Deuxième chapitre du point de vue de Lise! Le prochain sera un retour à celui de notre stratège préféré. Enjoy~

...

Lise se planqua derrière les buissons où elle avait retrouvé son sac en poussant un juron. Elle entendait les cris stridents de Cécile, mais elle était efficacement masquée par la plante. Elle n'avait plus qu'à prendre son mal en patience.

Elle devait absolument aller au cybercafé. Ca devenait urgent, les dossiers qu'elle avait laissés en suspend cinq jours plus tôt devaient avoir dépassé la date de devis. Elle devait prendre contact avec les responsables, envoyer des excuses en propre et due forme, voire même organiser une soirée/buffet/gala afin de restaurer son image. Elle ne pouvait plus rester absente, aussi elle avait sauté sur la première occasion. Une distraction de Cécile, l'aide d'Eta qui se fichait bien de ces règles débiles et de l'établissement, et la voie était toute tracée...

Sauf que la matrone la cherchait pour une mystérieuse raison. Pourtant, les entrevues avec Sharp n'étaient jamais avant midi, en fait il se tenait à la porte de l'orphelinat à seize heures trente précises.

Elle devait vouloir lui faire exécuter une liste absurdement longue de tâches ménagères, et si le dur labeur ne l'effrayait pas, avoir une harpie sur son dos n'était pas au menu du jour. La mégère devait tenter de lui refiler un maximum de corvées avant son départ, une torture de dernière minute...

-Pas cette fois, Alecto, marmonna-t-elle entre ses dents.

Elle attendait que l'animation retombe, son sac et ses dessins bien sagement sur son dos, lorsqu'un bruit de moteur la fit jurer. S'il y avait un visiteur, cette effervescence ne risquait pas de s'interrompre... A moins que justement ce ne soit la manœuvre de distraction dont elle avait désespérément besoin, qui lui était servie sur un plateau d'argent.

Elle ne tenta pas d'apercevoir les visiteurs. Ils étaient plusieurs, trois, des voix masculines-dont une familière, est-ce que... non, Sharp était toujours seul- et elle attendit que la porte se referme avec ce grincement si délicieux-on pourrait penser qu'ils pouvaient au moins investir dans de l'huile, mais non-, puis une poignée de secondes supplémentaires, une dose de sécurité.

Elle avait bien fait, parce qu'un bruit de verre brisé attira l'attention de tous.

"Lee", soupira-t-elle intérieurement. Ce petit crétin tentait toujours de reproduire des supertechniques, alors qu'il commençait à peine à savoir dribbler. Elle avait renoncé à l'idée de lui inculquer un peu de bon sens, et s'était appliquée à lui apprendre à ne pas se blesser.

Elle entendit le vibrato impressionnant de la directrice dans ses aigus-définitivement, elle avait raté sa carrière de soprano dans l'opéra- aller decrescendo, puis disparaître. Quelques secondes plus tard, l'huis grinça à nouveau, et Lee fit des excuses avec sa voix aigüe, enfantine et empressée, avant de se mettre à pâmer devant... Qui? Elle n'entendait pas bien, mais cela lui fit hausser un sourcil et un pic d'angoisse monta dans son estomac.

Entendant les bruits familiers d'un ballon qu'on frappe, elle décida de tenter sa chance et de s'éclipser discrètement. Le gamin ne prêtait de toute façon aucune attention à son entourage, s'il était occupé de jouer au foot avec quelqu'un qu'il admirait, il ne se retournerait pas...

C'était sans compter la durée de concentration d'un garçon surexcité et hyperactif-cinq secondes, dans le cas de Lee- qui s'exclama devant le mouvement:

-Hey Lise, mais t'es là! M'dame Cécile te cherchait partout!

Elle poussa un juron et s'élança. Avec un peu de chance, la furie n'avait pas encore entendu, elle pouvait encore rejoindre le cybercafé, quitte à se faire punir par la suite.

-Eh mais elle fuit!

Avec ce niveau sonore, pas de doute. Le dragon qui jusqu'à présent ne faisait que somnoler rugit:

-Attrapez-la!

C'était le signal du sprint. Une fois passé l'arbre, elle prendrait appui sur cette vieille planche, bondirait par dessus le mur en maîtrisant son saut avec ses mains sur la brique, atterrirait de l'autre côté et de là tourner à droite et...

Un sifflement aigu l'avertit de l'arrivée imminente d'une balle alors qu'elle prenait son élan. Tous ses sens s'aiguisèrent, son cœur tambourina frénétiquement et son souffle se coupa. Elle utilisa ses réflexes et son équilibre exceptionnel pour rebondir vers l'arrière alors qu'elle s'apprêtait à faire l'inverse, le sang battant à ses tempes.

Elle repoussa le flash-back en se mordant brutalement la lèvre. La douleur la ramena au temps présent, et la peur fit place à la colère. Si c'était ce crétin de Lee, elle allait lui passer un de ces savons!

-Mais ça va pas la tête, ça aurait pu blesser quelqu'un! Faut jamais...

Elle se retourna et vit le visage de celui qui l'avait aussi grossièrement interrompue. Jude Sharp la toisait d'un air dédaigneux, les sourcils froncés comme pour s'offusquer de l'idée qu'il puisse blesser quelqu'un. Ha! Effectivement, cela ne lui ressemblait pas du tout, ironisa-t-elle.

Puis d'un coup, la réalité la frappa et elle pâlit drastiquement, lâchant un faible "oh".

Elle venait de s'échapper, ou tenter de s'échapper, devant Petit Connard. Mais qui disait Petit Connard, disait Sharp. Il était là, et l'avait surprise en délit de fuite. Elle venait déjà de tout ruiner, sans l'avoir même voulu.

Elle ne pouvait pas le faire. Pas alors que la simple vue du stratège la rendait mal à l'aise au possible, avec des bouffées de sentiments sombres qu'elle s'efforçait de maîtriser. La peur perçait plus que tout, son corps tremblait presque suite au sifflement menaçant. Elle avait déjà perdu cette unique chance de survie, il n'y avait pas moyen qu'ils réussissent à vivre ensemble après ça.

Elle n'avait plus le choix; tout plutôt qu'aller dans une maison de redressement. Etre SDF semblait préférable, il lui fallait fuir, maintenant.

Elle tourna les talons avec détermination, mais ces trois secondes d'indécisions avaient suffi à la harpie qui bloquait désormais son chemin.

-Lise! Tu te rends compte de ce que tu viens de faire?

Plus qu'elle ne s'en doutait, vraiment.

-Ce que j'ai visiblement échoué à faire, marmonna-t-elle.

La disparition de sa dernière trace d'espoir la fit s'affaisser alors que l'indignation de la directrice face à son manque de réaction la fit enfler de colère, prenant une intéressante couleur pourpre. La maison de redressement était toute indiquée, maintenant. Sa seule consolation était de savoir qu'elle resterait avec Eta, de cette façon. Elle n'avait pas tout perdu, elle ne serait pas seule...

-Tu as été trop loin, jeune fille, gronda l'imposante femme. Tu ne t'enfuiras plus, et tu as perdu le droit de dire au revoir à tes camarades!

-Pardon?!

La panique étreignit ses poumons. Elle partait en maison de redressement, là, tout de suite? Et elle ne pouvait plus dire adieu à ces sales gamins qu'elle avait fini par apprécier, et... Eta...

-Ta famille d'accueil est venue te chercher aujourd'hui, annonça Cécile avec un air malin. Tu t'es ridiculisée devant eux et tu les as insulté avec cette énième tentative de fuite!

Autant elle haït immédiatement cette lueur de satisfaction malsaine qui dansait dans les yeux de la furie, autant l'expression du visage de Petit Connard n'avait pas de prix.

"Pardon?! Quel ahuri" ricana-t-elle intérieurement, ignorant sciemment qu'il avait prononcé ce mot avec exactement la même intonation qu'elle plus tôt. Elle ne put s'empêcher d'être soulagée. Elle venait d'échapper à une autre forme de torture, et elle s'enfuyait définitivement de l'emprise de cet orphelinat ravagé. Elle prêta à peine attention à l'introduction du père Sharp, notant avec mépris que son fils semblait analyser et détester son look. On ne lui avait jamais appris à ne pas juger les livres par leur couverture? A se demander comment il pouvait être aussi obtus avec un père aussi sensible.

-Sauf si tu n'es pas prête, retentit la voix de Thomas dans son brouillard d'émotions confuses. Je peux te donner plus de temps, je ne te force en aucun cas...

Elle ouvrit la bouche pour demander quinze minutes supplémentaires, le temps de dire au revoir aux autres orphelins, et surtout à Eta qui la dévisageait, les bras croisés.

"Je sais, j'ai merdé" songea-t-elle avec un soupir.

-Elle n'a eu que trop de liberté jusqu'à présent, assura Mégère d'une voix ferme. Il ne faut pas la laisser faire,

Monsieur Sharp, ou elle vous mènera par le bout du nez.

C'était injuste, si injuste, cette dernière revanche, une pique pour lui faire honte devant sa nouvelle famille d'accueil. Elle avait beau détester la furie qui se tenait devant elle, jamais elle n'aurait cru qu'elle pouvait aller jusqu'à saboter ce qui était sa dernière chance.

C'était une trahison à laquelle elle ne s'était pas attendue. Elle avait été trop naïve. Elle n'écouta pas davantage le sermon de la directrice, sachant très bien qu'elle ne faisait que remanier les mêmes mots depuis le début de la semaine. L'humiliation était déjà complète, entre sa fuite devant sa famille adoptive, pour être arrêtée par Jude Sharp -celui-là même qu'elle ne voulait pas voir-, et maintenant les reproches de Cécile qui cachait mal sa joie malsaine.

Son regard fut attiré par des mèches de cheveux bleues, et elle regarda réellement Eta, s'imprégnant de son visage -c'était la dernière fois qu'elles se voyaient, il fallait qu'elle se rappelle de chaque détail- avant d'acquiescer. La harpie crut que c'était pour elle, mais son amie comprit et hocha la tête en retour.

"Promets-moi de survivre"

Leur survie différait maintenant, mais elles y arriveraient. Peut-être que c'était mieux de sauter les adieux larmoyants dont elles n'avaient pas l'habitude, ça n'aurait pu qu'être bizarre. Leurs derniers échanges avaient été riches assez que pour qu'elles ne se quittent sans aucun regret.

Elle sentit le flot de parole de la directrice s'interrompre, et jugea que c'était le moment. Il était temps de s'excuser, de tenter de se rapprocher de ceux qui seraient sa "famille" pour les prochains jours-Kami, elle espérait tenir au moins deux semaines- mais le regard froid de Petit Connard la glaça de l'intérieur.

Il ne voulait rien à voir à faire avec elle.

Elle s'inclina tout de même, articula ses excuses, mais elle se sentait engourdie, et cela devait probablement sonner faux. Tant pis, elle devrait faire avec.

Il se présenta à son tour, mais sèchement, froidement, presque avec insolence. Elle se redressa, pour le voir la toiser encore et elle sentit la colère la raviver.

"Que d'émotions, je me transforme en midinette" railla-t-elle. Le sarcasme avait toujours été sa seule défense, le seul pilier de son caractère. Lorsqu'elle ne savait plus qui elle était, ce pour quoi elle continuait, elle avait toujours son sarcasme pour alléger la pire des situations.

Forte de sa colère-une grande constante aussi chez elle, très, très pratique pour masquer tout ce à quoi elle ne voulait pas penser- elle toisa Petit Connard en retour, pour s'arrêter juste avant que Sharp ne les remarque.

Pendant le trajet en voiture, elle tenta d'oublier l'identité du sale gamin en face d'elle, qui croisait les bras avec une moue renfrognée sur sa banquette en cuir beige.

La voiture n'était pas une simple voiture. C'était une limousine. Une putain de limousine. Relativement petite -restons modestes, n'est-ce pas- mais l'intérieur était bien évidemment superbe, minimaliste dans ce style qui coûtait plus cher qu'une décoration normale.

Pourquoi? Il y avait moins, et on payait plus? Elle ne saisissait pas trop. Cela ne faisait que la mettre mal à l'aise, ce manque de personnalité, cette propreté excessive, ce décor riche qui ne la faisait paraître que plus pauvre et vulnérable en comparaison.

Elle faisait tache, à un point qu'elle n'osait même pas imaginer, et la tête de ce sale gosse pourri gâté qui s'apprêtait à piquer une crise lui tapait sur les nerfs.

Elle ne pouvait pas le sentir, mais elle n'avait pas le choix. Elle devait vivre avec lui, le convaincre -si quelqu'un était capable de faire changer Sharp d'avis, c'était lui- et l'apprivoiser, petit à petit. Mais l'hypocrisie ne fonctionnerait pas. Il n'avait pas avalé son excuse, était persuadé qu'elle ne ferait que mentir et manipuler son monde, comme elle avait manipulé son père pour obtenir une meilleure vie.

Elle serra les dents. Tout le monde penserait exactement la même chose. Une orpheline qui touchait le jackpot? C'était une manipulatrice.

L'avait-elle manipulé? Non, elle avait été honnête. Brutalement, dangereusement honnête.

Elle avait déjà manipulé des gens, bien sûr. Tout le monde manipulait tout le monde, de là où elle venait. Bien sûr, elle le faisait encore, mais plus souvent pour qu'ils se tienne éloignés d'elle, pas pour obtenir quoi que ce soit d'eux. Bon, d'accord, elle n'avait pas toujours cette noblesse d'esprit, mais jamais elle n'aurait tenté quoi que ce soit avec Sharp.

Il était plus intelligent, plus expérimenté et plus rusé, derrière cette façade de gentillesse. Jamais elle n'aurait pu imposer sa volonté par des moyens détournés. Elle avait déjà tenté de lui faire croire qu'elle n'était qu'une jeune fille insipide, et ça n'avait pas fonctionné. Elle n'avait plus qu'à être elle-même, et si c'était valable pour lui, ce serait aussi valable pour son fils.

Elle ne pouvait pas le charmer, il se méfiait d'elle. Elle n'avait qu'à être aussi sarcastique, impolie -peut-être pas tant que ça, Petit Connard pourrait se fâcher-, intelligente et rapide à rebondir.

Elle chercha d'autres qualités, mais elle n'en trouva pas, et haussa les épaules. Elle n'était pas une sainte, après tout; on ne lui demanderait pas d'être parfaite du jour au lendemain après avoir vécu ainsi pendant des années.

Elle se ressaisit en sentant qu'elle arrivait. Son premier instinct fut d'attendre pour quelqu'un de lui ouvrir, mais un frisson glacial la parcourut. Elle chassa immédiatement tout flashback et ouvrit la portière brutalement et incérémonieusement, Petit Connard la foudroyant du regard pour ce manquement majeur à l'étiquette.

Elle l'ignora proprement, inspirant une grande goulée d'air. Elle n'était plus la même, tout irait bien.

-Jude, si tu pouvais montrer à Lise sa nouvelle chambre?

Elle se tendit légèrement. Il semblerait qu'ils étaient obligés de se parler un minimum, aujourd'hui.

Elle suivit l'héritier Sharp, sentant ses yeux la juger. Il était fier de sa maison, il voulait se la jouer... Elle ne lui offrirait pas le plaisir d'avoir l'air ébahie. Mais Kami que c'était difficile! Était-ce un vrai Pollock? Vraiment? Autant le Rubens à l'entrée devait être une imitation, le Pollock qu'elle voyait n'était pas le plus connu, et... Est-ce que c'était un œuf de Fabergé? Elle retint un gémissement devant cet étalage indécent. En même temps, elle brûlait d'envie de sautiller devant tous les tableaux, sculptures, tout ce qui était culturel... Et apprendre leur histoire. Quand avaient-ils été créés? Quelles étaient les intentions de l'artiste? Par quoi avait-il été influencé?

Elle se promit de questionner Sharp là-dessus, mais loin des oreilles de son fils.

Ils arrivèrent dans un couloirs où Petit Connard s'arrêta, désigna une porte:

-C'est là que tu dormiras. Je suis juste en face.

Elle se prépara mentalement. Quel genre de chambre aurait-elle? Un placard à balai? Elle frissonna, chassa cette idée. Sharp était plus généreux que ça, mais il ne lui donnerait pas non plus une trop grande chambre, toute équipée. Est-ce que ce serait dans ce style minimaliste qui la mettait mal à l'aise? Ou alors trop ornementé, dans un style presque baroque comme le salon -elle se retint de baver à nouveau sur le Rubens, il était vraiment magnifique- ?

-Ouvre, la porte ne va pas te mordre, siffla Petit Connard.

Toute son envie de recommencer sur de nouvelles bases s'envola immédiatement et elle le foudroya du regard. N'avait-il pas eu le même moment, en emménageant ici? De tous, c'était lui qui devait être le plus compréhensif, et elle ne voyait que mépris et agacement dans ses yeux.

Elle ouvrit la porte, et se figea.

La pièce était gigantesque. Ce n'était pas une chambre, c'était une putain de suite, avec des fenêtres gigantesques, une télévision devant un canapé qui avait l'air plus confortable que le meilleur lit de l'orphelinat, un bureau juste derrière... Vue sur le jardin gigantesque-buissons sculptés, évidemment- un lit king size et... un ordinateur portable.

Il se foutait d'elle. Ce n'était pas possible autrement.

-Si c'est une blague, ce n'est pas drôle.

Elle sentit sa voix craquer, et se maudit pour cette faiblesse. Elle aurait dû s'attendre à du bizutage, ce n'était guère surprenant venant du gars qui détruisait des écoles et envoyait leurs joueurs à l'hôpital. Mais elle avait tellement espéré en avoir fini, en sortant de l'orphelinat... Elle était confrontée à sa naïveté, encore et encore. Comment faisait-elle pour tomber systématiquement dans le panneau? Elle avait beau se donner des grands airs, elle était toujours aussi stupide qu'avant.

-De quoi tu parles?

Bien sûr, il faisait semblant de rien. Il jouait avec elle, comme un chat jouait avec une souris. Elle lui montrerait qu'elle n'était pas une cible facile, foi de Lise!

-C'est trop grand.

Son ton était aussi sec que le sien, bien. Ils pouvaient être deux à être glacial et impoli l'un avec l'autre.

-Et tu as un problème avec les grands espaces?

Son sarcasme la piqua et elle répondit vivement:

-Non, c'est ta suite, pas la mienne. Montre-moi ma vraie chambre, qu'on en finisse avec ces gamineries.

-Je ne suis pas un gamin! Rétorqua Petit Connard avec toute sa mauvaise foi. C'est ta vraie chambre. Tu préférerais dormir à la cave?

Le doute s'infiltra en elle. Pouvait-il dire vrai? Plutôt que de montrer ses émotions, elle attaqua:

-La cave sera toujours plus chaleureuse que toi, empereur des manchots.

Elle renforça ses mots par une posture qui l'agacerait, le poing droit sur la hanche, torse penché en avant pour envahir son espace personnel-Kami savait que les japonais haïssaient qu'on brise leur bulle- un sourcil hautain, travaillé soigneusement.

Gagné! Sa mâchoire se serrait, ses sourcils se fronçaient et elle le vit se débattre intérieurement, avant de choisir la voie de la raison.

-Je dors juste en face.

Il ouvrit la porte, et elle y jeta un coup d'œil curieux. C'était aussi étonnamment neutre pour un jeune garçon, il y avait bien quelques posters de football ci et là mais ce n'était pas aussi vivant que ça aurait dû l'être.

Il ne passait peut-être pas beaucoup de temps ici. Une des raisons pour lesquelles Sharp se sentait seul, au point d'accueillir un autre adolescent dans sa vie?

Elle fut brutalement tirée de ses pensées par le claquement sec de la porte. Petit Connard venait littéralement de lui claquer la porte au nez.

-Convaincue?

Elle hocha sèchement la tête, agacée par ses manières.

-Désolée.

Ses excuses ne sonnaient pas très sincères, à nouveau. Il avait ce don de l'exaspérer, dangereux pour deux personnes sensées cohabiter.

Elle n'y pouvait rien, cependant. Elle avait toujours haï ce crétin, il ne fallait pas s'attendre à ce que cela change en quelques heures. Surtout s'il était aussi désagréable et irrespectueux.

Sans qu'elle ne s'en rende compte, ses yeux devinrent froids et calculateurs alors qu'elle repensait à ses expériences passées.

S'il voulait continuer comme ça, il ne n'aurait aucune idée de ce qui lui tombait dessus.

Elle sentit un changement dans sa posture et réalisa qu'elle le mettait mal à l'aise.

-C'est tout, je peux rentrer dans ma chambre?

Elle voulait s'enfuir, battre en retraite, dormir. Elle était épuisée par toutes ces sautes d'humeurs, elle ne désirait rien de plus qu'un peu de temps seule pour faire le point sur la situation.

-Sauf si tu as des questions.

Toujours ce ton pincé, soupira-t-elle intérieurement.

-Où sont les cuisines? Où mange-t-on? Mangez-vous ensemble?

Il lui répondit en quelques mots précis, le plus désagréablement possible comme c'était visiblement la norme avec lui. Une fois la conversation terminée, il s'enferma dans sa chambre, et elle entra dans celle qui lui était réservée, essayant de comprendre comment une pièce pouvait être aussi grande. Elle ressemblait davantage à un salon, avec les canapés, la télévision, le bureau de luxe en chêne... Ce ne pouvait être juste pour elle. Ils avaient peut-être prévu d'adopter un deuxième enfant, après Jude, mais leurs plans étaient visiblement tombés à l'eau.

Elle marcha un peu autour, n'osant s'asseoir sur les fauteuils, lit ou sofas en tout genre. C'était comme si les gens qui avaient décoré s'étaient donnés pour mission de rendre la pièce la plus confortable possible, sans avoir aucune idée de ce qui rendait un endroit chaleureux. Pas de poster, le papier peint blanc/gris était banal, impersonnel, les couvertures étaient d'un bleu simple, la lumière qui émanait des fenêtre lui semblait même tout à coup froide et menaçante.

Elle n'était pas à sa place, ici.

Trop grand, trop beau, trop propre. Trop cher. Elle sentait son cœur s'emballer, ses mains devenir moites, et tout en se maudissant de cette faiblesse, elle se glissa à nouveau dans le couloir.

Elle décida de simplement tourner dans la maison, et tant pis si elle croisait Petit Connard à nouveau. Elle ne pouvait pas rester dans cette chambre, elle ne voulait finalement pas rester seule avec ses pensées.

L'exploration lui semblait la meilleure voie possible, et si le reste de la maison était aussi riche en peinture que le hall d'entrée, elle ne s'ennuierait pas.

Elle décida de toujours tourner à droite, de frapper et d'ouvrir toutes les portes. Voilà qui l'occuperait assez pour la soirée, mais elle n'imaginait pas répéter le même rituel ad vitam aeternam. Peu importe la taille de la maison, viendrait un moment où elle serait à court. Elle espérait juste trouver quelque chose d'intéressant assez, un potentiel nouveau hobby qui pourrait meubler ce silence pesant.

Elle rencontra plusieurs bureaux, des... boudoirs? Était-ce comme ça qu'on appelait ces espèces de salle d'attente? Des pièces qui semblaient n'avoir aucune autre utilité que de fourrer des vieilleries... Et elle n'était qu'à l'étage! Que trouverait-elle au rez-de-chaussée?

Elle entendit vaguement une voiture partir, mais n'y prêta pas plus d'attention que cela. Était-ce un des domestiques croisés un route, parti faire les courses? Ou peut-être parti rentrer chez lui?

Elle frappa une fois de plus à la quinzième porte, plus par habitude que par désir de s'annoncer, aussi fit-elle un bond en arrière lorsque retentit un "Entrez!" calme et assuré. Mal à l'aise, ayant l'impression d'avoir fait une erreur, un faux-pas inestimable, elle entrouvrit timidement la porte.

-Je suis désolée, je ne voulais pas déranger...

-Ah, c'est toi Lise! Entre, sourit Sharp. Comment vas-tu? Tu t'adaptes à la maison?

-Je suis en pleine visite. Je ne savais pas que vous étiez ici, sinon je ne vous aurais pas dérangé dans votre travail.

Il retint un soupir devant son ton prudemment neutre.

-Si tu me dérangeais, Lise, je ne t'aurais pas proposé d'entrer, crois-moi.

Cela la rassura quelque peu. Tout plutôt que ces phrases de convenance "Tu ne déranges jamais voyons!". Elle se redressa alors et admira un peu la pièce. Elle était plus chaleureuse, le tapis riche adoucissant le bruit de pas -marcher à pieds nus devait y être paradisiaque- les étagères remplis de livres dont les couvertures ajoutaient une touche de couleur, le bois sombre du bureau était magnifique.

Il y avait des peintures, mais elle n'en reconnaissait pas le style. Elle s'approcha, curieuse, pour tenter de discerner la signature, lorsque la voix de Sharp la fit sursauter à nouveau.

-Tu aimes?

Elle faillit rougir. Absorbée par son observation, elle avait oublié qu'elle n'était pas seule! Elle détailla la peinture et répondit honnêtement:

-Ca ne vaut pas le Rubens qui est dans le hall, mais c'est assez frais. L'utilisation de couleurs froides au centre et de couleurs chaudes à l'extérieur donne une profondeur inattendue pour une scène aussi simple... Le peintre devait admirer Monet, n'est-ce pas?

Il pouffa discrètement devant sa brutalité et sa façon d'aller droit au point.

-"La" peintre. Ceci me vient de ma défunte femme.

Elle pâlit dramatiquement, tentée de se tortiller et de danser d'un pied à l'autre. Elle avait merdé. Encore. En l'espace de quelques minutes, il y avait eu une interruption, un faux pas, et une insulte envers son épouse?

-Je suis désolée, je...

-Ne t'en fais pas, j'ai appris à accepter le fait qu'elle ne reviendra plus. Ces peintures me sont un rappel de tous les bons moments qu'on a vécus ensemble, aussi elles ont beau ne pas être techniquement parfaites, elles valent tous les Rubens du monde à mes yeux.

Elle hocha simplement la tête, déterminée à fermer sa grande gueule pour une fois. Elle admira encore l'ambiance du bureau, calme et parfaite pour la concentration.

-C'est ici que mon entreprise est née, fit fièrement son gardien depuis peu. Toutes les idées, les premiers accords, contrats, achats... Les premières réunions, avant que je ne me décide à changer de lieu pour des raisons pratiques.

-Comment saviez-vous qu'il fallait vous lancer? Osa-t-elle demander. Comment êtes-vous passé d'un rêve, un projet, à la réalité?

-Je te répondrai bien avec du courage, mais c'est en fait Maria qui m'y a poussé. Je la rendais folle avec mes hésitations, mes vérifications permanentes. Tout était prêt, mais je n'arrivais pas à me lancer, et elle m'a juste crié dessus jusqu'à ce que je me résolve à tenter, sans quoi mon couple n'aurait pas tenu.

Elle se retint d'écarquiller les yeux. Il lui en parlait, aussi naturellement? Il admettait sa peur, ses problèmes avec sa femme, à une inconnue, comme ça? Il dut sentir sa surprise, parce qu'il reprit:

-L'honnêteté fonctionne dans les deux sens, Lise. J'apprécie le fait que tu m'aies parlé de ton père avant de me faire signer les papiers.

Elle déglutit péniblement.

-Ca n'aurait pas été juste. De toute façon, ça explosera tôt ou tard, je préférerais que vous m'acceptiez chez vous en toute connaissance de cause.

-Bien sûr, ce n'est que logique. Cependant, je n'attendais pas de la part de Lise Runaway qu'elle affronte ses problèmes.

-Eta m'a... sermonnée, avant que je ne parte. Que je devais tenter cette chance, me battre pour elle.

-Tu veux garder contact avec elle, je suppose?

La jeune fille ne put empêcher la surprise de se peindre sur son visage. Garder contact avec sa seule amie? Bien sûr, mais elle devait en maison de redressement, et elle n'avait pas son numéro, ni de téléphone... Aucune adresse, aucune information.

-Comment? Finit-elle par demander.

-Il ne me serait pas difficile de demander son dossier. Surtout avec un prénom aussi inhabituel. De plus, tu as un ordinateur et un portable, maintenant.

Le souffle quitta ses poumons, elle dut lécher ses lèvres soudainement sèches et déglutir avant de croasser:

-Quoi?

Il la regarda avec étonnement.

-Tu n'as pas vu, sur ton bureau? Il y a tout ce dont tu as besoin.

Elle prit une inspiration, tentant de se ressaisir.

-C'est trop cher.

-Pas pour moi. Il est hors de question que qui que ce soit vivant sous mon toit n'aie pas ce strict minimum nécessaire.

-Le dernier ordinateur portable dernier cri et le téléphone qui va avec n'est pas la définition du "strict nécessaire", Monsieur.

L'ironie était censée masquer son espoir, et sa surprise, mais elle sentit qu'il n'était pas dupe.

-C'est la mienne. Tant que tu vivras ici, tu ne manqueras de rien. Accepte-le maintenant, parce que je ne les récupérerai pas. Mieux vaut que tu les utilises, avant qu'ils ne prennent la poussière.

Elle secoua la tête, incrédule. C'était ça, la vie de riche? Ils n'avaient que de l'argent à jeter par les fenêtres? Tant mieux pour elle! Elle n'allait certainement pas laisser passer l'occasion de pouvoir travailler à partir de son propre ordinateur, et non pas d'un cybercafé. Pouvoir utiliser un nouveau portable, avec une nouvelle batterie, une meilleure technologie n'était pas refusable non plus. L'abonnement? Elle ne paierait pas l'abonnement, vu la tendance de Sharp à tout lui servir sur un plateau d'argent.

Un bref instant, elle se sentit coupable d'envisager d'utiliser tout cet étalage de richesse, mais elle balaya cet état d'esprit rapidement. De toute façon, on l'accuserait d'avoir manipulé un des hommes les plus fortunés du Japon, alors autant qu'elle en profite un maximum, n'est-ce pas?

-Merci, fit-elle finalement.

Elle ne sut jamais quelle serait sa réponse, parce qu'on frappa à la porte. Un domestique, élégamment habillé, se tenait au seuil-Lise réalisa qu'elle avait oublié de fermer- pour annoncer:

-Monsieur Sharp. Navré de vous déranger, mais le match va commencer.

-Merci, Fernand.

Ce dernier s'inclina poliment avant de quitter la pièce, tandis que l'homme d'affaire allumait la télévision.

-Le match? Interrogea Lise.

-Jude joue, cet après-midi, annonça-t-il avec fierté.

Eh bien voilà qui expliquait qu'il soit venu la chercher aussi tôt: c'était une corvée de faite avant le match du fils prodige. Elle se secoua, sachant parfaitement bien qu'elle était injuste envers Sharp. Cependant, l'orgueil dans sa voix lorsqu'il parlait de lui faisait remonter des souvenirs qu'elle aurait voulu oublier.

En voyant l'écran, elle chercha automatiquement l'insigne de la Royal Academy, avant de froncer les sourcils.

-Mais c'est un match de Raimon contre Terria. Qu'est-ce qu'il viendrait faire là?

-Il a effectué un transfert. Il est à Raimon, maintenant.

Là, elle dut s'asseoir. Jude Sharp, le parfait petit capitaine, toutou de... A Raimon? La tenue jaune et bleue ne trompait pas, il s'était même fait faire une cape bleue pour l'occasion, remarqua-t-elle avec un reniflement méprisant.

-Pourquoi? Finit-elle par demander.

-La Royal Academy a perdu, la semaine dernière.

-Pardon?

-Tu n'es pas au courant?

-Ce n'est pas exactement comme si je regardais la TV ou lisais la section sport, Monsieur, lâcha-t-elle avec une pointe d'insolence. Que s'est-il passé? Ils étaient les favoris.

-Tu savais tout de même qu'ils avaient perdus contre Raimon il y a quelques temps?

-Je n'avais vu que les premières minutes du match, avoua-t-elle. J'avais supposé qu'ils avaient gagné, c'est tout.

Et quelles premières minutes! Des poutres tombant du ciel, s'abattant sur la moitié de terrain des Raimons. Difficile de croire que le match continuerait dans ces conditions, et que les joueurs de l'éclair auraient la force de se remettre du choc pour gagner contre des adversaires plus expérimentés qu'eux.

-Jude a bien pris cette première défaite. Il était impatient de les affronter à nouveau, il ne cessait pas de parler de Mark Evans et Axel Blaze.

Elle dut retenir un autre son moqueur. Petit Connard, bien prendre une défaite? Il ne savait même pas bien prendre une victoire, il fallait que tous ses opposants soient à terre ou à l'hôpital pour qu'il se sente satisfait. Elle doutait hautement que son impatience à les revoir ne soit que pour prendre sa revanche et les éliminer une bonne fois pour toutes... Mais elle se tut, et écouta le récit du père.

-Comme il s'était légèrement blessé au dernier match, et qu'ils affrontaient une équipe nouvellement créée, il est resté sur le banc. C'est ce qui lui a permis d'éviter la catastrophe.

-La catastrophe?

-Tous les joueurs de la Royal Academy sont à l'hôpital, en ce moment. L'équipe de Zeus les a... écrasés, il n'y a pas d'autre termes, en dix minutes. Dix goals à zéro.

Décidément, la journée n'avait pas fini de la surprendre. Petit Connard, perdre face à des outsiders? Son équipe, écrasée par des types sortis de nulle part? Qui étaient ces types, Zeus? D'où pouvaient-ils sortir?

Elle avait beau haïr la Royal et ses méthodes, elle reconnaissait leur efficacité. Il n'y avait pas moyen qu'une bande de nouveaux dont elle n'avait jamais entendu parler les batte en dix minutes, pas sans aide...

Elle se figea à cette pensée, mais la repoussa immédiatement. Non, c'était impossible. Pas moyen, ça ne pouvait pas...

Elle s'ébroua à nouveau, ayant l'impression d'être en overdose de sucre ou de caféine. Elle ne pouvait pas se concentrer plus de trois secondes sur ce qui était devant elle?

-Les Raimons n'ont pas l'air de pouvoir réussir une passe, remarqua Sharp avec déception.

Elle tourna sa tête vers l'écran. Effectivement, ils rataient occasions après occasions. Elle fronça les sourcils avant de soupirer:

-C'est donc pour ça que le coach l'a accepté dans l'équipe...

Elle sentit immédiatement un regard de faucon sur elle et elle frémit. La concentration de Sharp n'avait rien à envier à ceux des joueurs dans la "zone" et elle s'en voulut d'avoir oublié à quel point il était dangereux. Son commentaire, qui aurait pu paraître innocent aux oreilles de non-initiés, l'avait fait remarquer auprès de son gardien.

-Que veux tu dire par là?

Honnêteté, se rappela-t-elle en soupirant.

-Ce problème n'est sûrement pas neuf. Le vieux le savait, et il a demandé de l'aide à un stratège qui serait capable de venir avec des trucs et astuces pour corriger ces erreur de coordinations.

-Trucs et astuces?

-Ce n'est que du bricolage vite fait sur la pelouse. Cela leur permettra au moins de faire illusion, mais il faudra que les Raimons travaillent plus souvent en équipe pour perfectionner leurs passes sur le long terme.

-Et qu'est-ce qui a causé ce problème? Ils n'avaient pas ce défaut auparavant.

Elle haussa les épaules.

-J'en sais rien, je connais pas Raimon. Je n'ai aucune idée de comment ils s'entraînent, et des bourdes qu'ils peuvent faire.

Regard perçant à nouveau, et elle souffla avec irritation, sans tenter de cacher son agacement:

-Cessez de m'observer ainsi, je ne sais rien!

-Tu as quelque chose à dire.

Elle marmonna des imprécations et il fit semblant de ne rien entendre, sans la quitter des yeux.

-Vous allez rater le match si vous continuez à me fixer, nargua-t-elle.

-Tu vas m'empêcher de profiter du match de mon fils parce que tu retiens des informations?

Elle lança ses mains en l'air, mi-amusée mi-frustrée de ce chantage affectif.

-Bien! Ces crétins se sont probablement trop entraînés physiquement individuellement, et ils n'ont plus conscience de leur force, ni des progrès des autres. Ils se sont habitués à un certain schéma, et maintenant ils ont juste avancé trop vite. Résultat: toutes leurs passes et techniques combinées vont échouer, sauf si votre rejeton trouve une solution temporaire.

-Merci d'avoir aussi volontairement partagé ton avis, Lise.

Et il se moquait d'elle en plus? Elle poussa un grognement, retenant un sourire. Cela faisait longtemps qu'on ne l'avait plus reprise, ni corrigée, ou dénoncé avec justesse ses conneries. Elle appréciait un challenge...

-Mais je suis surpris que tu t'y connaisses autant, je pensais que tu n'aimais pas le foot, remarqua-t-il neutrement.

Toute envie de rire disparut immédiatement, et elle se referma sur elle-même pour ne penser à rien.

-Je hais le foot du plus profond de mon être, asséna-t-elle froidement.

Elle sentit presque physiquement le frisson que son ton venait de provoquer chez Sharp, mais elle ne pouvait pas s'en soucier moins. Il avait posé la question, après tout.

-Et je comprends, murmura-t-il.

Elle hocha brusquement la tête, et faisait mine de sortir lorsqu'il l'appela:

-Pourrais-tu m'aider à comprendre le match? Je suis assez dépassé, je l'avoue, et il me serait agréable de saisir les enjeux et les difficultés que mon fils traverse.

Il ne l'avait pas formulé comme un ordre, il lui laissait le choix. Ceci dit, le choix était tout relatif: si elle refusait, il serait déçu, et il n'était pas bon de décevoir celui chez qui elle vivait dès le premier jour. De plus, elle lui était redevable à un point tel...

Elle dirigea ses yeux vers l'écran, analysant les joueurs. Ce fut Sharp qui prit la parole le premier:

-Terria est connue pour sa défense. Son attaque est assez faible, mais leur technique "La muraille infinie" leur a permis d'arriver jusque là sans encaisser un seul but. C'est tout ce je sais, s'excusa-t-il.

-Votre fils doit être en train de réfléchir à une formation, ou en tout cas des conseils pour chaque joueur, afin que leurs passes fonctionnent enfin.

-Cela va prendre longtemps?

-Pour un meneur de jeu normal? Une mi-temps complète. Pour Jude Sharp? Une dizaine de minute, tout au plus.

Elle le sentit se rengorger et serra les dents, avant de reprendre calmement:

-Leur attaque est faible, leur seule chance sont des percées éclairs dans la défense, et un tir par surprise. Je ne connais pas bien leur gardien, Evans c'est ça?

Il hocha la tête.

-Il ne faut pas qu'il se laisse surprendre. A Terria, ce sont des taupes: il est pratiquement impossible de détruire leur terrier, ils sont rapides et bons pour les feintes. S'il encaisse, le match prend déjà une mauvaise tournure.

-Parce que la muraille infinie les empêche de récupérer facilement deux points?

-C'est ça. La technique est combinée, donc...

Elle s'interrompit en voyant le but de l'équipe adverse. Mark Evans était donc un idiot, c'était officiel. Se faire avoir par une lampe torche, vraiment? N'avait-il jamais affronté une équipe qui avait de petites astuces semblables? Comme Shuriken, ou l'Institut Occulte, ou même la bande de geeks crétins du supercafés. Ils avaient déjà discuté de leurs plans devant elle, elle n'avait pu se retenir d'écouter et de se sentir profondément navrée par leur niveau abyssal.

-Comment vaincre la muraille infinie? Soupira Sharp.

-Comme je disais, c'est une technique combinée. La meilleure façon de la vaincre, c'est de ne pas avoir à l'affronter. S'il a fini d'analyser...

Elle vit Jude parcourir le terrain, touchant un mot rapide à chacun des joueurs avant de se mettre en position. Les changements étaient légers assez que pour ne pas trop les brusquer hors de leurs habitudes, mais assez significatifs que pour leur permettre de réussir leurs passes.

Elle fronça les sourcils en voyant le tir de Kevin.

-Ce n'est pas assez puissant, remarqua-t-elle. Le gardien n'aura même pas besoin de la muraille pour l'arrêter...

La hache du bucheron lui donna raison, et elle ignora l'air impressionné de son accueillant.

-Il leur faudra au moins une technique combinée pour le forcer à sortir leur atout.

Elle ne put s'empêcher d'admirer la vision du jeu de Petit Connard. Il avait deviné que le petit avec le bonnet -Max?- se ferait piéger, et avait prévu l'arrivée du ballon. Son tacle était bien évidemment parfait, et sa passe vers le duo d'attaquant impeccable.

La muraille infinie était encore plus grande que dans ses souvenirs. Ils avaient dû la peaufiner, cette technique était la fierté du collège Terria depuis des années. Les différentes générations qui se la passaient ne faisaient que l'améliorer, encore et encore. Le mur de brique à plusieurs couches était impressionnant...

-Comment contourner pareille technique?

-En séparant les joueurs. Un des deux défenseurs devra être bloqué par un des attaquants-ou peut-être un avant-centre – et exécuter une de leur technique qui n'implique pas la présence du joueur-appât. De cette façon, ils ne pourront pas exécuter la muraille infinie, et il faudra seulement gérer le gardien seul. C'est leur seule option en ce moment.

Les yeux du père scintillèrent.

-Séparer une équipe, voilà qui est intéressant... Tu crois qu'il va y penser?

-On parle du tacticien génie qui était capitaine de la meilleure équipe du pays... Je pense qu'il va s'en sortir, lâcha-t-elle d'une voix dégoulinante d'ironie.

Bien évidemment, la mi-temps arriva et elle vit l'attroupement de joueurs Raimon autour du Petit Connard. Elle retint un soupir, tandis que Sharp, pour toute sa maîtrise et son calme habituel, se retenait de trépigner sur place. Enfin, ses pupilles brillaient, son sourire était plus grand, et ses doigts tressaillaient occasionnellement, mais c'était là des preuves d'une agitation certaine.

-Tu penses que ça va marcher? Finit-il par demander, profitant d'une pause publicité pour reprendre son interrogatoire.

Elle y réfléchit un instant.

-Non, avoua-t-elle. Ce serait trop simple. Si j'ai vu ce défaut, alors sûrement le capitaine de Terria ou les joueurs eux-mêmes s'en seront rendus compte. Ils auront travaillé leurs tactiques, et leur vitesse pour ne pas se faire prendre. Ils n'auraient pas une défense imprenable s'ils n'y avaient pas pensé.

-Donc... Ils n'ont plus qu'à se reposer sur la force brute?

-Aussi perturbant que cela puisse paraître, c'est la seule solution. Enfin, hormis envoyer un des défenseurs à l'hôpital mais même dans ce cas-là, ils devraient avoir prévu un remplacement...

Il fit pivoter sa chaise pour la regarder droit dans les yeux.

-Envoyer les joueurs à l'hôpital n'est pas une solution viable.

Elle se hérissa automatiquement.

-C'est à votre fils qu'il faut le préciser, il a certainement un beau tableau de chasse!

-Qu'est-ce que tu veux dire?

-Ne me dites pas que vous n'êtes pas au courant?

-Lise...

Son ton était froid, menaçant, et elle dut renforcer sa volonté pour ne pas détourner le regard, gardant exactement la même attitude corporelle.

-Il ne serait pas bon de rejeter tous les torts sur son dégénéré de mentor, annonça-t-elle simplement. Si vous cherchez bien, vous aurez vos réponses.

Elle se retourna vers l'écran et croisa les bras, la discussion était close. Elle avait beau n'en rien montrer, elle paniquait. Regarder un match avec le père de celui qu'elle haïssait n'était pas une bonne idée, elle le savait. Elle avait cru pouvoir donner le change, prétendre un peu, mais c'était impossible. Et maintenant? Elle venait de jouer la balance, et Petit Connard la détesterait d'autant plus.

Sans compter que cela avait dû nettement refroidir Sharp quant à sa présence chez lui, mais c'était de sa faute, au fond. Il avait posé la question... L'honnêteté était à double tranchant, il devait le savoir.

Quel merdier!

Elle se secoua en entendant le coup de sifflet. Ils étaient tenaces, elle devait l'admettre, mais quand la ruse échouait, et que toutes leurs super-techniques ne passaient pas... Il était inévitable de sentir une baisse de moral. Leurs gestes ralentissaient, ils ne se battaient plus pour la moindre occasion...

-Que se passe-t-il?

C'étaient les premiers mots de Sharp, sur près de vingt minutes de lourd silence. Elle fut tentée, un instant, de ne pas répondre. Elle était passée de paniquée à frustrée, puis à vexée, et enfin en colère. Ce n'était pas à elle de lui apprendre la vie de son fils. C'était lui qui avait créé un monstre en refusant d'y prêter attention, et ce n'était pas en adoptant une rebelle qu'il allait arranger les choses! C'était complètement débile et...

-Pourquoi sont-ils aussi mauvais? continua-t-il.

Le jugement lapidaire eut au moins le mérite de la faire sourire, une fraction de seconde, avant qu'elle n'explique:

-Il n'y a rien de plus dur que de voir ses actions échouer, encore et encore. C'est un véritable chemin de croix que de se heurter au même mur, sans voir le moindre changement quoi qu'on fasse. Ils ont probablement épuisé leur répertoire; ils ont tenté la force, l'intelligence, la volonté, et rien n'a fonctionné. Ils sont fatigués d'avoir couru dans tous les sens, ils ont déjà encaissé un but... La partie a l'air finie.

-Ca ne peut pas se finir comme ça, marmonna-t-il. Son transfert...

Elle soupira, soupesa ses mots. L'idée qui lui trottait derrière la tête depuis qu'elle réfléchissait à la décision d'Hillman s'ancra dans la réalité, elle pouvait le voir venir. C'était une prise de risque incroyable, mais c'était tout ce qu'ils avaient, et ils étaient fous assez pour la tenter...

-Jude devra créer une supertechnique combinant sa puissance de frappe, celle d'Evans et de Blaze.

C'était la première fois qu'elle disait son nom à voix haute. Il lui avait fallu se concentrer pour éviter de lui donner son surnom habituel, et elle trouvait que ce mot résonnait désagréablement dans la pièce, étrange sur ses lèvres.

-Pourquoi ces trois-là?

-Blaze est le buteur avec le plus de puissance. Mark a aussi une bonne frappe, et une volonté de fer. C'est probablement lui qui va remotiver l'équipe. Votre fils...

(Il ne fallait pas trop lui en demander, tout de même. Elle n'allait pas répéter son nom à tout va)

-Est aussi relativement puissant, il n'est pas un attaquant mais il est leur meilleure chance. Le coach de Raimon le savait, et il a tenté son coup.

-Jude n'était pas venu pour corriger leurs défauts?

-Pas seulement, en tout cas. Le vieux est bien plus retors qu'il n'en a l'air.

Sharp haussa un sourcil.

-Tu le connais, ce "vieux"? Hillman, c'est ça?

-Chef d'un restaurant de nouilles. Pas cher.

Ce fut tout ce qu'elle se permit de dire. Elle ne parla pas de tous les bols gratuits qu'il lui avait préparés, sous prétexte de "faire goûter une nouvelle recette". De sa générosité mal cachée, de ses répliques presque aussi acides que les siennes, de sa bougonnerie permanente et de sa façon de laisser traîner des journaux près de sa place habituelle. Du rab qu'il lui offrait à emporter "avant que ça ne devienne mauvais". Il se doutait qu'il ne nourrissait pas qu'une seule orpheline, ainsi, mais il n'avait jamais rien dit. Leurs échanges étaient réguliers, et il avait dû s'inquiéter en ne la voyant pas apparaître pendant plusieurs jours.

C'était grâce à des gens comme lui qu'elle avait survécu.

-Qu'est-ce qu'un chef de restaurant fait comme coach d'une équipe? S'indigna Sharp. Qu'est-ce qu'il connaît au football s'il cuisine à longueur de journée?

Une ombre de sourire étira ses lèvres. S'il savait... Mais même s'il voulait de l'honnêteté, ce n'était pas son histoire à raconter. Si le vieux avait réussi à garder le secret, autant continuer.

-On a tous nos hobbys, répondit-elle en haussant les épaules.

-Je suppose, lâcha-t-il avec réticence. Ils vont devoir créer une nouvelle technique sur le coup, alors?

Elle hocha la tête, et entendit un silence empli de questionnement. Elle le laissa traîner, formuler sa question intérieurement, et se retint de sourire. Elle adorait torturer ainsi les gens, les faire travailler tout en sachant pertinemment ce qu'ils voulaient. C'était sa dose de satisfaction, elle jugeait que c'était un moindre mal... Surtout comparé à tirer sur des gens avec des ballons en cuir.

-Comment est crée-t-on une super-technique?

Le franc était tombé, alléluia! Elle dut retenir un sourire sadique et articula:

-Ca dépend de chacun...

-Donc tu n'as aucune idée de ce que ça va être, de combien de temps ça va prendre?

-Aucune.

Il était mal de savourer cela, surtout lorsqu'une jeune équipe risquait de perdre son rêve, mais elle en avait marre d'être interrogée. Marre de se forcer à rester sur place, à regarder un sport qu'elle haïssait, à commenter les actions d'un type qu'elle méprisait, tout ça pour tenter de plaire à son gardien. Qui ne resterait pas son gardien longtemps d'ailleurs, si le Petit Connard en question avait son mot à dire dans l'histoire.

Elle chassa ses pensées de la tête, constatant qu'il ne restait plus que cinq minutes. Elle ne put s'empêcher de ressentir une pointe de déception.

"C'est là tout ce dont tu es capable?"

Il était capturé dans la danse des bambous, trouverait-il une sortie-Mark Evans se tenait derrière lui? Elle ne put s'empêcher de se redresser, imitant sans le savoir la posture de Sharp. Où était Axel Blaze?

C'était possible, martela son coeur dans ses veines. C'était possible!

Y arriverait-il? Spontanément, quand il était le roi des calculs froids sans pitié? Pourrait-il se caler au rythme du gardien, et celui de l'attaquant?

Non. Il n'était pas question de se caler aux pas des autres. Sous ses yeux stupéfaits, un changement s'opéra: Mark imposait son rythme aux deux autres, sans même leur dire quoi que ce soit. Comment? Qu'est-ce que-?

Petit Connard passa vers le capitaine, et la balle se para d'une énergie mauve. Comme une danse bien exécutée, les trois se mirent en place et tirèrent simultanément, sans la moindre hésitation.

Elle se mordit la lèvre en voyant la muraille infinie se dresser devant eux. Voulait-elle qu'ils gagnent, ou qu'ils perdent? Elle n'en savait rien...

Non, c'était faux. Elle le savait, et c'était ce qui la perturbait.

Elle voulait que ce tir passe, à tout prix.

Quelques battements de cœur effrénés plus tard, la muraille se brisa et elle expira lentement un souffle qu'elle n'avait pas conscience d'avoir retenu, tandis que Sharp se levait. Devant son haussement de sourcil, il se rassit en s'éclaircissant la gorge, et il masqua sa gêne:

-Ils l'ont fait! Ils sont à égalité, que se passe-t-il maintenant?

-Soit ils arrivent à mettre un goal dans les deux minutes restantes -possible, les joueurs de Terria sont fortement ébranlés- soit cela va traîner dans les pénaltys, et il faudra que leur capitaine se ressaisisse et sache arrêter une lampe de poche.

Il se rassit, les mains croisées, et bien évidemment une minute plus tard Dragonfly marquait sans difficulté. C'était tellement anti climatique qu'elle n'en ressentit rien, et resta d'autant plus confuse à propos de ses sentiments plus tôt. Était-ce parce que Petit Connard avait été impliqué? Était-ce le rythme de Mark? La ténacité de l'équipe? Ses propres idéaux?

Elle n'en avait aucune idée, et elle était officiellement épuisée.

Après un courtois hochement de tête au père Sharp-il était mal à l'aise, ne sachant visiblement comment la remercier ou comment se réjouir de la victoire de son fils- elle sortit de la pièce.

Fatiguée, perturbée, elle se dirigea telle une zombie vers sa chambre, mais se figea face au lit propre, tout fait. Le sentiment de ne pas appartenir à un lieu pareil la fit presque chanceler, et elle tenta de se secouer. Elle n'était pas trop sale, on lui avait offert ce lit, cette chambre était son espace attitré...

Elle allait prendre une douche. Oui, c'était sûrement ça.

Non, ce n'était pas ça, constata-t-elle furieusement, les cheveux encore humides. Elle défia du regard ce matelas hyper épais, ces draps duveteux et le coussin rembourré comme s'ils l'avaient personnellement offensée. Il était tout de même incroyable de ne pas oser poser ses fesses sur des bouts de tissu!

Bon, lesdits tissus devaient probablement coûter plus cher que toutes ses maigres possessions réunies, et elle n'était qu'une sale orpheline qui-

Ok, cela suffisait. Elle ne parviendrait pas à dormir ici. Elle jeta un coup d'œil au canapé, eut un soupir résigné en y voyant la même perfection que son lit, et sortit. Si elle pouvait trouver, parmi toutes ces pièces, une seule un peu vieille, un peu poussiéreuse, qui ne lui donne pas l'impression de vivre dans un château, elle dormirait là. Elle avait passé plusieurs nuits sur le sol, si elle trouvait un endroit où elle ne se donnait pas l'impression d'être une intruse, avec ses cheveux multicolores...

Au lieu de tourner à gauche en sortant, comme lors de sa précédente exploration, elle tourna à droite. Bureau proprissime, magnifique bibliothèque-elle se promit d'y jeter un coup d'œil lorsqu'elle serait moins épuisée- bureau à nouveau, une autre suite -inoccupée- une salle de bain -probablement celle de Petit Connard, l'envie de mélanger tous les produits était forte mais elle résista- une salle de jeu -celle là n'avait pas l'air très utilisée, mais elle était tellement bien entretenue qu'on l'aurait cru sortie d'un magazine-...

Combien de pièces y avait-il?

Elle soupira en poussant une énième porte, mais s'immobilisa immédiatement devant l'ambiance de la pièce. Elle était vraiment poussiéreuse, et les bouquins qui y traînaient de façon négligée donnaient un côté détendu, empilés contre des Cds, des disques vinyles, un fauteuil usé où une couverture y était chiffonnée-on pouvait y deviner la forme de la dernière personne à s'y être assise- mais surtout...

Un piano.

Il trônait en plein milieu, fièrement, remplissant d'âme la pièce par sa seule existence. Qu'est-ce que cela pourrait donner si ces cordes vibraient de sons riches? Elle remarqua, sur le parquet, de nombreuses traces, et devina que des chaises avaient été traînées ici, et que des violoncelles-contrebasses?- s'étaient installés là, et tout à coup la pièce se remplit de gens en tout genre, discutant dans un brouhaha fantôme incompréhensible mais si rassurant...

Elle s'y sentait bien.

Elle ouvrit une armoire sans trop réfléchir, et y trouva une pile de couvertures et coussins, certes un peu défraîchis, mais parfaits pour elle. Elle tourna un peu dans la pièce, avant de trouver un coin reculé entre deux étagères, où elle pouvait caser ses affaires et dormir sans que cela ne se voie trop.

De toute façon cette salle n'avait pas l'air si occupée, le bazar qui y prenait place détonnait tellement avec le reste de la maison qu'elle devina que les Sharps n'y passaient que trop peu de temps, et que les domestiques n'y touchaient pas.

Elle ne poursuivit pas davantage ce fil de pensée, étala les couvertures, le coussin, et elle s'allongea avec un soupir de contentement. Sa claustrophobie n'avait aucune raison de se manifester, puisqu'elle voyait toute la pièce, mais en même temps l'endroit était assez petit pour qu'elle n'aie pas l'impression d'être à découvert.

C'était parfait.

...

Et voilà! Qu'en pensez-vous?

Lise est évidemment traumatisée, ce n'est pas facile d'être une orpheline... Si vous avez des soupçons, n'hésitez pas à en faire part dans les commentaires!

Passez une bonne semaine~