Anima était un immense continent abritant de nombreuses régions et villes parfois très différentes les unes des autres. Néanmoins, une chose restait la même peu importe où les humains vivaient. Leurs incapacités à accepter et comprendre la différence. C'en était presque drôle à pleurer. Presque.
Présentement, un groupe de cinq humains dans une ville du désert d'Anima était en train de s'alcooliser gaiement dans la rue en se remémorant leurs bonnes actions de la journée. Ils se trouvaient non loin d'un bar, ce qui expliquait largement leur état d'ivresse avancée. La discussion naviguait entre les faunus qu'ils avaient bizutés à leurs travails, et à quel point ceux-ci étaient inférieurs à l'homme. Autant dire que le peu d'intellect qu'ils avaient encore était déjà en train de faire ses valises. Sur leur chemin, ils bousculèrent sciemment les faunus, et les insultèrent copieusement. Malheureusement pour eux, ils ne réalisèrent pas la présence de la silhouette encapuchonnée qui les suivait depuis déjà quelques mètres.
_ Hééé j'dois pisser, énonça gaiement l'un d'eux créant un mouvement de troupe en direction d'un cul-de-sac où leur camarade pourrait soulager sa petite vessie.
Celui-ci se dépêcha de se mettre dans un coin, il défit sa braguette et laissa échapper un soupir de soulagement. Dans sa félicité, il ne se rendit pas immédiatement compte que ses amis ne faisaient plus de bruit. C'était un peu étrange, son cerveau obscurcit par l'alcool tenta tant bien que mal d'essayer de comprendre. Il tourna à moitié la tête pour découvrir leurs corps se vidant de leur sang sur le sol crasseux. Une silhouette encapuchonnée se tenait au milieu d'eux, une lame teintée de rouge dans chaque main. L'ivrogne hurla, et se retourna complètement oubliant la situation dans laquelle il se trouvait.
_ J'veux pas mourir, bargouina-t-il misérablement.
_ Je vais t'éventrer et te regarder te vider de tes tripes comme le pourceau que tu es, gloussa l'inconnu.
L'autre tenta de reculer mais il s'emmêla les pieds dans son pantalon et tomba sur ses fesses. Il se mit à gémir pitoyablement. Soudain, un bruit de chute sourde se fit entendre derrière le meurtrier. Celui-ci se retourna vivement.
_ Aïe mes feeeesses !
Une jeune femme était assise sur le sol (en plein dans une flaque de sang), en train de se frotter son postérieur endolori avec une expression contrariée. Elle avait de longs cheveux noirs qui tombaient en cascade sur ses épaules, et elle ne remarqua pas tout de suite qu'elle avait un public. Finalement, ses yeux tombèrent sur le sang, puis les cadavres avant de remonter jusqu'au meurtrier et à sa prochaine victime. Les yeux de celle-ci s'illuminèrent en voyant une possible chance de survivre.
_ Oh ! J'interromps quelque chose. Désolée d'abuser mais vous ne sauriez pas qui je suis ? Demanda-t-elle en penchant la tête sur le côté d'un air profondément perplexe.
_ Un témoin gênant…
_ Bouge toi abrutie de faunus ! Hurla la future victime. Sert à quelque chose putain !
Elle les regarda avec un air confus. Elle n'avait strictement aucune idée d'où elle était, ni de ce qu'elle faisait là, et encore moins de qui elle était. Par contre, se faire verbalement agresser ne lui plaisait pas du tout.
_ Faunus ? C'est mon nom? Hm. Dans tous les cas, tu crois vraiment que m'insulter va me donner envie de t'aider?
_ Mais t'es sérieuse putain?! Putain de bête inutile ! J'veux pas mourir !
_ Tt-tt de si vilains mots, susurra l'encapuchonné. Je dois t'apprendre les bonnes manières...
Le hurlement suivant se finit étranglé dans un gargouillis écoeurant. L'attaquant se retourna prêt à s'occuper de la gêneuse. Il n'était pas inquiet quant à ses capacités à pouvoir la rattraper avant qu'elle n'ait le temps de parler. Il était déjà passablement frustré de ne pas avoir pu régler correctement son compte à ces cinq humains, mais à cause d'elle il n'avait plus le temps avant que la police n'intervienne.
_ Qu'est-ce que tu fais encore là? Ne put-il s'empêcher de lui demander en la voyant assise en tailleur au même endroit qu'avant.
_ Ça ne se voit pas? J'attends que tu aies fini.
_ Il n'y a pas que tes fesses qui ont dû prendre un coup, ha. Tu veux mourir aussi?
Il s'approcha d'elle et posa son couteau contre sa gorge. Elle le regarda avec ses pupilles bleues de la même couleur que ses oreilles et sa queue touffue. Elle était un faunus. Comme lui. Encore plus dérangeant, elle se contenta de faire une expression contrite.
_ Si j'avais vraiment voulu te causer du tort j'aurais commencé à courir depuis longtemps.
_ Peut-être que tu es suffisamment maline pour savoir que je te rattraperai.
_ Peut-être que je ne peux pas me relever.
Elle avait dit la dernière possibilité en détournant le regard pour dissimuler l'étincelle de fierté qui venait de mourir prématurément dans ses yeux.
_ Tu ne veux pas m'aider à me lever. S'il te plaît?
Une heure plus tard, il regrettait déjà d'avoir épargné cette faunus visiblement bien dérangée du ciboulot. Il avait espéré qu'elle s'enfuirait à toutes jambes une fois remise sur ses pieds, mais au contraire elle avait décidé de le suivre sans aucune raison valable. Il avait alors décidé d'accélérer la cadence, de toute façon il devait disparaître pour éviter de se faire capturer par la police. L'idée était amusante, mais la dernière chose qu'il voulait était de se retrouver emprisonné. En quelques acrobaties, il avait rejoint les toits de la ville et disparut dans la nuit.
Malheureusement, une heure s'était à peine écoulée après avoir rejoint sa cachette en-dehors de la ville, qu'il entendit des bruits de pas hésitants et laborieux. Sans étonnement, il découvrit la faunus. Celle-ci fit le tour de la vieille cabane avant de le repérer au bord de la rivière où il était en train de nettoyer ses armes.
_ Tu es une vraie suicidère n'est-ce pas? Demanda-t-il menaçant.
Il avait quitté sa capuche, son visage était maintenant pleinement visible dans la lumière de la lune, et il déplia lentement sa queue de scorpion pour l'intimider. Elle avança encore de quelques pas peu assurés. Elle semblait à deux doigts de prendre ses jambes à son cou. Il caressa l'idée de lui lancer un couteau pour la faire détaler, mais au même moment elle s'étala de tout son long sur le sable boueux.
_ Tu as une queue toi aussi, pointa-t-elle pertinemment des larmes dans les yeux. Apprends moi comment marcher avec la mienne, pitié !
Est-ce qu'elle se moquait de lui? Les faunus naissant avec un appendice apprenaient tous à marcher naturellement avec leur queue. Ils étaient même bien souvent beaucoup plus agiles que ceux qui en étaient dépourvus.
_ Comment m'as-tu retrouvé? Gronda-t-il en s'approchant d'elle. Qui es-tu? Pourquoi me suis-tu?
_ Ne rigole pas, demanda-t-elle en retour tout en s'asseyant plus confortablement. Je… J'ai suivi ton odeur…
_ Ah.. Ahahahaha.
Il fut soudainement pris d'un fou rire légèrement inquiétant.
_ Tu es vraiment étrange. Maintenant, donne moi une bonne raison pour ne pas te tuer…
Sa façon de passer de l'hilarité à la pulsion meurtrière avait de quoi déstabiliser, mais la jeune femme semblait désespérée.
_ Je n'en ai pas. Je n'ai pas de nom ni de souvenirs, donc si tu me tues personne ne viendra se venger. Tout à l'heure, quand j'ai perdu ta trace, je suis tombée je ne sais combien de fois. Personne ne m'a aidée. J'ai essayé de demander de l'aide dans un bar, on m'a jetée dehors. Les seuls regards et paroles que j'ai reçues depuis que j'ai ouvert les yeux ont été insultantes ou humiliantes.
Maintenant qu'il la voyait de près, elle semblait effectivement encore plus pitoyable que lorsqu'il l'avait semée dans la rue. Sa queue était gorgée de sang, ses vêtements déchirés, ses mains et genoux étaient écorchés. Il n'avait pas commencé à tuer pour s'en prendre à des faunus comme lui. Elle n'était même pas une proie intéressante.
_ Faunus n'est pas ton nom, c'est ce que tu es. Tu n'es pas humaine. Visiblement tu tiens plus du renard. Pour eux tu n'es rien, bienvenue dans mon monde haha.
Il pointa ses oreilles avec sa propre queue de scorpion. Elle fit une drôle de tête ce qui fit bouger ses oreilles de façon incontrôlée.
_ Tu sais quoi… Tu as l'air presque aussi timbrée que moi, alors je tolérerai ta présence, accepta-t-il avec un sourire de prédateur légèrement inquiétant.
_ Merci !
Elle lui dédia un sourire radiant qui laissait légèrement transparaître à quel point elle était soulagée d'entendre enfin des paroles plus ou moins bienveillantes. C'était triste à en mourir qu'une personne hypothétiquement innocente et pure soit réduite à suivre un faunus tel que lui. Mais c'était le monde dans lequel il vivait, et il avait fait la paix avec ce fait en même temps qu'il avait reçu les cicatrices dans son dos.
_ Comment tu t'appelles? lui demanda-t-elle.
Elle se lavait sommairement dans l'eau tandis qu'il finissait de nettoyer ses armes.
_ Tyrian Callows, est mon nom.