Bonsoir bonsoir ! Voici un nouveau chapitre au rythme que je trouve un peu décousu, on verra ce que vous en pensez. TW léger : alcool, déprime. Ce TW concerne évidemment Lola, mais je tiens à vous signaler que je ne compte pas remixer éternellement les mêmes éléments dans toutes mes fics, et que non, Lola face à ses addictions ne sera pas le thème de Faire un choix. Ce sera beaucoup plus un élément de sa backstory. Je dois cependant la mettre un peu mal au début de l'histoire afin de lancer la suite, vous m'en pardonnerez ! Bonne lecture ^^


Chapitre 3

Dynasty


POV Lola


J'ai passé sept jours dans un état second. A ma sortie de l'hôpital psychiatrique, il y a trois semaines maintenant, je me portais mieux. Evidemment, puisque c'était l'objectif recherché par mon séjour là-bas. Je suis loin d'être complètement guérie, bien sûr. J'ai toujours des moments noirs, des rechutes où je cède à l'impulsion d'une cigarette, d'une bouteille ou de bras mal intentionnés. Je me suis décidée à repartir à zéro et à tout reconstruire, lentement, en acceptant l'idée que parfois, tout s'effondrerait et que je devrais recommencer tout mon dur labeur depuis le début.

Cependant, tomber sur Maya dimanche dernier a bouleversé tout ce que j'avais imaginé. Je me suis retrouvée en face d'une partie de mon passé, et non de la moindre… Dès la première seconde où je l'ai aperçue, des milliers de fragments de notre ancienne amitié, qui me semble désormais appartenir à une vie antérieure, m'ont heurtée droit dans le cœur. Comme si tout ce dont j'avais tenté de me débarrasser trois ans plus tôt avait fini par me revenir en pleine face, sans crier gare.

Malgré la petite voix aux accents raisonnables dans ma tête, qui m'exhorte à ne pas céder à la tentation, je finis par obéir à mon autre petite voix, la plus diabolique. Je déplace une lame de parquet branlante sous mon lit, où j'ai dissimulé une liasse d'enveloppes marquées à mon nom. L'écriture est reconnaissable entre mille. C'est la sienne.

Toutes les enveloppes sont pleines et intactes. Je n'ai jamais ouvert la centaine de lettres qu'elle m'a envoyée, au rythme d'une par semaine, pendant mes deux premières années d'internement. Le responsable du courrier de l'hôpital me les transmettait tous les mercredis. En silence, je les ai laissées s'accumuler sur ma table de nuit sans en toucher une seule. Je considérais ces lettres comme empoisonnées. Elles étaient imprégnées de l'écriture de Maya, de ses mots, de toute ma vie d'avant, une vie qui m'avait menée jusqu'à ce désastre. Je ne pouvais pas me permettre d'y replonger, parce que je connaissais le pouvoir de Maya sur moi. Ses mots auraient réussi à me convaincre de lui répondre, d'entretenir une correspondance avec elle. Et par là même, de l'entraîner avec moi dans cette spirale infernale. Je me l'étais interdit.

Maya avait sa vie à continuer, sans moi et mes démons pour lui couper les ailes. Je savais qu'elle était capable d'accomplir tout ce qu'elle voulait. Elle était une artiste dans l'âme, et je sais aujourd'hui qu'elle l'est toujours. Avant que tout ne bascule, elle rêvait de monter sur scène, de faire de la comédie son métier. Le théâtre, qui n'était qu'une vaste plaisanterie pour nous deux lorsque nous nous sommes rencontrées, est devenu une véritable passion pour elle. Je la revois encore déclamer son texte pendant les répétitions, dans une interprétation magistrale qui laissait sans voix Mme Tabarin, l'animatrice du club, ainsi que tous les autres élèves. Mais c'était moi la plus émerveillée de tous.

J'ai été la première à découvrir ce brin de petite fille, en classe de CP, qui avait été la seule à faire un pas vers moi. Elle avait supporté patiemment mes rebuffades, moi qui ne voulais pas d'autre amie que ma sœur, et s'était contentée de tout ce que j'avais à lui offrir : une comédie de l'amitié, par compassion envers elle. Quelle ironie, en y repensant, que notre histoire ait débuté par un jeu de rôles ! Mais ce jeu a fonctionné. J'ai observé Maya évoluer sur la scène, puis peu à peu en dehors, lorsque nous avons enfin fait tomber les masques et reconnu que notre amitié était devenue bien plus qu'un échange de bons procédés. J'ai fini par arrêter les cours de théâtre alors que Maya s'y investissait de plus en plus, et que sa timidité se transformait en une saisissante assurance teintée de sensibilité.

Après avoir joué avec elle dans les spectacles de fin d'année à l'école, j'ai continué à la regarder briller sur scène, mais cette fois, au lieu d'être sur les planches avec elle, j'étais assise dans l'ombre des gradins. Je l'accompagnais au début des représentations, bavardant sans fin avec elle dans les coulisses pour la détendre et la serrant dans mes bras quand le trac devenait trop étouffant pour elle. Je lui donnais la réplique pour les passages difficiles qu'elle voulait absolument revoir à la dernière minute, alors que, bien sûr, elle les connaissait parfaitement. Au milieu du public, je la regardais dérouler sa prestation et éclipser tous les autres comédiens, en articulant en même temps qu'elle toutes ses répliques, que j'avais fini par savoir par cœur à force de ne manquer aucune représentation. A la fin de la pièce, c'était moi qui l'applaudissais le plus fort. Puis je l'emmenais fêter ça dans un bar. Elle testait toujours une commande différente parmi les boissons chaudes de la carte, tandis que je restais fidèle à mon cocktail Manhattan. Et l'on refaisait le monde jusqu'à la fermeture, en allant danser aux heures de pointe.

Le fait de repenser à toute cette période de ma vie qui m'est à présent inaccessible débloque en moi des sensations inconnues, pour la plupart négatives. Je ressens le besoin irrépressible de me raccrocher à quelque chose de tangible pour m'arracher à ce ressassement du passé qui me ronge. Je glisse la main dans la poche de mon pull, que je n'ai pas quitté depuis une semaine. La flasque, ultime vestige de ma mère, est toujours là. Je l'attrape, la dévisse et la porte à mon nez pour humer les effluves âcres du whisky. Je ferme les yeux.

Fais-le, murmure la voix maléfique.

Résiste, me supplie l'autre voix, celle de la raison.

Mon corps, lui, sait clairement ce qu'il veut. Je sens chaque cellule de mon organisme irrésistiblement stimulée par l'odeur, qui me rappelle certes mes pires souvenirs, mais aussi la sensation de délivrance qui accompagne la première gorgée.

Une seconde de soulagement contre la destruction de tous tes efforts, m'avertit la voix raisonnable.

Une gorgée, ça ne fait pas de mal, réplique l'autre. En tout cas, pas plus mal que ruminer ton passé indéfiniment.

Et le seul moyen d'arrêter d'y penser se trouve dans cette flasque. Je la porte à ma bouche. Une seule gorgée. Ça équivaut à boire un cocktail en soirée. Ça ne peut pas me nuire. Et je pourrai arrêter de me torturer en pensant aux cendres de mon amitié avec Maya.

Sans tergiverser plus longtemps, je renverse la tête en arrière et laisse l'alcool couler dans ma gorge en embrasant tout sur son passage, jusque dans ma poitrine. Je me retiens de tousser à m'en arracher les poumons. Malgré la douleur, mon corps se réveille et mon cerveau ne se résume plus qu'à une seule idée : encore.

Quelques minutes plus tard, sans que je ne sache pourquoi ni comment, la flasque désormais vide roule sur mon lit et ma tête s'alourdit d'une brume délicieusement enivrante.

Encore.

J'attrape mon blouson, fourre quelques billets dans ma poche et me glisse dans le couloir. On est samedi soir, Daphné est sortie avec ses potes et mon beau-père est au travail. Je claque la porte de l'appartement derrière moi, poussée par une force irrépressible. Ma vision se brouille par instant, et j'ai du mal à garder l'équilibre. Mais j'ai tellement l'habitude de cette sensation de flou que je parviens à conserver les apparences dans la rue.

Je sors mon téléphone et appuie sur un numéro que j'ai heureusement gardé dans mes favoris – heureusement, parce que dans l'état où je suis, je serais incapable de composer un numéro ou de chercher dans mes contacts. Puis je porte le téléphone à mon oreille.

— Hé, Aymeric, lâché-je d'une voix pâteuse. Tu fais quoi, là ?

— Salut, Lola. Rien, je zone, là, je m'emmerde un peu. T'es bourrée, non ?

— Pas assez, gloussé-je en couvrant ma bouche de ma main. J'ai besoin de compagnie pour finir le travail. Tu me rejoins ?

Je l'entends s'esclaffer à l'autre bout du fil.

— Pas de souci. T'es où ?

Je lève les yeux pour déchiffrer le titre de l'établissement devant la porte duquel mes déambulations m'ont conduite. Les lettres en néon multicolore dansent devant mes yeux, mais ma connaissance aiguë des bars de Paris me facilite le travail.

— Au Violon Dingue, dis-je. Je t'attends devant la porte.

— Ça marche, je suis à dix minutes.

Il raccroche. Pour patienter avant son arrivée, je m'assois sur une borne en pierre du trottoir qui borde le bar, parce que je commence franchement à avoir le tournis. Je tiens de moins en moins bien l'alcool depuis la fin de ma cure, conséquence logique de mon décrochage. Je regarde vaguement des grappes de gens pénétrer dans l'établissement en un flux ininterrompu, jusqu'à ce que je doive me pincer pour reprendre mes esprits. Suis-je bourrée au point de me voir moi-même entrer dans le bar ?! Je secoue la tête pour tenter de dissiper la brume qui m'embrouille les idées, mais l'hallucination persiste. Là, en plein dans mon champ de vision, se trouve Lola Lecomte, bien que plus jolie, plus gaie et plus populaire, apparemment, puisque cette version de moi est entourée d'une foule de personnes et n'arrête pas de rigoler.

Tandis que j'essaie de me rappeler si j'ai avalé sans m'en rendre compte de l'ecstasy ces dernières heures, mon double disparaît à l'intérieur du bar et Aymeric prend sa place dans mon champ de vision.

— Ça fait longtemps ! s'exclame-t-il en se penchant pour me faire la bise.

— Ouais.

Aymeric est un addict, lui aussi. Je l'ai rencontré à l'hôpital, où il faisait des aller-retours qui ne duraient jamais plus de deux semaines. Quand je me reproche d'être incapable de résister à mes pulsions, je pense à son parcours de désintoxication catastrophique, qui cumule rechute sur rechute, et ça m'aide à relativiser. Je ne le considère pas comme un ami, mais il est la seule personne qui sait exactement ce que j'ai traversé, de la manière la plus profonde. Même si Daphné a été mon plus grand soutien pendant ces trois ans, elle ne peut pas réellement se rendre compte de ce qu'est le quotidien en HP, faute de l'avoir vécu. Depuis lors, c'est Aymeric qui me tient compagnie dans mes moments de grande solitude, lorsque personne n'est à même de comprendre le mal qui me gagne.

Nous pénétrons à l'intérieur du Violon Dingue, qui ne résonne pas du bourdonnement des conversations, mais de la musique qui provient d'une scène de fortune installée au fond de la salle. J'embrasse l'intérieur du regard : tout le monde est suspendu aux lèvres du groupe de musiciens qui assurent l'animation. Enfin, « l'animation » est un terme peu approprié au vu des accents mélancoliques de la chanson qui est chantée par une voix féminine.

— Et merde, soupire Aymeric dans mon oreille. Viens, on se casse et on trouve un coin moins triste.

Je hoche distraitement la tête, mal à l'aise pour une raison inconnue, jusqu'à ce que je me rende compte que c'est parce que je reconnais cette voix.

And now you're just a page torn from the story I'm building

(Désormais, tu n'es plus qu'une page arrachée de l'histoire que j'écris)

— Ça devrait être interdit d'autoriser des groupes pareils ! ricane Aymeric. Regarde-moi cette meuf, on dirait un clown.

Je porte mon regard sur la scène en plissant les yeux pour dissiper le brouillard. Des cheveux violets couplés à un manteau rose bonbon et une robe-salopette jaune. Une voix à couper le souffle. Pas de doute, c'est bien Maya. C'est la deuxième fois que je la croise en deux semaines, mais comment diable aurais-je pu imaginer qu'elle était chanteuse dans un groupe qui se produit au Violon Dingue ?

Sans réfléchir, je m'élance en direction de la scène.

— Eh, qu'est-ce que tu fous ? me crie Aymeric.

Sans lui prêter attention, je me faufile à travers la foule pressée autour des tables.

And all I gave you is gone

(Et tout ce que je t'ai donné a disparu)

Tumble like it was stone

(Et s'est écroulé comme de la pierre)

Ils sont quatre. Un bassiste, une guitariste, un batteur, et elle. Maya. Je n'avais jamais imaginé que la musique pouvait être aussi belle et aussi triste. Je continue de fendre la foule, attirée par la voix comme un papillon par des flammes. J'ai besoin de la voir, j'ai besoin de découvrir comment elle est sur scène, sur ce nouveau genre de scène qui m'est inconnu, qu'elle enflamme à présent sans moi.

Thought we built a dynasty that heaven couldn't shake

(Je pensais qu'on avait créé une dynastie que même le ciel ne pourrait ébranler)

Thought we built a dynasty like nothing ever made

(Je pensais qu'on avait créé une dynastie unique au monde)

Thought we built a dynasty forever couldn't break up

(Je pensais qu'on avait créé une dynastie qui ne pourrait jamais se briser)

Une main s'abat sur mon épaule, me faisant violemment sursauter. Mais ce n'est qu'Aymeric, qui a l'air agacé.

— Tu kiffes le mélodrame ou quoi ? Viens, on se tire, je te dis.

— Va me chercher à boire, ordonné-je sans le regarder. Le truc le plus fort que tu trouveras.

— Je suis pas ton chien, et je m'emmerde ici.

Je me tourne vers lui.

— S'il te plaît. Juste cette chanson, après, on se casse, promis.

Il pousse un grognement mais finit par tourner les talons en direction du bar. Pendant ce temps, Maya chante toujours comme si elle voulait que le monde s'arrête de tourner.

Gave you every piece of me, no wonder it's missing

(Je t'ai donné chaque partie de moi, pas étonnant qu'il m'en manque)

Don't know how to be so close to someone so distant

(Je ne sais comment être aussi près de quelqu'un d'aussi distant)

Aymeric est de retour avec un verre rempli d'un liquide transparent qu'il me donne. Il était temps, parce que je suis sur le point de rompre les digues. A en juger par l'odeur, il m'a ramené du rhum. Je vide le verre d'un trait et me plie en deux, me faisant violence pour garder en moi le filet de liquide acide. La brume autour de moi s'épaissit, la nausée me gagne et je commence à imaginer des idées stupides, comme hurler à Maya de se taire, pour qu'elle cesse de rouvrir mes anciennes cicatrices avec sa voix.

It all fell down

(Tout s'est effondré)

It all fell down

(Tout s'est effondré)

It all fell down

(Tout s'est effondré)

L'engourdissement provoqué par l'alcool n'est pas assez fort pour m'empêcher de sentir le poignard qu'elle enfonce dans ma poitrine à chaque parole.

— Arrêtez, murmuré-je faiblement, mais personne ne m'entend. Arrêtez.

Je ferme les yeux, et cette fois ce n'est pas une, mais des dizaines de Maya qui tournent tout autour de moi de plus en plus vite, en chantant de plus en plus fort, jusqu'à ce que sa voix se transforme en hurlement. Je plaque les mains sur mes oreilles, mais je ressens chaque vibration des basses, chaque percussion dans mes os. Comme si la musique me poursuivait malgré tous mes efforts pour la fuir, à l'image de la culpabilité que je traîne derrière moi comme un boulet depuis trois ans.

Les mains d'Aymeric se referment sur mes poignets, puis j'entends sa voix dans un écho très lointain.

— Faut que je sorte, balbutié-je.

Je tiens à peine debout. Aymeric soupire, exaspéré, et me donne son bras pour que je m'y appuie pendant que nous repassons entre les tables en direction de la sortie en bousculant tout le monde. Je m'arrête brusquement au bout de quelques mètres, secouée par un violent haut-de-cœur, et je vomis tout l'alcool de la soirée sur les genoux de la personne assise à notre niveau. J'entends plusieurs hurlements horrifiés, et j'ai à peine le temps d'articuler un « Désolée » pitoyable avant de m'écrouler dans ma propre mixture.


POV Maya


Nous venons de terminer la dernière chanson, mais les applaudissements habituels ne viennent pas. Au lieu de ça, c'est plutôt un désordre indescriptible qui retourne d'un seul coup le Violon Dingue sens dessus dessous.

— Qu'est-ce qui se passe ? s'inquiète Sekou, les sourcils froncés.

Je hausse les épaules, aussi déconcertée que lui, avant de constater qu'un attroupement se forme au niveau de l'une des tables. Plusieurs personnes ont brandi leur téléphone et semblent filmer la situation. Mais il nous est impossible de distinguer quoi que ce soit en raison de la foule qui s'agglutine en nous obstruant la vue.

Je descends les marches qui mènent à la scène et m'avance en direction des curieux. Les gens sur mon passage s'écartent aussitôt, en formant une sorte de haie d'honneur qui me libère le passage. Je progresse ainsi jusqu'à la table, jusqu'à ce que je découvre qui est l'attraction de la soirée.

C'est la fameuse Flavie du concert précédent, avec une expression beaucoup moins détendue qu'à notre rencontre. Et pour cause. Son pantalon est éclaboussé par une bouillie répugnante qui ne peut être que du vomi.

— Qu'est-ce qui s'est passé ? dis-je en élevant la voix.

J'aperçois alors un homme d'à peu près mon âge, qui tient dans ses bras une silhouette vêtue de noir.

C'est pas vrai…

— Lola !?

Je reste figée, ne comprenant rien à ce qui se passe. Que diable fabrique Lola ici ? Et surtout, quelle mouche l'a piquée d'aller vomir sur son sosie ?

— Elle s'est évanouie, m'informe l'homme qui la tient dans ses bras.

Je fronce les sourcils devant ce tableau désagréable. Ils ont l'air de bien se connaître, vu la façon dont il la porte. Et plus si affinités ?

L'autre détail qui échappe totalement à mon entendement est la façon dont tout le monde se presse autour de Flavie alors qu'une histoire de vomi aurait plutôt de quoi dégoûter les gens. Elle-même semble agacée par les flashs des téléphones qui l'éblouissent de tous côtés. Deux hommes un peu plus âgés qu'elle s'empressent depuis plusieurs minutes de nettoyer son pantalon, mais elle finit par les repousser. J'arrive à entendre ce qu'elle leur marmonne entre ses dents :

— C'est bon, je me débrouille. Je ne suis pas en sucre.

Soudain, Tom le gérant se précipite sur elle en jouant des coudes, l'air affolé.

— Mademoiselle Delangle, je vous prie de bien vouloir accepter nos plus sincères excuses. Je suis navré, je ne pensais pas qu'un tel incident allait…

— S'il vous plaît, appelez-moi seulement Flavie, je n'ai que dix-neuf ans, l'interrompt-elle. Et vous n'y êtes pour rien, ne vous excusez pas. Est-ce que cette fille va bien ?

La foule retient son souffle pendant que l'homme qui tient Lola examine son visage pâle comme un linge et tente de la réveiller, sans succès. Malgré ma rancœur envers elle et ma stupéfaction face au chaos qu'elle vient de provoquer à la fin de mon concert, je ne peux ignorer la pointe d'inquiétude qui perce au fond de moi.

— Que quelqu'un appelle les secours, ordonné-je en essayant de conserver mon calme.

Tom s'exécute aussitôt, tout en ordonnant aux curieux d'arrêter de filmer. Le reste de Lamifex m'a rejoint.

— C'est quoi ce bordel ? me demande Jo, les yeux exorbités.

— C'est une longue histoire. Vous m'accompagnez aux urgences ?

— Je ferais mieux de rester ici pour rentrer toutes nos affaires, intervient Sekou d'un ton posé.

— Merci, Sekou. (Je fais un signe de tête à Jo et Max.) On file.

Nous passons en un coup de vent en coulisses pour récupérer nos vestes. Max me murmure au passage :

— Je t'ai entendue. C'est Lola ?

— Ouais. Elle a vomi sur quelqu'un et elle s'est évanouie.

— Putain, elle fait pas son retour dans la discrétion ! commente Jo dans notre dos.

Je grimace. Depuis que je les connais, ils sont bien entendu au courant de toute mon histoire avec Lola et ce qui s'est ensuivi. Je les ai également prévenus qu'elle était sortie de cure. Lola fascine mes amis, et je suis certaine qu'avec une telle affaire, je n'ai pas fini de les entendre cancaner.

Alors que nous débouchons à l'air libre et que j'entends la sirène hurlante de l'ambulance se rapprocher de plus en plus, quelqu'un crie mon prénom. Je me retourne et découvre Flavie qui se presse dans ma direction, essoufflée. Son pantalon est encore humide de l'eau qui a servi à le nettoyer.

— C'était bien toi tout à l'heure ! s'exclame-t-elle en s'arrêtant à ma hauteur. Ça va ? Tu es toute blanche…

Je jette un coup d'œil rapide à Max et Jo, qui restent bouche bée. Je ne les ai toujours pas mis au courant de ma rencontre avec le sosie de Lola.

— Euh… salut, Flavie, c'était sympa de te revoir, mais on doit partir vite. Cette fille qui t'a vomi dessus… C'est la Lola dont je t'ai parlé la dernière fois, celle qui te ressemble.

La bouche de Flavie s'arrondit sous l'effet de la surprise. Elle paraît aussi éberluée que je l'étais quelques minutes auparavant.

— Oh ! Mais…

— J'espère que tu lui pardonneras, la coupé-je. Elle n'était pas dans son assiette.

Je tire Max et Jo par le bras, un dans chaque main, et les entraîne à ma suite en ignorant la boule d'angoisse qui se noue dans mon ventre. Ils me suivent avec difficulté, le regard aimanté par Flavie pour une raison qui m'échappe. N'ayant jamais vu Lola, ils ne peuvent pas être perturbés par sa ressemblance avec elle, alors je ne comprends pas ce qui les fascine autant.

L'ambulance se gare devant le Violon Dingue et les urgentistes viennent récupérer Lola pour la placer sur un brancard. L'homme qui la portait dans ses bras tout à l'heure a l'air contrarié et refuse de s'éloigner d'elle. Max, Jo et moi descendons le trottoir en direction de la place de stationnement où est garée la voiture de Sekou, le véhicule principal de Lamifex. Jo essaie de parler, mais Max l'en empêche aussitôt en plaquant la main sur sa bouche. Encore une fois, je ne comprends rien à ce qui se passe.

— Maya, attends ! crie Flavie dans mon dos.

Je me retourne, légèrement impatientée par ce contretemps.

— Vous allez à l'hôpital ? demande-t-elle, sincèrement préoccupée.

— Oui, on va suivre l'ambulance.

Elle hoche la tête avec concentration en pianotant quelque chose sur son téléphone à la vitesse de la lumière. Puis elle relève la tête et plante son regard décidé dans le mien.

— Je vous accompagne.


Crédits : MIIA, Dynasty