Elle lui envoyait souvent des lettres. Elle lui avait prêté de l'argent, aussi. Lucy, moins. Aux dernières nouvelles, elle était perdue quelque part en Roumanie avec Charlie et Fred. Il les avait vu grand maximum trois fois dans sa vie.
"Qu'en penses-tu, Percy demanda, est-ce qu'une position de ce type pourrait t'intéresser ? Évidemment, si nous gagnons les élections, il se pourrait qu'il y ait une ouverture de poste au département des relations magiques internationales par la suite…
-J'accepte", Teddy répondit.
Assurance feinte. Voix trop forte pour masquer. Il pouvait bien faire le fier ! Quel autre choix avait-il ? Il avait déjà dit oui rien qu'en revenant à Londres. Percy le savait très bien. Il aurait pu lui proposer de balayer des toilettes dans le Poudlard Express qu'il aurait dit oui. Mais l'idée de travailler à une campagne électorale était séduisante. Percy ne se fichait pas de lui.
"Ah, formidable ! Je ne doutais pas que le sujet t'intéresserait. Il faudra qu'on organise une rencontre avec le reste de l'équipe, évidemment, et puis que tu rencontres les autres députés de la Magocamérale… Voyons, pourquoi pas demain matin ? Ah non, c'est samedi… Au fait, Percy interrogea sans lui laisser le temps de répondre, que fais-tu dimanche ?
-Dimanche ?
-Pour le réveillon, bien sûr, Percy répondit."
Noël. Noël lui était passé au-dessus de la tête ! Il avait oublié que c'était si proche. Harry et Ginny l'invitaient tous les ans au Terrier. Il n'avait jamais eu envie d'y aller. Un réveillon, pour lui, c'était plutôt une grosse cuite entre collègues suivie d'une journée de gueule de bois. De toute façon, depuis plus de dix ans, l'ambiance au Terrier était lourde. Beaucoup d'histoires de famille. De vieilles embrouilles qui empoissonnaient l'air et polluaient les conversations. À 20 ans, il avait décidé qu'il n'était pas concerné par ces histoires. Après tout, il s'appelait Lupin, pas Weasley ! Mais après plusieurs années de mal du pays... La perspective de revoir sa presque-mais-pas-tout-à-fait famille lui faisait de l'œil.
"Je pense, Percy reprit d'un ton doux, que Papa et Maman seraient ravis de t'accueillir pour Noël. Tu connais la devise de Maman…
-On peut toujours ajouter un couvert, Teddy récit.
-Voilà, sourit Percy. Est-ce que tu sais où tu vas loger, pour les mois à venir ?"
Excellente question ! Teddy n'avait pas de réponse. Où allait-il loger ? Il se mordit l'intérieur de la joue. Il ne pensait vraiment à rien. Pour les intrigues politiques, il y avait du monde ! Mais alors les détails pratiques…
"Au Terrier, si Grandma et Grandpa veulent bien de moi, j'imagine, il finit par répondre.
-Tu ne vas pas retourner vivre au Terrier ! Percy s'exclama. La campagne après New York, le calme plat alors que tu es si jeune ! Les jeunes aiment la ville. Non, le Terrier c'est bien pour Noël, mais ensuite..."
Approbation. Il n'avait pas tort. Teddy avait autant envie de passer ses soirées aux coins du feu entre Molly et Arthur que de se pendre. était une casse-pied mais elle n'avait jamais râlé quand il rentrait à pas d'heure. Molly allait vouloir faire la popote, puis il faudrait manger ensemble, et passer du temps tous les trois… Non, il en aurait vite marre. Y penser l'agaçait déjà.
"Non, Percy reprit, il faut que tu sois à Londres, tu te sentiras bien mieux. Je ne veux pas me mêler de ce qui ne me regarde pas, mais si tu ne peux pas te permettre de prendre un appartement tout de suite, tu peux toujours rester avec moi. La chambre de Molly est libre depuis qu'elle a déménagé, l'été dernier.
-J'veux pas déranger...
-Penses-tu ! Je connais le prix des loyers ici, et puis si tu n'as pas de travail depuis trois mois, j'imagine que tu vas avoir besoin d'attendre un peu avant de reprendre un appartement à toi. Il faut simplement que je vérifie avec Olivier si ça ne le dérange pas, mais ça ne devrait pas poser de soucis", Percy continua d'un ton égal.
Pause. Hein ? Olivier ?
"Olivier ?
-Eh bien, oui, Olivier. Mon, euh… Compagnon ? Percy proposa d'un ton hésitant. Ça fait quelques années, maintenant, que nous l'avons dit à la famille et Maman a même accepté qu'il vienne au Terrier pour Noël, cette année !"
Ah oui, cette vieille casserole… Le divorce de Percy et d'Audrey avait fichu le bazar dans la famille ans auparavant, déjà. Teddy n'avait que 15 ans. Molly s'était vraiment énervée. Elle avait refusé de parler à Percy pendant plusieurs années. Teddy était "trop jeune pour comprendre". Personne n'avait voulu lui expliquer ce qui se passait vraiment. Voilà qui rendait les choses plus claires !
Le ton de son oncle lui brisa le coeur. Un gamin recevant un bonbon… Il avait le droit de venir avec son mec et ça le rendait content comme un gosse qu'on pardonne après une bêtise. Une phrase, et il comprit à quel point Percy avait dû en baver.
"Mais tu étais à New-York, Percy se reprit, tu n'as pas su… Pourtant, Molly t'écrit souvent, elle et Lucy vivaient encore à la maison lorsqu'il s'est installé, elle ne t'a rien dit ?"
Teddy fit non de la tête. Silence. Percy avait l'air blessé. Ça devait lui mettre un coup.
"Elle a peut-être jugé que ce n'était pas à elle de m'en parler ? Teddy dit d'une voix plus douce.
-Peut-être bien, oui… C'est possible."
Percy se redressa. Visage neutre, regard inexpressif. Une statue. Il se protégeait.
"Quoiqu'il en soit, je vis donc avec Olivier, et tu peux tout à fait venir t'installer chez nous le temps que tu puisses à nouveau avoir un chez toi."
Il attendait quelque chose. Ça se voyait. Teddy s'était fait jeter plusieurs fois à New York, à commencer par son ancien boss. Il connaissait bien cette trouille mélangée à de l'espoir qui serrait le cœur. Peur d'être rejeté, espoir ténu d'être accepté comme on est. Teddy n'avait jamais vécu ce que Percy vivait en ce moment. Il n'avait jamais rien dit à sa presque-famille. Déjà parce qu'il y avait Victoire, dans sa presque-famille. Et puis, c'était plus simple comme ça. Mais il comprenait. Ça le prenait aux tripes, de voir Percy dans cet état, parce qu'il comprenait.
"Je serais ravi de vivre avec vous", il sourit.
Soupir discret. Soulagement. Quelque chose dans l'attitude de son oncle se relâcha. Il lui rendit son sourire. Plus sincère, le sourire.
"C'est arrangé, alors ! Je vais demander à Olivier s'il est là, comme ça tu pourrais voir l'appartement, t'installer et te changer, Percy dit d'un ton amusé en désignant son bermuda. Et je vais écrire à Maman, pour lui dire que tu viendras avec nous au Terrier dimanche."
Percy se leva. S'approcha de la cheminée. Teddy le fixa. Un sale goût dans la bouche. Dans le bide, une sensation de ne pas avoir été tout à fait honnête avec son lui. Non content de lui offrir un poste, Percy se proposait de l'héberger. Et cette bombe qu'il avait lâchée… Teddy ne se sentait pas réglo. Il décida de jouer cartes sur table, lui aussi. Prendre son courage à deux main. Se racler la gorge. Respirer.
"Percy ?
-Hum ? fit ce dernier, penché vers la cheminée.
-C'est pas parce qu'il pensait que je devais me débrouiller seul, ou parce qu'il voulait le poste pour son fils que Mr. Moore m'a viré.
-Ah non ? Percy demanda en faisant volte-face.
-Nope, Teddy répondit en fixant la semelle de ses tennis, il m'a renvoyé parce qu'il aimait pas que je, euh… Fréquente son fils."
Blanc. Plus un mot dans le bureau. Crépitement du feu dans l'âtre. Derrière la porte, bruits discrets des gens qui travaillaient.
Percy se redressa. Le fixa. La poudre de Cheminette dans ses mains coula sur le tapis.
L'air ne passait plus trop dans les poumons de Teddy.
"Bah, Percy répondit, Mr. Moore a toujours été un crétin, après tout."
Et il sourit, alors Teddy sourit aussi.
