Chapitre 4

- Dans les limbes - partie 2

Cet incident lui coûta cher.

Quand Azula reprit conscience, elle se trouvait dans le bureau du Dr. Huan Li, de retour dans sa camisole. Chen et Xi, les deux infirmiers qu'elle commençait à ne connaître que trop bien, étaient situés de part et d'autre de son siège où il était assis, les deux mains jointes, les doigts entrecroisés dans l'attitude de quelqu'un qui s'apprêtait à vous communiquer de mauvaises nouvelles.

Le monde semblait tanguer autour d'elle. La sensation proche de l'ébriété que cela lui procurait et l'air grave du médecin flanqué de ses deux colosses au visage menaçant lui donnèrent envie de rire. Un rire froid, sans joie… un rire qui menaçait à tout instant de se muer en sanglots désespérés.

« Princesse… commença Huan-Li

– Bonjour docteur. Est-ce déjà l'heure de notre petite séance ? Vous m'en voyez ravie. J'ai du nouveau pour vous !

– Je suis parfaitement informé des derniers événements vous pouvez épargner votre salive, ma chère. Malheureusement, je dois vous avouer que je suis profondément affligé de la manière dont s'est déroulée la rencontre avec votre frère.

– Aurait-il trouvé matière à se plaindre ? interrogea-t-elle sur un ton feignant ostensiblement l'étonnement. Il n'était pas heureux de retrouver sa petite sœur ? Lui qui a toujours eu un tel sens de la famille…

– Le Seigneur du Feu a été très affecté de cette rencontre, Princesse Azula. J'ai bien peur que ce fâcheux incident n'ait de lourdes conséquences pour vous.

Manifestement, vous n'êtes pas prête à recevoir des visites et il semblerait que nous ayons été trop indulgents avec vous.

– Je tremble à l'idée de ce que vous m'avez préparé. Qu'est-ce que ce sera cette fois ? Vous allez me retirer mon lit encore une fois ? Me priver de nourriture ?

– Rien qui puisse affecter votre santé physique, Princesse. Le Seigneur du Feu a été très clair là-dessus.

– Alors qu'allez-vous faire ? Me priver du peu de dignité qu'il me reste encore ? Ah non, excusez-moi, c'est déjà fait depuis que vous avez laissé ce sale porc promener ses mains immondes de roturier sur moi dès le premier jour !

D'un mouvement du menton, elle désigna l'infirmier à sa droite : Xi ou Chen, peu importait…

« Ou que vous m'avez laissée dormir sur le sol de ma cellule comme un animal !

Huan-Li préféra l'ignorer.

– Vous allez être placée à l'isolement. Vous ne me laissez pas d'autre choix.

Vous passerez les prochaines semaines dans une cellule spécialement aménagée pour les cas les plus récalcitrants. Votre repas vous sera donné à travers une trappe. Vous ne verrez ni ne parlerez à personne. Nos sessions sont ajournées pour le moment.

Je regrette sincèrement de devoir en arriver là, votre Altesse. Je pensais que nous avions fait des progrès quand vous m'avez demandé de l'aide pour vous débarrasser de vos visions mais je me suis lourdement trompé. Votre cas est plus grave que ce que je pensais. J'espère que votre séjour en isolement vous aidera à faire le tri dans vos pensées et que vous nous reviendrez mieux disposée.

Xi, Chen, Vous pouvez l'emmener », ordonna-t-il aux deux infirmiers sans laisser à Azula le temps de répondre.

– Non, attendez ! essaya-t-elle.

Mais les deux hommes s'avançaient déjà vers elle d'un air menaçant, leur visage patibulaire exprimant une joie malsaine qu'ils peinaient à dissimuler.

Mais elle était bien décidée à ne pas se laisser faire cette fois. Qu'avait-elle encore à perdre ?

Elle inspira une grande bouffée d'air et se prépara à cracher un jet de flammes plus puissant que jamais, mais elle n'avait pas anticipé le fait que derrière elle, des gardes avaient observé chaque seconde de la scène. Celui qui se trouvait le plus près s'agenouilla derrière elle et, avec une réactivité qu'elle aurait admirée dans d'autres circonstances, plaqua une main gantée de métal sur sa bouche. Ses yeux s'agrandirent sous l'effet de la surprise et elle dut ravaler les flammes qu'elle s'était apprêtée à cracher. Elle sentit sa langue la brûler désagréablement et étouffa une exclamation douloureuse.

« Allons Princesse, essayez d'être raisonnable, reprit le docteur. Vous ne nous facilitez pas la tâche. »

Azula continua de se débattre bien que le garde mît tout son cœur à la maintenir immobile. Elle jeta ses jambes en l'air, faisant surgir de chacun de ses pieds des arcs de flammes qui manquèrent de peu les deux géants qui se tenaient toujours devant elle, prêts à la neutraliser à tout moment.

– Ne...me...touchez pas ! » vociféra-t-elle, incapable de dissimuler la panique qu'elle sentait affluer en elle comme la mer qui se retire juste avant un tsunami.

Et avant qu'elle ait eu le temps de lancer un nouveau coup de pied, le plus gros des deux infirmiers, celui qui l'avait déshabillée de force la première fois dans la salle de bains, se jeta sur elle.

Il atterrit lourdement sur son estomac et son souffle en fut instantanément coupé. Même le garde derrière elle sembla surpris par la violence de l'assaut et il recula au dernier moment, lâchant précipitamment la princesse, avant que le colosse ne soit sur elle.

Les yeux exorbités par la terreur, Azula gigota dans tous les sens pour se libérer mais elle en était incapable, de même qu'elle était incapable d'utiliser sa maîtrise maintenant qu'elle n'avait plus d'air.

Sidérée, elle sentit soudain quelque chose de froid sur son visage. Elle comprit confusément qu'un garde avait posé sur sa bouche et sur son nez une sorte de masque percé de multiples trous qui était fait dans un métal léger mais résistant. Il releva sa tête pour l'attacher derrière son crâne qui heurta rudement le sol quand il la relâcha.

Une muselière…

« Cela suffit maintenant. » La voix du médecin, douce mais ferme, avait surgi à sa droite. En tournant la tête, elle se rendit compte qu'il s'était levé et il la dominait maintenant de toute sa hauteur, la toisant d'un air inflexible.

L'infirmier se releva péniblement et Azula retrouva un peu de sa mobilité. Cependant, elle ne tenta plus rien.

« J'ai interrogé votre frère sur vous, sur votre personnalité, sur vos aspirations, vos loisirs mais également sur vos plus grandes craintes. J'ai ainsi recueilli des informations précieuses. Il semblerait que vous soyez assez mal à l'aise dans les espaces clos et dans l'obscurité. Nous avons pensé qu'il serait peut-être pertinent, pour vous aider à guérir, de vous laisser vous confronter maintenant à vos plus grandes peurs. »

Azula essaya de parler mais elle en fut incapable. L'implication derrière ces paroles était bien trop claire.

« Ne prenez pas cela comme une punition, votre Altesse, mais voyez-y plutôt une étape nécessaire dans votre parcours vers la guérison. Nous nous reverrons bientôt. Mettez ce temps à profit pour réfléchir à vos récentes actions. »

Sa voix s'éloignait à mesure que Chen – ou était-ce Xi ? – , qui l'avait soulevée et jetée sur ses épaules, comme un vulgaire sac de marchandises, l'emmenait hors de la pièce.

Escorté par son collègue et par deux gardes, il la porta à travers les couloirs de l'asile. Elle eut le temps d'apercevoir des parties de l'établissement qu'elle n'avait jamais vues et son attention fut un moment attirée par une grande salle aux murs clairs et meublée de multiples tables et fauteuils dans lesquels étaient assis des gens vêtus de la même tenue bordeaux qu'elle portait quotidiennement. Plusieurs d'entre eux tournèrent la tête avec curiosité en voyant l'étrange cortège. L'un d'eux se leva de sa chaise, abandonnant momentanément une partie entamée de dés et commença à sauter sur place en les montrant du doigt, poussant des exclamations inarticulées avant qu'une infirmière, assise à la table en face de lui, l'interpelle :

« Li, calme-toi. Rassieds-toi s'il te plait. Relance plutôt les dés. »

Dépité, le dénommé Li obéit et s'empara des dés qu'il agita longuement dans sa main sans lâcher Azula de ses yeux fous. Puis il les lança et releva la tête pour lui adresser un large sourire édenté qui la fit frissonner de dégoût et d'appréhension.

La vision s'évanouit rapidement et Azula ne vit à nouveau qu'un long corridor et une volée de portes toutes identiques, seulement distinguées les unes des autres par un numéro. Elle supposa qu'il devait s'agir de cellules semblables à la sienne et réalisa à quel point on l'avait tenue à l'écart des autres résidents tout ce temps. Elle vivait dans une aile qui lui était apparemment dévolue, mais elle peinait à y voir la marque d'une hôte de prestige.

Son inquiétude augmenta d'un cran quand on ouvrit une porte au fond du corridor. Celle-ci découvrit un escalier étroit qui s'enfonçait dans les ténèbres froides et humides du sous-sol du bâtiment.

L'un des gardes passa devant et alluma d'un geste de la main une torche qui s'enflamma aussitôt. Il passa devant et ouvrit la marche. Le colosse le suivit et descendit laborieusement les marches inégales, Azula toujours jetée négligemment contre son épaule musculeuse.

Arrivés en bas, Azula découvrit une grande salle à demi plongée dans les ténèbres. Sans la torche du garde, ils auraient été plongés dans une obscurité totale. Tout autour d'elle, sur les murs, se dessinaient dans la lueur vacillante des flammes une demi-douzaine de portes métalliques munies de multiples verrous.

Elle fut transportée jusqu'à la porte qui se trouvait le plus au fond de la pièce. Elle entendit seulement le bruit de la clé dans la serrure et le son de plusieurs verrous que l'on ouvrait les uns après les autres.

Une main se promena un instant à l'arrière de sa tête et lui ôta la muselière, à son grand soulagement.

« Tu en auras besoin pour pas crever de faim ! » lui annonça l'infirmier qui les suivait, un air goguenard affiché sur sa face stupide.

Et soudain, elle fut jetée abruptement sur un sol encore plus dur et froid que ne l'était celui de sa cellule. Un nuage de poussière se forma quand son corps atterrit lourdement sur la surface rocailleuse.

Avant qu'ils ne ferment la porte, elle eut le temps de jeter un coup d'œil à ses nouveaux appartements. L'examen fut rapide. Ce n'était pas tant une cellule qu'un compartiment entièrement vide. L'endroit était plongé dans une obscurité totale et elle ne repéra aucune ouverture sur l'extérieur. L'espace qui séparait le mur du fond de la porte ne permettait pas à un homme adulte de s'allonger. La hauteur sous plafond ne devait pas excéder un mètre quatre-vingt à en juger par la manière dont le garde, qui était entré avec elle pour lui retirer sa camisole dut se pencher en avant, ployant les genoux.

Affolée, elle commença à s'agiter.

« Qu'est-ce que vous faites ? Vous n'allez pas me laisser là ? Non, s'il-vous-plaît, non ! Vous ne pouvez pas ! Ne me laissez pas là, non ! »

Sourds à ses suppliques, ils reculèrent tous d'un pas et sans un regard pour elle, firent volte-face et fermèrent violemment la porte derrière eux. Elle entendit le cliquetis de la clé dans la serrure principale et le bruit des verrous que l'on remettait en place.

La panique la gagna instantanément et elle se mit aussitôt à suffoquer, regardant partout autour d'elle à la recherche d'une ouverture.

Elle n'arrive plus à respirer…

Elle va sans doute mourir.

Azula ignora les voix qui se mirent soudainement à parler toutes en même temps dans sa tête. Essayant de garder son sang froid, elle s'efforça de reprendre une respiration normale. Il y avait forcément une ouverture, le docteur n'avait-il pas parlé d'une trappe ?

Il y a une sorte de grille dans la porte. De l'air peut passer par là.

Cette découverte l'aida à se calmer une seconde mais soudain, elle se rappela les paroles du docteur :

« Vous passerez les prochaines semaines dans une cellule spécialement aménagée pour les cas les plus récalcitrants. »

Les prochaines semaines ? Non, c'était impossible ! Elle allait en mourir, elle ne pouvait pas rester ici plus de quelques minutes !

Elle recommença à haleter bruyamment à la recherche d'un peu d'air et dans sa panique, elle donna un coup de pied dans la porte et se cogna l'orteil. Des larmes de douleur s'ajoutèrent aux larmes de panique qu'elle avait déjà commencé à verser.

Tout va bien ma chérie, tout va bien. Je suis là !

C'était la voix de sa mère. Azula tourna vivement la tête. Pour la première fois, elle fut heureuse de l'entendre. Mais un examen rapide de la pièce lui révéla qu'il n'y avait personne.

C'est fini maintenant mon cœur, tu ne cours plus aucun danger. Heureusement que ta nounou t'a retrouvée.

C'est Zuzu qui m'a enfermée ici !

Qu'est-ce que tu racontes ? Ton frère ne ferait pas une chose pareille ! »

Azula se concentra une minute et en profita pour reprendre un peu son calme.

Ces paroles, elle se souvenait les avoir déjà entendues, très longtemps auparavant. Elle en avait même prononcé une partie. Ce n'était pas une hallucination, mais un souvenir.

Alors, comme il n'y avait rien d'autre à faire, elle ferma les yeux et laissa se lézarder dans son esprit le mur qui retenait les souvenirs qu'elle avait décidé d'enfouir derrière.

Elle les laissa refaire surface.

« Azula ! Azulaaaa ! Montre-toi, maintenant ! Ce n'est plus drôle… Papa a dit qu'il voulait te voir !»

La voix, encore jeune et mal assurée, de son frère raisonnait dans le hall. Elle savait ce qu'il était en train de faire. Mais il la sous-estimait ! Elle était une grande fille maintenant, elle n'avait plus trois ans. Elle venait de fêter son quatrième anniversaire et n'était plus la petite sœur naïve qu'il avait un jour attirée dans sa chambre et effrayée en bondissant au dernier moment hors de son armoire.

Il voulait qu'elle sorte de sa cachette. Cela faisait sans doute des heures qu'il la cherchait en vain et elle comprit qu'il commençait à se lasser. Mais Azula ne le laisserait pas gagner, pas cette fois. Zuzu gagnait toujours à ce jeu, c'était injuste. Simplement parce qu'il était plus rapide, plus grand et avec ses deux ans de plus, il avait eu davantage d'occasions d'explorer le palais dans ses moindres recoins.

Ce n'est pas que Zuzu fût meilleur qu'elle. Oh non ! Elle l'égalait et même le dépassait dans bien des domaines.

Malgré ses quatre ans, elle avait déjà appris à lire et commençait à écrire, alors que Zuko butait encore sur des mots simples et peinait à les recopier correctement. Sa lecture à elle était fluide et le scribe lui avait déjà montré comment reproduire des caractères de calligraphie complexes. Il avait été positivement impressionné par ses capacités et avait fait l'éloge de ses talents de calligraphe à Maman qui avait adressé un gentil sourire à sa fille avant de reporter son attention sur Zuko qui venait encore de renverser le contenu de sa bouteille d'encre sur le parchemin.

« Ce n'est rien mon petit Prince, on va prendre un autre rouleau », avait-elle dit d'un ton patient en posant délicatement la paume de sa main dans le dos de son fils.

Et cela, ce n'était rien. Zuzu était devenu livide quand Azula avait fait jaillir sa première flamme de la paume de sa main, une semaine seulement après qu'il eut commencé à montrer lui-même des signes de maîtrise. Elle avait alors à peine trois ans. Zuko avait dû attendre d'en avoir cinq pour produire ses premières étincelles.

Azula s'était étonnée que cela lui eût demandé tant de temps : elle avait bien observé comment faisait Zuko et cela lui avait paru plutôt facile.

Elle se souvenait de ce jour comme si c'était hier. Ils se trouvaient tous les trois dans le petit salon : maman, Zuzu et elle. Zuko parlait d'un ton enthousiaste de sa première leçon de maîtrise au cours de laquelle son professeur l'avait félicité et ses valets s'étaient bruyamment extasiés de son immense talent. Le Seigneur du feu Azulon lui-même était venu assister à la séance et avait sobrement applaudi ses efforts à la fin.

Azula les écoutait d'une oreille distraite et contemplait sa main en fronçant ses sourcils dans une expression d'intense concentration qui avait fait rire maman et Zuko. Après quelques secondes, cependant, elle était parvenue à créer une petite flamme orange qui avait surgi du néant et s'était mise à danser un instant dans sa paume avant de s'éteindre progressivement. Maman et Zuko avaient immédiatement cessé de sourire et leurs yeux s'étaient agrandis de surprise.

« Zuzu, Zuzu, regarde ! J'ai réussi moi aussi ! J'ai réussi ! Tu as vu, Zuzu ? » s'était-elle exclamée d'un ton surexcité.

Se relevant d'un bond, elle s'était jetée dans les bras de sa mère qui l'avait rattrapée d'un air incertain et lui avait légèrement tapoté l'épaule avant de la repousser en évitant de croiser son regard.

« C'est bien ma chérie, c'est bien. Et toi Zuko ? Tu voudrais me montrer tes progrès ? »

Un peu déçue par la retenue qu'ils avaient montrée devant son exploit, elle leur avait tourné le dos, s'était assise au pied de la chaise de maman et avait fait apparaître dans sa minuscule paume une nouvelle flammèche rougeoyante qu'elle fit jouer entre ses doigts, lui imprimant des formes amusantes. C'était une sensation extraordinaire, comme si le feu se pliait à sa volonté !

Elle émit un rire joyeux mais maman et Zuko ne la regardaient plus, trop occupés à commenter les prouesses de Zuko qui venait de faire jaillir des étincelles d'un claquement de doigts.

Ainsi ce n'était pas si grave si Zuko était meilleur qu'elle à cache-cache. Mais quand même !

Un moment, elle avait failli se laisser prendre à son piège maladroit. Et si Papa l'avait vraiment appelée auprès de lui ? Que dirait-il si elle n'obéissait pas ? Au dernier moment cependant, après avoir esquissé un mouvement pour s'extraire du grand coffre en bois poussiéreux à l'intérieur duquel elle s'était dissimulée, elle se ravisa et se recouvrit des tissus que contenait la malle. Puis elle resta bien immobile, retenant son souffle quand elle entendit son frère entrer dans la pièce où elle se trouvait.

« J'espère que tu n'es pas ici Zula ! Tu sais qu'on n'a pas le droit de jouer dans les pièces réservées aux invités de Grand-père. »

Ils se trouvaient effectivement dans les appartements habituellement destinés à recevoir les hôtes de marques du Seigneur du feu : ambassadeurs, diplomates, ministres des autres royaumes, administrateurs des colonies et autres personnages mortellement ennuyeux qui retenaient Grand-Père et Papa pendant des heures dans la salle du trône ou dans la salle du Conseil, si bien qu'il n'avait guère de temps pour s'extasier des progrès fulgurants de sa fille.

Mais Zuko connaissait bien sa petite sœur et se doutait qu'elle ne renoncerait pas à une bonne cachette, dût-ce lui apporter des ennuis.

Azula se figea et bloqua sa respiration quand le couvercle du coffre où elle se cachait s'ouvrit.

Zuko ne pouvait pas la voir. Elle était très menue et dissimulée sous une épaisseur de tissu suffisante pour que même à tâtons, il ne puisse pas sentir la présence de son petit corps recroquevillé en boule.

Avec un juron, il referma brutalement le couvercle de la malle et se dirigea à pas furieux vers la porte de la chambre en l'appelant.

Azula réprima un petit rire et se jura, à la première occasion, de répéter à Maman le gros mot qu'il venait de prononcer.

Elle resta encore un moment, se délectant à la pensée de son frère retournant tout le palais pour la dénicher. Pour la première fois de sa vie, elle était sur le point de gagner une partie de cache-cache.

Mais bientôt, le temps commença à lui paraître long et son ventre se mit à gargouiller bruyamment. Avec un petit rire, elle se dit que si Zuko avait été là à cet instant, il l'aurait immédiatement repérée au bruit que faisait son estomac.

Elle se dit que ce devait être l'heure du goûter et que Maman devait l'attendre dans le petit salon avec ses pâtisseries préférées et peut-être un bol plein des dernières cerises de la saison.

Peut-être que cette fois, elle prendrait le temps de lire une histoire avec elle. Elle pourrait se lover sur ses genoux et sucer son pouce pendant que maman lui caresserait les cheveux et lui lirait Le Conte des trois dragons. Enfin, seulement si Zuko ne les rejoignait pas. Elle lui avait juré qu'elle avait cessé de sucer son pouce le jour de ses quatre ans et aurait été mortifiée qu'il découvre son mensonge.

Et puis il commençait à faire un peu chaud là-dedans. Elle repoussa les draps qui recouvraient son visage et passa sa main dans ses cheveux pour les recoiffer un peu et enlever l'électricité qui les faisait se redresser sur sa tête.

Elle s'assit et entreprit de repousser le couvercle en bois.

Il ne bougea pas.

Elle fronça les sourcils. Elle n'avait eu aucune difficulté à soulever le couvercle quand elle était entrée dans la chambre, plus tôt, et qu'elle avait élu le coffre comme la cachette idéale.

Elle refit une tentative mais rien ne se passa. Elle recommença une troisième fois, y mettant cette fois toutes ses forces.

Rien.

L'inquiétude commençait à la gagner. Papa et maman allaient se fâcher si elle n'apparaissait pas à l'heure pour le dîner et l'environnement poussiéreux commençait à devenir pesant. Le jeu ne lui paraissait plus aussi amusant et le coffre plus aussi grand qu'elle l'avait cru tout d'abord.

Un souvenir la frappa soudain. En refermant le coffre, Zuko avait fait claquer le couvercle et elle avait entendu un petit bruit de mécanisme. Elle se rappela que Papa lui avait expliqué qu'une fois refermés, ces coffres ne pouvaient s'ouvrir que de l'extérieur à l'aide d'une petite clé que seul l'hôte qui occupait les appartements pouvait posséder. Cela était censé lui permettre de dissimuler des documents, des trésors ou d'autres objets précieux ou embarrassants qu'il voudrait dissimuler aux yeux indiscrets. Elle-même possédait un coffre semblable dans lequel elle cachait ses trésors ou les petits objets qu'elle avait volés à Zuko. Il y avait même la jolie boîte à musique qu'elle avait vue chez Mai et qui lui avait donné tellement envie !

Elle fut soudain submergée par une vague de panique.

Renonçant à sa fierté, elle appela : « Zuko ? »

Mais il n'y eut pas de réponse.

« Zuko ! recommença-t-elle.

Un silence assourdissant lui répondit.

Alors elle se mit à taper de toutes la force de ses petits poings et de ses pieds contre les parois en bois et commença à hurler à l'aide.

Dans son affolement, elle fit surgir des petites étincelles qui retombèrent en pluie sur l'une des robes sous lesquelles elle s'était dissimulée.

Aussitôt, des petits trous se formèrent et de la fumée s'en éleva. Horrifiée, elle tapota le tissu de la paume de ses deux mains pour étouffer le feu qui menaçait de prendre.

Heureusement, sa technique fonctionna, mais cela ne fit rien contre l'épaisse fumée qui avait commencé à remplir l'espace confiné autour d'elle et elle se mit rapidement à tousser. Elle essayait de crier entre deux quintes de toux et de gros sanglots de panique.

« Mamaaaan ! » Sa toux redoubla.

Azula enfouit son visage dans un tissu pour éviter de respirer la fumée âcre qui s'insinuait dans ses bronches et dans ses poumons.

Pour la première fois de sa vie, elle songea qu'elle allait peut-être mourir. Elle allait mourir ici, seule, dans le noir, pour avoir voulu gagner à un stupide jeu.

Au bout d'un moment, elle commença à se sentir un peu étourdie. La tête lui tournait et elle avait la nausée.

Ne pouvant se retenir, elle vomit sur les robes qu'elle tenait sur ses genoux. Elle prit un instant pour récupérer et laisser s'apaiser les spasmes douloureux qui secouaient son estomac : puis elle se redressa vigoureusement sur ses pieds dans une ultime tentative désespérée pour soulever le couvercle au-dessus d'elle. Mais il ne bougea même pas d'un millimètre.

Alors, elle se laissa gagner par les larmes et s'allongea sur le côté, enfouissant à nouveau sa tête dans les tissus qui tapissaient le fond du coffre et ferma les yeux, attendant l'inéluctable.

L'accès à ces appartements lui était strictement interdit. Personne ne penserait à venir la chercher ici, pas même Zuko qui était déjà venu et ne penserait sans doute pas à revenir l'y chercher.

Elle pensa un moment à la tête que ferait Zuzu en découvrant son petit cadavre, des mois plus tard peut-être, quand l'odeur deviendrait assez forte pour signaler sa présence. Le fils du cuisinier lui avait dit, un jour qu'elle s'amusait à lancer des cailloux avec lui dans la mare aux canards-tortues, que lorsqu'on mourait, notre cadavre se mettait à pourrir et qu'on était mangés par les vers. Cela l'avait horrifiée.

Dès lors elle avait commencé à vivre dans l'angoisse de sa propre mort. Ce n'était pas propre, et indigne d'une princesse !

Elle se demanda si les vers auraient eu le temps de la dévorer quand on la trouverait ou s'il resterait quelque chose d'elle en-dehors de son minuscule squelette.

Est-ce que Zuzu se sentirait coupable ? Se rappellerait-il que c'était lui qui avait fermé le coffre ? Maman serait-elle triste sans elle ? Aurait-elle une autre petite fille ? Une petite fille qui aimerait jouer à la dînette et à la poupée et la laisserait tresser ses cheveux pendant des heures, comme elle l'aurait voulu ? Au lieu de sa cadette vive et obstinée qui préférait courir dans les couloirs du palais, sauter dans les flaques les jours de pluie, jouer à saute-moutons et remplir ses poches de glands, de cailloux et de terre, qu'elle comparait et échangeait avec les trésors amassés par les petits valets ou les biscuits dérobés par les commis et le fils du cuisinier dans les jardins du palais ?

Azula était presque inconsciente quand on la retrouva.

Elle entendit à peine l'exclamation horrifiée que poussa la gouvernante quand elle ouvrit le coffre et découvrit son petit corps ramassé, assaillie par l'odeur âcre de fumée et de vomi qui lui sauta à la gorge.

« Elle est ici, votre Altesse ! Je l'ai trouvée ! Oh ! Mon dieu ! Réveillez-vous petite princesse ! »

Elle eut vaguement conscience des bras puissants qui la soulevaient et l'emportaient loin de cet enfer.

Quand elle se réveilla des heures plus tard, elle était dans son lit. Maman était assise face à elle, dans un petit fauteuil, un livre à la main et contemplait le paysage par la fenêtre d'un air absent.

« Maman ? » l'appela Azula d'une petite voix faible et mal assurée. L'effort déclencha aussitôt une violente quinte de toux.

Azula ! cria Maman qui se précipita à son chevet, s'assit sur le lit à côté d'elle et la serra quelques secondes dans ses bras, pas trop longtemps pour la laisser respirer. Tout va bien ma chérie, tout va bien. Je suis là !

J'ai cru que j'allais mourir ! geignit-elle.

C'est fini maintenant mon cœur, tu ne cours plus aucun danger. Heureusement que ta nounou t'a retrouvée. Que faisais-tu dans ce coffre par tous les dieux ?

C'est Zuzu qui m'a enfermée ici !

Qu'est-ce que tu racontes ? Ton frère ne ferait pas une chose pareille ! Il était fou d'angoisse pendant qu'on te cherchait ! Tu as encore de la fièvre, dit-elle en touchant son front couvert de sueur. C'est sans doute cela qui te fait divaguer. »

Azula renonça à expliquer les détails. De toute façon, maman ne la croirait pas. Son précieux petit prince était la bonté incarnée, et d'ailleurs elle-même n'était pas certaine qu'il l'eût fait exprès.

Mon dieu Azula ! J'ai eu tellement peur ! Je n'ai jamais vu ton père aussi furieux ! Zuko a pleuré pendant des heures après qu'on t'a découverte. Promets-moi de ne jamais recommencer !

Je te promets maman ! » jura-t-elle d'une toute petite voix avant de se blottir contre sa mère qui la serra doucement contre elle, soucieuse de ne pas lui faire mal.

C'était la dernière fois, pensa-t-elle avec amertume, que sa mère s'était trouvée à son chevet à son réveil. Si l'on ne comptait pas bien sûr, toutes les fois où elle s'était réveillée dans son lit, ou sur le sol de sa cellule à l'asile, pour sentir sur son front la main fantomatique d'Ursa, en train de dégager les mèches rebelles qui s'étaient collées sur son front brûlant de fièvre

Azula se souvint avoir été émue d'apprendre que son frère avait pleuré pour elle. En gage de gratitude, elle ne l'avait pas dénoncé pour avoir fermé le coffre et ils n'en avaient jamais reparlé. D'ailleurs elle n'aurait pas pu raconter cette histoire sans dévoiler sa part de responsabilité dans ce désastre et Père aurait été encore plus furieux contre elle.

C'était aussi, lui semblait-il, la première fois qu'elle s'était sentie aimée, véritablement et sincèrement aimée.

Le souvenir convoquait toujours en elle un mélange confus d'émotions contradictoires : la peur, la panique et le désespoir combattaient la joie, le soulagement et la sérénité quand elle repensait à cette mésaventure.

En revanche, elle en avait conservé une peur irrationnelle des lieux clos et sombres.

On n'avait plus jamais vu la princesse jouer à cache-cache ou se faufiler dans les placards ou les meubles du palais. Elle faisait une exception cependant quand elle se dissimulait derrière les rideaux pour écouter les conversations dans la salle du trône. Mais la présence de quatre murs solides autour d'elle la plongeait dans des états de panique insensés.

Personne ne le savait, à part Maman et Zuzu...et Père bien sûr.

Père, qui avait très bien su exploiter cette faiblesse quand le moment était venu de donner à Azula une leçon dont elle se souviendrait toute sa vie. Le jour du soleil noir, quand Zuko l'avait trahie et s'était enfui sans un mot pour elle.

Tu ne dois pas penser à ces choses-là, souffla une voix près de son oreille.

Les voix étaient toujours là pour l'avertir quand son esprit s'égarait et s'aventurait dans des directions interdites.

Alors, consciencieusement, Azula érigea à nouveau dans sa tête le mur de briques impénétrable qu'elle s'était bâti et y enferma la vilaine pensée.

Elle ne savait pas depuis combien de temps elle se trouvait là. Cela pouvait faire quelques heures, quelques jours ou même plusieurs années.

Au début elle avait essayé de compter le nombre de repas qui arrivaient régulièrement dans sa cellule à travers une petite trappe aménagée dans la porte, afin d'estimer le temps qui s'écoulait.

C'était aussi par là qu'elle faisait passer son pot de chambre quand elle avait besoin qu'on le remplace. C'était, avec une flasque remplie d'une eau croupie, les seuls objets qu'on lui avait laissés. Son eau était renouvelée fréquemment mais Azula avait quand même dû apprendre à la rationner. Le plus souvent, sa gorge était sèche et la sensation de soif s'était vite ajoutée à celle d'étouffement.

Parfois, quand cette dernière devenait intolérable, elle poussait simplement la petite trappe et y collait son visage pour respirer avidement un peu d'air. Elle restait parfois des heures dans cette position, allongée sur le ventre dans la poussière.

Elle n'aurait su l'affirmer mais il lui semblait qu'on la nourrissait deux fois par jour. Mais peut-être était-ce trois fois ? Son calcul ne tenait pas dans ce cas...

Elle avait tenté d'interpeller la personne qui faisait glisser sa gamelle mais elle n'avait jamais reçu la moindre réponse. Elle supposait que le personnel et les gardes avaient reçu pour instruction de ne pas communiquer avec elle.

Ses repas lui étaient délivrés dans une écuelle, sans baguettes et sans couverts. Elle supposa avec raison que le docteur avait interdit de lui fournir tout objet avec lequel elle aurait pu se blesser, ou blesser quelqu'un.

Elle avait dû se résigner à manger l'infâme bouillie qu'on lui servait à la main, à l'aide de ses doigts qu'elle utilisait comme des pinces pour ne pas salir son visage, comme elle avait vu des paysans le faire lors de ses voyages dans le Royaume de la Terre.

Elle se sentait dépérir un peu plus chaque jour.

Une fois, elle prétendit être malade dans l'espoir qu'on la laisse sortir mais sa piètre tentative n'eut pas l'effet escompté.

Une autre fois elle le fut vraiment et passa des heures interminables à vomir dans son pot de chambre et à se rouler sur le sol, les mains crispées sur son estomac secoué de spasmes douloureux.

Mais ses plaintes et ses gémissements ne furent pas entendus.

Il n'existait plus de différence entre le jour et la nuit, elle était perpétuellement enveloppée de froides ténèbres.

Elle s'astreignait régulièrement, quand elle n'était pas trop épuisée, à quelques exercices de gymnastique. En tant qu'athlète et championne de la maîtrise du feu, elle savait mieux que quiconque que le corps était fait pour bouger.

Heureusement, sa petite stature lui permettait de se mouvoir un peu dans sa cellule et même de sauter sur ses pieds sans toucher le plafond. C'était toujours mieux que le coffre.

Elle ferma les yeux contre le souvenir qui s'efforçait continuellement de pénétrer son esprit.

Il ne faut plus penser au coffre.

Elle exécutait quelques flexions, étirait ses jambes et ses bras et tentait même parfois de rester en équilibre sur ses mains comme le faisait Ty Lee. Mais ses forces l'abandonnèrent vite et elle renonça quand elle retomba et se cogna violemment le nez contre le sol rigide de son réduit.

Elle ne se souvenait pas avoir jamais été si désespérée.

Elle en était arrivée à apprécier la compagnie des voix qui continuaient de répéter servilement ses pensées ou de faire un commentaire chaque fois qu'elle remuait un orteil.

Elle avait espéré que Mère viendrait. Elle aurait pu se laisser cajoler et aurait posé sa tête sur ses genoux. Sa mère aurait passé ses longs doigts fins dans ses épais cheveux noirs et en aurait défait les nœuds. Azula songeait qu'elle aurait même pu commencer à la croire quand elle lui affirmait qu'elle l'aimait. Elle se serait laissé bercer par ce beau mensonge.

Mais Ursa ne s'était pas montrée, elle qui avait jusque là été son visiteur le plus assidu. Elle l'avait abandonnée, encore une fois. Azula supposait qu'elle lui en voulait pour ce qu'elle avait fait à Zuko.

Elle n'aurait jamais cru que ces visites lui manqueraient.

Dans le même temps, elle remarqua que l'absence de traitement la rendait plus lucide. Elle n'avait plus d'épisode d'absence où elle s'éveillait dans un état second, tout étourdie sans aucun souvenir des heures qui avaient précédé. Pourtant, elle l'aurait si désespérément souhaité.

Elle était forcée de supporter chaque seconde, chaque minute de ce calvaire. Et cela ne lui épargnait même pas les hallucinations qui venaient régulièrement la tourmenter.

Cependant, elle devait admettre qu'elle les accueillait quelques fois avec gratitude. C'était à présent sa seule compagnie. Si on lui avait dit un jour qu'elle regretterait le docteur ou les brutes épaisses qui s'occupaient d'elle dans sa cellule, qu'elle penserait avec nostalgie à la petite cour sinistre et toute grise dans laquelle on l'autorisait à faire quelques pas pour sa promenade. Que le besoin d'une simple douche se ferait ressentir au point qu'elle eût accepté sans rougir le regard insistant de Xi ou de Chen sur son corps nu…

Dormir dans un lit… se laver…

Et voir le soleil… enfin.

Parfois, quand les ténèbres autour d'elle devenaient trop oppressantes, elle produisait une petite flamme dans la paume de sa main et la regardait vaciller jusqu'à ce qu'elle meure.

La couleur azur de ses flammes, autrefois source de joie et de fierté, emplissait sa prison d'une lueur froide, mystérieuse et un peu inquiétante. Pour la première fois de sa vie, elle aurait aimé que son feu ait la même teinte orangée, chaude et rassurante que celui de Zuzu.

Il lui semblait que son feu intérieur se tarissait. Les maîtres du feu tirent leur puissance de l'énergie solaire. Il n'était donc pas surprenant, après tant de jours passés dans l'obscurité, que ses forces diminuassent.

Elle n'osait pas générer de flammes plus puissantes de toute façon. Sa cellule était bien trop étroite et elle se serait brûlée. De toute façon, il n'y avait rien dans la pièce qui permît d'entretenir un feu plus de quelques secondes. Le sol et les murs étaient creusés dans la pierre.

Elle aurait aimé pouvoir s'éclairer pourtant. Une fois, alors qu'elle s'endormait, elle entendit une voix caressante qui l'appelait dans le noir. Avant qu'elle n'ait pu faire apparaître une flamme, elle sentit quelque chose frôler ses hanches. Bientôt, ce furent des dizaines de mains qui se mirent à la toucher toutes en même temps, à la caresser, à la pincer, la palper, à explorer tout son corps en murmurant son nom.

Elle ne se souvenait pas avoir jamais été aussi terrifiée de toute sa vie. Ses hurlements s'étaient répercutés en écho dans le compartiment et quand enfin elle était parvenue à se redresser et à générer une flamme vacillante dans le creux de sa paume, les mains avaient disparu.

Pour se prévenir d'une nouvelle agression de ce genre, elle prit l'habitude de dormir recroquevillée dans une position volontairement inconfortable, adossée contre le mur. Si les mains revenaient, elles ne pourraient venir que de devant elle et elle les repousserait plus facilement.

Elle passait ses nuits – du moins ce qu'elle supposait être les nuits – assise, tremblant de tout son corps, regardant partout autour d'elle, les deux mains regroupées en coupe devant elle pour protéger les petites flammes qu'elle générait pour se réchauffer et afin de dissiper les ténèbres.

Elle mangeait d'une seule main, s'éclairant de l'autre et passait le reste de la journée allongée dans la poussière, menant une lutte acharnée contre les souvenirs déplaisants qui l'assaillaient jour et nuit.

Un jour, ou une nuit – mais comment le savoir ? – elle s'éveilla, couchée sur le ventre, le corps endolori et perclus de courbatures. Elle avait dû s'endormir dans une mauvaise posture car sa nuque et son dos la faisaient souffrir plus encore que de coutume et elle ne sentait plus ses bras.

Dans un ultime effort pour trouver une position plus confortable, Azula essaya de se redresser en s'appuyant sur ses mains mais ses bras engourdis ne purent soutenir son poids et elle s'effondra sur le sol, la joue contre le sol froid de la cellule.

Elle poussa un petit cri de douleur et des larmes de frustration et de colère s'échappèrent de ses yeux tandis qu'elle haletait péniblement.

« Outch ! Peut-être devrais-tu redemander des leçons à Ty Lee… Je t'ai connue plus en forme. Manquerais-tu de pratique ? »

La voix monocorde au timbre si familier semblait avoir jailli des ténèbres et Azula frissonna de tout son long. Elle ferma immédiatement les yeux, sans doute dans l'espoir de la faire disparaître, comme Zuko lui avait appris à le faire pour chasser les monstres et les mauvais esprit qui, quand elle était enfant, projetaient leurs ombres menaçantes sur les rideaux de sa chambre.

Compte jusqu'à dix, Zula, après ils ne seront plus là, tu verras. Et s'ils reviennent, appelle-moi. Je te protégerai.

Azula sentit quelque chose se contracter douloureusement dans sa poitrine à l'évocation de cette époque évanouie. Elle ne pensait pas avoir jamais été heureuse dans sa vie mais si elle avait eu un jour un aperçu du bonheur, c'était sans nul doute dans sa toute petite enfance, quand sa mère ne voyait pas encore en elle le monstre qu'elle allait devenir, et qu'elle était plus une petite sœur qu'une rivale pour Zuko.

« Je crois que je préférais ton ancienne chambre du palais… » poursuivit l'apparition d'un ton dégagé.

Azula pouvait presque deviner derrière ses paupières closes les larges manches de sa robe cramoisie, ramenées dans son dos, tandis qu'elle arpentait le réduit d'un air faussement intéressé. Elle pouvait sans peine imaginer la lourde frange noire qui barrait son front et les deux longues mèches de cheveux sombres qui encadraient le visage anguleux de son ancienne meilleure amie.

– L'ameublement et la décoration ne sont pas à ton goût? Je dois dire que je ne suis pas surprise, répondit Azula d'un ton laconique, tu n'as jamais été de ceux qui acceptent de renoncer au confort ou de se salir les mains. Au moins Ty Lee ne m'a jamais refusé une tâche… J'aurais dû reconsidérer ta loyauté quand tu nous as laissé tomber dans la foreuse devant Ba Sing Se… J'aurais dû te chasser ce jour-là.

– Allons, vous sembliez tellement vous amuser toutes les deux à patauger dans la boue et dans la fange comme de vulgaires paysannes. Je ne pouvais pas vous priver d'un tel plaisir… Si ça ce n'est pas de la dévotion, alors je ne m'y connais pas…

– Tu ne m'as jamais été dévouée, ni loyale. Tu m'as trahie ! Vous m'avez tous trahie à la fin !

– Tu allais tuer Zuko…

– Je n'avais pas d'autre choix ! rétorqua Azula d'une voix stridente où perçait le désespoir. C'est moi qui vous ai fait revenir au palais, c'est moi qui l'ai remis dans les bonnes grâces de notre père, c'est moi qui t'ai poussée dans ses bras ! Et vous m'avez abandonnée ! »

Un long silence s'ensuivit. Azula repensa avec amertume à la façon dont elle avait joué les entremetteuses, espérant ainsi s'attacher la loyauté de son frère envers elle et leur nation. Elle avait toujours su qu'elle-même ne serait pas une raison suffisante pour le faire rester il fallait quelque chose qui aurait eu la force d'un engagement, une motivation.

Son frère n'était qu'une seconde mouture de leur mère. Négligeable, superficiel, sensible, envieux, se laissant guider par cette inclination absurde qu'ils appelaient l'amour.

Elle avait donc décidé d'exploiter cette faiblesse qu'il semblait partager avec Mai.

Azula n'était pas certaine de savoir ce que les autres appelaient l'amour et ne pensait pas vouloir comprendre.

Si aimer consistait à regarder Maman et Zuzu jouer dans les jardins du palais, fabriquer ensemble le soir, des petites grues en papier dans le cabinet de lecture, pendant qu'elle les espionnait, cachée dans les massifs de fleurs ou derrière les rideaux, alors ça ne l'intéressait pas.

Si aimer, c'était jeter vers Père un regard avide en quête d'un compliment qui ne viendrait jamais, après l'exécution d'un kata complexe que de nombreux maîtres confirmés ne maîtrisaient pas, alors ça ne l'intéressait pas.

Si aimer, c'était attendre dans son lit, son livre préféré sur les genoux, que maman vienne lui raconter une histoire, comme elle le faisait chaque soir pour Zuko, puis tomber endormie et se réveiller le matin en constatant que le fil invisible qu'elle avait placé devant la porte (pour savoir si quelqu'un était entré pendant son sommeil) était demeuré intact, alors ça ne l'intéressait pas davantage.

Si aimer, c'était lire, sur le visage de Zuko, le mépris et l'exaspération chaque fois qu'elle venait le retrouver pour discuter, alors à quoi bon ?

Aimer ne causait que de la souffrance et de la désillusion. C'était quelque chose qu'elle ne comprenait pas. Azula n'avait pas l'habitude que les choses lui échappent. C'était contrariant. Aimer l'empêchait de se focaliser sur ce qui comptait vraiment : la performance, la perfection, la discipline. C'était futile, dérisoire, vain. C'était de la faiblesse.

Un instant, le fait que son frère ait choisi de la rejoindre dans les catacombes à Ba Sing Se, au moment le plus décisif, lui avait donné de l'espoir. L'espoir que peut-être, elle méritait son respect, son attention, son approbation… Une part honteuse de son esprit avait même flirté avec l'idée qu'il ait pu l'aimer un peu.

Mais la manière dont il l'avait traitée ensuite, sur le chemin du retour, les regards méprisants et dégoûtés qu'il lui lançait chaque fois qu'elle apparaissait dans son champ de vision, le ton plein de colère qu'il employait quand il s'adressait à elle, la manière dont sa mâchoire se crispait et dont tout son corps se tendait quand elle le touchait. Pour lui, comme pour leur mère, elle ne serait jamais autre chose qu'un monstre.

Autrefois elle avait pris l'approbation de son père pour de la tendresse. Mais il l'avait abandonnée au pire moment, l'avait rejetée, sans même un regard en arrière, sans même un geste d'affection ou un conseil pour se montrer digne d'un titre – ils le savaient tous les deux – dépouillé de toute signification dès l'instant où Ozai s'était auto-proclamé Roi-Phénix.

Puis Zuko était revenu. Le jour de la comète. Et il l'avait anéantie.

Il l'avait jetée ici, comme un animal dangereux ou un objet compromettant dont veut se débarrasser. Il l'avait abandonnée et ne reviendrait plus jamais la voir à présent qu'elle l'avait si sauvagement attaqué.

« Il s'agit toujours de lui, n'est-ce pas ? murmura Mai, la voix soudain chargée d'une gravité inhabituelle même pour elle.

Azula sursauta. Elle avait presque oublié sa présence.

Puis, après un nouveau silence, Mai ajouta : « Ma trahison n'est rien finalement. Tu te fiches que je t'aie tourné le dos. La réalité, nous la connaissons toutes les deux : tu n'as jamais supporté qu'il m'ait choisie, moi. »

La mâchoire crispée, Azula ferma encore plus étroitement les paupières comme pour chasser une vision déplaisante ou une violente migraine, refoulant péniblement les larmes qu'elle sentait déjà naître dans sa gorge. Dans un geste désespéré, elle porta les mains à ses oreilles pour ne plus entendre les persiflages de celle qui s'était un jour prétendue son amie.

Mais c'était inutile bien sûr.

« Pauvre Azula… Je comprends ce que tu ressens...», poursuivit l'apparition d'un ton faussement compatissant derrière lequel on discernait aisément une note de mépris amusé à peine dissimulé.

Azula n'eut pas besoin de regarder pour savoir que Mai devait être assise confortablement dans un coin de la pièce, en train de jouer avec l'un de ses nombreux couteaux qu'elle cachait dans les manches évasées de sa robe sans même prendre la peine de poser les yeux sur la misérable silhouette de la princesse brisée qu'elle avait autrefois respectée.

« Il ne t'a même pas laissé une lettre, n'est-ce pas ? Il t'a abandonnée et s'est enfui. Puis il a raconté à ton père tout ce que tu avais fait… alors que tu l'avais fait pour lui… Quel ingrat ! Il n'a même pas dû songer une seconde à ce que cela signifierait pour toi de te dénoncer comme il l'a fait. »

Il y eut encore un silence.

« C'est vrai qu'il a toujours été un peu idiot, tu ne trouves pas ? poursuivit-elle comme Azula ne répondait pas. Mais n'est-ce pas ça qui le rend si attachant ?

– Tais-toi, la coupa Azula d'un ton sec. Tu ne sais rien ! Ne parle pas de ce que tu ne sais pas. Il ne sait pas, il n'a jamais su...il n'a jamais compris...»

Azula trouva qu'il devenait difficile de respirer. Elle mena un moment une lutte futile contre les larmes qui brûlaient douloureusement ses yeux cernés et lâcha finalement un sanglot furieux qui fut accompagné d'une pluie de postillon qui retombèrent sur sa chemise et ses sur ses bras.

« Beurk ! s'exclama Mai avec une mine dégoûtée. J'ai connu des chevautruches autrement plus élégants ! Et dire que je t'ai enviée un moment… Tu avais tout : tu maîtrisais le feu, tu étais plus belle, intelligente, brillante… Tu faisais la fierté de ta nation. Mais finalement, c'est moi qu'il a choisie. Quelle ironie, tu ne trouves pas ? »

Azula ne parvint pas à répondre. Elle avait abdiqué définitivement contre les larmes qui coulaient abondamment le long de son nez, de ses joues et de ses lèvres offrant un spectacle pathétique.

De toute façon, Mai n'était pas vraiment là, n'est-ce pas ? A l'heure qu'il était, elle devait avoir été libérée de prison et récompensée pour services rendus à la Nation. Elle devait vivre au palais, dormir dans des draps de soie, blottie contre Zuko qui devait la couver du regard en caressant ses longues mèches noires.

Combien de fois l'avait-elle imaginé en train de glisser sa main dans ses cheveux à elle ?

Mai pouvait dire ce qu'elle voulait. Lorsqu'il était inquiet, lorsqu'il était pris de doutes, c'était elle, Azula, qu'il venait chercher. C'était dans ses mots et dans ses sarcasmes qu'il trouvait le réconfort et la réassurance dont il avait besoin. L'imbécile n'en avait jamais eu conscience mais il avait eu besoin d'elle. Sinon, pourquoi l'aurait-il rejointe à Ba Sing Se ?

Elle connaissait bien son frère, et elle n'avait pas manqué de remarquer son humeur maussade sur le chemin du retour, dans le navire qui les ramenait à la Caldera où Père les accueillerait en héros et où ils se couvriraient de gloire.

Comme elle ne parvenait pas à le dérider et parce qu'elle craignait qu'il ne change à nouveau d'avis, elle décida qu'aux grands maux convenaient les grands remèdes.

Elle s'arrangea donc, avec la complicité de Ty Lee pour réunir Zuko et Mai qui avaient toujours eu un faible l'un pour l'autre.

Son plan fonctionna à merveille.

Ainsi, Zuko était plus heureux et elle gardait le contrôle sur la situation. Mai lui était loyale et Azula s'était assurée qu'il soit parfaitement clair pour son amie qu'elle avait le pouvoir de mettre un terme à leur relation à tout moment.

Du moins, c'est ce qu'elle pensait.

L'amourette entre Mai et son frère avait pris une direction qu'Azula n'avait pas prévue.

Zuko était resté et bien qu'il fût tourmenté au sujet de leur oncle et de leur père, il paraissait heureux quand il était en présence de la lanceuse de couteau. Trop heureux.

Ils passaient le plus clair de leurs journées ensemble et son frère désertait le palais la nuit pour se rendre en secret dans la chambre de la jeune fille et y restait jusqu'au matin. Azula le savait. Rien ne lui échappait.

Il aurait été facile d'y mettre un terme. Elle aurait pu dire à Père que Zuko quittait sa chambre à la nuit tombée. Il l'aurait alors fait suivre et aurait découvert qu'il entretenait une liaison moins que convenable avec la fille de son gouverneur.

Mais elle renonça après le séjour sur l'île de Braise quand elle comprit que seule la présence de Mai retenait Zuko auprès d'elle. Et elle craignait par-dessus tout qu'Ozai découvre que son imbécile de frère prenait le risque inconsidéré de rendre quelques fois visite à son oncle en prison. Il aurait été accusé de trahison et Azula n'aurait rien pu faire pour l'en protéger. L'imbécile avait été trop obstiné pour tenir compte de ses mises en garde.

Alors, comme elle ne pouvait espérer mieux, elle se contenta de se glisser dans sa chambre la nuit quand il n'était pas là. Elle empruntait les passages secrets connus uniquement des membres de la famille royale. Une fois arrivée dans les appartements de Zuko, elle faisait le tour de la pièce, ouvrait les tiroirs et les placards. Souvent, elle ouvrait la penderie et s'emparait d'une tenue de son frère qu'elle serrait contre elle et qu'elle respirait lentement en fermant les yeux pour s'enivrer de son odeur.

Elle se glissait ensuite dans les draps de soie de son lit encore chaud et se blottissait contre ses oreillers, essayant de retrouver dessus le parfum de ses cheveux, s'imaginant que c'était lui, qu'il la tenait dans ses bras, qu'il l'embrassait doucement sur le front, comme il devait le faire au même moment avec Mai.

« Zuko... » murmurait-elle parfois en caressant la place vide à côté d'elle.

« Je crois que je vais vomir... »

La voix de Mai la rappela brutalement à la réalité. Sa réalité. Rouvrant les yeux, elle se retrouva à nouveau dans la petite cellule étroite et ténébreuse sous le regard dédaigneux du fantôme de son ancienne amie.

Azula baissa la tête et se sentit rougir.

« Ton propre frère… tu n'as donc vraiment aucune morale ? »

Azula ne répondit pas. Que dire de toute façon ? Cette pâle imitation de Mai se figurait-elle vraiment qu'elle ne s'était pas déjà mille fois répété ces mêmes paroles ?

Avait-elle vraiment besoin de lui raconter la confusion, la honte qui l'envahissaient quand elle s'éveillait brusquement dans le lit de son frère en l'entendant rentrer et qu'elle filait, trébuchant parfois sur le sol dans sa course, pour regagner le passage secret qui la reconduisait jusqu'à sa chambre où elle se tenait un moment contre le mur, haletant, désespérée, tenant encore dans sa main le vêtement qu'elle avait emporté ?

Devait-elle lui décrire la culpabilité qui la rongeait quand, après avoir assisté en secret à l'entraînement de son frère dans la cour, elle retournait dans ses appartements en repensant à son corps musculeux, qu'elle imaginait comment ces mains qui venaient de produire des flammes torrides se seraient posées, encore brûlantes contre sa peau et auraient commencé à la caresser ?

« En effet, dit Mai du ton le plus écœuré qu'elle pût employer, j'aimerais mieux que tu t'abstiennes. J'ai vu mon lot d'horreur dans ma vie. Pas besoin d'y ajouter cette image…

– Alors arrête de lire dans mes pensées !

– Zuko est à moi, Azula. Et il le sera toujours. Il est perdu pour toi. Tu ferais bien de l'accepter. Avec tout ce que tu lui as fait, que peux-tu encore espérer ? »

Azula ne répondit rien.

Mai avait raison. Elle devait cesser de s'accrocher à cet espoir absurde et se concentrer sur elle, sur son avenir.

Elle devait trouver un moyen de quitter cet horrible endroit en bonne santé. Elle devait apprendre à se contrôler, regagner les privilèges qu'elle avait perdus.

Elle se jura que si elle sortait un jour d'ici, elle cesserait d'attaquer quiconque s'approcherait d'elle, qu'elle ne répondrait plus aux hallucinations en présence d'autres personnes et qu'elle répondrait docilement aux questions du docteur.

Là seulement, elle reprendrait des forces, elle redeviendrait la princesse talentueuse et puissante qu'elle avait toujours été. Et elle reprendrait ce qui lui revenait de droit.

Elle obtiendrait ce qu'elle désirait, tout ce qu'elle désirait.

Elle s'apprêta à formuler tout cela à voix haute mais quand elle leva les yeux pour parler, Mai avait disparu.

Elle était toute seule dans le noir. Encore une fois.


Azula ne se souvenait pas qu'on l'eût sortie de sa prison. Elle se réveilla simplement un matin et ouvrit les yeux sur des murs blancs. Aveuglée, elle referma les paupières et tourna la tête sur le côté pour fuir la lumière éblouissante qui entrait à travers la fenêtre.

Elle voulut les frotter mais ses bras ne lui obéirent pas. Ils étaient croisés sur sa poitrine. Elle comprit qu'elle avait retrouvé sa camisole.

Finalement elle ouvrit prudemment les yeux et reconnut l'environnement nu et familier de sa cellule.

Des larmes de soulagement et de reconnaissance coulèrent sur ses joues et même la camisole lui sembla soudain un faible prix à payer. La cellule lui parut rassurante et accueillante et le matelas trop ferme de son lit avait à ses yeux la douceur et le moelleux d'un nuage.

Son cœur fit un bond violent dans sa poitrine en entendant le cliquetis caractéristique de la clé dans la serrure et la porte s'ouvrit sur le premier visage qu'il lui fût donné de voir après ce qu'elle supposait être des semaines.

Elle laissa échapper un hoquet de surprise quand la dernière personne qu'elle se serait attendue à voir pénétra dans la pièce.

Elle considéra avec un mélange de peur et de consternation la silhouette menue, vêtue d'une robe bleue, le demi-chignon qui surmontait une cascade de cheveux bruns, la peau mat et les yeux d'un bleu aussi profond que le bijou qu'elle portait autour de son cou…

« Bonjour Azula... » lança la nouvelle venue d'un ton incertain.

Au son de sa voix, Azula eut un brusque mouvement de recul et s'aida de ses épaules pour se redresser. Elle poussa sur ses pieds pour reculer, faisant tomber les draps de son lit au sol. Son dos et sa tête cognèrent le mur derrière elle tandis qu'elle essayait de mettre le plus de distance possible entre elle et son ennemie.

« N'aie pas peur Azula, je ne te veux aucun mal ! s'empressa d'ajouter Katara, une main levée devant elle.

– P-pourquoi aurais-je peur de toi, misérable p-paysanne ! »

Le ton qu'elle avait voulu fier et déterminé était rien moins que convaincant. Et la manière dont ses yeux s'étaient brusquement agrandis en voyant entrer la fille qui hantait ses cauchemars trahissait sans nul doute l'affolement qu'elle ressentait.

Les voix reprirent aussitôt leurs conversations dans sa tête :

Nonnononononon ! On n'est pas prêts pour un combat !

Elle est venue nous achever ?

C'est Zuko qui l'envoie !

C'est sûrement une hallucination.

Mais Katara ne semblait pas animée d'intentions malveillantes. Elle la regardait d'un air timide et n'osait pas s'approcher, de peur d'effaroucher la princesse paranoïaque qui lui faisait face.

Que fait-elle là ? Est-ce qu'elle va encore essayer de nous noyer ?

– Taisez-vous ! Fermez-la ! » hurla Azula à la pièce d'un ton furieux.

Katara regarda autour d'elle, comme si elle cherchait la personne à qui la princesse s'était adressée et elle sembla un peu confuse quand elle constata qu'elles étaient définitivement seules dans la cellule aux murs capitonnés.

« A qui parles-t... »

Mais elle s'interrompit immédiatement, portant la main à sa bouche comme pour s'obliger au silence. Une lueur de culpabilité brilla un instant dans ses yeux azur.

Azula sentit s'estomper sa panique. Ce fut la colère qui lui succéda.

Zuko lui avait dit pour les hallucinations. Le traître ! La dernière chose dont elle avait envie, c'était que sa pire ennemie sache à quel point elle était cinglée.

« Pourquoi es-tu ici ? risqua-t-elle, en levant un sourcil soupçonneux. Et quand suis-je revenue ? »

– Il y a deux jours. Tu es restée inconsciente tout ce temps.. Je suis là parce que Zuko me l'a demandé. Tu as été très malade. Quand ils t'ont fait sortir de...l'endroit où ils t'avaient mise, tu étais si faible qu'on a bien cru... »

Katara s'était avancée précautionneusement pendant qu'elle parlait, les deux mains jointes devant elle, comme pour indiquer qu'elle ne constituait pas une menace pour Azula. Cependant, cette dernière ne put s'empêcher de se crisper dans sa camisole.

« Je n'ai jamais vu Zuko aussi furieux, reprit Katara. Il a aussitôt fait renvoyer le médecin qui s'occupait de toi. Tu étais profondément anémiée quand on t'a retrouvée et en hypothermie. Zuko m'a demandé de veiller sur toi jusqu'à ce que tu ailles mieux.

Azula se sentit gagnée par une grande confusion. Cela faisait beaucoup de nouvelles d'un coup. Elle se concentra sur le plus urgent :

« Hu...Huan-Li est parti ?

– Oui. Zuko a fait venir deux autres médecins pour s'occuper de toi. L'une d'elle s'appelle Taïma, elle vient de la Tribu de l'Eau du Nord. Elle est jeune, tu verras, mais c'est une guérisseuse très prometteuse. Je l'ai déjà rencontrée et je suis sûre que tu l'adoreras ! »

Elle rougit légèrement en voyant l'expression incrédule sur le visage d'Azula et reprit d'un ton plus modéré :

« L'autre est un grand psychiatre de la Nation du Feu qui vivait en exil dans les colonies. Ton p… Ozai l'y avait envoyé il y a des années suite à une affaire qui avait mal tourné entre eux. Je ne me rappelle plus son nom mais il a une excellente réputation. Ce sont eux qui vont s'occuper de toi maintenant. Zuko leur a confié la responsabilité de l'Institution.

Ça va aller maintenant Azula, dit-elle d'un ton maternel qui causa dans sa poitrine une contraction douloureuse. Plus personne ne te fera de mal. »

Elle se sentait perdue. Elle regarda à droite et à gauche, en quête d'un soutien, ou d'un indice qui lui prouverait qu'elle n'était pas en train de rêver.

Katara lui laissa un peu de temps. Mais finalement, Azula posa la question qui lui brûlait les lèvres :

« Et Xi et Chen ?

– Qui ?

– Les infirmiers ! coupa-t-elle d'un ton impatient. Les espèces de gros monstres qui me droguent et qui me suivent partout où je vais ! Où sont-ils ? Est-ce que Zuko les a renvoyés eux-aussi ?

– Euh… je ne crois pas… Zuko n'a renvoyé que le médecin. Les autres ne faisaient qu'obéir à ses ordres. »

Azula eut du mal à dissimuler la déception dans ses yeux mais les détourna pour ne pas croiser le regard plein de fausse sollicitude que lui jetait Katara.

Elle ne put supporter de voir une minute de plus ces yeux détestés. Elle baissa la tête et reporta son attention sur ses orteils comme s'ils étaient la chose la plus fascinante du monde.

« Où est Zuko maintenant ?

– Avec tes nouveaux médecins. Il voulait leur parler avant de te les présenter. Il ne sait pas que tu réveillée. Il sera content.

– Pourquoi n'est-il pas agenouillé en pleurs devant mon lit de douleur ? Décidément, il n'aura jamais fini de me décevoir... », ironisa-t-elle.

Les sourcils de Katara se froncèrent, donnant à son visage une expression renfrognée qui ne lui allait pas.

« Estime-toi heureuse d'avoir un frère comme Zuko ! Il a été plus que généreux pour toi ! Après tout ce que tu lui as fait, tu es chanceuse qu'il s'occupe de toi comme il le fait. Si cela ne tenait qu'à moi…

– Dis-moi, Katara…

La jeune fille sursauta légèrement, comme si elle était surprise d'entendre la princesse l'appeler par son nom.

« Est-ce que ton frère à toi t'a enfermée dans un asile de fous récemment ? Est-ce qu'il t'a envoyée loin de tes amis et de ta famille pour pourrir dans un endroit comme celui-là ? »

Elle avait touché un point sensible. Les joues brunes de Katara s'assombrirent, indiquant qu'elle avait rougi et elle baissa les yeux.

Satisfaite de cette réaction, Azula décida de maintenir son avantage :

– J'aurais préféré que la décision te revienne de décider de mon sort ! Si vraiment il se souciait de moi, il m'aurait tuée de ses mains ! Car il saurait que j'aurais préféré mourir plutôt que de moisir entre ces murs ! »

A mesure qu'elle parlait, la maîtrise de ses nerfs lui échappait et elle sentit avec rage la sensation familière d'une boule qui se formait dans sa gorge et qui menaçait d'éclater à tout moment.

Azula se maudit intérieurement. Elle n'avait pas voulu se laisser dominer par ses émotions. Pas devant elle. Elle ne voulait rien avoir à faire avec cette ignoble paysanne et encore moins la laisser deviner ce qu'elle avait sur le cœur.

« Ecoute, Azula... »,commença Katara.

Mais elle fut interrompue par le bruit de la porte qui s'ouvrait pour laisser entrer un nouveau visiteur.

Zuko apparut dans l'encadrement, habillé cette fois d'une simple tunique, d'un pantalon bouffant aux cuisses et d'une paire de bottes à bouts pointus. Azula remarqua qu'il avait renoncé également à la couronne. Azula se débattit une seconde contre les images que ce détail faisait remonter dans sa mémoire.

« Katara, Taïma et moi avons parlé de…

Mais il s'interrompit à la seconde où ses yeux dorés tombèrent sur sa sœur. A l'évidence, il ne s'était pas attendu à la trouver consciente.

Un silence gêné s'ensuivit. Katara regardait ses pieds. Azula soutint le regard de Zuko, luttant de toute ses forces contre les larmes qui menaçaient à la bordure de ses paupières.

« Azula… tu es réveillée... »

Ce n'était pas une question. Jamais elle ne l'avait entendu lui parler d'une voix aussi douce, à part la dernière fois, juste avant qu'elle l'attaque, quand il lui avait caressé la joue du bout de ses doigts. Un frisson parcourut sa colonne à l'évocation de ce souvenir.

Elle chercha quelque chose à dire, quelque parole venimeuse, une réflexion cinglante, mais les mots restèrent bloqués dans sa gorge.

Elle devina que Zuko devait ressentir la même chose. Le silence entre eux devint assourdissant et ce fut Katara qui décida de le rompre :

« Azula s'est éveillée il y a quelques minutes. Je lui ai expliqué la situation, annonça-t-elle.

Et, baissant la voix en pensant qu'elle ne l'entendrait pas, elle ajouta :

« Elle semble lucide...

– Vraiment ?demanda Zuko dont les yeux s'agrandirent sous l'effet de l'étonnement.

Elle l'est parfois. » C'est Azula qui avait parlé, furieuse que l'on se réfère à elle comme si elle n'était même pas là.

La partie intacte du visage de son frère prit une teinte cramoisie mais il se reprit rapidement et redressa la tête d'un air digne. Azula pensa que ces quelques mois passés à la tête de la Nation du Feu avaient dû lui apprendre quelques rudiments en matière de gestion des émotions.

Voilà qui est nouveau… Quelle ironie !

« Azula, reprit-il d'un ton ferme et cérémonieux qui lui donna envie de rire, je suis content de te revoir. Comment te sens-tu ?

– Oh s'il-te-plaît Zuzu, épargnons-nous les formalités d'usage ! Je n'ai pas l'énergie pour ça. Dis-moi simplement ce que tu es venu faire ici et va-t-en ! A moins que tu sois venu me libérer, mais j'en doute fortement…

– Désolé Azula mais je ne peux pas te libérer, pas encore. Tu es toujours très malade et je t'ai déjà expliqué que tu étais en sécurité ici. Tout le Royaume de la Terre réclame ta tête…

– Je ne suis pas sûre que ce soit le bon moment pour lui parler de ça Zu…, l'interrompit Katara.

– Oh mais si, au contraire c'est le moment parfait. Dis moi, mon grand frère chéri, dis-moi à quel point le monde crève de répandre mon sang, de voir ma tête trôner sur une pique sur les remparts de Ba Sing Se. Peut-être que tu pourras la récupérer quand tout le monde s'en sera lassé et que tu pourras l'exposer dans ta chambre. Et tu la regarderas chaque fois que tu douteras de ton pouvoir, de ta puissance. Chaque fois que tu penseras à l'imposteur que tu es ! Elle te rappellera à quel point tu étais magnifique et terrible le jour où tu as laissé une vulgaire paysanne terrasser ta petite sœur ! Alors que tu en étais toi-même incapable ! Dis-le moi s'il-te-plaît Zuzu ! Je rêve de l'entendre !»

Sa voix avait subi de nombreuses variations pendant qu'elle débitait sa tirade. Tantôt railleuse, tantôt colérique, tantôt caressante, se brisant sur la fin quand elle évoquait sa défaite.

Zuko et Katara semblèrent tous les deux profondément mal à l'aise.

Parfait. Elle serra les dents, retroussant ses lèvres en une grimace de satisfaction féroce.

« Azula, je t'en prie, ne fais pas ça… commença Zuko.

– Ne fais pas quoi ?! C'est toi qui dois arrêter ! Arrête de me mentir, de te mentir à toi-même. Arrête de mentir aux pécores que tu t'es choisis pour amis ! Arrête de te cacher derrière de nobles intentions et avoue que cela t'arrange d'avoir un prétexte pour te débarrasser de moi !

– C'est faux Azula… Écoute-moi s'il-te-plaît. »

Katara s'était repliée dans un coin de la cellule et croisait les bras sur sa poitrine, comme si elle cherchait à prendre le moins de place possible, à se faire oublier.

Azula se fichait de sa présence à présent. Ce n'était pas elle qui allait l'arrêter maintenant qu'elle avait commencé à jeter à la figure de Zuko les vérités qu'il niait depuis si longtemps.

« Non ! Non ! Je ne veux plus t'écouter ! Je ne veux plus vous croire ! Tu me détestes, vous m'avez toujours détestée tous les deux ! Elle m'a toujours vue comme un monstre, et toi aussi ! Elle t'en a convaincu alors que tu ne savais même pas encore lire ! Elle t'a monté contre moi, elle a fait de nous des ennemis ! »

Sa voix était devenue stridente à ce point de leur échange et de grosses larmes roulaient sur ses joues.

– Azula, tu divagues ! Katara ne te connaissait même pas quand... » mais il s'interrompit et ouvrit de grands yeux horrifiés quand une lueur de compréhension traversa son esprit.

« Est-ce que tu parles de… de Mam…

– Ne prononce pas ce mot ! » dit-t-elle d'une petite voix sifflante où perçait une profonde détresse.

Azula était furieuse contre elle-même. Elle devait garder le contrôle, il le fallait. Elle ne pouvait pas s'énerver à nouveau, elle ne pouvait pas retourner dans le réduit sous la terre, elle ne survivrait pas à un second séjour dans l'obscurité.

Elle fit de son mieux pour reprendre son souffle et canaliser sa colère, la dissimuler. Elle était passée maître dans l'art de cacher ses états d'âme. C'est cette capacité qui lui avait permis d'apprendre la maîtrise de la foudre à un âge incroyablement jeune.

Pourquoi n'y arrivait-elle plus maintenant ? Serait-elle à nouveau capable un jour de générer des éclairs si la moindre contrariété devenait prétexte à un débordement explosif d'émotions ?

C'est le moment que choisit Ursa pour se montrer.

Azula ne l'avait pas vue depuis le jour où elle avait attaqué Zuko. Elle se tenait juste derrière lui, comme pour se protéger d'elle, son habituelle mélancolie imprimée sur ses traits délicats.

Pourquoi fallait-il toujours qu'elle apparaisse aux pires moments ?

Azula ne put retenir un gémissement désespéré.

Ce bruit et son expression durent la trahir car Zuko et Katara la fixaient maintenant avec de grands yeux ronds où elle pouvait lire une insupportable pitié.

Quand son frère ouvrit la bouche pour parler, ce fut la voix d'Ursa qui s'exprima à travers ses lèvres et qui prononça les mots damnés qu'elle s'était jurée de ne plus jamais croire :

« Je t'aime Azula. Je t'aime de tout mon cœur. »

Qu'aurait-elle donné pour pouvoir plaquer ses mains contre ses oreilles, pour ne plus avoir à entendre cet odieux mensonge, pour bannir à tout jamais ce spectre qui avait décidé de faire de sa vie un enfer.

Et comment Zuko pouvait-il se faire le complice de cette ignoble trahison ? Comment ? Alors qu'elle avait tout perdu pour lui, tout !

Elle fit donc la seule chose possible : elle hurla. C'était un de ces hurlements rauques et prolongés qui vous glacent le sang, qui vous donnent la sensation que votre cœur s'est arrêté et qu'il ne pourra jamais repartir.

Elle avait fermé les yeux pour ne plus les voir. Aussi sursauta-t-elle violemment quand deux mains vigoureuses agrippèrent fermement ses épaules et commencèrent à la secouer sans ménagement.

« Arrête Azula ! Arrête tout de suite ! Tu es folle ! hurlait la voix de Zuko.

– Nonnononnonnon ! Ne me touche pas ! »

Tais-toi, petite traînée ! Tu veux que tout le monde t'entende ?

Était-ce son imagination, ou bien la voix de son frère était-elle descendue de quelques octaves ?

Elle cessa de crier et souleva prudemment ses paupières l'une après l'autre. Ses yeux couleur d'ambre s'agrandirent jusqu'à paraître immenses dans son visage livide sous le choc de ce qu'elle voyait. Et quand ils plongèrent dans les iris dorées qui la fixaient intensément, ce n'est pas le visage de son frère qui lui apparut, mais celui, sculpté au couteau de son père.

Les murs blancs de sa cellule semblaient s'être évanouis. Il n'y avait plus trace de Zuko, ni de sa paysanne de la Tribu de l'Eau. Tout ce qu'elle pouvait voir, c'était le dais cramoisi de son lit à baldaquin, dans sa chambre du palais et dont elle ne pouvait plus détacher ses yeux écarquillés.

Et tout ce qu'elle pouvait entendre, c'étaient ses exhalaisons rauques dans son cou, son souffle guttural dans le creux de son oreille alors qu'il lui parlait :

« Tu es à moi ! Pas à lui… Tu m'appartiens. Tu seras ce que je veux que tu sois ! Tu feras ce que je te demande !»

Ses bras puissants qui enserraient si étroitement sa taille et ses épaules qu'il lui était impossible de bouger, encore moins de s'échapper. Son poids qui reposait sur sa cage thoracique et l'empêchait de respirer.

Et l'atroce sensation de brûlure entre ses jambes tandis qu'il s'enfonçait toujours plus loin en elle.

Son corps robuste et massif qui recouvrait complètement le sien, comme l'ombre de la Lune avait obscurci la face du Soleil ce même jour.

De très loin, il lui sembla entendre quelqu'un qui hurlait. On aurait dit qu'on torturait quelqu'un et, d'encore plus loin, venue d'un autre monde ou d'une autre époque, une voix féminine qui criait : « Zuko ! Lâche-la ! Tu vois bien qu'elle est terrorisée ! »

Mais à qui appartenaient ces voix ? Qui pouvait hurler ainsi ? Quelqu'un avait besoin d'aide ! Pourquoi personne n'aidait cette pauvre fille ?

Et pourquoi l'autre voix s'adressait-elle à Zuko ? Il n'était même pas là. Il était parti, il l'avait abandonnée. Il fuyait loin d'elle, comme la Lune, après s'être brièvement unie au Soleil, s'en était éloignée pour toujours.

Combien de temps passerait encore avant que les deux astres ne se retrouvent ?

Et maintenant elle était seule avec Père.

Seule avec lui dans son vaste lit à baldaquins.

Le jour du Soleil Noir…

Le mur s'était effondré.

Elle se rappelait maintenant.