4 mois plus tôt

27 mai 2018 [17:11]

Internat de la Seconde-A

Kirishima fut violemment sorti de ses pensées en recevant un coup de cahier sur le dessus du crâne.

- Ouch !

Par instinct, il porta sa main à l'endroit blessé, davantage pour se faire plaindre que pour apaiser la douleur. Peine perdue, quand son agresseur n'était autre que Katsuki Bakugo. Loin d'avoir de la pitié pour son camarade, le blond resserra sa prise autour du livret, prêt à lancer un deuxième assaut.

- Tu te concentres, oui ou merde ?

- Oui, oui, s'empressa de répondre Kirishima, les mains levées en signe de paix. Je suis désolé. J'ai un peu la tête ailleurs.

- Sans déconner ! C'est toi qui a voulu qu'on bosse ici plutôt que dans ta chambre !

Bon, Kirishima devait bien l'admettre, réviser dans le salon, au milieu du capharnaüm caractéristique de l'internat, était loin d'être une bonne idée. Mineta en train de farfouiller dans le réfrigérateur et Sero en train de rager contre son jeu vidéo en était la parfaite représentation.

- J'aime bien cette ambiance, se justifia-t-il maigrement. C'est moins ... angoissant que d'être isolés là-haut.

C'était l'excuse la plus bidon qu'il aurait pu donner, mais c'était aussi la seule qui lui était venu à l'esprit. Néanmoins Bakugo n'était pas stupide. Il comprit rapidement que quelque chose tracassait son camarade.

- Qu'est-ce que tu as ? demanda-t-il de ce ton agacé qui n'appartenait qu'à lui. Ça fait trois jours que tu lis les leçons dans le vague et que tu n'écoutes rien de ce que je te dis ! Tu veux le réussir cet examen de maths ou pas ?

- Évidemment ! répliqua Kirishima, sous pression.

- Alors c'est quoi le problème ?

Le rouge glissa ses doigts dans ses cheveux et soupira. Il se désola de manquer autant de courage, de virilité. Mais dans quel genre d'univers parallèle aurait-il pu avoir la force de répondre la vérité ? À savoir que depuis ce jour où il avait vu Bakugo avec cette fille de la filière générale, il ne voyait plus son ami comme avant.

Il était idiot, mais pas assez pour ne pas comprendre ce qu'il se passait dans sa tête et dans son cœur. C'était encore trop flou pour qu'il puisse y mettre un mot, mais il en était sûr : ce qu'il avait ressenti cet après-midi là en voyant Bakugo se faire draguer, c'était de la jalousie.

Et cette constatation l'avait travaillé chaque minute de chaque journée depuis. Comment aurait-il pu réviser tranquillement, enfermé entre quatre murs avec l'objet de tous ces troubles en guise de professeur, après ça ?

Non, non. Mieux valait être dans ce salon bondé et bruyant. Au moins, avec un tel vacarme, il n'avait pas l'occasion de réfléchir davantage. De réfléchir à la façon dont il avait rêvé de Bakugo ces dernières nuits, à la couleur de ses yeux qui lui semblait plus vive, à son parfum qui ... Arrrggghrr !

C'était foutu. Il n'arriverait pas à se concentrer. Pour autant, il ne voulait pas décevoir son camarade qui prenait le temps de le faire réviser. Alors il choisit de ne pas totalement lui mentir.

- Je repensais juste à ... À cette fille qui t'a proposé un rencard en début de semaine, avoua-t-il dans un rire nerveux.

Il voulait faire passer ça sur le ton de la taquinerie, mais difficile de ravaler l'amertume que ce souvenir lui laissait dans la bouche.

Bakugo fronça les sourcils, d'autant plus agacé.

- Sérieusement ? Tu te fous de qui ? Pourquoi est-ce que tu penses à ça ?

- Pour rien, c'est juste que ... Enfin, c'est marrant de voir tout le succès que tu peux avoir malgré ton sale caractère.

- Je t'emmerde.

Kirishima ne se formalisa pas de cette répartie, il avait l'habitude. Et venant de Bakugo, ça n'était pas bien méchant. Au contraire, ça le fit sourire. Pour réagir ainsi face à une insulte, il devait être vraiment fou de ce garçon.

- Désolé, s'excusa-t-il. Je me concentre, promis.

- En fait, tu es jaloux.

Ça n'était pas une question, mais une constatation qui laissa Kirishima sans voix. C'est à peine s'il osa relever les yeux vers son ami. Bon sang, qu'est-ce qui l'avait trahi ? Son sourire béat quand il parlait ? Le feu qui lui montait aux joues chaque fois que son professeur de fortune s'approchait pour lui expliquer quelque chose ?

- Que ... Pourquoi est-ce que tu... ?

- C'est évident, l'interrompit Bakugo. Tu es dégoûté parce que les filles du bahut s'intéressent plus à moi qu'à ta tête de piques !

Kirishima soupira bruyamment, soulagé. Mieux valait que le blond le croit jaloux de lui plutôt que des femmes qui lui tournaient autour. Forcément ... C'était plus logique.

Il haussa les épaules avec un petit sourire.

- Tu m'as percé à jour, mon pote. Bravo.

Bakugo resta silencieux quelques secondes, avant d'enfin reposer son cahier sur la table du salon. Une manière pour lui de lever le drapeau blanc.

- Tu n'as pas à t'inquiéter, finit par dire ce dernier à voix basse.

- ... Comment ça ?

- Tu as beaucoup de succès, abruti ! C'est juste que t'es complètement aveugle !

Sur le coup, Kirishima ne comprit pas le double-sens de cette phrase. Il se dit que ce n'était qu'une façon pour Bakugo de le réconforterà sa manière assez, brutale et atypique. Si seulement il avait réalisé ce que son ami avait réellement voulu dire, peut-être que cela aurait changé bien des choses pour eux deux.

Mais dans cette réalité là, le garçon aux cheveux rouges se contenta de sourire encore une fois. Bêtement. Amoureusement.

20 septembre 2018 [19:10]

Internat de la Seconde-A

Bakugo ne sourirait plus jamais.

C'était un fait déjà rare à l'époque mais cette fois-ci il en était sûr : plus rien, ni personne en ce bas monde ne saurait lui arracher le moindre rictus. Dans son état actuel, il se demandait même s'il arriverait un jour à garder les yeux ouverts sans pleurer.

Le lycéen se souvenait à peine des heures qui avaient suivie sa sortie de l'hôpital. Il n'avait que de vagues flashs du bras d'Aizawa qui le soutenait vers la sortie, des parents de Kirishima, effondrés auprès de Fat Gum, de Tamaki qui serrait les poings à s'en faire saigner les paumes. Des images horrifiantes et beaucoup trop réalistes, qui lui rappelaient chaque seconde que tout ceci n'était pas qu'un cauchemar.

Et quelques échos.

« Eijiro avait l'air complètement déprimé lorsqu'il est rentré à la maison pour le week-end. »

« Son père et moi avons essayé de comprendre ce qui le tracassait mais il n'a rien voulu nous dire. »

« Si seulement, on avait pu déceler sa souffrance plus tôt, peut-être qu'on aurait pu ... Mon dieu ... »

« Je l'ai même entendu pleurer dans sa chambre le samedi soir, mais comme il s'entêtait à rester silencieux, je n'ai pas voulu insister et le voir se renfermer davantage. »

« Pourquoi est-il parti en mission s'il n'allait pas bien ? Pourquoi ? Ce n'était qu'un gamin ! Il n'avait pas les épaules pour tout gérer en même temps ! »

Ces phrases que les parents de son meilleur ami avaient prononcées alors qu'il passait à côté d'eux, le regard dans le vide et l'âme en miette ... Elles ne cessaient de revenir le hanter, ferventes remplaçantes de ce fameux « Tu n'es rien pour moi. » qui n'avait eu de cesse de le tourmenter depuis sept jours.

Tout l'univers semblait s'être ligué pour lui rappeler combien il était immonde. Que ce qui était arrivé à Kirishima était sans aucun doute en grande partie sa faute. De quoi l'achever encore un peu plus.

Bakugo ne se rappelait même pas être rentré à l'internat de Yuei. Il supposait que c'était son professeur principal qui l'avait ramené ici. Peu importe. Le fait est qu'il était désormais allongé sur son lit, le cœur lourd et les yeux noyés d'eau.

Il était épuisé. Et paradoxalement, il n'arriverait pas à dormir. Pourtant, c'est tout ce qu'il aurait souhaité à cet instant. Dormir pour oublier la douleur, ne serait-ce que quelques heures. Mais le réveil n'en serait-il pas plus brutal encore ?

Dans le courant de la veille, il avait cru entendre la voix de sa mère discuter avec Aizawa et des cris de désespoirs. Sûrement ceux de Mina. C'était la meilleure amie de Kirishima après tout.

Si la nouvelle s'était répandue, personne n'était venue voir Bakugo pour autant. Dans l'état où il était, mieux valait laisser passer quelques jours avant d'espérer pouvoir le réconforter. À l'heure actuelle, il n'avait aucune envie qu'on l'étreigne, qu'on lui dise que tout finirait par s'arranger. Rien que d'y penser, il eut une irrépressible envie de vomir.

Pourtant, alors qu'il s'imaginait pouvoir souffrir en solitaire au moins encore jusqu'au lendemain matin, il entendit quelqu'un frapper à sa chambre. Le son était étouffé, presque hésitant, et bien que Bakugo n'y réponde pas, la personne ouvrit timidement la porte.

- Eh... Est-ce que je peux entrer ?

Le blond reconnut sans peine la voix d'ordinaire si irritante et enjouée de Kaminari. Mais là, c'était différent. Le garçon à l'alter électrique avait posé la question de façon presque inaudible et maladroite. Preuve de son déchirement.

Bakugo ne prit même pas la peine de le rembarrer, il n'en avait ni la force, ni l'envie. À dire vrai, il n'avait envie de rien. Il resta alors allongé, attendant que Kaminari comprenne tout seul qu'il aurait tout intérêt à partir. D'un autre côté, Bakugo comprenait qu'il ait prit le risque de venir dans sa chambre malgré la situation.

Après la vive dispute qu'il avait eu avec Kirishima la semaine précédente, son groupe que les autres appelés le Bakusquad, avait implosé, et le blond énervé n'avait adressé la parole à aucun d'eux depuis. Kaminari devait avoir besoin de lui balancer toute sa rancœur à la figure, maintenant.

Pourtant, Bakugo fut surpris d'entendre le cliquetis singulier de couverts qui s'entrechoquent, à la place du sermon auquel il s'attendait.

Il releva la tête pour découvrir Kaminari agenouillé à côté du lit, en train de déposer un plateau chargé de toute un tas de nourriture, sur le sol.

- Tu n'as rien avalé depuis deux jours, reprit ce dernier. J'ai pensé ... Enfin ... Avec Sero et Mina on s'est dit que tu aurais peut-être faim, alors ... Voilà.

À la façon dont il reniflait entre ses mots, il était clair qu'il avait beaucoup pleuré lui aussi. Et pourtant, au milieu de toute sa souffrance, il avait trouvé le temps de lui préparer de quoi manger.

Bakugo crispa douloureusement la mâchoire.

- T'es vraiment trop con ... parvint-il à hacher entre ses dents.

- Oh. Euh ... Si tu n'en veux pas, je ...

- Pourquoi est-ce que vous faites ça ?

Kaminari, visiblement désarçonné par cette question, se contenta de regarder son camarade d'un air perplexe.

- Vous devriez me hurler dessus, me massacrer avec vos alters, reprit le blond. Certainement pas me préparer de la bouffe.

- Qu'est-ce que ... Pourquoi est-ce que tu veux qu'on fasse ça ?

- C'est de ma faute si Kirishima est mort !

Il se redressa vivement pour faire face à Kaminari, la poitrine compressée à un point où il avait du mal à respirer. Le dire à voix haute était encore bien plus douloureux qu'il n'aurait pu l'imaginer.

- C'est à cause de notre dispute qu'il n'était pas concentré, continua-t-il. Si je ne lui avais pas dit toutes ces horreurs, il n'aurait pas eu la tête ailleurs et ... Et ce vilain n'en aurait pas profité et alors Kirishima serait toujours ...

Le lycéen fut bien incapable de poursuivre. Avec des si, il pourrait refaire le monde de toute façon.

Il abandonna l'idée de finir sa phrase et prit sa tête entre ses mains.

- Tu oses sortir une bêtise pareille et c'est moi que tu traites de con ? finit par lâcher Kaminari.

Exit sa voix secouée et réconfortante. Chargéclair, de son nom de héros, releva son visage vers celui de son camarade. Ses yeux dorés étaient embués et sa lèvre inférieure, tremblante. De tristesse ou de rage ? Sans doute un peu des deux.

- Si tu crois que Kirishima aurait pu se laisser avoir à cause d'un manque de concentration, c'est que tu ne le connaissais pas vraiment !

- Ce n'est pas ce que j'ai ...

- Tu t'imagines quoi ? Qu'il aurait laissé vos problèmes interférer dans son boulot ? C'était le mec le plus déterminé et le plus professionnel d'entre nous ! Même à 17 ans, il n'aurait jamais sa vie personnelle intervenir de quelque façon que ce soit dans une mission !

Kaminari avait sans doute crié un peu trop fort, à en juger par la légère irritation qu'il ressentait dans sa gorge. Si un jour on lui avait dit qu'il oserait ainsi hausser le ton sur Bakugo, il aurait explosé de rire.

Mais la situation aidant, lui aussi avait eu ce besoin d'extérioriser ce trop plein d'émotions nouvelles et compliquées à gérer pour un adolescent.

Face au silence de son ami, il soupira, la mine défaite.

- De nous tous, c'est lui qui avait le plus l'étoffe d'un héros, acheva-t-il. Je suis persuadé qu'il a fait tout ce qui était en son pouvoir pour s'en sortir. Ne vas pas te culpabiliser de quoi que ce soit.

Encore une fois, Bakugo préféra garder le silence. Kaminari n'était pas fou au point de croire que ses belles paroles l'avaient convaincue. Son camarade risquait de ressentir de sentiment d'impuissance et de responsabilité encore très longtemps. Mais il espérait que ça l'apaiserait suffisamment pour qu'il trouve le sommeil quelques heures.

Comprenant que la conversation n'irait sans doute pas plus loin, Kaminari se releva pour rejoindre la porte. Néanmoins, alors qu'il s'apprêtait à sortir, il entendit le blond murmurer quelque chose.

- C'était un mensonge ...

- Bakugo ... Ce qu'il s'est passé entre vous deux, ça ne me regarde pas. Il a mal interprété tes sentiments, et toi tu y as réagi avec le caractère qu'on te connaît tous. Sors-toi cette histoire du crâne, je me fiche de savoir si Kirishima mentait ou pas.

- Non, tu ne comprends pas. C'est moi qui aie menti. Quand je lui ai dit qu'il n'était rien pour moi.

C'était la première fois que Bakugo discutait de ça avec quelqu'un.

- C'était faux, reprit-il. Archi faux. J'ai été pris au dépourvu par la situation, j'ai paniqué et ... J'ai agi comme la pire des enflures.

Kaminari observa son ami, abattu.

- Je l'aime, ajouta Bakugo. Plus que tout. Mais il est parti en étant persuadé qu'il m'était indifférent. Alors dis-moi : comment est-ce que je peux ne pas me sentir coupable ?

Ce qui frappa Chargéclair, ce n'était pas tant la détresse dans les mots du garçon, mais plutôt la façon dont il avait employé le présent pour parler de son amour. Le décès de Kirishima avait certes mis fin à beaucoup de choses, mais pas à ce que ressentait Bakugo. Ce fait tout simple réchauffa doucement le cœur du futur-héros électrique.

- Sache juste une chose, crétin, commença ce dernier. C'est qu'on ne te laissera pas tomber pour une histoire de dispute. Tu peux te sentir aussi responsable que tu veux, ça n'y changera rien. Ni Mina, ni Sero, ni moi, ni personne d'ailleurs, ne te mettra de côté à cause de toute cette tragique histoire. On a déjà perdu un pote, pas question d'en perdre un deuxième.

Et avant de quitter la pièce, il trouva la force de sourire un peu.

- Essaye de manger un peu.

Bakugo le regarda quitter la pièce, sans rien ajouter. Aussi dur était-ce de l'admettre, savoir qu'il n'était pas seul le rassurait un peu.

Mais aussi important pouvait être le soutien de ses amis dans ce genre de moment, le futur numéro 1 se sentait toujours aussi mal et aussi vide. Il ne se croyait pas intouchable au point de ne pas ressentir le deuil, mais jamais il n'aurait imaginé ça si difficile, si atroce, si ...

Inacceptable.

Bakugo finit par s'endormir sans avoir touché au plateau que Kaminari lui avait apporté, apaisé par une seule et unique pensée : tout n'était peut-être pas irréversible.

« Il est de miracle qui sont irréalisables. Même dans un monde fait d'alters. »

C'est ce que lui avait assuré le médecin de Kirishima.

Mais Katsuki Bakugo n'était pas du genre à écouter qui que ce soit.

À suivre.