L'Enfer devait être plus doux que les deux semaines qu'elle venait de passer avec son père.
Pour le vol de l'argent, pour le chagrin toujours plus fort, pour leurs 20 ans de mariage qu'ils ne fêteront jamais, pour d'autres raisons tout simplement absurdes, et même sans raison ainsi que pour tous les maux de la terre… il ne lui avait pas fait de cadeaux.
Pleurant de douleur, de tristesse et de mal-être, elle se tailladait toujours plus les bras pour oublier les autres douleurs. Pour se punir d'exister.
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Il était tôt. Au moins une heure avant que le train ne parte. Personne n'était présent, pas même le machiniste qui devait rester au chaud dans sa cabine.
Marchant lentement pour arriver à respirer convenablement, elle était dans un état second. Elle était toujours aussi bien coiffée, son uniforme impeccable, mais maintenant elle ne pouvait plus cacher ses bleus, pour la simple et bonne raison qu'elle avait épuisé son tube, et que faute d'argent, elle n'avait pas pu en racheter.
Son père lui avait pris jusqu'aux derniers centimes de sa monnaie gagnée cet été en aidant les personnes âgées. Ce n'était pas des mille et des cents, mais pour elle ces 20 livres sterling représentaient l'indépendance dont elle rêvait.
S'arrêtant devant la porte du wagon le plus au fond, elle conjura une fausse pancarte « compartiment condamné » avant de s'enfermer à l'intérieur se laissant tomber contre le mur.
Elle avait le sang qui pulsait dans ses tempes, ses poumons qui la brûlaient. Quand elle était arrivée, il l'avait presque traîné dans sa chambre. Une claque qui lui avait fait mal à la nuque, car il savait qu'elle avait volé son argent. Petite voleuse, petite menteuse. Puis le lendemain l'avait mise à la porte avec un billet de 10 pour aller chercher une bouteille ou deux, elle ne s'en souvenait plus bien ; sans lui laisser le temps de prendre son manteau. Un regard trop long, un murmure, un soupir, et elle en prenait pour son grade. Un bruit trop fort, il lui criait après. Non, hurlait. À n'importe quel moment. Elle s'était interdite de dormir, par peur qu'il vienne la voir dans son sommeil. Quand elle s'endormait malgré elle, elle plongeait dans des cauchemars toujours plus effrayants, se réveillant en nage, tremblante ; la bile au bord des lèvres.
Se relevant difficilement, elle tomba littéralement sur la banquette, la tête le lui tournant. Elle toussa fortement, gémissant face aux percussions dans sa tête. Dans un effort surhumain, elle tira le store pour avoir de l'obscurité. Comme si cela pouvait la faire disparaître. Disparaître les bleus qu'il lui avait faits en la poussant contre le plan de travail. Alors pour oublier, elle sortit sa lame. Déboutonnant une manche, elle appuya sur ses cicatrices à peine refermées. Elle devait saigner la lèvre, mais elle n'était pas sûre. Peut-être à cause du coup de poing. Ce coup de poing, ou ce coup de pied, ou cette claque. Ce jour-là, jour où tous fêtent Noël, avait été le jour le plus douloureux de sa vie. Après tout, s'il faisait cela, c'était probablement que Maëva le méritait.
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Severus lança un regard noir aux têtes brûlées de première année qui chahutaient dans le couloir. C'était son tour de surveillance dans le train. Avait-il envie de passer un après-midi entier à empêcher ces enfants de mettre littéralement le feu au train ? Non. Mais au fond de lui, il s'en amusait. Et puis cela changeait de ses cachots.
Le train roulait depuis deux bonnes heures, et dehors s'étendait des paysages enneigés à perte de vue. Il reçut des bonjours des élèves, auxquels il répondit poliment, tout en jetant des regards par-ci par-là pour vérifier qu'aucun élève ne s'était mis en tête de faire un duel dans le train, comme il y a deux ans. Ou de réviser ses cours de métamorphose sur un de ses camarades, comme l'année dernière. Ou de passer la tête par la fenêtre, comme cette année.
Après être encore passé devant quelques compartiments, il tomba face à une pancarte « compartiment condamné ». Haussant un simple sourcil perplexe, il fit finalement demi-tour, regagnant le compartiment des professeurs. Probablement un jeune qui avait fait exploser sa bulle de chewing-gum et en avait mis partout. Le fléau de vendre des sucreries dans le train.
À mi-chemin, il s'arrêta subitement, manquant de foncer dans un élève. Ce panneau, celui de compartiment condamné, n'était pas présent quand il était monté dans le train ce matin, et aucun de ses collègues n'avait mentionné un tel incident.
Dans une de ses envolées de cape majestueuse, il rebroussa chemin, enchanté à l'idée de retirer des points à des élèves voulant s'encanailler à l'abri des regards.
Le panneau avait été créé par métamorphose, et la porte fermée par une rune, bien plus compliquée à défaire qu'un simple sort. Décidément, les septièmes années ne renonçaient devant rien. Discrètement, il rompit la rune, avant de pousser délicatement la porte. Dans le compartiment, l'obscurité était presque totale.
– Moins 20 points pour…
Un sanglot l'empêcha de finir sa phrase, lui faisant soudainement reconsidérer sa théorie. Un élève avait-il été enfermé par un autre et laissé ici ? Ou pire ? Même si la guerre était finie, il restait quelques moutons noirs, persuadés que l'histoire allait se répéter.
Ouvrant le store à demi d'un coup de baguette, il s'approcha de la forme qui était recroquevillée au pied de la banquette, pleurant le plus silencieusement possible, indifférente au monde qui l'entourait, et à Severus lui-même. Ce n'était pas une septième année. Ni un sixième, cinquième ou quatrième. Non. L'élève en question était celle qu'il avait envoyée en enfer. Et qui, à cause de lui, allait être traumatisé à vie.
– Maëva… murmura-t-il, le poids de la culpabilité sur les épaules, s'approchant.
Voyant qu'elle reculait, effrayée, il s'insulta mentalement. Il s'agenouilla en face d'elle, essayant de ne pas paniquer en voyant les taches de sang sur la chemise.
– Maëva, je veux vous aider. Je vous promets de vous protéger de votre père. Ou contre la personne qui vous maltraite.
– Vous mentez, murmura-t-elle, entre deux sanglots. Vous êtes comme les autres.
– Qui sont les autres ? demanda Severus, aussi doucement que possible.
– Tout le monde sait, mais personne ne fait rien ! hurla Maëva, en se mettant subitement à le frapper, de ses poings tremblants de rage. Je ne vous crois pas… tout le monde sait …
Severus la laissa faire, comprenant parfaitement son besoin de faire sortir cette rage. Ses boucles noires étaient emmêlées, poisseuses de sang, provenant d'il ne savait où. Il avait l'impression qu'elle avait aussi de la fièvre, mais il n'était pas sûr.
– Au même âge, j'étais comme vous. Je vous comprends mieux que quiconque. Laissez-moi vous aider. Vous avez besoin de soin, et mon sac de voyage comprenant mes potions est dans le compartiment des professeurs. Je vous promets de vous aider, mais laissez-moi vous aider, avant que Mrs Reeces…
– Non ! ils… Ils … ne doivent pas savoir, c'est de ma faute, je l'ai méritée… S'il vous plaît…
Il aurait bien discuté encore longtemps, mais il entendait sa respiration rapide et sifflante, et cela l'inquiétait. Il espérait que cela soit dû à la douleur et non à autre chose de plus grave. Il voyait également qu'elle commençait à avoir du mal à garder un regard fixe. Il lui fallait ses potions maintenant.
– Je veux vous aider, répéta Severus, sachant que la patience et la répétition étaient la clef pour poser ne serait qu'un infime lien de confiance. Je ne suis pas comme les autres, si vous …
Abandonnant l'idée de la discussion, il dut la rattraper alors qu'elle venait de perdre connaissance. L'urgence venait d'atteindre un nouveau niveau.
Aidé d'un sort d'illusion pour ne pas que les autres élèves voient la jeune fille, autant pour la préserver des questions que pour ne pas les choquer, il gagna d'un pas rapide le compartiment réservé aux professeurs.
– Severus ? S'interloqua le professeur d'astronomie, en le voyant avec un air grave.
– Conjurez un lit, immédiatement, ordonna-t-il, en faisant tomber son sort d'illusion, récoltant des halètements et des exclamations de ses collègues qui étaient aussi du voyage.
– Elle a été… ? demanda Harry, l'air grave.
– … passé à tabac par son père. Elle s'était enfermée dans un compartiment, Résuma Severus, en l'allongeant prudemment. Elle est inconsciente.
S'il avait bien appris quelque chose à force d'être au service du lord, c'était de toujours avoir de quoi effectuer les premiers soins. Dans cette optique, il fit venir à lui son sac de voyage pour lui donner à minima une fiole contre la douleur, et peut-être régénération sanguine, il préférait être prudent.
Alors qu'il se demandait ce qu'il pouvait faire ici dans ce train, sans vraie infirmerie avec des bandages, du désinfectant, et surtout du calme pour se concentrer, ou encore ses appartements qui avaient également tout le nécessaire, une plume lui fit tendu par Harry, sous son regard perplexe.
– Portoloin que je viens de faire. Ramène-la au château, et fais enfermer la pourriture qui lui a fait ça.
– Compte sur moi, déclara-t-il avec un sourire carnassier, en prenant le corps meurtri dans ses bras, puis la plume.
À peine eût-il posé un pied sur la terre ferme qu'il se mit en marche pour le château. Le Portoloin ou le transplanage n'était pas vraiment indiqué dans le cas de blessés, mais il avait peur que son état soit vraiment grave et qu'attendre que le train arrive fasse plus de mal que de bien.
Il arriva dans l'infirmerie, déserte de toute infirmière. Pestant, il posa la jeune fille qui semblait être une poupée de chiffon, et plaça un sort d'alarme pour prévenir si jamais Maëva se réveillerait, même s'il en doutait. Après un dernier regard, il partit à la recherche de Stéphanie, la remplaçante de Poppy qui avait pris sa retraite.
– Severus ? s'interloqua une voix derrière lui.
Se retournant face à la directrice, il n'eut pas le temps de lui poser une question que cette dernière enchaîna, un air perdu sur le visage.
– Le train est déjà arrivé ?
– Je suis venu en Portoloin depuis le train. J'ai trouvé Miss Parker enfermée dans un compartiment pour se cacher des blessures que son père lui a infligées, siffla Severus, en lui rappelant ses avertissements quand il était venu dans son bureau.
Comme un coup de grâce, Severus rajouta :
– Elle me l'a dit.
– Où est-elle ?
– Je l'ai laissée sur un lit à l'infirmerie, j'étais parti chercher Stéphanie.
– Elle n'est pas là, elle a eu une urgence familiale, mais je peux… On va demander à sainte mangouste !
– Non, surtout pas, c'est le meilleur moyen de perdre sa confiance ! Laissez-moi faire.
– J'aurais dû vous écouter, déclara Minerva après un temps de silence. Je vous fais confiance pour l'aider au mieux.
Il la remercia d'un signe de tête, avant de se mettre à courir pour aller voir Maëva.
Aidé de la magie, il transforma les vêtements en un bandeau et un short pour pouvoir la soigner au mieux, et voir l'étendue des blessures surtout. Cependant, des marques attirèrent son regard. Sur son corps, des cicatrices pâles, d'autres encore avec des croûtes de sang, d'autres saignant encore. Ce qu'elle craignait d'être découverte… c'était ça également. Elle s'automutilait. Décrétant que ce problème était le moins urgent, il vérifia l'absence de plaies dans le cuir chevelu. Heureusement, le sang ne venait pas de son crâne, mais probablement des plaies de ses mains. Des marques sombres étaient présentes à différents endroits du corps. Sa lèvre semblait fendue. De fins cernes démontraient sa fatigue.
Il lança un sort de diagnostic, soulagé de lire que sa respiration laborieuse n'était due qu'à une pneumonie, et non à quelque chose de plus grave. Cependant, il se demanda quel genre de parents laissaient leur fille aller à l'école avec plus de 39°C de température ? Surtout que la pneumonie n'avait pas dû s'installer en un jour.
– Je ne laisserai personne vous faire du mal à nouveau, murmura Severus, en nettoyant les bras de la jeune fille avec un linge et une bassine d'eau mélangée à un désinfectant. Vous vous blessez pour une raison que je ne connais pas, mais je vous aiderais.
– Comment va-t-elle ? demanda une voix derrière lui.
Pris par surprise, il se retint à grande peine de lancer un sort de ligotage à Harry et Minerva. Le train était arrivé ? Combien de temps avait-il passé à s'occuper d'elle ?
– Elle est encore inconsciente, répondit-il néanmoins, après avoir regardé l'heure. Elle a une pneumonie avec une fièvre importante, des bleus sur plus de la moitié du corps, est probablement épuisée. De plus, elle se scarifie probablement depuis un moment, et assez profondément pour que même la magie ne puisse pas effacer les cicatrices.
Le regard effaré de ses collègues lui fit se demander si c'était une bonne idée de leur avoir dit.
– Elle est suicidaire ?
– Je ne pense pas. Elle serait passée à l'acte bien avant si c'était le cas. Il y a une raison, mais nous ne savons pas laquelle. Ce qu'il faut surtout, c'est ne pas la juger.
– Je dois aller au banquet, mais dès que Stéphanie revient demain nous lançons les procédures au ministère.
Severus n'eut pas le temps de protester que Minerva fut déjà repartie.
– Tu t'inquiètes pour elle, constata Harry, suivant le regard de Severus vers la jeune fille.
– C'est une élève, nous sommes responsables d'eux, bien sûr que je m'inquiète, Potter, cracha Severus. Rien n'excuse la violence envers un enfant, même si certains semblent l'oublier.
Agacé par le regard inquisiteur d'Harry, il lui ordonna de rester la surveiller le temps qu'il se change et aussi se calme. Voir la violence sur le corps de cette enfant lui avait fait remonter de mauvais souvenirs, et couper l'appétit. Il savait au fond de lui que Harry avait raison. Il y avait maintenant quelque chose de personnel avec cette enfant. Il avait vécu la même chose, et il voulait lui tendre la main.
