Pov Tsukushi

L'avion avait déjà décollé depuis une demie heure quand je me décidais à retrouver notre chauffeur. Une fois à la maison, le sentiment de solitude m'envahit aussitôt. Je me rendis dans mon bureau et fit appeler la gouvernante et le majordome :

- Vous nous avez fait demander, madame ?

- Oui. Je vais vous donner de nouvelles instructions concernant les repas.

- De quoi s'agit il, madame ?

- A partir de maintenant, le chef ne cuisinera que pour les employés et quand je recevrai de la visite.

- Mais, madame… Et vous ?

- Je me débrouillerais toute seule. Ça me manque de ne pas cuisiner !

- Mais monsieur veut que… intervint la gouvernante visiblement anxieuse.

- Monsieur n'est pas là. Et en son absence, c'est moi la maîtresse des lieux. m'agaçais-je.

Ils parurent choqués. Il faut dire que ce n'était pas dans mes habitudes de donner des ordres et encore moins de m'énerver contre le personnel.

- Très bien, madame. Et pour le repas de ce soir ?

- Dites lui de ne rien préparer. Je vais me coucher tôt.

Ils échangèrent un regard gêné :

- Monsieur nous a demandé de veiller sur vous !

- Ne vous inquiétez pas, c'est juste un peu de fatigue.

- Bien, madame.

- Demain, je recevrai le couturier pour le dernier essayage pour la soirée.

Ils s'inclinèrent respectueusement et sortirent de la pièce.

Je passais l'heure suivante à passer en revue les personnes qui seraient effectivement présentes à cette soirée. Il s'agissait de ne pas faire d'impair. Peu importe ce que je ressentais en ce moment, ma douleur et ma fatigue. Je gagnais ma chambre et me laissais tomber sur la banquette sous la fenêtre, appuyant mon visage contre la vitre fraîche. Je pensais à la joie de Tsukasa sur cette plage quand je lui avais annoncé ma grossesse. Je ne l'avais jamais vu si heureux, si enthousiaste. Et voilà qu'il était privé de ce bonheur et ce, par ma faute. Je me demandais dans combien de temps il reviendrait.

Après une douche plus longue qu'il ne l'aurait sans doute fallu, je me glissais dans les draps. Je pris le coussin de Tsukasa contre moi pour sentir son odeur et calmer mon envie de pleurer. Je me rendis rapidement compte que, sans la présence de Dômyôji, je n'arrivais pas à trouver le réconfort du sommeil. Je restais sans bouger, les yeux ouverts, les derniers événements tournant en boucle dans mon esprit.

Le soleil se levait à peine quand je décidais de me lever. Je me dirigeais vers la bibliothèque après avoir enfilé une robe de chambre et me plongeais dans la lecture d'un roman occidental. La maison commença à s'animer peu à peu. Je fus interrompue par une femme de ménage qui sursauta en me découvrant là. Elle s'excusa et disparut. Après être retournée dans la chambre pour m'habiller, je fis un tour dans le parc, reprenant la place que nous avions occupés dans l'allée de cerisiers.

Dans l'après midi la gouvernante arriva en courant :

- Je vous trouve enfin, madame. Le couturier vous attend dans le petit salon.

- Très bien, merci.

Il m'attendait effectivement avec une housse pour vêtements à bout de bras. Il sortit la robe et me la tendit. Je l'enfilais dans la pièce adjacente et le couturier m'invita à me regarder dans le miroir. La robe était magnifique mais elle avait été taillée à l'origine pour accueillir mon ventre de femme enceinte. Pourtant elle m'allait à la perfection. Tsukasa ne devait pas être étranger à ces modifications. Je sentis mon cœur se serrer douloureusement.

- Vous êtes merveilleuse, madame. Le vert vous met vraiment en valeur.

Mes mains caressèrent mon ventre. Il était de nouveau plat, comme si je n'avais jamais été enceinte. Sentant le regard pesant du couturier, je lui fis un sourire :

- Merci pour votre travail. Quel dommage que monsieur Dômyôji ne puisse pas le voir.

Il me sourit à son tour avant de s'incliner :

- Je vais vous laisser, madame. Merci de votre confiance.

Il se retira et je me retrouvais de nouveau seule. Les larmes coulèrent malgré moi. Je remis la robe dans sa housse. Je la confiais à la gouvernante et me retirais dans ma chambre.

La soirée avait débuté quand on vint frapper à ma porte :

- Je ne veux pas être dérangée. lançais-je.

La porte s'ouvrit. J'allais me retourner pour protester quand je tombais nez à nez avec Rui Hanazawa.

- Rui ?

- Tsukushi, je suis désolé de venir à l'improviste.

- Non, non, c'est toujours un plaisir de te voir. Qu'est-ce qui t'amène ?

- Je me suis dit que tu devais te sentir seule, vu que Tsukasa est reparti, et je comptais manger avec toi.

- Mais…

Comment esquiver ce repas dont je n'avais aucune envie ? Rui s'approcha de moi en une enjambée et me prit la main :

- Tu as maigri…

- J'ai juste perdu mes kilos de grossesse. dis-je avec un sourire.

- Alors ça ne te pose aucune problème de venir dîner avec moi.

- Je n'attendais personne, il n'y a rien de prêt ! protestais-je.

- Dans ce cas, on va au restaurant. dit-il en me prenant la main et en me tirant derrière lui.

Il me poussa dans sa voiture sans que je puisse m'échapper. On se rendit dans un restaurant de luxe et je fus, comme toujours, surprise de la facilité qu'il avait à rentrer dans de ce genre d'endroit hyper select.

Toujours aussi galant, il me tira ma chaise. Mon ventre faisait des nœuds à n'en plus finir. Comment allais-je me tirer de cette situation ? Rui passa commande pour nous deux et le premier plat ne tarda pas à nous être servi. Il me jeta un regard ce qui m'obligea à prendre la fourchette et à prendre une bouchée :

- C'est très bon !

- J'étais certain que ça allait te plaire.

Mon estomac protesta et la nausée me gagna. Je savais cependant où voulait en venir Rui, en réalité. Je me forçais donc à manger. Je fis de mon mieux pour entretenir la conversation tandis que les plats se succédaient. Enfin, Rui se leva et m'entraîna vers la sortie.

- Tu m'excuses, je dois passer aux toilettes. dis-je.

Il porta sur moi un regard indéchiffrable :

- Je t'accompagne.

Il s'adossa au mur et, une fois la porte franchie, je courus vers une des cabines où mon estomac se contracta violemment. Je me passais de l'eau sur le visage, je n'avais que ce que je méritais, au fond.

En sortant des sanitaires, Rui m'attrapa par l'épaule. Je lui fit un sourire.

- Tsukushi, à quoi tu joues ?

- Je ne vois pas de quoi tu parles.

- Je ne suis pas sourd…

- Je suis désolée, je suis un peu barbouillé. Mon estomac n'aime pas trop les antidouleurs. plaisantais-je.

Il fit la moue mais me ramena chez moi, sans rien dire. En me déposant devant la maison, il me tint la main :

- Je sais que tu dois représenter Tsukasa à une soirée, demain soir. Sôjirô, Akira et moi, on sera là.

- Ce n'est pas vraiment nécessaire, tu sais ?

- Entretenir nos relations de travail ne fait pas de mal. dit-il sarcastique.

- Merci.

- On passe te chercher.

- Bonne nuit, Hanazawa Rui. dis-je en rosissant.

- Bonne nuit.

J'étais dans mon lit à attendre le sommeil qui s'obstinait à me fuir quand mon nouveau téléphone portable sonna.

- Allô ?

- Tsukushi ? C'est moi. Comment vas tu ? Demanda la voix de Tsukasa à l'autre bout du fil.

- Je vais bien. mentis-je. Et toi, tu n'es pas trop fatigué ?

- Le décalage horaire, c'est vraiment l'enfer. soupira-t-il.

- Tu te reposes, au moins ?

- Ne t'inquiète pas pour moi. Ça se passe bien, à la maison ?

- Oui, Rui m'a emmené au restaurant ce soir !

- Rien que tous les deux ?

Je sentis une pointe de jalousie dans sa question.

- Oui. Et les garçons vont m'accompagner à la soirée de demain soir.

- Ça me rassure de les savoir avec toi !

- Tu ne me crois pas à la hauteur ? plaisantais-je en haussant un sourcil.

- Non, mais je m'inquiète pour toi.

- Tout va bien. Mais dépêche toi de rentrer. Mon idiot de mari me manque !

La discussion se poursuivit un long moment puis Tsukasa me souhaita une bonne nuit. Je finis par m'endormir d'un sommeil ponctué de cauchemars.

Le lendemain soir, je me préparais pour la soirée, choisis une paire de talons haut et une pochette pour aller avec ma robe. Les garçons m'attendaient dans l'entrée, tous sur leurs trente et un :

- Tu es superbe, Tsukushi !

- Oh merci Sôjirô !

- Pour une fois… continua celui-ci.

- Sôjirô ! criais-je en lui donnant un coup de poing dans l'épaule.

- T'as vraiment pas changé, toi ! Une vraie furie !

- J'en ai pas l'intention ! dis-je sans pouvoir m'empêcher de sourire à sa taquinerie.

Sôjirô ébouriffa mes cheveux :

- Enfin tu souris, Makino !

Mes trois amis me sourirent.

- On y va ? demanda Akira.

Arrivés devant le lieu de réception, Rui me tendit son bras pour m'aider à grimper les marches. La salle était déjà pleine à craquer. Un serveur me proposa un verre de champagne que j'acceptais avec plaisir. Les garçons s'étaient dispersés pour saluer leurs propres contacts et je ne tardais pas à être moi même accaparé. Tous ces sourires forcés, toutes ces courbettes qui ne faisaient que réveiller la douleur dans mes côtes, m'épuisèrent.

Vers le milieu de la soirée, on se retrouva tous ensemble. Rui me tendit une flûte de champagne et un toast :

- Mange ça, tu n'as rien mangé de la soirée.

- Rui… Ça va, je t'assure.

- Mange ! ordonna-t-il en me fourrant le toast discrètement dans la bouche.

J'avais justement la bouche pleine quand l'épouse d'un magnat de l'immobilier s'approcha de moi :

- Ravi de vous voir en pleine forme, Mme Dômyôji.

- Merci de vous en inquiéter. dis-je en avalant de travers.

- Mon mari souhaiterait s'entretenir avec votre époux quand il sera de retour des États-Unis.

- Kof…kof… Mon mari compte bien rencontrer le vôtre à son retour… Veuillez m'excuser quelques minutes, s'il vous plaît.

- Ça va, Tsukushi ? s'inquiéta Akira

- Oui oui, je vais me rafraîchir.

Enfermée dans la cabine des toilettes, je m'apprêtais à tirer la chasse quand j'entendis des voix que je reconnus sans difficultés : Asai et ses deux acolytes.

- Vous avez vu que cette pouilleuse de Makino était là ?

- Depuis qu'elle est mariée avec Dômyôji, elle se pavane partout en ville.

- Ça ne l'a pas empêché de perdre l'enfant de Tsukasa. Lui qui devait se faire une joie d'avoir un fils !

- Vous croyez qu'il va la quitter, maintenant ?

- Et pourquoi pas ? Ça te laisserait le champ libre, Yoriko.

- Si elle avait pu mourir,… Un veuf, c'est tellement sexy… Et je me serais fait une joie de le consoler.

Elles éclatèrent de rire de concert. Je sentis la colère monter en moi. Je tirais la chasse et sortit de la cabine pour me laver les mains, coupant court à leurs effusions de joie :

- Oh Tsuki… Tu étais là ? demanda Asai d'une voix mielleuse.

Je lui lançais un regard noir :

- Arrête ton hypocrisie, je te prie ! dis-je le plus calmement du monde.

- « Je te prie » ! C'est comme ça que parlent les pauvres, maintenant ?

- Ah, voilà ton vrai visage ! Il est vrai que tu ne dois pas comprendre grand-chose à l'amour. Le seul amour qui doit réchauffer ton cœur de glace c'est l'amour de l'argent.

- Comment oses-tu ?! cria-t-elle.

- Difficile d'affronter la vérité, n'est ce pas ?

- Tu vas me le payer ! répondit Yoriko en levant la main pour me frapper.

- Tu vas vraiment frapper une femme qui vient de frôler la mort ? dis-je, glaciale.

Je sortis des toilettes en les ignorant. Je pris une profonde inspiration avant de rejoindre mes amis.

- Tu en a mis, du temps. Ça va ? demanda Rui, soucieux.

- Oui, ne t'en fais pas.

Les trois pestes sortirent des toilettes et jetèrent un regard dans notre direction :

- Tu as croisé Asai et sa clique ?

- Oui. dis-je en buvant une gorgée de champagne.

- Elles t'ont dit quelque chose de blessant ? demanda Sôjirô, méfiant.

- Du tout. Elles ont été charmantes, comme toujours.

J'esquissais un sourire. La soirée se termina sans autre problème et les garçons me raccompagnèrent.

Je me glissais dans mon lit, bien décidée à faire, enfin, une nuit correcte. De me remettre à avancer et je devais admettre qu'Asai n'y était pas étrangère.

La semaine suivante fut si remplie que je ne la vis pas passer. À la maison, j'avais pris possession de la cuisine et me préparais des plats simples qui me rappelait le bon vieux temps. Il m'arrivait cependant encore d'avoir des jours entier d'abattement total où je n'avais envie de rien.

Le mercredi suivant, alors que je me levais, bien décidée à passer une bonne journée, je décidais de préparer la venue de Yuki et Shigeru, plus tard dans l'après midi. J'en profitais pour regarder quel cadeau je pourrais faire envoyer à Tsukasa dans notre résidence de New-York. Je décidais d'opter pour une composition florale et passer la commande.

Midi était déjà passé quand le téléphone sonna :

- Madame, un médecin de l'hôpital où vous avez séjourné souhaite vous parler. Dois-je vous le passer ou lui demander de rappeler ? me demanda la gouvernante.

- Que veut-il ?

- Il n'a pas voulu me le dire, madame, mais il m'a dit que c'était important !

- Passez le moi, s'il vous plaît !

- Bien, madame.

Mon cœur se mit à battre un peu plus vite. Il y eut une tonalité puis on me passa la communication.

- Allô ?

- Madame Dômyôji ? demanda une voix masculine.

- Elle-même. Que puis-je pour vous ?

- Je suis le docteur Miyasaka, le chirurgien qui s'est occupé de vous lors de votre prise en charge !

- Je vous suis sincèrement reconnaissante de m'avoir sauvé la vie. Nous serions ravi de faire une donation à votre hôpital

Le médecin se racla la gorge visiblement mal à l'aise :

- Non, il n'est pas question de cela. Je… Enfin, il y a eu un grave oubli dans votre dossier médical lors de la transmission de celui-ci à mes confrères.

- De quoi s'agit-il ?

- Et bien, je suis navré de devoir vous dire ça par téléphone mais, comme on m'a informé que vous étiez très occupée…

- Oui, et bien ? m'impatientais-je.

Il y eut un silence angoissant de quelques secondes :

- Lorsque nous vous avons opéré, nous avons constaté des dégâts irrémédiables sur votre utérus.

- J'ai bien peur de ne pas comprendre, docteur. dis-je, ma voix trop sonnant bien trop aiguë

- Et bien… Nous avons du tout retirer, malgré nos efforts pour qu'il en soit autrement.

- Que voulez-vous dire ? bégaillais-je.

Il y eut un nouveau toussotement au bout de la ligne :

- Cela veut dire que vous ne pourrez plus avoir d'enfants.

Mon cœur se serra affreusement, mon souffle se fit plus court. Il fallait que je sorte d'ici et tout de suite.

- Merci de m'avoir appelé en personne, docteur.

- Madame Dômyôji…

- Je vous souhaite une bonne journée. dis-je mécaniquement avant de raccrocher.

Le souffle court, je sentis la crise de panique arrivée. Le cœur battant la chamade et la sueur perlant dans mon dos, je me dirigeais vers la porte d'entrée.

- Madame où allez vous ? demanda le majordome paniqué

- Euh…je… Il faut que je sorte… Tout de suite.

- Mais mesdemoiselles Yuki et Shigeru ne vont pas tarder.

- Je reviens vite… Servez leur le thé et les biscuits que j'ai fait hier en attendant.

- Bien, madame. hésita-t-il

Dès que j'eus franchi la grille du domaine, je me mis à courir. À courir pour ne pas m'effondrer.

Pov Rui :

Nous étions tous les trois posés dans le salon de Sôjirô, prêts à passer ce début de soirée à nous ennuyer car ce que nous avions prévu était annulé, vu l'averse qui durait depuis plusieurs heures dehors.

Soudain, le téléphone de Nishikado sonna. Il décrocha mollement :

« Allô ?… Calme toi, Yuki, que se passe t-il ?… Comment ça, elle a disparu ?… Si vous aviez rendez-vous avec elle, ne t'inquiète pas. Je suis sûr qu'elle ne va pas tarder à rentrer. »

Il écouta longuement les explications que lui donnait la meilleure amie de Tsukushi, le visage grave :

« Très bien, ne t'en fais pas. On va partir à sa recherche. Vous, restez là-bas, au cas où elle rentre. »

Il raccrocha et se redressa rapidement :

- Qu'est-ce qu'il se passe ? m'inquiétais-je.

- C'est Tsukushi. Elle n'est pas rentrée chez elle depuis des heures. Personne ne sait où elle est et elle est injoignable.

- Elle est sûrement en rendez-vous pour le groupe Dômyôji. tenta de tempérer Akira.

- Non, elle avait rendez vous avec Yuki et Shigeru il y a des heures. Elle est partie en catastrophe d'après son majordome et sans prendre de parapluie. Je crois vraiment que c'est sérieux…

- On y va ! dis-je de concert avec Akira.

On courut jusqu'à la grosse berline de Sôjirô qui se mit au volant, dégoulinant sur son siège. La pluie avait redoublé. J'essayais à mon tour de joindre mon amie sur son portable mais je tombais directement sur la messagerie :

- Où peut-elle bien être ?

- A mon avis, à pied, elle n'a pas dû aller si loin.

- Je ne sais pas, elle s'est peut-être perdue. Ça fait des heures qu'elle est partie.

- Mais pourquoi ne prend t-elle pas un taxi ?

- Si elle est partie en catastrophe, elle est peut-être partie sans rien. proposa Akira.

- Et s'il était arrivé quelque chose à Tsukasa ?

- Je vais essayer de le joindre. dis-je en prenant mon téléphone.

- Non, je vais le faire. Si c'est toi, il se doutera qu'il y a un problème. m'interrompis Sôjirô.

Il tripota son volant et la tonalité envahit l'habitacle. Puis enfin la voix de notre ami :

- Sôjirô ? Tu es bien matinal !

- Je te rappelles qu'ici, c'est le début de soirée.

- Je sais ! s'énerva-t-il.

- Tout va bien aux states ? intervint Mimasaka.

- Oui, même si je vois la vieille, ce soir.

- Un jour, il faudra peut-être que tu arrêtes de parler de ta mère ainsi ! coupais-je.

- Ouais on verra. Bref, que me vaut cet appel ? grogna Tsukasa.

- On a plus le droit d'appeler notre leader bien aimé ?

- Oh ça va, ça va !

- La prochaine fois que tu rentres, il faudrait qu'on se fasse un voyage tous ensemble comme au bon vieux temps.

- Bonne idée, je suis sûr que ça ferait plaisir à Makino.

Il y eut un silence pendant lequel Sôjirô hésita.

- Sôjirô, il y a un soucis avec Tsukushi ? demanda Tsukasa visiblement inquiet.

- Non, ne t'en fais pas. Elle passe la soirée avec Yuki et Shigeru…

- Ah, la guenon ! Ma pauvre petite femme ! ricana t-il visiblement rassuré.

- Bon, on m'appelle sur l'autre ligne. À plus tard, les mecs ! reprit-il.

- À plus !

Le silence se fit plus pesant dans la voiture. Sôjirô s'engagea sur une grande avenue. Les gens avaient déployé leurs parapluies et on n'y voyait pas à vingt mètres. Nous roulions depuis presque une heure quand, enfin, Akira pointa quelqu'un du doigt :

- Ce n'est pas elle là ?

Je m'approchais de sa vitre. Effectivement, c'était elle qui marchait sur le trottoir à présent désert. Les bras enroulés autour de son corps, elle marchait la tête baissée :

- Si, c'est elle ! Sôjirô, gare toi.

Celui-ci freina un coup sec. Akira fut le premier dehors. Il attrapa un parapluie dans le coffre et on s'élança vers Tsukushi.

- Tsukushi ! criais-je.

Elle ne sembla pas m'entendre. On arriva à sa hauteur. Akira l'abrita avec le parapluie :

- Tsukushi ?

Elle se tourna enfin vers moi et me fit un sourire, les yeux complètement éteints :

- Rui ? Akira ?

Elle frissonnait de la tête aux pieds. J'enlevais ma veste pour la poser sur ses épaules.

- Qu'est-ce qui t'as pris de partir comme ça ? demanda Akira.

- Je… J'avais besoin de prendre l'air.

- Les filles sont folles d'inquiétude et tu vas attraper la mort. On te raccompagne chez toi ! m'énervais-je.

- Je me suis perdue…

Je la poussais dans la voiture et Sôjirô redémarra. Tsukushi frissonnait toujours. Sôjirô monta aussitôt le chauffage.

- Pourquoi tu ne t'es pas abritée ?

Tsukushi ne répondit rien et continua à sourire. Ce sourire commençait sérieusement à m'agacer :

- Pourquoi tu nous dis pas ce qu'il s'est passé ? demandais-je.

- Tout va bien ! répondit-elle sans me regarder.

- Tu nous prends pour des imbéciles ? m'emportais-je.

- Je t'en prie, Rui…

Sôjirô se gara devant la maison.

- Venez, les garçons. Je vais préparer le repas, pour me faire pardonner. proposa Tsukushi.

- Tu devrais plutôt aller te coucher. commenta Sôjirô.

- Je vais très bien… Et puis, ça fait longtemps qu'on a pas passé une soirée tous ensemble.

On soupira de concert :

- Très bien.

On nous ouvrit les portières et nous tendit un parapluie :

- Madame, enfin vous êtes rentrée… Mon Dieu, vous êtes trempés. Venez vite.

- On t'attend dans la salle à manger avec les filles. Va vite prendre une douche et enfiler des vêtements secs. annonçais-je.

Elle disparut dans le long couloir, suivie comme une ombre par sa femme de chambre. Yuki et Shigeru nous accueillirent :

- Je suis rassurée que vous l'ayez retrouvé. Qu'est-ce qu'il lui est passé par la tête ? soupira Yuki.

- Je compte bien le découvrir ! s'enthousiasma Shigeru.

- Elle ne dira rien ! coupais-je.

- Et pourquoi pas ? demanda la jeune femme, les mains sur les hanches.

- Parce qu'elle ne veut pas nous inquiéter.

- Et bien c'est raté. grommela Yuki.

Il y eut un long silence de plusieurs minutes après lequel notre amie fit son entrée.

- Vous avez faim, j'espère. Je vais vous préparer un festin de roi pour me faire pardonner. s'exclama Tsukushi en déposant des tasses de thé sur la table.

Yuki et Shigeru se jetèrent sur notre hôtesse et la serrèrent dans leurs bras :

- Je suis désolée de vous avoir inquiétés, les filles. Détendez vous, je vais préparer le repas. J'en ai pas pour longtemps.

Elle avait enfilé un jean et un pull qui, j'en étais sûr, datait du lycée. Elle souriait toujours mais sa peau était d'une pâleur fantomatique.

- Bon, je vais me mettre aux fourneaux !

Elle partit à grandes enjambées, prenant un instant appui sur le chambranle de la porte.

- Ça va, Tsukushi ? demanda Yuki.

- Oui, tout va bien.

Nous étions en train de boire nos thés quand on entendit un grand fracas un peu plus loin dans la maison, suivi du cri d'une domestique :

- MADAME !

Je fus le premier a arriver à la source de ce vacarme. Tsukushi était étendue au milieu des débris d'un vase.

- Tsukushi ! cria Yuki.

Je me précipitais vers elle. En touchant sa main, je l'entendis gémir. Je touchais alors son front :

- Elle est brûlante de fièvre !

Je la soulevais avec douceur dans mes bras :

- Sôjirô, Akira, vous devriez ramenez les filles chez elles !

- Mais… protesta Shigeru.

- Je m'occupe d'elle, ça va aller…

- Très bien… accepta finalement Sôjirô. Venez les filles.

Je me tournais vers la domestique :

- Venez avec moi, il faut la mettre en pyjama.

- J'appelle le médecin. intervint la gouvernante.

Je déposais la jeune femme sur son lit et sortit de la chambre pour laisser œuvrer la jeune femme de chambre. Elle ne tarda pas à ressortir de la pièce :

- Je vais ramasser les débris. murmura-t-elle visiblement troublée par ma présence.

Je rentrais dans la chambre et me dirigeais vers la salle de bain. Je n'eus aucun mal à y trouver un thermomètre. Je remplis une bassine d'eau fraîche et y mis à tremper des lingettes. Une fois au chevet de Tsukushi. Je pris place dans un fauteuil que la domestique avait pris soin de rapprocher du lit. La femme de mon meilleur ami gémissait faiblement. Du dos de la main je caressais son front fiévreux :

- Mais qu'est-ce qui t'a pris… soupirais-je.

Je glissais le thermomètre dans son oreille et, comme je le craignais, elle avait beaucoup de fièvre : 39,5°C. Mon cœur se serra d'angoisse. Je pris un linge et le déposait sur son front. Enfoncé dans le fauteuil, je regardais son visage crispé, mes doigts pianotant sur l'accoudoir :

- Monsieur, le médecin est là. m'informa la gouvernante.

On se retira tout deux pour laisser la place au praticien :

- Monsieur Hanazawa, dois-je prévenir le maître ?

- Non. Madame Dômyôji s'en voudrait trop.

- Je m'inquiète pour elle… Je crois que cet appel de l'hôpital l'a bouleversée.

- L'hôpital ? m'inquiétais-je.

- Oui. Je ne sais pas de quoi il s'agissait mais c'était important.

- Je vais tirer ça au clair. Pour l'instant, ne prévenez pas Tsukasa.

- Bien, monsieur.

- Pourriez vous demander au cuisiner de préparer quelque chose.

- Tout de suite, monsieur. dit-elle avant de disparaître.

Le médecin ne tarda pas à sortir de la chambre :

- Alors ?

- Et bien, ce n'est rien de grave si on omet sa fièvre. Vous devez la faire baisser au plus vite. Je vais confier l'ordonnance au majordome. Il faut aussi qu'elle mange. Son organisme à besoin de force.

- Merci, docteur.

Je repris ma place aux côtés de Tsukushi. Je changeais le linge sur son front puis lui prit la main pour y déposer un baiser. Quoi que je fasse, je ne pouvais m'empêcher d'aimer cette femme. Je ne pouvais pas cesser non plus de m'inquiéter pour elle.

Je tenais toujours sa main fine dans la mienne quand j'entendis sa voix:

- Rui ? murmura-t-elle en ouvrant lentement les yeux.

- Oui, je suis là !

- Qu'est-ce qui s'est passé ?

- Ton organisme n'a pas vraiment apprécié ta balade sous une pluie torrentielle.

- Tu peux rentrer chez toi, tu sais. dit-elle avec un sourire qui m'énerva.

- Ne t'ai je pas déjà dit un jour que tu pouvais m'épargner tes sourires de façade ?

- Oui… pardon.

Son sourire disparut.

- Maintenant, dis-moi pourquoi tu as fait ça ?

Elle se mordilla la lèvre.

- Ça a rapport avec cet appel de l'hôpital ?

Ses yeux se remplirent de larmes :

- Oui…

- C'est grave ? Tu as un problème ? demandais-je le cœur serré.

- Tout est de ma faute… murmura-t-elle.

- De quoi tu parles ?

- Je ne pourrai jamais rendre Dômyôji heureux. gémit-elle, la voix remplis de désespoir.

Je sentis la colère m'envahir :

- Où est passée la mauvaise herbe que rien ne peut empêcher de pousser ?

Elle roula difficilement sur le flanc pour me tourner le dos :

- Cette femme n'existe plus.