Je m'étais disputée avec James et la nouvelle s'était répandue dans le château comme une traînée de poudre. Nous sortions ensemble depuis presque deux mois et plus les jours passaient, plus mes sentiments m'étouffaient au point où j'en venais à ne plus me reconnaître. Quand il était là, c'était comme si je ne contrôlais plus rien et j'avais peur de ce manque d'autorité sur moi-même plus que je n'aurais su le lui avouer.
Ce soir là, je l'attendais dans la salle commune après son entraînement de quidditch et Dave Goujon avait décidé de se joindre à moi. Nous parlions tranquillement, rigolions, discutions de tout et de rien, et les choses étaient parfaitement normales et légères et sans importance et je maîtrisais tout, et peut-être qu'à un moment nous en étions venus à flirter, peut-être que je m'en étais rendue compte, peut-être que je l'ai fait volontairement, peut-être...
Peut-être que j'espérais que James pénétrerait dans la Salle commune au moment où le bras de Dave reposait sur mon épaule alors que nous étions tous les deux assis sur le canapé, peut-être que je voulais le voir se figer alors que ses yeux se posaient sur nous, peut-être que je voulais y voir les larmes de rage qu'il refusa de faire couler quand les miens rencontrèrent les siens, et peut-être que je voulais me rendre compte que je n'étais pas la seule à ne plus rien contrôler.
Il s'était avancé vers nous la mâchoire serrée, avait brutalement jeté son balai par terre et nous avait fixé sans rien dire. L'atmosphère habituellement si chaleureuse de la salle commune était devenue horriblement pensante. Il n'y avait que nous trois, et le feu était le seul qui faisait du bruit, crépitant derrière moi comme s'il voulait refléter l'état d'esprit de James.
Dave Goujon, pas courageux pour un sou, avait compris que quelque chose ne tournait pas rond. Il se dirigea vers les dortoirs et s'empressa de monter les escaliers alors que le regard de James soutenait le mien avec une fureur que je ne lui connaissais pas. Quelque chose au fond de moi s'étirait et me faisait un mal de chien. Il était là et je suffoquais encore. Mes mains étaient moites. Tout mon corps était fébrile. Mes lèvres tremblaient, désespérées de retrouver les siennes, et c'était tout ce qui me terrifiait, tout ce qui faisait que j'avais laissé les choses dériver avec Dave Goujon.
« Je... Ce n'est pas...
- Pourquoi ? m'avait-il coupé. »
Sa voix glaciale avait résonné dans toute la pièce et m'avait clouée sur place. Mes yeux avaient parcouru son visage à toute allure et j'avais ouvert la bouche mais aucune réponse n'en était sortie.
« Parfait. Absolument parfait, avait-il dit avant de laisser échapper un juron.
- James, je...
- Ne te fatigue pas. »
Il était monté dans son dortoir en laissant son balai au milieu de la salle commune et en me laissant moi, les yeux rivés sur les marches qu'il venait d'emprunter, un vide immense au fond de moi, celui qu'il avait comblé pendant deux mois.
Cela faisait une semaine. Il ne m'avait pas parlé depuis, ne m'avait pas regardé non plus, et tout était plus facile en apparence parce que je n'avais pas besoin d'affronter mes sentiments, mais ils étaient là quand même, et le manque s'insinua en moi de la façon la plus perfide qui soit. Je ne m'attendais pas à le ressentir autant et si violemment, comme un tacle à la gorge, un coup de pied dans l'estomac, comme une chute en plein vol.
Merlin, j'avais mal. J'avais si mal à l'intérieur que j'avais peine à me focaliser sur autre chose. Les cours n'étaient plus que de longues heures pendant lesquelles je fixais son dos avec la ferme intention de ne pas le faire, en vain, et les repas dans la grande salle, une lente torture parce qu'il avait pris l'habitude de s'asseoir à côté de moi quand nous étions ensemble et que la place était maintenant prise par Marlène McKinnon que j'aimais bien, mais pas autant que je l'aimais lui.
Il fallait que je le lui dise. Il fallait que je lui explique. C'était ce que je me répétais à longueur de journée, et pourtant, je ne le faisais jamais. Est-ce que lui aussi, il avait peur ? Est-ce que lui aussi, il m'aimait comme ça ? Est-ce que lui aussi, il avait l'impression de se noyer dans ses sentiments quand j'étais là ? Est-ce qu'il était embarrassé par le moindre de ses membres ? Est-ce qu'il était maladroit ? Est-ce qu'il avait aussi oublié comment vivre sans être avec moi ? Est-ce que tout semblait inhospitalier autour de lui ? Est-ce qu'il souffrait autant que moi ?
Je soupirai et rangeai mes parchemins dans mon sac. L'entraînement de Quidditch se terminait bientôt. Il fallait que j'y aille. Je ne pouvais pas supporter un soir de plus à prétendre que je préférais la simplicité de Dave Goujon. Si tout avait été léger avec lui dans la salle commune, c'était parce que je ne ressentais rien. Quoi de moins lourd que du vide ? Je me rendais compte maintenant que je préférais sentir ce poids dans ma poitrine, ce terrible et magnifique poids qui contrôlait ma vie et lui donnait les couleurs qui lui manquaient.
J'atteignis les gradins un peu avant la fin de l'entraînement et j'observai les joueurs tourbillonner avec une certaine admiration. Sirius Black et James étaient les meilleurs, mais les autres étaient loin d'être ridicules.
Dix minutes après mon arrivée, ils se posèrent au milieu du terrain et échangèrent des accolades. Certains se dirigèrent directement vers le château, et d'autres comme James disparurent dans les vestiaires. Je descendis les tribunes et attendis appuyée contre le mur extérieur des vestiaires, les bras croisés, les yeux vers le ciel.
La nuit était tombée quand le premier joueur en émergea. Frank Londubat. Il sembla surpris de me voir, mais il ne prononça pas un mot et disparut en direction du château. Le vent se levait et je commençais à regretter de ne pas avoir pris mon manteau. Je m'emmitouflai un peu plus dans mon écharpe et retint ma respiration lorsque la porte s'ouvrit de nouveau. Cette fois, Sirius et Howland Coopey chahutèrent jusqu'à s'immobiliser devant moi. Le dernier s'empressa de filer. Le maraudeur m'observa et lâcha un rire ironique.
« Tu as un sacré culot, Evans. Dave Goujon n'est pas disponible, ce soir ? »
Je déglutis et essuyai rapidement une larme qui roula sur ma joue avant que le meilleur ami de James ne la remarque. Trop tard. Je vis son regard s'adoucir et il fronça les sourcils comme s'il n'y comprenait plus rien. Je ne pouvais pas l'en blâmer.
« Vous me tuez tous les deux, débrouillez-vous, dit-il avant d'entamer un mouvement pour partir.
- Est-ce qu'il y a encore du monde ou est-ce que...
- Il est tout seul et décent, tu peux y aller, mais je te jure que... J'ai promis que je ne m'en mêlerais pas, mais... Il a toujours été sincère avec toi. Si tu ne l'es pas, laisse le tranquille. »
J'avalai ma salive avec difficulté et hochai doucement la tête avant que Sirius ne me tourne le dos pour prendre le même chemin que Frank et Howland. Je gardai les yeux vissés sur la porte pendant quelques secondes avant de poser mes doigts sur la poignée froide et de l'ouvrir finalement.
L'endroit était assez vaste mais embué, le carrelage blanc semblait humide et la chaleur de la pièce m'enveloppa directement. James était assis sur un banc, entièrement habillé, la tête dans les mains, des gouttes d'eau dégoulinants de ses cheveux jusqu'à ses poignets et ses coudes, il ne m'avait pas vue entrer. Je fermai doucement la porte derrière moi sans le quitter des yeux.
Je l'entendis renifler et un horrible sentiment me prit aux tripes. Il pleurait ? Je ne sus comment j'arrivai à avancer vers lui tant mes jambes me semblaient lourdes, et quand son visage absolument parfait émergea de ses mains et qu'il me vit enfin, je me laissai tomber à genoux devant lui, devant ses grands yeux bruns qui était la cause même de mon trouble depuis le début, et je posai mes mains sur ses cuisses.
« Je suis désolée, je suis désolée, je suis désolée, je suis désolée... »
Et les mots ne s'arrêtaient plus, et les larmes non plus, et je n'avais pas envie de les cacher comme j'avais tenté de le faire devant Sirius. James méritait de savoir à quel point je m'en voulais, et il le voyait. Il me fixait, les doigts cramponnés au bord du banc, prenant soin de ne pas me toucher, et j'avais envie de crever, Merlin, j'avais envie de mourir parce que rien n'était plus douloureux que ça, que de le voir se retenir, que de le voir me détester autant que je me détestais.
« C'était facile et ce n'était pas effrayant et ce n'était rien, repris-je. C'était juste simple et vide d'intérêt et ça faisait du bien sur le moment parce que je n'étais pas gênée par quoi que ce soit. »
Je reniflai bruyamment et, incapable de continuer à soutenir son regard, je croisai les bras sur ses cuisses et y enfouis mon visage en continuant à sangloter.
« Je savais qu'il ne me manquerait pas quand il retournerait dans son dortoir. Je savais que je me reconnaîtrais quand il ne serait plus avec moi, que je ne serais pas complètement désorientée pendant son absence, que je n'aurais pas l'impression de me scier en deux quand il monterait les escaliers... Je savais qu'il n'y aurait rien de plus que des sourires et un bras sur mon épaule et que je n'aurais pas peur. »
Je le sentis bouger un peu et j'eus peur qu'il me laisse, mais à peine une seconde plus tard, sa main atterrit sur mes cheveux, simplement posée là comme s'il n'avait pu faire autrement, comme s'il comprenait mes mots et qu'il voulait que je le sache.
« Je ne tremblais pas. Je n'étais pas en sueur. Je ne rougissais pas. J'arrivais à le regarder en face. Il n'y avait aucun fourmillement dans mes jambes, aucune drôle de sensation dans mon ventre et... Autre part... continuai-je en trébuchant sur les deux derniers mots, sentant mes joues s'enflammer. Il n'y avait rien de nouveau, rien qui puisse m'embarrasser, rien qui puisse me terrifier, rien qui puisse me pétrifier, m'immobiliser au point d'oublier de prendre une inspiration, c'était... C'était insipide, et c'était plus facile à maîtriser que tout le reste... Tout ce que je ressens quand je suis avec toi, tout ce que je ne suis pas capable de retenir, tout ce qui me met dans un état de... Tout ce qui me... Tout ce qui me perturbe, poursuivis-je avec difficulté. Je ressens des choses beaucoup trop fortes et je ne sais pas comment vivre avec ça mais je sais que je ne peux pas vivre sans ça. »
Mes derniers mots n'étaient qu'un murmure mais je savais qu'il les avait entendu parce qu'il m'avait attrapé les bras pour me forcer à me redresser et à le regarder, et puis il avait soulevé mon menton avec son index et m'avait embrassée et je ne fus pas surprise d'avoir la sensation qu'une vague s'écrasait sur moi en emportant absolument tout sur son passage.
Sans contrôler le moindre de mes gestes, je déboutonnai la chemise qu'il venait probablement d'enfiler et la fit glisser le long de ses épaules, mes doigts touchant sa peau là où ils ne l'avaient jamais touché. Je frémis quand les siens glissèrent sous mon pull et attrapèrent mes hanches avec une certaine frustration qui dépassait tout ce que nous avions expérimenté jusqu'à présent.
Il n'arrêta de m'embrasser que pour me rejoindre sur le carrelage humide, me retirer mon écharpe et mon polo gryffondor. Dans le même mouvement, je défis sa ceinture les doigts tremblants. Ses yeux rencontrèrent les miens, interrogateurs. La crainte avait laissé la place à l'impatience et à la maladresse et quand il posa la main sur la mienne pour m'arrêter, je sus exactement ce qu'il redoutait.
« Je n'ai pas peur. C'est juste... C'est ce que tu me fais, avouai-je. S'il te plaît. J'ai besoin de plus. Je veux tout. »
Il lâcha ma main et je le débarrassai de son pantalon non sans avoir brièvement lutté, nous faisant rire tous les deux, puis je l'attirai sur moi et il recommença à m'embrasser, et je fus soudainement très consciente que nous étions en sous-vêtements et que sa peau tiède était contre la mienne, contrastant de la meilleure des manières avec le carrelage froid des vestiaires. Le mélange des deux me fit frissonner des pieds à la tête.
Je m'agrippai à ses épaules et ne cessai de l'embrasser que pour passer ma langue sur sa gorge, là où une goutte d'eau s'était échappée de ses cheveux noirs pour rouler sur sa peau. Il lâcha un soupir d'envie qui me fit un drôle d'effet. Mon visage s'empourpra. Est-ce que c'était moi qui lui faisais perdre les pédales ?
Je le voulais tout entier et je venais de comprendre à quel point il partageait mon impatience. Il avait plus d'expérience que moi mais ça n'avait plus d'importance. Nous découvrions quelque chose ensemble, quelque chose de nouveau que j'étais certaine qu'il n'avait jamais vécu. Nous nous aimions comme deux adolescents sont incapables de s'aimer.
Je le réalisai là, alors que nous nous débarrassions du reste de nos vêtements qui n'étaient plus, à nos yeux, que de stupides barrières qui nous empêchaient de nous aimer comme nous avions besoin de le faire. Je ne savais pas aimer comme ça parce que je n'avais pas appris à le faire, parce que je n'étais pas tombée amoureuse avant et qu'il était invraisemblable que mon premier coup de cœur soit celui qui rend chancelant, qui fait bafouiller, et qui donne l'impression de vivre dans un monde qu'on n'avait jamais vu avant.
Il mordilla un peu ma lèvre retrouva toute mon attention. Mes doigts s'enfoncèrent un peu dans son dos, lui signifiant que je n'avais jamais rien voulu plus que ça, et je profitais de l'avoir contre moi avant de l'avoir en moi et d'esquisser une grimace de douleur. Il s'immobilisa, essuya les larmes au coin de mes yeux, et me murmura une excuse à l'oreille avant de me proposer d'arrêter. Je secouais vigoureusement la tête et m'agrippai un peu plus à lui.
Je savais qu'il était à l'écoute et qu'il voulait le meilleur pour moi, et je savais qu'il pouvait me le donner. Aussi douloureuse soit la sensation, je ne voulais pas l'oublier parce qu'elle avait dissipé la lourdeur dans mon cœur. Pour la première fois, je comprenais que si je ne me sentais plus tout à fait moi, c'était parce que moi était devenu nous.
Le carrelage sous mon dos était devenu aussi brûlant que moi et je sentais de grosses gouttes de sueur perler sur mes tempes au fur et à mesure que je bougeais sous James et que ses cheveux chatouillaient mon front. Ce n'était que notre première fois et ce n'était pas la meilleure, mais c'était celle dont je me souvenais parce que nous nous étions touchés et regardés comme si plus rien n'existait à part les mots que nous ne prononcions pas mais qui étaient partout autour de nous. Nous nous aimions.
