Partie 3 : Jugement.
Au matin, la collation fut rapide et silencieuse. Ordnat était particulièrement morose, comme profondément affecté par la disparition de Velma. Il mâchonna sans enthousiasme le bout de ration séchée qu'on lui tendit, et retourna scruter l'horizon, visiblement dans l'espoir vain de la voir apparaître au loin. Nous pliâmes rapidement nos bagages, en gardant constamment un œil vigilant sur le monticule de pierres derrière lequel s'était trouvé le tunnel. Que les voraces aient pu aussi facilement infiltrer l'arrière du fortin en passant aisément par la roche n'avait pas rendu notre sommeil plus paisible mais pour ce que j'en savais, le Konoride avait passé presque tout le reste de la nuit à le fixer du regard, alors rien n'aurait pu en sortir sans qu'il le mitraille furieusement.
O'Connel et Murmure, qui étaient partis plus tôt en éclaireurs, revinrent en annonçant n'avoir trouvé aucune trace des Voraces. Ils étaient soient très bien cachés, soit partis. Rien ne laissait non plus supposer que Velma ou Thomas, le soldat dont j'avais appris le nom hier-même, auraient survécus à l'assaut des prédateurs.
Nous prîmes la route sans tarder, dans l'objectif de rejoindre la passe de Jakob avant la nuit. Etant donné la situation des deux derniers jours, j'avais cru que ce trajet serait celui de tous les dangers, constamment harcelés par des hordes de monstres affamés mais nous n'en vîmes pas l'ombre de toute la journée. De fait, nous atteignîmes sans encombre les contreforts des pics gardant le val alors que l'astre déclinait dans le ciel rougeoyant.
— C'est curieux, » Me confirma la cheffe des rangers alors que nous approchions des grandes portes de fer. « Il n'est jamais aussi aisé de traverser à pied les terres du val. Magos, j'ignore ce qu'elles mijotent, mais ça ne peut pas être bon » Termina-t-elle sur le ton de la confidence.
— Cela va vous étonner, mais je suis entièrement d'accord avec vous. Je ne crois plus à la thèse du simple animal. Voudriez-vous connaître plus précisément mon avis à ce sujet ?
Elle hocha la tête.
— Je crois que la disparition de la psycher n'est pas un hasard. Il y a une possibilité assez forte que ces monstres soient sensibles aux énergies psychiques, et quand bien même j'ignore totalement en quoi, je commence à croire que la disparition de Velma sert un but.
— Alors elle aurait été…enlevée ?
— La possibilité vous étonne-t-elle ?
Elle réfléchit pendant un petit moment.
— A vrai dire, non. Ordmantel a vécu de nombreuses disparitions, et je doute que le gouverneur l'ait seulement admis à Van Copper.
— En plein cœur de la ville ?
— Oui. Je crois qu'au fond je n'ai jamais vraiment cru à la version que nous servait ce cul-satiné de gouverneur. Vous savez, lorsque vous sentez que quelque chose ne tourne pas rond, mais que vous vous forcez à croire que votre imagination vous joue des tours ?
Je hochais la tête. Pour être honnête, mon esprit et celui de mes semblables était conditionné à rejeter toutes les manifestations d'affect depuis les premières années sur les bancs des techno-universitae. J'étais encore trop jeune pour avoir modifié mes processus biologiques en conséquence, et faisait encore l'erreur de laisser certaines de mes émotions les plus fortes prendre le pas sur la logique mais la chose était dorénavant moins rare, et je ne ressentais plus suffisamment de confusion, de colère ou de joie pour que cela obscurcisse totalement mon jugement. Du moins, en général.
— Quelles sont les données qui interféraient avec sa version des faits ?
— La…nature des personnes qui disparaissaient. On est dans la bordure, bien loin de la civilisation, et vous pourriez croire qu'on est plus enclin à accepter les…bizarretés et les choses inhabituelles…mais vous savez, comme tout le monde, on pense que ça n'arrive qu'aux autres !
Elle fit une pause, comme pour rassembler ses souvenirs.
— Je me souviens de Vobgar, un simplet rejeté par sa famille à cause de petits événements étranges qui arrivaient autour de lui. Cette brave Yvette, qui avait un talent presque surnaturel pour réparer les souliers et les vêtements. Ouzhor Pandragor aussi ! Un fermier des plaines qui semblait deviner la météo, au point où ses voisins avaient l'habitude de sortir leurs bêtes quand il le faisait, et les rentrer quand il les rentrait…j'ai toujours cru qu'ils avaient été emportés parce qu'ils s'étaient juste retrouvés au mauvais endroit au mauvais moment.
— Ma connaissance des sciences psychiques est fortement limitée, mais je sais que sur un monde comme le vôtre, la présence de quelqu'un possédant un réel potentiel psychique relève de l'improbabilité la plus absolue. Je l'estime à moins de 0,0001%. Celle d'individus sensibles n'est cependant pas à exclure.
— Ils représentent un danger ?
— J'en doute. Dans l'écrasante majorité des cas, ils ne dépassent pas le stade de la sensibilité. Parfois, cela se transforme en un pouvoir incontrôlé, mais mineur.
— Aussi loin que j'me souvienne, nous n'avons jamais rien eu de tel ici. Pas le moindre événement inhabituel. Juste ces…petites choses bizarres sur de rares personnes.
Je pris un moment pour réfléchir.
— De là à dire qu'elles ont vécu un sort similaire à celui de Velma, il n'y a qu'un pas. Au vu de mes données, ce mobile est recevable, même si le but que ces bêtes recherchent reste un mystère qui me dépasse encore.
Une corne sonna au-dessus des remparts, et les portes s'ouvrirent en grinçant. La troupe sembla se détendre visiblement. Je ne pu compatir à leur soulagement.
— Je crois, madame, que quelque chose ici approche de son dénouement. Et aucun humain de cette planète ne devrait s'en réjouir.
De l'autre côté des portes, un groupe de miliciens nous attendait. Au milieu d'eux se tenait Grishin Poliovish, leur capitaine, et son air préoccupé n'annonçait absolument rien de bon. Il alla au-devant du légat et l'interpella.
— Monseigneur, je crois que nous avons un problème.
Le problème en question prit notre groupe de court. Dans les cellules du fort se trouvait une personne à laquelle nous ne nous attendions pas : Mickael. Les sutures de l'interrogateur s'était ouvertes, et il était bien trop alerte pour une personne qui s'était faite tirer dessus à peine quarante-huit heures auparavant. Il s'agitait de manière incontrôlée, en formulant des phrases incohérentes lorsqu'il aperçut Van Copper, il se jeta vers lui avec une lueur de folie dans le regard.
— Oscar ! Enfin ! Je savais que j'arriverais à te retrouver avant eux !
— Avant qui ? Bon sang, qu'est-ce qui se passe Mickael ? Je t'ai laissé couvert de blessures graves dans une infirmerie, et je te retrouve en cellule à vingt kilomètres d'Ordmantel !
Alors que l'infortuné secouait la tête en la tenant dans ses mains, comme s'il essayait d'en chasser quelque chose, le capitaine se pencha et murmura au légat :
— Il est arrivé il y a une demi-heure à peine, au volant d'un fourgon médical qui porte des traces d'impacts de balles. Je l'ai signalé à la ville, et ils m'ont indiqué avoir déjà envoyé une unité pour le récupérer. Ils ne devraient pas tarder.
— Ont-ils dit ce qui s'est passé ?
— Selon eux il a agressé plusieurs médecins et blessé gravement deux infirmiers. Monseigneur, il n'est clairement pas dans son état normal.
— Et je veux comprendre pourquoi. Ouvrez la porte de la cellule.
Le capitaine semblait peu enclin à obéir à cet ordre. Il regarda nerveusement vers ses hommes, puis vers les rangers, et ce fut Hillbilly qui mit fin à son hésitation.
— Ouvrez la cellule, Grishin. Nous le garderons à l'œil, vous avez ma parole.
Malgré sa réticence, il fit un signe de tête au geôlier, qui introduisit la clef pendant que les miliciens levaient leurs armes par précaution.
— Accompagnez-moi. » Exigea plus que ne demanda Van Copper. « Vous êtes le plus à même de lui fournir des soins, et peut-être votre œil avisé repérera-t-il quelque chose qui m'échapperait.
J'aurais dû être touché par cette confiance, mais cet aveu de faiblesse ne lui ressemblait pas. Tout comme le Konoride, il semblait affecté par les événements des derniers jours. La 'mort' de Velma et ce qui arrivait à Mickael était déjà suffisamment la preuve que quelque chose de dangereusement pourri sévissait sur cette planète, et j'étais de plus en plus contrit de mon initiale prudence. Mais pouvait-on m'en blâmer ? Nous pénétrâmes dans la cellule, Ordnat sur les talons, et ils refermèrent derrière nous. L'interrogateur s'était recroquevillé contre le mur du fond, et persistait à baragouiner en se frottant les tempes.
— Mickael, » commença le légat, « Parle-moi. Que t'est-il arrivé ?
— Ils ont voulu me tuer. » Dit-il suffisamment bas pour que nous soyons les seuls à vraiment entendre. « Non ! Enfin, ils ont voulu tuer mon esprit. Ces médecins, ils sont fous, ils injectent des choses aux gens, je les ai vu faire !
Sans crier gare, il saisit Van Copper par le col, et alors que le mercenaire allait s'interposer, il fut arrêté d'un geste de la main. La voix de Mickael était devenue un murmure sifflant.
— Cette ville, cette planète, ils sont tous contaminés par leurs expérimentations. Aucun n'est digne de confiance, il faut que vous partiez, que vous avertissiez les ordos !
— Que-t-on-t-il fait ?
Il sanglota.
— Ils m'ont injecté quelque chose…quelque chose de vivant. Je le sens ramper sous ma peau, il cherche à me dévorer le cerveau ! Vous devez m'aider…
Aidé par la force de mon exosquelette, j'aidais le légat à allonger l'infortuné interrogateur contre le mur, et cherchait à l'ausculter. La blessure à la clavicule était toujours rouge et enflée, et j'ignorais comment il surmontait la douleur. Celle à la cuisse s'était rouverte et laissait perler du sang sur le sol de béton. Pour couronner le tout, il était couvert d'estafilades, de bleus et de plaies récentes qui indiquaient qu'il s'était battu. Le sang sur ses mains se semblait pas être le sien, ce qui impliquait que son ou ses agresseurs ne s'en étaient pas sortis indemnes.
— Légat, » l'interpellais-je. « J'ignore ce qu'il lui ont fait, mais aucun de ses bandages n'a été changé. Tous ceux qu'il porte font partie des soins que je lui avais administrés il y a deux jours. Certaines de ses plaies sont des blessures de défense, et il a une série de sutures au niveau du cou qui n'étaient pas présentes à l'époque.
Van Copper fulminait, maintenant.
— Cet enfoiré de gouverneur…je ne vois pas comment il pourrait ignorer de telles ignominies. Il est forcément complice. Nous ne sommes plus en sécurité dorénavant, » Termina-t-il en adressant un regard entendu à Ordnat. Celui-ci raffermit la poigne sur son arme, et jeta des regards discrets aux hommes qui attendaient hors de la cellule. Certains des miliciens s'agitaient nerveusement, en regardant tour-à-tour les rangers et le groupe de l'Inquisition.
— Il semble en effet peu probable que le gouverneur ne soit pas de mèche. Mais rien ne dit que nous ne soyons entourés que d'ennemis. » Tempérais-je. « En outre, nous ne sommes pas en position de force.
— Je sais. Nous allons devoir la jouer fine.
Discrètement, il retira le cran de sureté de ses armes, imité presque immédiatement par le mercenaire, qui rêvait d'en découdre.
— Nous devons faire sortir Mickael d'ici, et nous frayer un chemin vers la ville. Le vaisseau de Godrille est normalement toujours en orbite, nous pourrons lui demander une extraction par vox longue-portée et repartir vers l'avant-poste du secteur.
Il se releva et se dirigea vers la porte.
— Ouvrez, j'en sais assez.
A nouveau, une hésitation de la part du capitaine. Mais alors que Van Copper fronçait les sourcils, une voix forte s'éleva de derrière les rangers, dans le couloir qui rejoignait les geôles.
— Il n'en fera rien !
Dans le même temps, une dizaine de miliciens de la ville, accompagnés de soldats du gouverneur, firent irruption dans la pièce en bousculant les gardes de la passe et les rangers, et pointèrent immédiatement leurs armes vers le groupe d'agents à l'intérieur de la cellule. Un grand homme engoncé dans une armure carapace entra, et adressa un regard satisfait à la situation qui se présentait sous ses yeux.
— Vous vous êtes surpassé, Grishin. Nous ne vous demandions que de garder ces traîtres à l'œil, et vous avez réussi à nous les servir sur un plateau. Le gouverneur sera ravi de votre coopération.
Le capitaine ne répondit pas, et tiqua lorsque Van Copper lui jeta un regard assassin.
— Traîtres ? Expliquez-vous ! Avez-vous la moindre idée des implications de vos accusations ?
— Silence ! Je n'ai pas d'ordres à recevoir de raclures telles que vous. Des pourritures qui profitent de notre malheur pour semer la zizanie et la confusion, et prétendent être venus nous sauver alors qu'ils tuent des citoyens loyaux et énervent les bêtes du val.
— Tout ceci ne fait absolument aucun sens. C'est votre négligence qui a déjà failli nous perdre, et une de mes agents est déjà morte pour votre misérable planète ! J'exige que vous nous laissiez sortir. Croyez-moi, l'Inquisition ne laissera pas son nom être trainé dans la boue, et ses agents être malmenés par des dissidents dont les actes confinent à l'hérésie !
Je dois bien admettre que l'autorité dont faisait preuve Van Copper avait ici un certain effet. Les rangers commencèrent à murmurer, et les miliciens de la passe s'agitaient en regardant avec appréhension leur capitaine, qui n'en menait pas large. L'Inquisition n'était pas une organisation qu'il fallait prendre à la légère, et ils le savaient. Cependant, les hommes du gouverneur ne bougèrent pas d'un cil, pas plus que le sergent qui les dirigeait.
— Pour que vous exécutiez des gens au nom de votre nouveau délire ? Nous ne cherchons qu'à vivre en paix avec les Voraces, et vous provoquez leur colère, mettant en danger toute la population de cette planète.
— A vivre en paix avec les voraces ? Avez-vous la moindre idée de ce que vous dites ? Ou peut-être avons-nous tous parfaitement entendu... cautionnez-vous ceci, rangers, qui mourrez depuis des années pour défendre cette planète, ou vous, miliciens de la passe, qui veillez la nuit pour qu'eux puisse dormir ?
— Expliquez-vous Marian ! » Maugréa Hillbilly en acquiesçant aux propos du légat. « Accusez-vous vraiment l'Inquisition de vouloir éradiquer ces monstres ? Ils nous tuent depuis des années, et vous voulez vivre en paix avec eux ?
— Je ne vous ai jamais appréciée, Sofia, et encore moins depuis que vous menez cette bande d'illuminés dans le val au nom d'une cause ridicule. Vous êtes les seuls à vraiment souffrir de leur présence, uniquement parce que vous ne pouvez vous empêcher d'aller leur chercher des noises, pour après vous plaindre d'en mourir.
Un grognement de colère parcouru les rangers, qui posèrent les mains sur leurs armes. Plusieurs miliciens les braquèrent immédiatement et plus d'un visait O'Connel, qui dépassait la porte d'une tête, et dont l'air énervé mettrait un Ork mal à l'aise. Par l'Empereur, si une fusillade éclatait dans un endroit aussi confiné, cela allait rapidement tourner au massacre !
— J'ai toujours su que vous étiez de profonds idiots, vous, votre armée de planqués et vos croyances ridicules. Mais là, vous poussez le bouchon un peu trop loin. » Siffla Hillbilly.
— Reculez, rangers. Sortez de cette pièce, ou je vous fais arrêter pour entrave à la justice.
— Vous pourriez toujours essayer…
La tension monta un peu plus, alors qu'aucun des deux groupes ne semblait enclin à calmer les choses. Puis la voix du capitaine Grishin s'éleva entre eux. Elle était mal assurée, mais franche.
— Allons ! Un peu de tenue ! Hillbilly, quel que soit le fin mot de cette histoire, vous devez bien admettre que ce qui s'est passé en ville est suspect. Cet homme devrait répondre de ses actes, agent de l'Inquisition ou non. » Il se tourna vers le légat. « Monseigneur, je suis profondément désolé de ce qui s'est passé, mais comprenez que je ne fais que suivre les ordres, et que je ne suis pas en mesure de juger ici qui est ou non dans le vrai. Acceptez de suivre le sergent Marian et de démêler la chose avec le gouverneur, s'il-vous-plait. Nous n'avons pas besoin d'en venir aux mains.
— Vous ne comprenez pas, capitaine. Si nous suivons le sergent, il n'y aura aucune justice. Je le soupçonne de verser dans un immonde complot dont je ne saisis pas encore toute la nature, et s'il vous reste encore une once de loyauté envers l'Empereur, vous vous opposerez à cette arrestation et m'aiderez à comprendre ce qui peut pousser un humain à éprouver autant de sympathie pour un xéno.
Les mots de Van Copper firent indubitablement mouche, car le capitaine ne sut quoi répondre et fixa le légat comme s'il y réfléchissait intensément.
— L'inquisiteur a raison, m'sieur ! » s'éleva une voix derrière lui, un des gardes de la passe qui assistait à la scène. « Pourquoi on aiderait ces types de la ville qui s'intéressent plus à leurs culs qu'au nôtres, plutôt que des gens de l'Inquisition ? Y sont là depuis seulement trois jours et y sont allés dans le val et en sont revenus vivants, alors qu'aucun de ces bouseux n'y a jamais mis les pieds !
— Tais-toi pauvre idiot, » Intervint un autre. « Tu veux te faire enfermer par la milice pour complicité, ou quoi ?
— Je crois que je préfèrerais, ouais, plutôt qu'exécuté par l'Inquisition pour hérésie. Z'avez la moindre idée de ce qu'ils font à ceux qui touchent à leurs gars ? Enfer, ils pourraient raser cette planète et nous avec, s'ils savaient qu'on a touché à leurs types venus pour nous aider.
— Et qu'est-ce qu'il vous dit qu'ils sont bien de l'Inquisition, hein ? » Coupa le sergent. « N'importe qui pourrait agiter un badge et exiger des choses à un endroit qui n'a même pas les moyens de savoir ce qu'il se passe dans le système d'à côté. » Ça, j'en étais sûr, ça avait froissé la susceptibilité du légat.
— Et qu'est-ce qu'ils feraient d'autre ici ? » Questionna le capitaine. « Ils ne nous ont rien extorqué, et l'un des leurs est mort dans le val…
— C'est ce que notre enquête révèlera. Ne vous laissez pas abuser par leur 'bonté' apparente. Ils ne sont pas ici par noblesse de cœur.
— Non, » Enchaîna Van Copper. « Nous sommes ici parce que notre devoir l'exige. Et nous serions venus même si nous avions su ne pas être les bienvenus.
— Ajoutez à cela que je ne fais pas partie de l'Inquisition, mais du Mechanicus. » Intervins-je au travers de la voix désincarnée du vox-transmetteur. « Et il est particulièrement difficile d'en parodier les adeptes. Mon apparence devrait être une preuve suffisante. Si vous ne croyez pas que le légat dispose de l'autorité inquisitoriale, croyez bien que l'Adeptus Mechanicus s'attend à un rapport de ma part. L'absence de nouvelles attirera irrémédiablement son attention sur votre planète, et mes supérieurs ne pardonnent pas plus facilement les dommages causés à leurs agents.
Les hommes de Grishin commencèrent à grogner et murmurer entre eux. Aucun ne semblait prêt à potentiellement s'attirer les foudres de deux institutions impériales. Chose qui, notais-je, ne semblait cependant pas déranger le contingent de miliciens. Le visage camouflé sous des cagoules de laine brune, ils maintenaient stoïquement leurs armes vers nous, indifférents au débat qui se déroulait autour d'eux. Ils n'avaient pas un seul instant levé le doigt de leur gâchette, et attendaient patiemment un ordre du sergent. Cette discipline quasi militaire serait admirable si elle n'était pas dirigée dans le mauvais sens. Leur zèle avait un aspect inquiétant ils se fichaient royalement de l'autorité impériale, ce qui laissait supposer qu'une forme de rébellion couvait dans les strates d'Ordmantel.
— J'en ai suffisamment entendu ! » Coupa le sergent d'un ton énervé. « Les gars, embarquez-les. Nous sommes à des années-lumière de la moindre planète impériale, et ici c'est l'autorité du gouverneur qui fait loi.
Les miliciens s'exécutèrent, pénétrant dans la cellule pour nous passer les fers. Ils nous intimèrent de poser nos armes, et c'est à cet instant que la situation bascula.
Mickael, dont nous avions presque oublié l'existence, poussa un cri d'horreur en les voyant approcher, et se rua sur l'arme de Van Copper avec la dextérité d'un desperado. Malgré ses blessures, sa vitesse d'exécution pris tout le monde de court. Sans même viser, il ouvrit le feu en mode automatique, tuant sur le coup l'un des miliciens, et blessant un autre. Les cinq suivants qui étaient entrés dans la cellule braquèrent leurs armes sur lui dans la foulée, et ouvrirent le feu avec avec discipline. Un vacarme assourdissant d'autofusils emplirent les murs, qui touchèrent leur cible près d'une vingtaine de fois. Ils manquèrent également de tuer le légat qui se trouvait terriblement proche de Mickael au moins deux balles l'atteignirent à la cuisse, et il s'écroula sur le côté avec un grognement de douleur.
— NON ! » Hurla Ordnat.
Lorsque celui-ci se joignit au bal, les miliciens réalisèrent qu'ils n'étaient pas prêt à affronter un professionnel surarmé et enragé. Dès les premiers coups de feu, le fusil d'assaut SSK-9 parfaitement entretenu faucha trois d'entre-eux avant qu'aucun ne puisse réagir. Ils s'écoulèrent instantanément, tués sur le coup par des tirs d'une précision mortelle. Ceux qui eurent le temps de rediriger leurs armes arrosèrent l'emplacement du mercenaire, mais celui-ci, qui avait parfaitement anticipé leur réaction, s'était déjà jeté de côté et aucun ne le touchèrent.
Au-dehors, la situation avait changé également. Les miliciens, qui s'étaient désintéressés des rangers pour se joindre à la fusillade, ne comprirent leur erreur que bien trop tard. Avant qu'ils n'aient pu tirer un seul coup de feu, cent-cinquante kilos de muscles leur rentrait dans le lard d'un coup d'épaule qui avait assez de largeur pour bousculer trois d'entre-eux. O'Connel avait visiblement pris sa décision, et il fut rapidement suivi par ses compagnons. Dégainant leurs poignards de combat, les rangers se jetèrent dans la mêlée, avantagés par l'initiative de l'attaque et l'utilité des armes blanches dans un espace aussi restreint.
Tristement, l'incertitude des gardes de la passe leur coûta cher. Moins habitués à la violence que les rangers, et paralysés par ce déferlement soudain et inattendu, ils ne comprirent pas tout de suite pourquoi certains d'entre eux tombaient sous les balles avant de réaliser que les miliciens avaient probablement l'ordre de tuer tout le monde si quelque chose venait à s'envenimer. Grishin mourut le premier, emporté par un coup au torse et un suivant à la trachée, et deux autres s'effondrèrent avant que les survivants ne se jettent derrière des tables et des pans de murs pour se mettre à couvert.
La fusillade devint soudainement générale. Dans une pièce qui n'était pas bien grande ni bien large, nous étions en sous-nombre par rapport aux miliciens, mais l'effet de surprise avait joué en notre faveur. Avec adresse je dégainais mon arme, sans me laisser intimider par la fulgurance de l'instant car après tout ce n'était pas mon premier échange de tirs. Alors qu'au moins deux des hommes du gouverneur braquaient leurs armes sur moi, ils eurent la surprise d'expérimenter la modification dont je l'avais affublée, et qui m'avait déjà sauvée auparavant dans de pareils cas. Avec un bruit particulièrement sonore, la balle Ripper les propulsa en arrière et ils s'écrasèrent sur les barreaux avec un craquement évocateur. Si le traumatisme ne les avaient pas tués sur le coup, la neurotoxine allait s'en charger dans les instants qui suivraient, alors je me désintéressais d'eux pour me concentrer ailleurs.
Bien mal m'en pris, car plusieurs balles volèrent vers moi et s'écrasèrent sur l'exosquelette, déclenchant des alarmes système et des avertissements d'intégrité structurelle. Leur calibre n'était pas suffisant pour percer l'alliage métallique, mais avec assez d'acharnement, il était parfaitement possible de l'endommager afin qu'il ne me protège plus aussi efficacement. Je m'abritais promptement, constatant avec étonnement que malgré leurs blessures, la neurotoxine ne semblait pas faire effet sur eux. Ils continuèrent à tirer pendant encore quelques secondes, et le cadre du lit en ferraille qui meublait la cellule encaissa leurs tirs maladroits. Enfin, après bien plus de temps qu'il n'en aurait fallu, ils se tortillèrent douloureusement sur le sol et cessèrent de bouger.
Du côté des rangers, la mêlée qui les opposait aux hommes du gouverneur était devenue confuse. Forgés par plusieurs années d'expéditions dans le val et habitués aux réflexes qu'il était nécessaire de déployer pour lui survivre, ils en montraient aux miliciens, plus habitués à du tir sur cibles fixes qu'à la neutralisation de combattants expérimentés à des distances de corps-à-corps. Mais certains réagissaient à l'assaut des rangers en leur opposant des salves sans pitié qui fauchaient leurs propres camarades, derrière lesquels leurs assaillants se cachaient en comptant sur le fait qu'ils n'oseraient pas tirer dans le tas au risque de blesser des alliés.
Pendant un instant, l'incertitude pesa sur l'affrontement, mais les pertes que les miliciens avaient subies étaient trop grandes. Le choc passé, les gardes survivants s'étaient joints au combat, aidés par le fait qu'ils étaient beaucoup moins la cible de tirs depuis que la mêlée avec les rangers étaient devenue particulièrement préoccupante. D'un coin de la pièce, Murmure abattait avec une précision et une méthode effroyable les miliciens qui semblaient présenter plus de danger que les autres, et bien que tout semblait perdu pour eux, aucun ne chercha à se rendre ou à battre en retraite.
Un autre coup de ma part en plein cœur de leur formation envoya au sol la majorité des survivants, sonnés par la force cinétique de l'impact. Dans la foulée, Marian fut blessé par un coup de pistolet au ventre, et il ne resta bientôt plus que lui, entouré des corps sans vie ou trop blessés pour se battre de ses hommes.
Aussi brusquement qu'elle avait débutée, la fusillade prit fin. Une quinzaine de miliciens avaient trouvé la mort, ainsi que deux rangers et trois gardes. Les blessures étaient nombreuses dans tous les camps, et O'Connel saignait en de multiples d'endroits, car il avait été une cible privilégiée mais son armure corporelle avait visiblement encaissé le plus grave. Une balle avait éraflée le crâne d'Hillbilly et du sang lui coulait d'une blessure à l'épaule. De notre côté, le gilet pare-balle d'Ordnat avait pris de méchants coups et il soufflait bruyamment, sonné par un tir en plein torse. Mickael, quant à lui, n'avait pas survécu, et le légat saignait abondamment de ses blessures à la cuisse.
La situation était devenue particulièrement misérable.
Il fallut de longues minutes pour que tout le monde rassemble ses esprits. Les miliciens survivants furent enchaînés, et leur sergent qui était légèrement blessé au côté du torse reçu le même traitement. La plupart des gardes de la passe restaient choqués par ce qui venait de se passer. Non seulement leur capitaine avait trouvé la mort, mais leurs propres concitoyens avaient ouvert le feu sur eux sans y réfléchir à deux fois. Je me penchais sur un des miliciens morts pour l'ausculter, pendant que les rangers s'assignèrent la tâche de sécuriser le fort. Des coups de feu retentirent rapidement dans les couloirs, alors qu'ils rencontraient le reste du contingent amené par Marian.
— Mes hommes vont se charger de ces rigolos, » Commenta Hillbilly après avoir terminé de missionner les gardes, qui partirent soutenir la contre-attaque et rassembler ceux des leurs qui étaient encore vivants.
— Vous avez notre gratitude, ranger. » La voix de Van Copper restait stoïque alors qu'Ordnat bandait ses blessures. « Sans votre intervention, j'ignore comment nous nous en serions tirés. J'espérais votre soutien, même si je ne m'attendais pas à ce que les choses dérapent aussi vite.
— Moi non plus. » Dit-elle en regardant avec tristesse le corps de Grishin, pudiquement recouvert d'une veste. « M'est avis qu'à peu de choses près, nous aurions reçu un traitement similaire. Grishin ne méritait pas de mourir comme ça. C'était un brave homme, et il nous traitait mieux que beaucoup de ses prédécesseurs.
Son regard se tourna vers Marian, et il se fit aussi dur que du plastacier. Elle sortit son pistolet et marcha vers lui.
— Maintenant sergent, il est temps de vous expliquer, et de nous épargner vos petits mensonges. Croyez bien que j'aurais encore moins de scrupules à vous mettre une balle dans la tête que vous n'en avez eus pour le capitaine.
— Tuez-moi si ça vous amuse, » Répondit-il avec un insupportable sourire narquois, « Vous n'empêcherez pas ce qui doit arriver.
— Et qu'est-ce qui doit arriver ?
— Bande d'imbéciles. Vous et votre petit groupe de tarés avez cru pouvoir faire quoique ce soit contre ce qui vivait dans le val ? Personne ne le peut. Dans votre stupidité, vous pensez que la violence est la seule solution.
J'avais entrepris de découper délicatement la cagoule brune qui recouvrait le visage d'un des miliciens, étrangement fixée afin qu'il ne soit pas possible de la retirer. Ce que je découvris en dessous me pétrifia un instant.
— Hillbilly, légat, vous devriez venir voir ça.
Soutenu par le mercenaire, Van Copper arriva en clopinant, suivi par la ranger. Je retirais ce qui restait de la cagoule pour révéler le visage du mort. Hillbilly hoqueta de surprise, décontenancée, alors que le légat fermait les yeux en poussant un soupir de lassitude.
Il était difficile de dire si cette chose était vraiment humaine, ou l'avait été un jour. Sa peau était d'une pâleur rougeâtre, sauf autour des yeux, et semblait avoir durci à de nombreux endroits. Ses dents étaient pointues, et il était recouvert de difformités diverses et variées, comme une absence d'oreilles, un front plus protubérant et un nez fondu sur son arête. Je lui ouvris la bouche pour découvrir que sa langue était anormalement longue et que la chair des gencives était violette.
— C'est quoi, ça ? » Questionna Hillbilly une fois le choc passé.
— Pour ce que je comprends, il semblerait que cet…homme ait subi de nombreuses mutations.
Un rire bruyant s'éleva du sergent.
— Il était plus proche de la vérité qu'aucun d'entre vous !
— Et quelle est cette vérité ? » Grogna Van Copper à son intention. « Un pacte interdit avec une entité démoniaque ?
— Vous ne comprendriez pas même si je vous l'expliquais. Votre esprit de chien-chien impérial est trop étriqué pour appréhender de nouvelles possibilités.
— Il est suffisamment acéré pour ne pas chercher à ressembler à pareille horreur, et si c'est votre conception de la stupidité, je l'accepte avec joie.
L'observation de sujets ayant subi l'influence du warp était un domaine particulièrement tabou dans les sphères du Mechanicus, et la Logia biologis ne le faisait qu'en cas de dernier recours. Les livres traitant de telles expériences étaient parmi les plus difficiles à obtenir, et sachant que beaucoup d'hereteks étaient tombés dans les griffes des puissances de la Ruine à cause de ce genre de connaissances, c'était à raison. Ainsi, les bioperfectors prenaient un soin tout particulier à ce qu'il ne soit jamais formulé la seule pensée qu'une mutation induite par le Chaos puisse être d'une manière ou d'une autre un moyen scientifique d'atteindre l'apothéose biologique. Je n'en étais pas au point de me poser ce genre de questions, mais celle qui me venait actuellement à l'esprit était que bien que grotesques, ces mutations n'avaient pas le caractère particulièrement repoussant et surnaturellement dérangeant que semblait posséder ces dernières. Sa peau n'était pas couverte de tatouages et d'atrocités, et les changements avaient l'air étonnamment…naturels.
— Et pourtant, il n'est rien de ce que vous voudriez qu'il soit. Nous ne sommes pas souillés par le warp, et nous ne le serons jamais. Les Maîtres du Grand vide nous en préservent.
— Ranger, » Souffla Van Copper, « Ne perdons pas trop de temps à écouter ses inepties. La ville n'est plus sûre. Nul endroit ne l'est à présent, hormis le fort. Nous devons nous préparer à ce que la menace vienne autant du val que des plaines.
— Vous avez un plan ?
— Survivre. Je crains que nous ne soyons plus en mesure de sauver cette planète, pas sans le renfort des Ordos et de la Garde Impériale.
Marian commença à rire, puis s'étouffa en crachant des petites bulles de sang. Avant que quiconque ne puisse y faire quoi que ce soit, Van Copper dégaina son revolver, et l'exécuta soudainement sans autre forme de procès. Le coup de feu résonna longuement entre les murs, sous les regards des rangers et des gardes.
— Ses crimes n'appelaient aucune forme de rédemption. » Il rangea nonchalamment l'arme fumante, et se campa devant le public. « J'ai l'intention de purger cette planète de l'hérésie qui l'habite, et en l'absence d'une plus haute autorité inquisitoriale compétente, je la déclare dorénavant sous ma juridiction. Messieurs, madame, je m'attends à votre coopération entière et complète. Votre dévotion dans cette tâche sera comme un plaidoyer pour le salut de vos âmes, et soyez assurés que j'en prendrais bonne note. Lorsque les forces impériales poseront le pied sur cette planète afin de la reconquérir, vous aurez mes faveurs et ma protection.
L'audience ne pipa mot, résignée à ce que le légat choisisse de prendre ainsi les choses en main, et même Hillbilly ne trouva rien à y redire.
— Bien. Nous avons beaucoup de travail. Ranger, il y-a-t-il un vox-transmetteur ici ?
— Oui. Mais il n'est qu'à ondes courtes.
— Ce ne sera pas un problème. Mettez la garde sur le pied de guerre. Dressez des défenses vers la plaine, et rassemblez vos meilleurs hommes. Ordnat ? Nous allons nous occuper de Mickael, puis tu iras modifier ce vox pour qu'il puisse capter les transmissions d'orbite. Magos, je m'attends à ce que vous nous aidiez à la défense du fort.
Je hochais la tête, distrait par d'autres pensées. Des pensées entêtantes tournées vers la psycher, et son implication dans toute cette histoire. Sa disparition avait un rôle à jouer dans ce grand tableau, et j'ignorais toujours pourquoi, mais la certitude que son rôle y était important s'ancrait de plus en plus profondément en moi, à l'opposé de toute logique. Peut-être le sergent aurait-il pu m'apprendre quelque chose ? Quoiqu'il en soit, c'était hors de question, à présent.
Mickael fut déposé dans un sac mortuaire et emmené à la morgue, une petite pièce profondément enchâssée dans la falaise. Ordnat et le légat y menèrent une cérémonie funèbre informelle à laquelle ils ne convièrent personne d'autre. Pour être honnête, je n'avais pas assez connu le pauvre homme, et il ne m'avait jamais inspiré la moindre sympathie, alors je leur laissais volontiers honorer ce lien qui les avait unis et vaquait à mes propres préoccupations. Ainsi, c'est dans l'idée de réquisitionner une annexe de l'infirmerie que je rencontrais leur medicae.
— Il y a quelqu'un ? » Avec l'aide des indications de quelques gardes, j'avais trouvé l'unité médicale installée dans les sous-sols. C'était une pièce de lithobéton et de faïence abimée. Le sol stratifié et antidérapant portait de nombreuses marques brunes, montrant que le nettoyage n'était pas forcément la priorité de son occupant. Mais je ne m'attendais pas à ce qu'un simple praticien de la bordure respecte les standards de stérilisation et de propreté en vigueur dans les bio-labs de ma logia, donc je devais imaginer que c'était relativement normal pour un tel endroit.
L'homme qui leva la tête vers moi devait avoir une soixantaine d'années. Il semblait jusqu'ici absorbé par un travail qui requérait de porter d'énormes lunettes grossissantes et un masque récupéré dans des stocks du Death Corps de Krieg. Mon compteur de toxicité grimpa et m'alerta d'une présence en très faible quantité de toxines neurologiques. Pas assez pour empoisonner quelqu'un, mais assez pour impacter l'esprit en cas d'exposition prolongée. Je remarquais la présence de nombreux bocaux remplis de substances exotiques, qui me rappelèrent ce qui se trouvait dans les bassins de digestion Voraces, ou dans les veines de leurs tunnels infernaux.
En me voyant, il sursauta, sur la défensive. Son équipement s'agita comiquement, lâchement fixé dans ses attaches.
— Vous ! Vous êtes venus me faire taire ? Détruire mon travail ?
J'ouvris des yeux ronds, bien qu'il ne puisse pas les voir. Il avait une voix vieille et forte, pleine d'une résolution folle. Visiblement, il connaissait ma fonction et savait le zèle du Mechanicus à traquer ceux qui pensaient pouvoir égaler leur savoir-faire.
— Pourquoi ? Aurais-je raison de le faire ?
— Non ! Peut-être ? Mon œuvre va révolutionner la science et nous propulser vers de nouvelles frontières !
— Vous n'êtes pas le premier à revendiquer de telles ambitions. » Répondis-je en avançant vers lui. « Et ne seriez pas le dernier à être bercé d'illusions, ou à en mourir.
Il recula précautionneusement et enclencha un mécanisme de ventilation qui peina à purger l'air de la pièce, puis retira son masque pour dévoiler un visage creusé de cernes. Sa moustache blanche et sale s'agitait avec nervosité.
— Est-ce une menace ?
— Non. Quel que soit votre travail, il ne m'intéresse pas. J'ai simplement besoin de votre coopération pour mener à bien une expérience.
— Et quelle que soit votre expérience, elle ne m'intéresse pas non plus. Si vous devez réquisitionner quelque chose, faites-le. Je ne pourrais pas vous en empêcher, de toute manière.
— Ne soyez pas si prompt à en juger. Votre aide sera également requise, car j'ai l'intention de procéder à une autopsie, et il me faut un assistant.
Malgré ses grommèlements ennuyés, je devinais que le vieil homme entretenait une inquiétude viscérale envers mon institution, ce qui le maintint au pas par je-ne-sais quelle peur qu'il s'était créé tout seul à force de respirer les vapeurs nocives de ce laboratoire mal ventilé. De simples coups d'œil ne me permirent pas de deviner ce qu'il tentait de réaliser au travers de ses propres expériences, mais je doutais qu'il soit en capacité de préparer quoi que ce soit de dangereux avec le peu de matériel qu'il avait à disposition. Quoiqu'il en soit, j'avais de plus importantes préoccupations.
Je fis transporter le corps par deux rangers, qui surmontèrent leur révulsion le temps de l'amener sur l'un des lits métalliques de la morgue. En apercevant l'objet de l'expérience, le vieux praticien avait ouvert des yeux ronds, et, tel que je me l'étais imaginé, manifestait maintenant un intérêt pour ce que nous allions en faire. Ses propres obsessions semblaient intimement liées aux monstres du Val, alors cette anomalie de la nature recoupait d'une manière ou d'une autre ses recherches, quelles qu'elles soient.
— Début de l'enregistrement, » Annonçais-je au monocrâne qui me servait de scribe automatisé. « Magos Genetor Igniatus Biel-Tan, planète Dalis Terce du secteur Termina, 215ième jour de l'année Solaire 742. 13:15. Objet de la procédure Dissection d'un mutant humain d'origine xénos. Analyse génétique en cours. Age du sujet Inconnu. Estimation entre 30 et 40 ans. Taille un mètre et neuf cent vingt-huit millimètres. Cause du décès observations externes : blessures de trois balles d'autofusil à l'abdomen, impact au plexus solaire, pas de traces d'hémorragie externes car la coagulation a visiblement été très rapide. Supposition : hémorragie interne par perforation des poumons. Il est fort probable que l'impact au plexus solaire aie recroquevillé les côtes, qui ont transpercé les poumons du sujet. Malgré sa résilience, il se sera noyé dans son propre sang, théorie appuyée par la présence d'expectorations sanguines qui ont voyagé par l'œsophage pour être rejetées au travers de la bouche. Cependant, nous ne chercherons pas à établir la cause du décès, car elle est superflue. Je m'intéresse à une observation des organes internes, et à une dissection précise de la base crânienne sous-occipitale à sa jonction avec la vertèbre atlas pour étaiement d'une théorie. Docteur ? Scalpel.
Il me tendit diligemment l'outil stérilisé, et je commençais à pratiquer une taille aussi propre et nette que pouvait me l'avoir enseignées les années de pratique. Un tel travail ne m'effrayait pas le moins du monde, et l'outil parfaitement aiguisé rendait les choses aisées. Malheureusement, je ne disposais pas d'augmentiques de précision, alors mon servo-bras se contentait de tourner au-dessus de la scène en attendant une requête.
— En note préliminaire, indiquez que la peau est d'une pâleur violacée. Elle présente des caractéristiques physiques proches d'un cuir souple, qui se durcit à de nombreux endroits stratégiques articulations, torse, front, dos. Bien que de telles mutations soient utiles pour se protéger d'une lame ou d'un coup contondant, elles étaient insuffisantes face au calibre supérieur d'une arme impériale de bonne facture. Quand bien même, la précision organique de ces modifications me fait exclure toute trace de corruption chaotique, qui s'embarrasse généralement assez peu d'une efficacité biologique, et qui se contente d'être grossière, laide, et volontairement choquante. Le fait est que cet…homme, a été génétiquement altéré pour être un combattant plus efficace par une entité inconnue. Fort heureusement, mon équipe inquisitoriale était composée de soldats aguerris, ce qui nous a permis de compenser par l'expérience ce que nous n'avions pas en termes d'avantages génétiques.
— Bien. Le torse est ouvert pour observation du médiastin, et je peux confirmer que les os thoraciques ont été brisés par l'impact de la balle. Deux autres ont perforés les organes sous-thoraciques, bien que les dégâts soient visiblement moindres. Note : le sujet ne disposait pas de côtes flottantes. Toutes les côtes, de la deuxième à la douzième, ont été reliées par des excroissances transversales afin d'augmenter la solidité du torse. Leur solidité ne semble pas équivaloir celle des côtes naturelles, et elles conservent une certaine souplesse, probablement pour ne pas gêner la respiration. Cependant, la destruction du plexus solaire, qui perd ici presque totalement son intérêt de jonction, a provoqué trop de dégâts. De multiples morceaux de côtes ont transpercés les poumons, qui se sont rapidement remplis de sang. J'estime qu'un calibre moindre, comme celui d'une arme de poing ou d'un automatique léger, n'auraient sans doute pas pu morceler suffisamment les os pour provoquer des dégâts mortels, ce qui rends cette défense des organes internes plutôt efficace.
Avec un geste de la main, j'intimais au docteur de me passer la scie électrique, puis entamais le découpage des os restants. Il eut la charge de retirer les morceaux pour les mettre dans des coupelles métalliques.
— En parlant des organes, je détecte un certain nombre d'altérations que je prendrais soin de lister en fin de rapport, car elles nécessitent des observations approfondies. En apparence, ils sont identiques à ceux d'un humain normal, bien que le cœur soit légèrement plus large, plus fort et plus épais. En contrepartie, le poumon gauche est plus petit, mais leur structure alvéolaire me semble modifiée pour augmenter l'efficacité d'oxygénation du sang. En outre, si je me base sur la difficulté rencontrée à scier le manubium, sa structure osseuse a subi un changement plus général de densité afin d'en accroître la résistance. Mais pour autant, la plupart des modifications me semblent…incomplètes. Il y a des jonctions néosseuses manquantes, comme entre la 8ième et la 9ième côte droite, car elles semblent se concentrer aux endroits vitaux, comme la zone du cœur. Je suppose qu'elles auraient dû s'étendre ensuite aux zones secondaires, ce qui me laisse à penser que le processus n'est que partiel. Volontairement, peut-être ? Au point où ce sujet en était, procéder à plus de changements obligerait sans doute à effectuer des modifications physionomiques radicales, ce qui les rendrait détectables et empêcherait le sujet de se fondre dans le décor d'une ville humaine.
— Analyse génétique terminée. Affichage des résultats. » Ronronna le génocogitateur.
— Parfait. Les données seront jointes au dossier, mais je vais en profiter pour partager mes observations en la matière. Docteur, videz les organes et placez-les dans des bocaux de conservation en attendant. » Sans rechigner, il s'attacha à découper les veines et les nerfs avec une certaine habileté, pendant que je m'abandonnais à l'observation des résultats. Ses compétences de Medicae n'avaient donc pas souffert de ses lubies.
— Mh. Mes suppositions sont correctes. L'ADN ressemble toujours pour 98,88% à celui d'un humain normal, mais a été altéré par un processus étranger pour provoquer le développement de ces…mutations. Il présente, comme pour celui des Voraces, une suractivité de ses enzymes et de ses ribozymes afin de décupler leurs propriétés catalytiques. J'estime que la vitesse de transformation n'excède pas trois à quatre semaines. Nous avons affaire ici à une transgénèse d'un niveau à faire rougir nos plus savants Magi. Reste à savoir, qui en est le responsable ? Pour un tel niveau de modification, il faudrait un agent extérieur d'une complexité quasi-inenvisageable ou plus probablement, l'utilisation d'un parasite afin d'effectuer des changements internes par microinjections cellulaires. Heureusement, je dispose pour ce cas d'une piste à explorer.
Sur un signe de tête, le vieux docteur, qui avait fini sa part d'opération, se positionna de l'autre côté du corps. Nous le retournâmes aussi délicatement que possible afin de le placer sur le dos, et le drain de table commença à se remplir d'une grande quantité de sang.
— Les analyses sanguines sont toujours à effectuer, mais j'observe qu'il est riche et épais, signe d'une forte présence de globules rouges et de plaquettes. De fait, il me semble hypercoagulant, ce qui coïncide avec le fait que le sujet ne soit pas mort d'une hémorragie externe alors qu'il en avait parfaitement la possibilité. Je vais procéder à des incisions précises dans le rachis, au sommet de la nuque, là où se trouve une trace à peine visible d'opération chirurgicale antérieure.
Avec délicatesse, j'entamais la chair de la nuque en suivant les anciennes cicatrices, qui n'étaient plus que de minces replis de peau indiscernables. Peut-être était-ce dû à une guérison accélérée, mais un œil autre que le mien aurait eu bien du mal à les remarquer autrement. Celui qui avait pratiqué les premières incisions était visiblement versé dans la chirurgie opératoire, ce qui renforçait ma conviction que l'hôpital d'Ordmantel était, à un degré ou un autre, impliqué dans le processus. Ce pauvre Mickael s'était sorti d'un piège pour tomber dans un autre, plus grand encore.
— Suivre les traces de la précédente opération semble mener à la jonction craniocervicale. Le premier chirurgien s'est gardé d'endommager les trapèzes supérieurs et les muscles splénius en les écartant, afin d'épargner au maximum la ceinture musculaire du cou, ce qu'il a parfaitement réussi. Nous n'en sommes pas à prendre de telles précautions, aussi vais-je inciser les muscles afin d'accélérer le processus.
Couper les muscles se révéla un peu plus difficile que prévu. Comme pour le reste du corps, ils avaient augmenté en densité, mais rien qui ne soit impossible de faire avec un scalpel parfaitement aiguisé.
— Voilà. Clamps. Merci. Je vais écarter et…oh.
Niché entre deux replis musculaires et accolé à l'occiput, un petit organisme s'accrochait à l'aide de vrilles qui s'enfonçaient entre les vertèbres et glissaient jusqu'au cerveau. Il avait une couleur d'un mauve profond parsemé de teintes plus claires, très semblables à ce qu'étaient devenues les chairs tendres de son hôte.
— Notez que ma théorie du parasite est confirmée, et qu'il se trouve où je le pensais. C'est un organisme inconnu ayant une structure annelée et de longs appendices très fins dont j'estime qu'il se sert pour s'accrocher et se connecter à l'hôte. En temps normal, il est probable que tenter de le retirer ne mène à la mort du sujet, tant ces connexions semblent profondément enchâssées dans le rachis et son bulbe cérébral, mais la prudence n'est ici plus de mise. Je vais procéder à son ablation pour étude ultérieure. Docteur ? Apportez un contenant stérilisé.
Au premier appendice découpé, j'aperçu des frissons parcourir l'organisme, et stoppais un instant. Peut-être un réflexe nerveux post-mortem ? Mes ciseaux de précision en attaquèrent un autre, ce qui déclencha la même réaction. Cette fois-ci cependant, les frissons ne cessèrent pas, et je dû me rendre à l'évidence : cette chose était toujours vivante.
— Malgré l'état de dépendance qui caractérise la majorité des endoparasites cavitaires, celui-ci semble être capable de survivre à la mort de son hôte. Couper certaines de ses vrilles l'a réveillé, et j'ignore comment il va réagir. Je vais tenter de simplement le retirer en tirant dessus avec les clamps.
A ma grande surprise, il n'y eut presque aucune résistance de la part du parasite, qui se laissa emporter sans protester. Promptement, je l'enfermais dans le bocal que me tendit le docteur, et il y resta sans chercher à s'enfuir.
— L'organisme a été retiré, et j'effectuerais un rapport futur sur mes observations à son sujet. L'autopsie a été un succès et réponds à beaucoup de mes questions concernant les Voraces et leur influence sur la ville d'Ordmantel. Cette espèce est capable de bien plus que nous ne le pensons, jusqu'à contaminer des humains d'une manière que j'ignore, afin de les soumettre à leur volonté. Mes premières observations d'humains contaminés, avant même les changements physiques, est que même s'ils sont réfractaires, le parasite semble capable d'influer sur leur comportement afin de les rendre malléables et obéissants, par la torture et la contrainte psychique s'il le faut. L'interrogateur Mickael de l'Ordo Xenos l'aura appris à ses dépens, et même un agent aussi résilient que lui n'a que difficilement résisté à l'influence du parasite qui lui a été subrepticement inséré. A l'heure de ce rapport, il est mort en déclenchant une fusillade avec les humains contaminés de la garde civile dans un accès de délire psychotique, l'une des victimes étant mon sujet d'autopsie. Clôture du dossier.
Au cours des heures qui suivirent, l'activité dans la forteresse s'intensifia. La fin de journée approchait et Van Copper estimait que les mutants rebelles tenteraient une attaque à la tombée de la nuit. De son côté, Ordnat pensait pouvoir accéder aux communications Vox vers l'espace d'ici le lendemain matin, ce qui laissait entrevoir une extraction dans la journée suivante, pour peu qu'Ursuna n'aie pas quitté prématurément l'orbite et comprenne l'urgence de la situation. Beaucoup de soldats de la passe eurent besoin qu'elle leur soit expliquée, car le fait de tourner leurs armes ailleurs que vers le Val était particulièrement déroutant. Devoir tirer sur les citoyens qu'ils avaient juré de protéger en gardant cette passe avait un profond parfum de tristesse, surtout lorsqu'ils comprirent que d'une certaine manière, leur veille avait été vaine.
L'accès sud n'avait jamais été prévu pour être fortifié. Bien que la possibilité que les Voraces creusent des tunnels vers les plaines ait été envisagée, leur passivité au cours des dernières années a amené la Passe à abandonner les plans visant à contrer un contournement de leur part, surtout étant donné que personne ne leur accordait assez d'intelligence pour un tel stratagème. Heureusement, à cet endroit du canyon, le passage était étroit, alors envisager de le faire ne présentait pas de défi majeur. En la matière, l'aide d'Ordnat fut précieuse. Konor, sa planète d'origine, à l'époque où il n'était encore qu'un sous-officier des FDP, traversa la pire crise de son histoire, et ses cité-ruches furent assiégées pendant plusieurs mois par une violente sécession. L'intensité des combats urbains fut sans commune mesure dans l'histoire du sous-secteur, et la férocité des Konorides loyalistes leur permit de tenir avant l'arrivée de la Garde, malgré le désavantage de la surprise et le nombre des rebelles. Humiliés par la trahison de leurs concitoyens, les loyalistes s'étaient joints à l'impitoyable purge qui s'ensuivit, et la planète devint une sorte de cimetière qui, à ce jour, ne s'était jamais remis de la guerre. Beaucoup de Konorides quittèrent alors leur monde natal pour rejoindre les régiments impériaux d'absolution ou de féroces compagnies de mercenaires. Aujourd'hui, leur réputation était connue du sous-secteur entier, et leurs services étaient souvent requis lorsque l'efficacité était de mise. Que l'un d'entre-eux soit au service d'un inquisiteur ne m'avait pas surpris outre-mesure.
Ordnat prit en main l'organisation des défenses, et Van Copper reforma la structure hiérarchique des Gardes pour qu'elle survive à la disparition de Grishin. Les rangers eux-mêmes acceptèrent le commandement temporaire du légat, et travaillèrent de concert avec les hommes de la Passe pour établir un périmètre solide prêt à encaisser une agression de la part des rebelles. Des barricades furent dressées au-devant de tranchées et face à des pièges pour ralentir la progression des assaillants et bloquer leurs véhicules. Certaines mitrailleuses furent déplacées des fortifications pour couvrir le sud, et les rangers placèrent des mines artisanales à divers endroits stratégiques. Le mercenaire choisit de poser la première ligne à une centaine de mètres du fort, là où une particularité du terrain faisait s'élargir le canyon sur une trentaine de mètres. A cet endroit, il était possible de créer un champ de tir qui profiterait aux défenseurs. En cas de problème, la retraite vers la deuxième ligne au niveau du fort ne serait pas bien difficile.
Pour ma part, j'avais promis d'aider à la défense du fort, mais pas à sa préparation, alors je profitais du temps qui me restait pour continuer mes recherches. Mais c'est alors que j'étais à travailler sur les résultats de l'expérience que tout changea.
Cela commença d'abord par un sentiment de malaise grandissant, comme si l'on vous chatouillait délicatement l'intérieur du crâne en soufflant dessus. Dans son bocal, le parasite s'était mis à gigoter en tous sens, rendu fou par cette même sensation. Rapidement, j'avais compris que je n'étais pas le seul affecté par cet étrange événement, car McAcky s'était levé de ses propres bocaux avec ce regard qui en disait long. Il se gratta le front pour s'en débarrasser.
— Vous sentez ça ? Je sais que vous sentez ça. Et on dirait que notre nouvel ami aussi.
— Alors j'ignore comment, mais les Voraces sont impliqués. Il faut que j'aille voir le légat.
A cet instant, la sensation devint plus forte, alors qu'une sorte de vague nous traversait le corps. Mais bien que le sentiment ne soit pas naturel, j'avais l'impression qu'il ne portait rien de nocif. Juste une démangeaison anormale et persistante. Je résolu de laisser mes occupations en l'état pour en parler à Van Copper.
Tous les gardes et rangers que je croisais n'avaient que cette étrangeté à la bouche. Certains semblaient plus affectés par d'autres, sans que cela ne devienne réellement insoutenable. Pour ma part, j'avais le sentiment qu'il se passait quelque chose de bien plus grave, et que nous n'en ressentions que les prémices. O'Connel, pour sa part, déplaçait des caisses de matériel en fumant un cigare à l'odeur atroce, sans manifester la moindre gêne. Je pris le temps de lui demander de trouver Hillbilly et de me l'envoyer, en lui précisant que c'était important.
Trouver le légat ne fut pas bien compliqué. Il utilisait les haut-parleurs du fort pour inciter au calme, ce qui me dirigea vers le centre de contrôle. Lorsque je pénétrais dans celui-ci, l'agitation était un peu retombée, mais l'inquiétude se lisait toujours sur les visages. Van Copper se dirigea vers moi dès qu'il m'eut aperçut, espérant, je suppose, que j'apporte une explication au problème.
— Magos, que se passe-t-il ? Tout le monde semble affecté par quelque sorcellerie qui les rend, au mieux, mal à l'aise. Un ranger et deux gardes sont tombés inconscients et j'ai des cas de saignements de nez.
— Je crois, légat, que vous savez déjà ce que c'est.
Il resta silencieux quelques instants.
— Oui. Enfin, peut-être. Cette gêne, cette irritation persistante, ce dégoût incompréhensible…c'est la souillure du warp, le reflux nauséeux d'un pouvoir psychique. Mais je n'avais jamais vu autant de personnes affectées en même temps. Il n'y a, que je sache, aucun psycher sur cette planète capable d'une telle chose.
— Il y en aurait bien une.
Sans répondre, il me saisit l'épaule et me tira hors du centre de contrôle.
— Pas ici. Suivez-moi.
Nous nous engouffrâmes dans un vieux bureau et Van Copper referma la porte derrière lui. Il commença par tirer un cigalho de sa redingote, et l'alluma avec une certaine nervosité.
— Je ne peux montrer ces incertitudes et ces préoccupations devant les hommes du fort. Ils sont sur le point de devenir fous, entre la mort de leur capitaine et cette chose inconnue. » Il tira quelques bouffées et sembla penser m'en proposer, pour finir par se raviser. « Je sais que je peux compter sur les rangers, mais tout leur aguerrissement ne sera pas suffisant si nous étions submergés par les mutants et les voraces. Alors si en plus tout le monde devient fou à cause d'une psycher incontrôlable…je dois les garder dans le rang aussi longtemps que nécessaire, si nous voulons quitter cette planète en vie.
Je sentis que les récents événements avaient prélevé leur dû sur la rigidité du légat.
— Vous avez raison en disant que je sais déjà ce que c'est. A vrai dire, c'est plus…intime que cela. Pour moi, cette sensation a un aspect profondément familier. Comme si j'étais inconsciemment certain de son origine. Velma a toujours été psychiquement présente autour de moi et de mes hommes à cause de son handicap, et de la nature même de ses pouvoirs télépathiques. Ordnat, en particulier, s'est pris d'affection pour elle et l'a toujours protégé du mieux qu'il pouvait, alors il a ressenti en premier sa disparition lors de l'escarmouche de l'avant-poste. C'est un solide gaillard, mais sa perte lui a laissé une sensation de…de vide. Plus profond encore que pour moi. Vous savez, une relation avec une psycher capable de lire dans vos pensées, c'est particulier. Elle entretenait notre lien à tous, dans l'équipe.
Tout en parlant, il se passa la main dans les cheveux, et se frotta les yeux comme pour en chasser la fatigue.
— Avant même que les dalisciens ne se mettent à tourner de l'œil, j'avais perçu cette présence. Au début, j'ai cru que mon esprit me jouait des tours. Vous savez, comme lorsqu'on perds un bras, ou une jambe, et qu'elle semble toujours être là ?
— Oui, le cerveau ne s'habitue pas immédiatement à cause des mnémoséquelles à la proprioception.
— Voilà, comme vous dites. Eh bien c'est ce que je ressens. Comme si elle était de retour. Mais c'est impossible, n'est-ce-pas ? Elle a été emportée par les voraces, pourquoi serait-elle toujours en vie ?
A cet instant, Hillbilly entra dans la pièce.
— Magos ? Vous vouliez me voir, que se passe-t-il ?
— Parfait timing, j'ai besoin de vous. Prenez une place, n'importe laquelle, je vous en prie. Quant à vous, légat Oscar Van Copper, il est temps que vous m'écoutiez attentivement.
Je lui intimais de s'asseoir et marchait cérémonieusement vers la fenêtre pour observer le canyon grouillant d'activité. Il le fit sagement et sans protester sous le regard de la ranger, ce que je ne lui connaissais pas jusqu'ici.
— J'ai entretenu beaucoup de doutes sur la situation que nous rencontrons actuellement, et j'ai donc attendu d'obtenir assez d'éléments pour recoller les morceaux. Malgré mes observations, beaucoup de zones d'ombre subsistent, mais j'ai assez de recul pour comprendre que le problème est plus complexe qu'il n'y parait. Je vais vous demander d'avoir l'esprit ouvert et d'écouter ce que j'ai à dire comme si c'était possible, avant de prétendre que c'est folie.
Avec un soupir, il m'intima silencieusement de continuer.
— Merci. Tout d'abord, partez du principe que les Voraces ne sont pas de simples prédateurs attirés par la perspective de proies faciles. Leur comportement est trop étudié, trop coordonné, trop planifié pour cela. En outre, ils échappent à toute taxinomie et présente des caractéristiques plus évoluées que celles des humains sur de nombreux points. Non, en tous points.
— Et qu'est-ce qu'ils sont, selon vous ?
— C'est quelque chose qu'il me reste à déterminer. Mais nous devons traiter cet ennemi comme n'importe quel adversaire doué de conscience et de sens stratégique. J'ai des raisons de croire qu'ils obéissent à une entité-mère, une bête plus dangereuse et intelligente que toutes les autres, et je sais, ranger, que vous l'avez déjà rencontrée.
Elle grimaça et serra les poings.
— Si je l'ai déjà rencontrée ? Elle m'a toujours semblée être là, à chaque fois que je perdais un de mes hommes. J'ai croisé son regard une fois, si c'est ce que vous insinuez.
— Pourquoi ne pas m'en avoir parlé ? » Grogna le légat.
— Parce que vous m'auriez crue ? Les rangers qui l'ont vue et s'en sont sortis se comptent sur les doigts d'une main, et personne dans cette colonie n'a jamais voulu admettre son existence. Ça fait des années qu'on mène un combat silencieux contre ces saloperies, sans aucun soutien de la part de ces planqués de la ville, qui pensent avoir affaire à une sorte de bestiole classique comme on en rencontre partout dans la bordure. Vous étiez pas bien différent à votre arrivée.
— Et je crois, Hillbilly, que malgré votre dévouement et toute votre combattivité, vous affrontiez un ennemi plus redoutable qu'il n'a laissé à le penser.
— Ce qui veut dire ?
— Je veux dire que vos suspicions sur l'influence des Voraces à Ordmantel se sont révélées plus…littérales que vous ne l'imaginiez. J'ai procédé à une autopsie des corps des miliciens tués quelques heures plus tôt, et je peux affirmer que nous n'avons pas affaire à un vulgaire culte chaotique. Cette apparence leur vient d'un lien étroit avec les Voraces, bien que je ne puisse pas dire précisément pourquoi et comment ils en sont venus à traiter avec eux.
Je tournais le regard vers le légat, qui souffrait visiblement de sa promesse de ne pas réfuter mes théories sur le simple fait qu'elles soient farfelues.
— Croyez-moi, légat, je n'affirmerais pas ceci à la légère, et ce champ d'expertise est la raison-même de ma présence sur cette planète. Je pourrais vous expliquer avec beaucoup de termes savants pourquoi je suis amené à croire cela, mais je pense que nous nous perdrions rapidement sur un terrain que je suis le seul à pleinement comprendre.
— Alors,… » Interrompit Hillbilly, « Ils ont été…contaminés ?
— Dans un sens, oui. Volontairement ? Je l'ignore. Une enquête serait à mener sur les raisons qui les ont poussés à faire un aussi terrible pacte, mais nous n'avons plus le luxe de ce temps à leur accorder.
— Mais…pourquoi le capitaine Grishin ne leur ressemblait pas ?
— Je l'ignore également. Ce culte doit avoir des meneurs, et peut-être que Grishin était l'un d'entre-eux. Pour pouvoir évoluer sans être remarqués, ils ont certainement compris la nécessité d'agir à visage découvert, ce que les modifications génétiques interdisaient pour des raisons évidentes. Peut-être aussi que la nature de ses propres modifications les rendaient discrètes, mais il me faudrait l'autopsier pour le constater.
— Et ce plan, quel est-il ? » Questionna Van Copper.
— Je ne dispose que de morceaux qui ne font aucun sens pour moi. Le premier et le plus significatif de tous étant le fait que Velma ne soit pas morte, et aie été enlevée. Ce qui explique que vous ressentiez toujours sa présence. » La ranger ouvrit des yeux ronds et interloqués. « Apparemment, ça n'est pas la première fois qu'une personne disposant de facultés psychiques disparait. Je crois que les Voraces en ont besoin pour quelque chose, et que ce quelque chose nécessite qu'elles soient vivantes.
— Alors Velma est toujours en vie ? Quelque part dans le val ? Mais à quoi leur sert-elle ?
— Mes connaissances en matière de sciences psychiques sont horriblement limitées, et je ne dispose pas d'assez d'éléments pour comprendre en quoi elles sont liées à la biologie des voraces. Je pense cependant que quoiqu'ils préparent, ça a déjà commencé, et je ne crois pas que nous apprécierons le résultat. Qui sait ce qu'elle est en train de subir ?
Van Copper trépigna en se grattant le crâne. Mes explications semblaient faire un bout de chemin dans la forteresse de ses certitudes.
— Vous ne croyez pas si bien supposer. Même si la présence de Velma dans ma tête me paraît maintenant claire elle est…différente. Empreinte d'urgence et de douleur. Elle me rend fébrile et nerveux, comme si j'oubliais de faire quelque chose de terriblement important. Quoiqu'ils lui fassent, ça semble amplifier ses pouvoirs télépathiques, et je pense que ça ne va que s'aggraver au cours des heures à venir.
— Bon, et qu'est-ce qu'on fait ? » Explosa la ranger. « On va pas rester plantés là à attendre de se faire griller le cerveau ! Magos, vous devez trouver une solution !
— En l'état des choses je n'en vois aucune. Nous avons failli à voir les signes, et sommes rentrés dans le jeu des Voraces. Maintenant, ils nous laissent avec les conséquences. La seule autre solution serait d'aller dans les tunnels, trouver la « reine » et la tuer avant que ce phénomène psychique ne nous tue. Avec un peu de chance, nous pourrions même libérer Velma, qui sait.
Hillbilly avait blêmi.
— Vous…vous ne comprenez pas dans quoi vous mettez les pieds. Si l'enfer avait un visage, il ressemblerait à ce qui se trouve sous le bourg de Schelm. Personne ne peut en ressortir vivant !
— Vous l'avez fait, pourtant.
— Et c'était une folie que j'aurais dû éviter. Un de mes meilleurs hommes en est mort, empoisonné, et l'autre aurait très bien pu y passer, moi y compris. Tous les autres qui sont descendus là-dessous n'en sont jamais revenus, que ce soit le complexe ou les innombrables autres galeries qui parsèment le val.
— Le complexe ?
Elle s'agita nerveusement, et hésita avant de répondre, comme après en avoir trop dit. Finalement, le regard implacable de Van Copper la décida.
— Il y a…une sorte de structure sous le bourg de Schelm. Quelque chose d'ancien enfoui depuis avant-même notre arrivée, une sorte de temple qui a été recouvert par l'ignominie des voraces. Je crois que c'est là que crèche la reine.
Dans les informations dont je disposais sur Dalis Terce, aucune ne faisait mention d'artefacts anciens et de structures xénos. Et à priori, la planète n'avait jamais été habitée par l'Imperium auparavant. La première reconnaissance par les explorators se doit de les y faire figurer, et la chose est dans leur intérêt, car tout ce qu'ils trouvent en ce sens sur la planète peut être revendu à prix d'or auprès du Mechanicus. Il était rare que des sites archéologiques leur échappent, et celui-ci n'aurait pas dû faire exception à la règle. J'extrayais rapidement de mes data-engrammes l'analyse sismo-géologique, pour constater que le val d'Alveir n'y présentait aucune structure souterraine régulière. Alors avaient-elles été délibérément effacées ? Après tout, le marché noir rémunérait d'une manière encore plus juteuse les artefacts non enregistrés, certains explorators n'hésitaient pas à faire fortune de cette manière. Le plan aurait très mal tourné lorsqu'ils découvrirent que les ruines n'étaient pas abandonnées…
— Pourquoi personne n'a-t-il de ça parlé jusqu'ici ? » Pesta le légat.
— Parce que presque personne ne le sais. Et puis, qu'est-ce que ça change ?
— Tout, ça change ! Les sites archéotechnologiques sont d'une importance de premier ordre pour l'Ordo Xenos, et s'il avait eu connaissance de celui-ci, il aurait envoyé toute une ribambelle d'inquisiteurs plutôt que quelques acolytes mal informés. Par l'Empereur, plus les choses avancent, et plus je me demande bien ce que nous faisons ici.
— Ressaisissez-vous, légat. » L'admonestais-je d'une voix forte. « Auriez-vous oublié votre devoir ? Il n'est pas rare que l'Inquisition envoie inconsciemment ses agents dans un piège. C'est à nous de trouver le moyen d'inverser la vapeur et transformer ce désastre. Ranger, si je comprends bien, vous avez déjà vu ce temple de vos yeux, n'est-ce-pas ?
Elle hocha la tête.
— J'ai…soupçonné son existence pendant longtemps. Lorsque j'ai voulu m'infiltrer dans le nid des voraces, j'en ai eu la confirmation. Je ne saurais pas vous dessiner un plan, mais j'ai pu en explorer une petite partie avant d'être détectée.
— Alors il est temps que nous arrachions le cœur du problème. Ranger, préparez vos meilleurs hommes. Légat, formez une équipe d'assaut avec eux et les hommes du fort. Même si c'est un allez simple, ça vaut toujours mieux qu'attendre la mort. Pour Grishin, pour Mickael, Velma, et pour chaque ranger qui est mort dans le val ces dernières années, nous nous devons d'essayer.
Une lueur féroce s'était allumée dans le regard d'Hillbilly, et la même se reflétait dans celui de Van Copper. Par l'Omnimessie, je n'avais aucune idée de la prochaine étape de ce plan insensé et suicidaire, mais je savais au fond de moi que c'était la seule chose à faire.
Ne me demandez pas pourquoi.
