Chapitre 2 – Lâcher prise.
PDV Magnus
La semaine redémarrait avec sa charge habituelle. Les années avaient beaux passer, j'avais beau m'organiser, Alec avait beau m'aider, Aria avait beau grandir, j'avais toujours cette même sensation de passer ma vie à courir après le temps car comme d'habitude, j'en manquais cruellement et ce, depuis maintenant 8 longues années.
À 27 ans, j'entamais avec fierté ma dernière année d'internat à l'hôpital Raziel. Au cours de mon cursus, j'avais fini par me spécialiser en chirurgie pédiatrique. J'ai toujours su que je voulais devenir chirurgien mais c'est uniquement après la naissance prématurée d'Aria que j'ai voulu me spécialiser en pédiatrie. Assurer un développement de l'enfant le plus parfait possible afin de l'amener à l'âge adulte sans séquelles est la mission première de notre métier et cette mission me tenait particulièrement à cœur car les enfants représentaient l'innocence et l'avenir d'un monde meilleure. Les enfants sont l'espoir et cela me déchirait le cœur de voir que tant d'entre eux devaient dès la naissance, commencer à se battre pour leur survie à cause de pathologies ou de malformations. Ce n'est pas facile tous les jours, les journées et les nuits sont extrêmement longues, voir la détresse des parents et la souffrance de tous ces innocents est une chose atroce mais j'étais heureux de pouvoir contribuer à rendre leur vie meilleure ou à la leur sauver tout simplement. Ceci était la plus belle des récompenses et valait les milliers d'heures passées à réviser et les millions de sacrifices que nous avions fait avec ma famille. C'est aussi pour eux que je travaille si dure, je veux qu'ils soient fiers du chemin que j'ai pu parcourir grâce à leur soutien.
— Allo ! La terre appelle la lune !
Alec me fixait avec de grands yeux bleu océan comme s'il attendait une réponse de ma part.
— Euh...oui mon ange ? fis-je un peu perdu.
— Où étais-tu ? Je t'ai demandé comment tu avais trouvé Aria à la fête d'hier, répétât-il en avalant une grosse bouchée d'œufs brouillés.
Je me servis une tasse de café puis me mis à réfléchir à sa question.
— Étrange, finis-je par admettre.
— Ah ! Toi aussi tu as remarqué ! chuchota mon époux sous des airs de conspiration.
— Oui, elle semblait distraite et ne semblait pas s'amuser.
— Exactement ! Peut-être est-elle amoureuse, hasarda-t-il.
Je manquai de m'étrangler avec mon café puis fus pris d'une quinte de toux. Alec se mit à ricaner.
— Respire Bébé, se moqua-t-il, je plaisantais ! Enfin à moitié...
— Elle n'a que 9 ans !
— Oui...enfin 10 dans trois mois et puis quoi ? Tu n'avais pas de béguin toi à 9 ans peut-être ?
Je secouai la tête dépitée. Je n'étais déjà pas prêt à en parler alors l'idée que cela puisse se produire réellement me donnait envie de partir en courant.
Je me mis à fixer mon assiette de pancakes d'un air pensif. Si Alec avait raison, il allait pourtant falloir qu'on aborde le sujet...elle n'était vraiment pas elle-même hier.
Je soupirai longuement.
— Où est-elle d'ailleurs ? questionnai-je mon époux. On va finir par être en retard.
— Elle m'a dit qu'elle en avait pour 5 minutes quand je suis partie la chercher tout à l'heure.
Au même instant notre princesse se matérialisa enfin. Elle était magnifique dans sa jupe patineuse fleurie, ses collants et ses boots à découpes. Ses longs cheveux noirs ondulés retombaient en cascades autour de son magnifique visage. À mes yeux, elle n'était encore que ma petite princesse de 3 ans sauf que la réalité était autre, Aria grandissait. Elle choisissait elle-même ses vêtements la plupart du temps et avait déjà un goût très sûr pour la mode. Elle se coiffait seule et savait prendre soin de sa santé. Elle ne sortait jamais sans son inhalateur et n'oubliait jamais de prendre ses vitamines. Bien sûr, Alec et moi l'avions éduquée en ce sens. Il était important de lui enseigner la responsabilité mais quand même, je trouvais que les choses allaient trop vite subitement.
— Je sais qu'il est déjà tard, je n'arrivais pas à me coiffer ce matin, ça m'a saoulé, se plaignit-elle en s'installant à table.
Alec fronça les sourcils.
— Mais...tes cheveux sont juste lâchés mon cœur, remarqua-t-il avec perspicacité.
— Quel sens de l'observation Mon Amour... le narguai-je.
— Laisse tomber Daddy, fit notre fille en rigolant.
Le regard d'Alec passa d'Aria à moi puis de nouveau à Aria. Il semblait pommé, je me décidai à voler à son secours.
— Ils sont comme ça car elle n'arrivait justement pas à se coiffer ce matin, lui expliquai-je.
— Ah...fit-il en continuant tranquillement à manger.
Il adorait notre fille mais les problèmes existentiels de cheveux lui passaient largement par-dessus la tête.
— Pour quelles raisons n'arrivais-tu pas à te coiffer ? Quelque chose te perturbe ? demandai-je à notre fille en prenant le taureau par les cornes.
Il est vrai que c'était plat et nul comme entrée en matière mais bon le chemin n'était pas important, seule la destination comptait.
Alec se concentra de nouveau sur notre fille, ce sujet l'intéressait davantage.
Aria replaça nerveusement une mèche de cheveux derrière son oreille avant de nous répondre.
— Papa...ça peut arriver. Ça ne signifie rien, répondit-elle en se servant un verre de jus d'orange.
— Donc tu dis que tout va bien, insistai-je.
— Mais oui, tout va bien.
— Nous t'avons trouvé un peu absente à la fête hier...comme ailleurs, continua Alec.
Notre fille soupira lourdement d'exaspération comme je savais si bien le faire.
— C'est mon procès ou quoi ? Il fallait m'en informer que je vienne avec un avocat ! répondit-elle sur la défensive.
— Je ne savais pas que discuter en famille nécessitait d'en faire appel à un ! argumentai-je à mon tour.
Elle soupira de nouveau avant de reprendre.
— Merci de vous inquiéter pour moi, c'est sincère, mais je vais bien et je n'avais pas remarqué que je vous avais semblé ailleurs hier. J'ai passé une belle soirée avec toute la famille comme d'habitude. Oncle Simon et tante Isabelle m'avait manqué et Enzo est vraiment trop craquant.
Alec et moi échangeâmes un regard entendu. Aria ne nous avait pas convaincu mais on allait en rester là pour le moment.
— C'est vrai qu'il est trop mignon mon neveu ! s'exclama Alec pour détendre l'atmosphère qui s'était un peu alourdit.
— Très bien, mange un peu puis je te conduis en classe, dis-je en clôturant le sujet.
— On n'a pas eu le temps de faire le planning de cette semaine, nous fit elle remarquer.
— Très juste Princesse, répondit Alec avant de poursuivre. Bébé, as-tu ton planning à proximité ? On peut le faire rapidement, suggérât-il.
Je me levai puis récupérai mon téléphone sur le bar avant de me connecter au site de l'hôpital. C'était pratique de pouvoir consulter son planning en ligne à tout moment. En termes de modernité, Raziel était au top. L'hôpital avançait avec son temps et c'était une excellente chose. Alec lui, partit récupérer son agenda...oui l'enseignement restait très old school visiblement.
— Il serait temps de passer au numérique, le taquinai-je.
— Moi aussi je peux consulter mon planning en ligne mais je préfère la fiabilité du papier, se défendit-il.
— Ça ferait un excellent sujet de dissert' ! plaisanta notre fille tout en avalant ses œufs.
Alec et moi éclatâmes de rire. On la reconnaissait bien là, vive et pleine d'esprit.
— J'en prends bonne note mon cœur, approuva mon époux en ouvrant son agenda.
Je cliquai sur le mien.
— Quoi ?! Qu'est-ce que c'est que ce bordel ! m'exclamai-je ahuri.
Deux paires de yeux — l'une verte ambré et l'autre bleu océan — me dévisagèrent avec perplexité.
— Mes gardes ont augmenté depuis la semaine dernière, m'expliquai-je.
— Vous êtes en sous-effectif à ton service ? me questionna Alec.
— Ben...pas plus que d'habitude je crois.
— Laisse-moi y jeter un œil, me dit-il en me prenant mon téléphones des mains.
— Waouh...en gros cette semaine tu n'es quasiment pas libre pour récupérer Aria.
— Et de ton coté ? lui demandai-je.
— J'ai deux réunions cette semaine plus 3 TD en fin de journée...ça va être mission impossible.
Je soupirai longuement en pestant contre l'hôpital pour ce changement de planning inopportun.
— Et si je rentrais seule ? proposa tout à coup notre fille.
— Hors de question, répondis-je sans même prendre le temps d'y réfléchir une demie seconde.
— Mais papa...
— Je ne vais pas laisser ma fille de 9 ans déambuler seule dans les rues de la ville !
— Tu ne dramatises pas un peu ? Beaucoup de mes copains de classe rentrent seuls chez eux, de plus l'arrêt de bus n'est qu'à 5 minutes à pieds de chez nous !
— Tes copains de classe et leur famille font comme ils veulent...
— Ou comme ils peuvent, intervient Alec.
Je lui lançai un regard courroucé. J'avais besoin de son soutien là.
— Peu importe, je ne serai pas rassuré. Sais-tu combien de gamins sont renversés par des voitures tous les jours ? Combien sont kidnappés ? Ce monde est effrayant !
— Alors quoi ? Tu as prévu de m'enfermer dans une cage dorée comme Raiponce et de me servir le discours sur « le monde est méchant » c'est ça ?
Ma fille et sa répartie commençaient sérieusement à me taper sur les nerfs. Elle était très intelligente et perspicace pour son jeune âge. Avant, c'était vraiment une fierté de la voir évoluer en ce sens, mais aujourd'hui avec la préadolescence à l'horizon, je commençais à m'inquiéter des répercussions que pourraient avoir cette maturité précoce due à son cerveau hors-norme.
— Aria ne comprends-tu donc pas mes inquiétudes ? Je veux te savoir en sécurité.
— Et toi alors, ne me fais-tu pas confiance ? N'as-tu pas confiance en l'éducation que Daddy et toi m'avez donné ?
— Un malheur est vite arrivé et crois-moi, ça n'a rien à voir avec une question de confiance ou d'éducation.
— De quoi as-tu si peur papa ? C'est vrai, pourquoi me surprotéger autant ? Je ne demande pas la lune, j'aimerais juste être comme tout le monde pour un fois ! s'agaça-t-elle.
— Répète un peu ? m'indignai-je. Qu'entends-tu par être comme tout le monde pour une fois ?
Alec grimaça légèrement. La discussion avait totalement dégénéré.
— Je propose qu'on en rediscute plus calmement un peu plus tard avant de prendre une décision ferme et définitive ou que certains d'entre nous disent des choses qu'il pourrait regretter plus tard, ajouta-t-il en fixant notre fille.
— Très bien, je vais me laver les dents puis on pourra y aller, dit Aria en se levant sans me jeter un regard.
Une fois seul avec Alec, j'explosai !
— Elle va me rendre dingue comme sa mère !
— Bébé, tu as tout de même conscience qu'elle ne peut pas comprendre tes inquiétudes car elle n'est pas informée de tout.
— Je sais bien ! Attends...comment ça MES inquiétudes ? Tu es d'accord pour qu'elle rentre seule après les cours ?
— Eh bien...oui.
— Alec...commençai-je.
— Écoute-moi jusqu'au bout s'il te plait. Que risque-t-elle ? Le bus la récupère à l'école et la dépose à l'arrêt de bus qui se trouve à 5 minutes de chez nous. Il y aura d'autres élèves aussi, elle ne sera pas seule puis ça pourrait lui faire du bien. On est en train de l'étouffer, ça se voit. Aria grandit, elle a besoin de liberté. Nous à dix ans, on allait au terrain de foot, au skate parc, on se baladait à vélo...
— Déjà, elle n'a pas encore 10 ans ! Puis nous, on ne s'est pas fait kidnapper quand on avait 6 mois, plaidai-je en baissant la voix. On n'avait pas des mères déséquilibrées !
— Ouais mais ça, encore une fois, elle ne le sait pas.
— Alors quoi Alec ? Tu suggères qu'on lui raconte tout ? Je te rappelle que c'est toi qui ne voulais pas qu'on aborde le sujet de qui tu sais.
— Je sais, je sais...
— Toi aussi tu me rends dingue tu sais, fis-je en soupirant.
Mon homme se leva puis vint s'installer derechef sur mes genoux.
— Je n'ai pas toutes les réponses bébé mais peut-être qu'on pourrait lui parler du kidnapping sans lui dévoiler toute l'histoire ainsi elle comprendra la raison de nos inquiétudes et sera plus vigilante si toutefois on accepte sa demande.
— Super, maintenant notre fille devra vivre dans la paranoïa, fis-je sarcastiquement.
— Mag's..., me réprimanda mon époux.
Je plantai mon regard dans le sien.
— Je refuse de lui mentir et tu le sais. Si elle pose des questions et demande par qui elle a été kidnappée, je ne lui mentirai pas. Et tu connais notre fille, elle posera forcément des questions.
— Je le sais.
— Alors tu veux tout de même qu'on lui en parle ? Tu veux ouvrir la boite de Pandore ?
Alec soupira longuement à son tour puis enfouit son visage dans mon coup.
— J'en suis plus sûr, marmonnât-il...mais on devrait tout de même envisager de la laisser rentrer seule, de plus, toi et moi avons des plannings de fou.
— Alec, il ne s'agit pas uniquement de mes craintes. Tu as raison, toi et moi avons des plannings de dingue et les moments où nous pouvons l'amener et la ramener de l'école sont des instants précieux que je ne veux pas perdre. Ce sont des instants où nous pouvons échanger, discuter de tout et de rien, ce sont des instants où je suis présent pour elle, où je peux endosser mon rôle de père sans culpabiliser de toutes mes absences.
Alec releva brusquement la tête puis planta son regard dans le mien à son tour.
— Tu es un père formidable. Aria sait pourquoi tu travailles autant, elle a compris l'importance de ton métier et des sacrifices qui vont avec, elle ne se sent pas abandonnée par toi. Tu as toujours fait en sorte d'être là pour les moments importants, ses anniversaires, ses spectacles, ses récitals. Elle ne t'en voudra pas de ne plus la récupérer le soir. C'est son idée après tout. Ne culpabilise pas et fais lui confiance, fais-nous confiance, lâche prise Bébé.
Sans me donner le temps de répondre, les lèvres douces de mon époux se posèrent sur les miennes et commencèrent à se mouver. Automatique j'ouvris la bouche et accueillis avec réconfort sa langue qui vint caresser la mienne.
Il avait raison, je devais lâcher prise. Camille était loin, Rafael s'occupait d'elle et concernant les autres menaces, je ne pouvais pas éternellement servir de bouclier à Aria, il fallait qu'elle apprenne à se défendre dans ce monde. Certes, elle était encore jeune et je veillerai toujours sur elle mais je devais aussi lui laisser une certaine liberté afin qu'elle puisse s'épanouir et vivre comme tous les autres enfants de son âge. Cette réflexion me fit penser à sa dernière remarque.
— Mon Amour, fis-je en rompant notre baiser, penses-tu qu'Aria vive mal le fait...commençai-je incertain.
Alec me caressa doucement la joue.
— Je sais ce que tu veux me demander et la réponse est non. Ce n'est pas ce à quoi elle pensait en disant cela, j'en suis convaincu. Elle est fière de nous, de notre famille. Elle s'en moque d'avoir deux pères pour parents !
— Peut-être mais qui sait ce qui se dit à l'école...
— Elle nous en aurait parlé s'il se passait quoique ce soit.
— J'en suis plus très sûr. J'ai peur Alec. Elle nous cache quelque chose, je le sens. Je ne veux pas qu'elle s'éloigne de nous.
— Ce n'est pas le cas bébé, on a juste eu une divergence d'opinion et c'est bien car nous lui avons appris à se battre pour ses idées, à exprimer ses sentiments et ses opinions librement.
— Oui et elle le fait très bien, fis-je en rigolant.
— Nous avons une fille merveilleuse, belle et intelligente. Faisons lui confiance.
— Très bien, je suis d'accord. On fait une période d'essai, on avisera ensuite.
— Parfait, je suis fier de toi mon amour.
— Je ne serai pas contre l'idée que tu me montres à quel point quand je rentrerai ce soir, minaudai-je.
Alec éclata de rire.
— En auras-tu l'énergie après ta journée à Raziel ?
— Pour toi mon amour, toujours, lui répondis-je en capturant de nouveau ses lèvres pour un baiser remplit de passion et de reconnaissance pour l'être exceptionnel qu'il était.
Quand Aria est née, je me suis juré de la protéger de tout mais jamais je n'avais pensé que je pouvais un jour devenir, à cause de mon côté surprotecteur, celui contre qui je devrais la préserver. Alec avait raison, je devais la laisser vivre et ne pas l'étouffer. Ça me faisait une peur bleue mais ma relation avec ma fille était plus qu'essentielle, elle m'était vitale et je ne souhaitais pas qu'elle se détériore. J'allais devoir apprendre à lâcher prise.
Fin du chapitre.
