Chapitre 3

- Raelle ? Allô, la terre appelle Raelle.

La main de Tally qui s'agitait devant ses yeux ramenait la blonde à la dure réalité. Clignant des yeux, sa vision troublée devint plus nette et un soupir machinal s'échappa de sa gorge. La rousse, arrêtée face à elle, laissa retomber sa main le long de son corps pour l'observer avec une lueur d'inquiétude. Raelle n'était définitivement pas dans son état normal. Seulement les deux premières heures de la matinée s'étaient écoulées, leur offrant enfin la possibilité d'aller se dégourdir les jambes dans la cour de récréation et, depuis le début de la journée, la blonde semblait étrangement ailleurs. Les yeux hagards, l'allure robotique et l'air tourmenté, Raelle ne donnait l'impression d'être devenue que l'ombre d'elle même tandis qu'elle suivait ses amies par pur automatisme. Et pour cause, la blonde n'était réellement pas dans son assiette depuis qu'elle avait appris pour Scylla et Porter.

C'est pourquoi, arrêtée au beau milieu de la cour, entre ses deux meilleures-amies, Raelle avait distraitement fixé un point devant elle en faisant semblant de les écouter, jusqu'à ce que Tally ne s'en aperçoive enfin.

- Est-ce que tu nous écoutes, au moins ? Demanda Abigail avec une pointe d'agacement.

- Désolée, soupira-t-elle de plus belle en se reconnectant à la conversation. Qu'est-ce que vous disiez ?

Les deux adolescentes échangèrent un regard avant de reporter leurs attentions sur la jeune Collar qui, malgré tous ses efforts pour feindre la normalité, ne parvenait pas à penser à autre chose qu'à la splendide brune au teint pâle qui lui plaisait un peu trop.

- On te demandait ce que tu comptais porter, ce soir, répéta Tally avant de froncer les sourcils en voyant de l'incompréhension apparaître sur le visage de la blonde. Tu sais, à la soirée d'Abi...

- Oh. Oui, c'est vrai.

Raelle marquait une pause, passant une main nerveuse dans sa nuque. A vrai dire, elle n'était plus vraiment sûre d'avoir envie d'y aller, même si elle savait que l'afro-américaine tenait à ce qu'elle soit là. Plus que ça, en réalité, elle n'était même pas sûre d'être capable d'y aller et de voir Scylla alors que son cœur en mourait littéralement d'envie. Ou plutôt, elle ne voulait pas y voir Scylla au bras de Porter. Elle ne savait toujours pas pourquoi mais, après avoir passé la plus grosse partie de sa nuit à y penser, Raelle avait compris que ça la dérangeait. Qu'elle aurait préféré que la brune y aille avec elle, plutôt qu'avec son petit-ami, et peu importait à quel point tout ça était légitime ou non.

- En fait, je ne suis pas sûre que...

- Ah non, la coupa Abigail en secouant vivement la tête de gauche à droite, je t'interdis de ne pas venir. J'ai besoin de toi au cas où ça viendrait à mal tourner. Tu es la seule à avoir un brevet de secourisme, ici.

- Très bien, je viendrais, déclara-t-elle à contre-cœur, dans un soupir de lassitude.

Pour la deuxième fois en seulement quelques secondes, Tally et Abigail échangèrent un nouveau regard chargé d'un mélange d'inquiétude et de contrariété que Raelle ne manquait pas de remarquer.

- Est-ce que tu vas nous dire ce qui t'arrives ? La réprimanda Abigail avec un air courroucé. T'as l'air tellement déprimée qu'on dirait que tu vas te jeter du troisième étage.

La blonde pinça les lèvres à cette demande et, sans même s'en rendre compte, réajusta le blouson de Scylla sur ses épaules. Aussitôt, l'odeur encore bien présente de la brune sur le vêtement parvint à ses narines et, contrairement à ce qu'elle avait provoqué la veille, cette fois, le cœur de Raelle se serrait, l'obligeant à retenir une grimace.

La jeune Collar n'avait pas pu se résoudre à se vêtir d'autre chose en se levant, ce matin-là, malgré l'étrange anxiété qui était née dans son être à l'idée que quelqu'un le remarque. Toutefois, deux heures étaient passées et, aussi surprenant que ça l'était, personne n'avait semblé s'apercevoir que ce manteau ne lui appartenait pas. Ou du moins, c'est ce qu'elle avait cru, à tord.

- D'ailleurs, il vient d'où ce blouson ? S'enquit de plus belle l'afro-américaine en en saisissant les pans. Je ne t'ai jamais vu le porter, il est nouveau ?

- Mais non, la rabroua aussitôt Tally en secouant la tête, sur le ton de l'évidence. Même ma mère pourrait me l'offrir, ça m'étonnerait que ses parents lui aient acheté un vêtement de si basse qualité.

Les sourcils de Raelle se froncèrent à cette réflexion et, pendant un instant, elle s'en était presque vexée. Puis, elle avait réalisé à quel point la Craven avait raison. Le manteau de Scylla était fait dans une matière de première gamme, d'un noir basique, presque délavé tant la qualité n'était pas aussi onéreuse que ce qu'elle avait l'habitude de porter. Mais, au moins, il avait l'avantage d'être confortable, pensait-elle en refermant ses bras sur les manches pour se soustraire de la prise d'Abigail.

- C'est une longue histoire, mentit la blonde. Trop longue pour que je vous la raconte maintenant, ça va sonner.

L'afro-américaine leva un sourcil dubitatif mais, avant qu'elle n'envisage de dire quoi que ce soit, son visage se fit beaucoup plus contrarié tandis que son regard se fixait désormais sur un point derrière son amie blonde.

- Non mais dites-moi que je rêve, annonça-t-elle sur un ton consterné. Comment elle peut déjà avoir un mec ? C'est une pute ou quoi ?

Ni une, ni deux, Raelle s'empressait de faire volte-face, comprenant parfaitement de qui il s'agissait. Alors, son regard s'ancrait immédiatement sur la petite silhouette de Scylla qui embrassait son petit-ami, les deux mains tenant fermement le cou du jeune homme.

Une monstrueuse nausée s'emparait de l'estomac de la blonde qui dû se faire violence pour ne pas détourner le regard tant elle se sentait mal. A l'image de la veille, son cœur se brisait dans sa poitrine, laissant son corps entier être envahi d'une douleur dont Raelle n'aurait jamais pu imaginer l'intensité si elle ne l'avait pas sentie. Et aussitôt, elle s'en voulait à elle-même, pour ressentir ce genre de sentiments forts, qu'elle ne parvenait pas à nommer, à l'égard de Scylla. Son blouson se faisait étrangement lourd sur les épaules de la blonde alors qu'elle baissait enfin le regard, juste assez pour ne plus les voir sans que ça ne paraisse suspect aux yeux de ses amies.

- Au moins elle a bon goût, tenta de plaisanter Tally, sans grand succès. On ne peut pas dire que Porter soit le pire parti du lycée.

- On ferait mieux de commencer à monter, déclara Raelle, désireuse de dévier la conversation vers autre chose que la raison de son trouble du moment. Si on est en retard, Quatermaine va nous tuer.

Les regards de ses deux amies se plissèrent à ces paroles inattendues, nullement dupées par cette attitude faussement désinvolte, mais aucune d'elles n'ajouta rien. La blonde s'était déjà éloignée en les obligeant à la suivre.

oOoOoOo

Le trio d'amies ne se souvenait pas d'avoir déjà été si vite pour rejoindre la cafétéria du lycée. Ou du moins, pour suivre Raelle jusque la cafétéria. La blonde était tellement à fleur de peau, et son ventre criait tellement famine, qu'il avait suffit d'un tintement de la sonnerie pour que celle-ci ne saute de sa chaise et ne se précipite hors de la classe. Et pour cause, il y avait toujours du monde dans le réfectoire, le mardi midi, et cette journée-là n'y faisait pas exception.

Assises à leur table préférée, près de la grande baie vitrée qui offrait une vue imprenable sur la cour de récréation, Raelle, Tally et Abigail avait commencé à manger, en silence, observant parfois leurs camarades aux alentours tandis que la grande salle se remplissait à vue d'oeil. Rapidement, plus aucune place ne fût disponible, hormis les trois restantes à leur table mais elle ne s'en soucièrent pas, car jamais personne n'avait l'audace de venir les déranger. Toutefois, étant donné qu'une nouveauté ne venait jamais seule, Raelle était pleinement convaincue qu'elles auraient dû se douter de la chose qui allait se produire, ce jour-là.

Mais ce ne fut pas le cas avant qu'un plateau ne se pose sur la place face à elle, obligeant la blonde, et ses amies, à relever la tête pour découvrir le visage radieux et le sourire charmeur de Scylla, accompagnée de son Roméo.

- Est-ce qu'on peut se joindre à vous ? Demanda-t-elle par pure politesse, sans réellement leur laisser le choix, en réalité.

- Il n'y a plus de places ailleurs, indiqua Porter.

Un silence s'installa entre les cinq adolescents, durant lequel Raelle sentit une vague de malaise l'envahir. Pouvait-elle seulement refuser ? Non, bien sûr que non.

- Bien sûr, acquiesça-t-elle alors, après un raclement de gorge qui fit s'accroître le sourire de la brune.

- Porter Tippet, salua Abigail avec une réelle amertume. Ça m'étonne que tu n'exhibe pas Scylla devant tes copains de l'équipe de foot. Serais-tu malade ?

Le cynisme dont l'afro-américaine faisait preuve amusa le jeune homme. Cela faisait bien des années maintenant que les deux jeunes gens étaient habitués à cultiver l'animosité qui régnait entre eux pour une raison que personne ne connaissait réellement.

- Et toi ? S'enquit-il avec un sourire en coin tandis qu'il prenait place sur la chaise à côté de sa petite-amie. Ne devrais-tu pas être en train de préparer ton manoir pour la fête de ce soir ? Tu sais, planquer les objets de valeur...

- Tout dépend. Tu comptes venir ?

Comme deux chiens de faïences, Abigail soutint le regard du capitaine de l'équipe de football avec insistance, démarrant une bagarre de regards qui n'auraient sûrement aucune fin si personne n'intervenait.

- On sera là, assura soudainement Scylla sur un ton évident.

L'afro-américaine se tourna immédiatement vers elle, abandonnant son duel, pour plisser les yeux avec scepticisme, tandis que Raelle se contentait de fixer son assiette et que Tally les regardaient en mangeant distraitement une mioche de pain. Un sourire de défi étira les lèvres de Porter face à l'expression faciale de sa vieille meilleure-ennemie et il en profita pour passer un bras autour des épaules de sa compagne, appuyant ainsi toute son arrogance.

- Tu n'as quand même pas cru que je viendrais seul ? S'amusa-t-il en haussant un sourcil. D'ailleurs, sur qui avez-vous jeté vos dévolus, cette fois ? Le pauvre Paul se souvient encore de la dernière soirée que tu as donné.

- Tu le verras ce soir, déclara Abigail, soucieuse de préserver le suspens, mais c'était sans compter sur l'honnêteté et la spontanéité de Tally.

- Je viens avec Gerit, annonça celle-ci avec un sourire niais. Et Raelle ne viens avec personne, comme d'habitude.

D'un même mouvement, les visages de Porter et de Scylla se rivèrent sur la blonde qui sentait ses joues s'empourprer de gêne. Pourquoi fallait-il toujours que l'attention retombe sur elle ? Pourquoi Diable ne pouvait-elle pas être invisible, pour une fois ?

- Je ne comprends pas pourquoi tu es toujours seule, avoua honnêtement Porter dans un soupir. Tu sais que tu pourrais avoir n'importe quel mec du bahut ?

Raelle retint une grimace de dégoût et haussa les épaules dans un geste faussement désinvolte.

- Peut-être... mais ça ne m'intéresse pas. Tout ce que veulent tes potes, c'est de me mettre dans leurs lits.

- Bien sûr que c'est ce qu'ils veulent, avoua Porter en se mettant à rire. Tu ne vas quand même pas me dire que tu es vierge ?

- Porter ! S'exclama Scylla, les yeux ronds d'horreur.

Abigail et Tally manquèrent de s'étouffer avec leurs verres d'eaux alors que Raelle, elle, sentait ses joues déjà rouges chauffer davantage. Dans un geste machinal, la blonde réajusta le blouson de Scylla sur ses épaules, attirant immédiatement le regard de Porter sur le vêtement. Le brun fronça les sourcils, puis se tourna vers sa petite-amie avec une incompréhension évidente.

- Hey, mais ce n'est pas ton manteau, ça ?

Soudainement sortie des pensées dans lesquelles elle venait de plonger, Scylla releva la tête pour suivre le regard du jeune homme. Naturellement, ses iris captèrent celles, assombries par la honte, de celle qui lui faisait face, et la brune lui offrit un petit sourire penaud. Abigail et Tally ne perdirent pas une miette de cet échange, bien trop intéressées de la réponse qui s'apprêtait à leur être donnée.

- Si, acquiesça Scylla avec désinvolture. J'ai croisé Raelle hier soir et elle avait froid donc je lui ait prêté.

La brune hausse les épaules, arborant un air évident.

- Tu sais très bien que j'ai plus l'habitude du froid que vous.

- Pourquoi ça ? S'empressa de demander Tally avec un réel intérêt.

Le jeune couple échangea un regard avant que les yeux de la plus âgée ne se reposent sur la blonde, assise en face d'elle. Mais Raelle n'eût pas la force de le soutenir davantage et détourna ses belles prunelles pour les fuir. La Collar se sentait particulièrement mal en cet instant, et elle n'avait aucune envie que la brune réussisse à le lire dans ses pupilles. Toutefois, celle-ci ne semblait pas partager son avis. Discrètement, Scylla tapota la jambe de la blonde à l'aide de son pied, sous la table, et Raelle manqua de justesse de s'étouffer avec sa fourchette de frite. Venait-elle de rêver ou la brune était-elle bel et bien en train de lui faire du pied ? A en juger par son sourire teinté de malice, la plus jeune compris que non, elle ne venait pas d'imaginer cette pression inattendue sur son tibia.

- Scylla a grandie en Suède avant d'arriver aux Etats-Unis, leur expliqua Porter. On s'est connus là-bas. Autant dire que les conditions climatiques ne sont pas les mêmes qu'ici.

Une expression de stupeur saisit les traits des trois meilleures-amies et, enfin, Raelle eut l'impression d'avoir un indice sur la personne que Scylla était vraiment. Et bien malgré elle, elle ne put s'empêcher d'esquisser un sourire alors qu'elle faisait désormais le rapprochement entre la nationalité de la brune et son anglais parfois tatillon de par sa prononciation.

- Alors c'est pour ça que tu as un accent ! S'exclama Tally, comme si elle venait de découvrir que la Terre était ronde.

- Ouais, s'en amusa Scylla dans un hochement de tête. En fait, je ne suis en Amérique que depuis quatre ans donc j'ai dû apprendre l'anglais assez tard, même si on avait des cours d'anglais en Suède.

- Donc tu es bilingue ? Demanda de plus belle la rousse, en prise avec sa curiosité légendaire. Est-ce que tu peux dire quelque chose en Suédois ?

Scylla pinça les lèvres et hésita une seconde avant de se rendre compte que Tally n'était pas la seule personne à boire ses paroles. C'était le cas de Raelle également, qui l'observait d'un regard teinté d'un mélange d'émerveillement et d'admiration, et qui gonfla le cœur de la brune.

- Jag heter Scylla. Ça veux dire "Je m'appelle Scylla".

- Oh, c'est vraiment bizarre comme langue, déclara spontanément la Craven, les yeux ronds.

Chacun, hormis Tally, se mit à rire à cette réflexion sortie tout droit du cœur de la rousse. Alors, comme attirés par des aimants, les prunelles de la Suédoise s'ancrèrent de nouveau dans ceux de la blonde et finalement, sans leur laisser le temps de s'éterniser, la sonnerie de fin du déjeuner retentit dans la cafétéria. Un vague sentiment de déception s'emparait de Raelle mais elle n'eût pas le temps de l'accueillir plus que cela. Tout le monde se levait déjà, plateau à la main, et elle fut contrainte de faire de même, à l'image de Scylla.

Tout aussi spontanément que l'avait été sa remarque, Tally passa un bras autour des épaules de son amie blonde et offrit au couple un grand sourire ravi.

- A ce soir, alors, lança-t-elle en attirant sa meilleure-amie à sa suite, et à celle d'Abigail qui avait déjà filé.

- Ouais, compte sur moi, la salua Porter tandis que sa petite-amie souriait encore d'amusement.

- A ce soir, lança cette dernière.

oOoOoOo

La soirée battait son plein depuis plusieurs heures déjà et au plus le temps passait, au plus Raelle avait l'impression de suffoquer. L'intensité de la musique l'empêchait de comprendre la plupart des discussions qu'elle essayait d'écouter, les lumières changeantes lui donnaient mal aux yeux et, en plus de ça, la masse de monde qui avait élu domicile dans le salon de la jeune Bellweather lui donnait bien trop chaud. La blonde avait besoin d'air.

Sans même prendre la peine de prévenir ses amies, bien trop occupées à flirter avec leurs cavaliers de la soirée, Raelle s'était échappée. Heureusement pour elle, elle n'avait pas bien loin à aller pour retrouver la fraîcheur de cette nuit de semaine. Quelques enjambées suffirent à ce qu'elle atteigne les grandes baies vitrées coulissantes à quelques mètres d'elle et se faufile dans le jardin de l'afro-américaine.

Aussitôt, la bouffée d'oxygène qui lui manquait lui revenait et elle refermait les portes derrière elle pour atténuer le bruit incessant de la musique qui commençait à lui faire mal au crâne. Une grande terrasse précédait la verdure du jardin, dans laquelle avait été installée, il y a quelques années, une immense piscine creusée dont le luxe n'était rien comparé au manoir dans lequel vivait les Bellweather. Mais Raelle était tellement habituée à cette richesse qu'elle ne remarquait même plus à quel point le cadre dans lequel elle se trouvait était joli. Au contraire, tout lui paraissait étrangement terne tandis qu'elle profitait de la douceur de la soirée.

Le bruit de l'eau, près d'elle, attira soudainement son attention. Elle ne l'avait pas remarqué, mais elle n'était pas seule. Assise au bord de la piscine, les pieds dans l'eau, Scylla fixait l'orée de la forêt qui entourait la propriété des Bellweather, perdue dans ses pensées. Et à peine les yeux de la blonde s'étaient-ils posés sur la silhouette familière de l'adolescente qu'un sourire, léger, avait étiré ses lèvres, laissant son cœur s'alléger dans sa poitrine. Sans réfléchir, Raelle fit alors quelques pas discrets vers la brune et s'arrêta à ses côtés.

- Tu as abandonné Porter ?

En entendant la voix de Raelle derrière elle, un sourire se dessina sur les lèvres de la plus âgée. Lentement, celle-ci tourna la tête pour river son regard sur le visage de la blonde et la détailler un instant, comme elle le faisait à chaque fois. Et la jeune Collar en fut saisie d'un long et agréable frisson le long de son échine, une sensation devenue étrangement familière et bienvenue désormais.

- En fait, c'est plutôt lui qui m'a abandonnée, déclara Scylla sur le ton de la plaisanterie. Il joue avec des copains à lui et je me sentais un peu de trop alors je suis venue profiter du calme.

- Ouais, je comprends, avoua Raelle dans un soupir.

La brune tapota le sol à côté d'elle, faisant signe à la blonde de s'asseoir à ses côtés et cette dernière ne se fit pas prier davantage. Prenant garde à ne pas tomber à l'eau, la Collar s'installait près de Scylla, à quelques centimètres seulement de son corps, si bien que leurs épaules se touchaient presque alors que les pieds de la blonde avaient rejoins ceux de la brune dans la piscine.

Puis le silence reprit ses droits entre elles. Mais cette absence de bruit n'était pas apaisante, non, elle était chargée de toute la nervosité que Raelle avait apporté avec elle en quittant le salon, témoin de la journée éprouvante qu'elle venait de passer. Et Scylla dû le sentir car le regard qu'elle portait encore sur le visage de la blonde à ses côtés se fit plus soucieux, plus inquiet. Elle ne connaissait pas Raelle depuis très longtemps, toutefois, elle avait l'impression de lire en elle comme dans un livre ouvert. Mais elle savait très bien pourquoi. Au fond d'elle, la blonde lui rappelait l'adolescente qu'elle avait été, quelques années plus tôt, en arrivant sur les terres américaines. Perdue. Seule. Apeurée. Et Scylla n'aimait pas ce reflet car il lui faisait mal et, plus que ça encore, parce qu'elle pensait réellement que Raelle méritait mieux que le tourment qu'elle renvoyait.

- Est-ce que tout vas bien ? Demanda-t-elle alors qu'elle connaissait parfaitement la réponse.

La blonde la toisa un instant en pinçant les lèvres, incertaine. Scylla la regardait avec tellement de bienveillance, tellement d'attention, que Raelle aurait voulu tout lui confier. Lui dire à quel point elle la troublait, lui raconter à quel point l'absence de ses parents la faisait souffrir et à quel point elle ne se sentait pas à sa place ici, à High Tower et parmi ses amies. Pourtant, quelque chose la retenait de le faire. De la pudeur, sans doute. Mais il n'en restait pas moins que là, sous les prunelles bleutées de Scylla, Raelle se sentait enfin importante pour quelqu'un. Elle se sentait vivante. Et pour ça, elle lui en était déjà reconnaissante.

- Oui, mentit-elle ouvertement. C'est juste que je n'aime pas vraiment les fêtes.

La plus âgée hocha la tête, quelque peu peinée de constater que sa nouvelle amie ne lui faisait pas encore assez confiance pour se confier. Mais elle ne lui en voulait pas pour ça. Comment l'aurait-elle pu alors qu'elles se connaissaient à peine ? Scylla se mit donc à sourire simplement et n'insista pas, pour le plus grand soulagement de sa voisine.

- Alors pourquoi tu es venue ? S'enquit-elle avec curiosité.

Raelle haussa les épaules.

- Je n'avais pas vraiment le choix. Les parents d'Abigail acceptent que leur fille fasse des fêtes uniquement si quelqu'un avec des notions de premiers secours est présent, et il se trouve que je suis la seule qui réponds à ses critères.

- Tu as un brevet de secourisme ? S'étonna Scylla.

Le sourire de la blonde s'agrandit automatiquement face à l'intérêt que la plus âgée lui portait et, indépendamment de sa volonté, son cœur fit une embardée dans sa poitrine.

- Ouais, c'est quelque chose auquel tu ne peux pas échapper quand tes parents sont chirurgiens, en général.

- Chirurgiens, répéta Scylla sans se cacher d'être impressionnée. Tu ne dois pas les voir souvent...

Une pointe de compatissante perça dans la voix de la brune et Raelle baissa la tête. La douleur revenait subitement se loger dans son cœur à ses paroles et elle n'eût pas la force de répondre quoi que ce soit. Une lueur coupable s'empara aussitôt des iris de la plus âgée, qui venait de comprendre son erreur. Alors, sans attendre, celle-ci se redressa, sortit ses pieds de la piscine et s'empressa de se remettre debout, attirant un regard teinté d'incompréhension de la part de la blonde.

- Tu sais quoi ? Demanda Scylla par pure rhétorique, avec un sourire espiègle. Je n'aime pas les fêtes non plus, pour tout avouer. Qu'est-ce que tu dirais qu'on aille se balader, plutôt ?

oOoOoOo

Raelle avait immédiatement accepté. Marchant sur l'un des petits sentiers reculés de la forêt en compagnie de la belle brune, la jeune Collar profitait du calme du moment. La musique lointaine s'était estompée à mesure qu'elles s'enfonçaient parmi les arbres, silencieuses. La simple présence de l'autre suffisait à apaiser leurs cœurs éprouvés. Et rien que pour cela, aucune d'elles n'avait envie de briser cet instant de bien-être.

La blonde ne faisait même pas attention à ce qui l'entourait, bien trop focalisée sur la simple présence de Scylla à ses côtés, et se contentait de la suivre même si celle-ci ne savait clairement pas où elle allait. Elles auraient aussi bien pu être perdues, cela importait peu aux yeux de Raelle tant que la brune était là pour partager ce moment avec elle. Tout son être s'était allégé, accueillant la tranquillité de l'instant comme une salvation. Le poids qui pesait toujours sur ses épaules semblait s'être envolé et, pour la première fois depuis trop longtemps, Raelle se sentait à sa place.

Scylla bifurqua près d'un arbre, puis près d'un autre et finalement, la blonde compris. Elles étaient bel et bien perdues. A ce constat, un petit sourire amusé, qui n'avait absolument pas lieu d'être au vue des circonstances, naquit sur le visage de Raelle.

- Est-ce que tu sais où tu nous emmènes, au moins ?

La brune jeta un regard pétillant d'espièglerie vers la plus jeune en arborant un sourire malicieux.

- Plus ou moins, admit-elle. Fais-moi confiance, on ne doit plus être très loin maintenant.

- Oh mais je te fais confiance, assura sincèrement la blonde dans un hochement de tête imperceptible. J'espère juste que tu as le sens de l'orientation car pour moi, rien ne ressemble plus à un arbre qu'un autre arbre.

Scylla gloussa d'amusement en offrant son plus joli sourire, teinté de mystère, à la plus jeune.

- Parents militaires obligent, plaisanta-elle en gratifiant son amie d'un clin d'œil.

Mais Raelle parvenait sans mal à comprendre que, derrière cette façade humoristique, les paroles qui allaient suivre étaient sérieuses.

- J'ai appris à me repérer dans l'espace et à lire une carte avant de savoir parler. Je nous ramènerait sans problème.

Raelle regardait autour d'elle mais, au premier abord, rien ne lui semblait différent de ce qu'elle avait déjà vu de la forêt. Puis, Scylla fit quelques pas en avant et la blonde suivit le mouvement. C'est alors qu'elle le vit. Cet énorme trou béant dans le sol qui n'était en réalité pas plat. Peut-être avait-il était créé par un tir d'obus quelques années plus tôt, ou alors peut-être était-ce juste une déformation naturelle de la terre, elle ne savait le dire. Toujours était-il que là, juste devant elle, pour ne pas dire juste en dessous d'elle, se dessinait un immense lac, environ un mètre plus bas de leur position.

Mais ce qui marquait le plus la jeune Collar, a cet instant, c'était qu'elle n'avait aucune idée de l'existence de cet endroit avant qu'elle ne s'y retrouve. Elle qui pensait connaître les moindres recoins d'High Tower, voilà qu'elle s'était bien trompée.

- Comment as-tu su que ce lac était là ? Demanda Raelle en reportant son attention sur la brune qui l'accompagnait.

Figée juste à côté d'elle, le regard rivé sur l'étendue d'eau douce, le sourire déjà présent sur les lèvres de Scylla ne fit que s'accroître davantage alors qu'une idée, folle sans doute, lui traversait l'esprit.

- Porter m'en as parlé, expliqua-t-elle simplement. Il voulait m'y emmener ce week-end mais je me suis dit que c'était le moment parfait pour y venir.

Raelle hocha la tête alors que son cœur ne put s'empêcher de se serrer douloureusement dans sa poitrine à la mention du jeune homme. La blonde l'avait presque oublié.

Toutefois, avant qu'elle n'ait le temps de penser davantage à lui et à la relation qu'il entretenait avec la Ramshorn, l'estomac de la Collar se retournait littéralement dans sa poitrine, laissant son cœur s'emballer tandis que ses yeux s'ouvraient sous la stupeur en voyant Scylla retirer son propre t-shirt pour le jeter sur le sol. Raelle eut immédiatement l'impression de se brûler les yeux alors qu'elle se retrouvait désormais incapable de détourner le regard du physique de son amie, qu'elle découvrait avec bien trop d'intérêt. Son ventre plat, sa poitrine généreusement maintenu dans un soutien-gorge noir, sa peau pâle... tout faisait défaillir la blonde et faisait naître une chaleur indescriptible au creux de son estomac. Et si Raelle savait déjà qu'il se passait quelque chose en elle lorsqu'elle était avec Scylla, elle était forcée de constater, maintenant, comme si elle venait d'être soumise à une horrible claque, que ce qu'elle ressentait n'était autre que de l'envie. Oui, plus que tout, elle mourait d'envie de parcourir ce corps de ses mains, de poser ses lèvres sur cette peau si claire, et elle en était terrorisée.

- Mais qu'est-ce que tu fais ? S'étrangla-t-elle alors que Scylla déboutonnait son jean, nullement gênée.

- Allez, déshabille-toi, lui répondit-elle dans un mélange de désinvolture et d'assurance que la blonde ne pensait pas compatible. On va piquer une tête.

Raelle jeta un coup d'œil beaucoup plus incertain vers le lac, en contrebas, et secoua vivement la tête en prenant garde de ne pas reposer ses yeux sur la brune. Après tout, peut-être que si elle ne l'observait pas comme elle faisait, alors, tout ce qu'elle ressentait à cet instant disparaîtrait. En vain.

- Tu es folle, si on saute là-dedans on pourrait se tuer, désapprouva Raelle.

Pourtant, le sourire en coin, malicieux, de la plus âgée ne fit que s'accroître un peu plus tandis que son jean venait de retrouver son t-shirt et ses chaussures, sur le sol.

- Mais non, Porter m'a raconté qu'il y plongeait souvent avec l'équipe de foot. Il n'y a aucun risque.

Raelle secoua la tête de plus belle. Scylla n'avait-elle donc aucun instinct de survie ? La blonde avait beau se sentir mal dans sa peau, elle n'avait tout de même pas envie de s'étaler comme une crêpe sur l'eau, un mètre plus bas.

- Je ne sais pas, Scylla...

- Est-ce que tu as peur ?

La question de la Ramshorn était teintée de surprise. Dénuée de tout jugement, certes, mais surprise.

Un court silence s'installa entre elles et, lentement, la brune s'approcha de Raelle, obligeant celle-ci à la regarder de nouveau. Et les yeux de la blonde étaient à peine tombés sur le visage de son amie que l'embrasement qui s'était établi au creux de son estomac s'était intensifié, figeant un peu plus Raelle sur le sol. Et c'est alors que Scylla fit le geste qui changea toute la donne.

Délicatement, presque hésitante, la brune s'était emparée des mains de Raelle pour les serrer dans les siennes avec un sourire sincère. Et lorsque leurs peaux rentrèrent en contact pour la toute première fois, un choc électrique les transperça de part en part, stoppant leurs deux cœurs avant qu'ils ne s'emballent de plus belle. Alors, comme leurs mains avant elles, les prunelles azurées de Scylla se rivèrent dans celles, toutes aussi bleues que les siennes, de Raelle et à cet instant, elles n'eurent plus aucun secret l'une pour l'autre.

Ce simple regard avait suffit à éclairer Raelle sur tout ce qu'elle devait savoir sur ce qu'elle ressentait pour Scylla, mais également sur ce qu'elle était, et la terreur fût plus grande encore. Son cœur battait pour Scylla. Il battait car elle était tombée amoureuse d'elle, au premier regard, au premier touché, à la première parole.

- Nous n'avons qu'une vie, rappela la brune d'une voix emprunte de douceur.

Ça avait été les mots. Ceux qui avaient eu raison des dernières réticences de la plus jeune. Peu importait le trouble qu'elle ressentait pour le moment, Raelle mesurait à quel point Scylla avait raison. Elles n'avaient qu'une vie et Raelle comptait bien en profiter. C'est pourquoi, dégageant finalement ses mains de celles de la brune, elle déboutonnait enfin sa chemise, sous le regard perturbant et le sourire ravi de son aînée.

Scylla mordit sa lèvre inférieure, augmentant le malaise déjà présent dans le corps de son vis-à-vis. C'était la première fois que Raelle se déshabillait ainsi devant quelqu'un, et même si ce n'était que pour rester en sous-vêtements, elle se sentait particulièrement intimidée. Ses joues se teintèrent de rouge, témoin de sa gêne alors que la brune la détaillait comme elle-même l'avait fait précédemment. Alors, jamais, la blonde n'avait été aussi rapide pour enlever ses vêtements, dans l'espoir vain que si elle se dépêchait, Scylla la regarderait moins longtemps.

Ce ne fût pas le cas. Résolument tournée vers le lac, Raelle s'approchait précautionneusement du bord, suivie de près par sa nouvelle amie, et s'arrêta quelques centimètres avant le précipice. Les muscles de la jeune Collar se tendirent et, soudainement, sans qu'elle ne s'y attende, la main de Scylla se glissa dans la sienne, provoquant une nouvelle décharge électrique dans le corps de la plus jeune qui la fit tressaillir.

Lentement, la tête de Raelle se tourna vers son acolyte pour rencontrer son regard espiègle, à des années lumières de l'incertitude que renvoyait celui de la blonde.

- À trois ? Demanda-t-elle consciencieusement en mesurant l'inquiétude de son amie.

- Ouais, accepta Raelle d'un signe de tête, avant de prendre elle-même le décompte en main par plus de sécurité. Un...

Le sourire espiègle de Scylla revint plus rapidement que la blonde ne l'aurait cru possible. Serrant sa poigne sur la main de Raelle, elle s'exclama :

- Trois !

Et Scylla sauta, emmenant la jeune Collar à sa suite.

oOoOoOo

Lorsque les deux adolescentes avaient fait leur retour au sein de la propriété des Bellweather, les cheveux dégoulinants d'eau et les habits collants, rien n'aurait pu entraver leur bonne humeur. Ou du moins, c'était ce dont elles étaient persuadées avant de grimper les marches de la terrasse du manoir et de constater que Tally, Abigail et Porter les attendaient, assis sur des chaises avec chacun une bouteille de bière à la main.

Tous les adolescents présents à la fête avaient pliés bagages, laissant aux deux nouvelles amies le loisir de deviner qu'il devait déjà être, non pas tard le soir, mais bien tôt le matin. La conversation dans laquelle les trois lycéens étaient plongés cessa dès lors qu'ils entendirent le bruit des pas de Raelle et de Scylla sur les lattes de bois de la terrasse. Immédiatement, Tally laissa sa phrase en suspens pour tourner la tête vers elles, à l'image de ses deux camarades, et leurs sourcils se froncèrent en remarquant leurs allures. Et pour cause, avec toute cette eau qui maculait encore leurs corps, les deux adolescentes ne ressemblaient plus à grand chose, il fallait l'avouer.

- Mais où est-ce que vous étiez passées ? S'indigna Abigail en retroussant le nez avec dégoût.

- On vous a cherchées partout, renchérit Tally.

- Vous auriez pu nous prévenir que vous partiez, les réprimanda également Porter.

Les deux amies échangèrent un regard, furtif, et Raelle passa une main nerveuse dans sa nuque pour la masser. Elle ne savait pas quoi dire et, en plus, faisant ainsi face au petit-ami de sa compagne de la soirée, la blonde se sentait fautive. Fautive de ressentir toutes ses choses pour cette fille qu'était Scylla : indisponible et hétéro.

Alors, sur cette pensée, le regard de la jeune Collar se riva immédiatement sur ses chaussures, soudainement devenue très intéressantes. Elle n'avait plus la force de regarder ses amis en face et, au fond, elle se sentait stupide. Comment pouvait-elle cacher son secret si elle se laissait aussi facilement perturbée ?

- On a été se baigner dans le lac, expliqua Scylla dans un haussement d'épaules anodin.

Les traits de Porter se crispèrent à cette annonce. Était-il déçu ? Raelle ne savait pas vraiment le dire puisqu'elle ne parvenait à voir son expression que du coin de l'œil.

- Je pensais qu'on devait y aller à deux, ce week-end, répondit-il dans un soupir de lassitude.

Oui, il était déçu. Déçu que sa petite-amie ait préféré s'y enfuir avec Raelle plutôt qu'avec lui, et la blonde le comprenait sans mal. Elle n'aurait pas aimé non plus, à sa place. Désireuse d'apercevoir la réaction qu'aurait son amie, la Collar avait donc relevé la tête, puisant dans ses ressources pour parvenir à rester neutre, mais elle était prête à parier que le succès ne devait pas être grandiose.

- On peut toujours y aller, rétorqua Scylla en fronçant les sourcils. Je ne vois pas ce que ça change.

Un nouveau soupir s'échappa de la gorge du brun tandis qu'il secouait doucement la tête.

- Ouais... marmonna-t-il en se levant nonchalamment de sa chaise. On ferait mieux d'y aller. Je ne voudrais pas avoir à expliquer à ta mère pourquoi tu as attrapé une pneumonie.

La brune fronça un peu plus les sourcils, prête à répliquer quelque chose, mais elle s'arrêta dans sa manœuvre lorsque Abigail lui tendit son blouson. Celui qu'elle avait prêté à Raelle, la veille. Un faible sourire éclaira son visage en le saisissant et elle osa jeter un regard sur la blonde à ses côtés, qui s'empressa de lui sourire en retour. Elles ne parlèrent pas, n'échangèrent aucun mot, mais la simple rencontre de leurs prunelles suffirent à remercier et saluer l'autre.

Sans une parole, Scylla enfila son blouson sur ses épaules, découvrant l'odeur sucrée de Raelle qui en émanait et dû réprimer le sourire qui accompagnait ce constat. En lui tendant ce qui lui appartenait, Abigail lui avait bien fait comprendre qu'elle ne voulait pas la voir plus longtemps chez elle et Scylla ne comptait pas insister pour rester.

- Oui, tu as raison, concéda-t-elle à l'attention de son petit-ami, sans en penser un mot. On devrait y aller.

Le brun lui adressa un sourire qu'elle rendit avec un peu plus de crispation. Et Raelle la vit se figer davantage lorsque Porter déposa tendrement sa main au creux de ses reins, faisant naître du dégoût dans le corps de la blonde.

- Bonne soirée, lança-t-il aux trois meilleures-amies en poussant gentiment Scylla vers la sortie.

- Ouais, bonne soirée, répondit Abigail en levant les yeux au ciel.

- On se voit en cours dans quatre heures, plaisanta Tally, sans succès.

Le jeune couple quitta la demeure sans un regard de plus et le cœur de Raelle se serra un peu plus dans sa poitrine lorsqu'elle vit Scylla lui jeter un dernier regard avant de monter dans la voiture de Porter.

Un lourd silence retomba entre les trois dernières personnes présentes dans le jardin des Bellweather. Elles regardèrent toutes le véhicule de leurs camarades s'éloigner, avant que Raelle ne secoue la tête de droite à gauche en prenant une profonde inspiration dans l'espoir de calmer ses maux.

- Moi aussi faut que j'y aille, déclara-t-elle.

Mais elle n'eût pas le temps de prendre le chemin de la sortie qu'une poigne ferme s'empara de son poignet, l'obligeant à rester où elle était.

- Hey, l'interpella Abigail dont le ton ne reflétait rien d'autre que de l'inquiétude, pour une fois. Je sais que Scylla est séduisante, mystérieuse et tout ça, mais méfie-toi du charme Suédois.

Lentement, trop lentement, les deux iris azurées de Raelle se plantèrent dans celles, brunâtres, de sa meilleure-amie et son cœur cessa de battre. Il n'y avait aucun jugement, aucune animosité dans le regard de l'afro-américaine et pourtant, la blonde se sentait soudainement agressée par ces paroles. Tellement, qu'elle ne se rendit même pas compte qu'elles impliquaient le fait que ses deux meilleures-amies aient toutes les deux compris ce qu'elle ressentait pour Scylla.

Raelle se dégagea vivement de la poigne de son amie et ses lèvres s'étirèrent dans un sourire amer, presque mauvais.

- Je ne vois absolument pas de quoi tu parles, assura-t-elle, sur la défensive.

- Raelle... tenta Abigail, avant d'être coupée par leur amie commune qui avait posé une main sur l'épaule de l'afro-américaine.

- Laisse-la, Abi, murmura-t-elle à son oreille, mais pas assez discrètement pour que la blonde ne l'entende pas. Elle n'est pas encore prête.