One-shot écrit dans le cadre de la cent-trente-sixième nuit d'écriture du FoF (Forum Francophone), sur le thème "Rejet". Entre 21h et 4h du matin, un thème par heure et autant de temps pour écrire un texte sur ce thème. Pour plus de précisions, vous pouvez m'envoyer un MP !
Thor marcha d'un bon pas à travers la prairie verdoyante semée de pâquerettes et de boutons d'or et s'arrêta juste à la limite avec la vallée d'en face, encastrée dans les montagnes et couverte de neige. Nul ne comprenait cette plaine asgardienne, si insolite et si différente de toutes les autres : il y faisait chaud comme dans un vignoble pendant l'hiver et sa terre était recouverte de glace au printemps. C'était devenu une attraction touristique majeure… et le lieu de repli de Loki depuis qu'il savait qu'il était un Jotün. Assis sur les rochers scintillant de givre, un livre à la main, il défiait quiconque s'approchait trop de lui de ses yeux rouges. Depuis qu'il savait d'où il venait, il ne s'était pas retransformé en Asgardien. Frigga voyait cela comme un traumatisme, Odin comme une provocation, Thor considérait que ce n'était qu'une bouderie. Loki voulait faire payer à son peuple d'adoption la fascination teintée de gêne qu'ils montraient à son égard. Et à ses parents les mensonges dont ils l'avaient abreuvé pendant tous ces siècles.
Thor, lui, se fichait pas mal de savoir de quelle couleur était la peau de son frère et si elle était lisse ou couverte de marques tribales. Loki avait toujours la même tête et, quand il avait décidé de bouder, il se renfrognait vraiment. Presque rien ni personne ne pouvait le faire bouger de sa retraite, mais Thor n'était pas du genre à abandonner. Planté à la limite entre la prairie et le sol couvert de neige, il tendit le cou en espérant que ses gesticulations attireraient le regard de son frère. Comme Loki continuait de le snober d'un air princier, le dieu de la foudre entreprit de crier suffisamment fort pour briser sa concentration.
« Hé ! Loki ! s'exclama-t-il en ponctuant ses mots de grands gestes de bras. Les cloches de Pâques sont passées, il y a des chocolats partout ! Tu ne veux pas venir m'aider à les chercher ?
-Grandis un peu, mon frère, rétorqua le Jotün sans lever les yeux de sa page. La chasse aux œufs et aux poules en chocolat, c'est bon pour les enfants.
-Il n'y a pas d'âge pour être gourmand, objecta Thor en faisant semblant de ne pas comprendre. Et ne fais pas le blasé, je sais que tu adores les bonbons ! »
Le dieu de la malice ne répondit pas. Il paraissait si blessé et si triste que le cœur de Thor se serra. Leur peuple s'était vraiment conduit comme un idiot en se mettant à dévisager avec des yeux grands comme des soucoupes ce prince qu'ils connaissaient depuis des siècles, mais Loki aussi s'était auto-persuadé que leur rejet était total et sans appel. Peut-être qu'il se détestait trop pour concevoir que les Asgardiens aient fini par mettre ce détail de côté. En tout cas, quelqu'un se devait de le lui montrer. Et pour ça, il fallait qu'il commence par sortir de sa retraite.
« Très bien, je vais chercher sans toi, prétendit Thor en haussant les épaules. Et de tout ce que je trouverai, tu n'en auras pas une miette ! »
Le dieu posa son regard sur le sol et se mit à chercher entre les aspérités qui ponctuaient l'herbe verte, dénichant rapidement quelques œufs à l'emballage de toutes les couleurs au milieu des bleuets.
« Ah, par la crinière de Sleipnir, grommela-t-il en frottant ses doigts tâchés de chocolat, c'est qu'ils fondent vite en plein soleil ! »
Loki avait enfin fini par lever le nez au-dessus de son livre pour l'observer. Les gesticulations totalement exagérées de son frère, au bout de quelques minutes, le firent finalement réagir. Son regard rouge rubis s'adoucit et il soupira.
« Viens, ordonna-t-il en posant son ouvrage et en se levant de son rocher pour se percher sur un autre, couvert de neige. Je vais te donner un coup de main, mais seulement pour que tu me laisses en paix ! »
Tout content, Thor accourut aux côtés de son frère et lui tendit les chocolats. D'un simple effleurement de sa main bleue, Loki les enroba d'une fine couche de glace brillante comme un miroir.
« Ils cesseront de fondre le temps que tu termines ta petite promenade, expliqua-t-il. Et maintenant, laisse-moi.
-Merci, Loki, lança Thor avec un grand sourire. Mais il y a plein d'autres chocolats à ramasser, tu sais. »
D'un geste, il noua soudain ses bras autour du Jotün, le souleva de son rocher, le fit pivoter et le reposa sur l'herbe, au milieu des pâquerettes, avant même qu'il n'ait le temps de crier.
« Thor ! protesta pourtant son frère après une seconde d'incompréhension. Que fais-tu ?! Je t'avais demandé d'arrêter de me harceler ! Ce n'était pas assez clair ?!
-Je t'ai attrapé et je t'ai fait passer du côté lumineux, déclara Thor sans s'émouvoir. Par conséquent, tu as perdu !
-Quoi ? Thor !
-Tu as perdu ! Allez, viens par là ! Il doit y avoir plein de cocottes et de lapins en chocolat dans les racines de ces arbres !
-Je ne jouais pas ! »
Mais Thor paraissait totalement sourd à ses protestations. Il s'éloigna d'un pas guilleret entre les parterres d'iris et les bouquets de jonquilles, vers l'ombre des peupliers. Loki resta figé sur place pendant quelques secondes, sans savoir quoi faire, puis le dieu de la foudre entendit enfin ses pas hésitants le suivre.
« Je ne jouais pas, répéta quand même le Jotün pour être sûr, avant de se figer pour désigner un œuf géant enrubanné de rose. Là-bas !
-Génial ! Tu vois, quand tu décides de ne pas faire ta mauvaise tête, s'enthousiasma son frère en courant vers sa trouvaille. Loki, tu sais que tu es intelligent, drôle et généreux. Ça ne changera pas, que tu sois un Jotün ou non. Alors cesse de vivre retranché au milieu de ces rochers pleins de neige. Moi, je t'aimerai toute ma vie. »
Le dieu de la foudre entendit son frère déglutir d'émotion. Mais il ne se retourna pas, avant de voir la main de Loki se poser sur l'œuf géant pour l'enrober de givre. Alors, à ce moment-là, il se redressa, lui sourit et le prit dans ses bras. Il sut qu'il avait gagné. Loki ne le repoussa pas et se détendit même, pour la première fois depuis longtemps, dans l'étreinte.
