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Chapitre 4 : Erotomania

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Il fallait absolument qu'elle trouve un travail. Penny avait besoin d'argent.

Heureusement, son nouveau dealer semblait s'être épris d'elle. Ses quelques dettes ne semblaient plus vraiment compter maintenant qu'il avait élu domicile chez elle, préférant passer des nuits à ses côtés plutôt qu'être remboursé. Tant mieux, cela faisait un poids en moins. Et puis, Penny aimait bien Eric. Il pouvait se montrer un peu bizarre des fois, par exemple lorsqu'il s'emportait dans de grandes colères pour pas grand chose ; mais le reste du temps il était doux avec elle. C'étaient ces moments-là qui comptaient, bien plus que les autres.

Mais, à part cela, Penny avait tout de même besoin d'argent. Elle ne pourrait pas vivre indéfiniment sur le maigre héritage laissé par ses parents. D'ailleurs, il ne lui restait déjà plus grand chose. Or elle avait un loyer à payer, besoin de pouvoir faire des courses... La base pour survivre, tout simplement.

Alors, lorsqu'elle avait vu cette offre d'emploi pour faire le ménage chez Wayne Enterprise, elle avait sauté sur l'occasion. Elle s'était présentée à la première heure, bien vêtue, souriante, prête à l'emploi. Elle avait été tout de suite embauchée. Néanmoins cela n'avait été qu'un petit contrat de remplacement, ne durant qu'un mois. Elle avait touché un salaire, certes, mais elle n'avait plus rien d'autre en vue. Penny avait tant espéré que ses qualités de travail soient remarquées et qu'elle puisse de nouveau être embauchée... Et qui sait, peut-être remarquées par Thomas Wayne lui-même ?

Tandis qu'elle prenait son unique chèque de paye à l'accueil de la grande entreprise, le destin lui avait souri. Bien sûr que c'était le destin, quoi d'autre ? Thomas Wayne était passé à ce moment-là. Ni une ni deux, elle s'était précipitée vers lui.

Le jeune Wayne avait semblé étonné de voir cette inconnue accourir vers lui. Ne perdant rien de sa superbe, Penny avait reprit son souffle et s'était présentée. Elle avait expliqué quel excellent travail elle venait d'effectuer pour l'entreprise, ainsi que son souhait de pouvoir poursuivre dans un emploi similaire. Le jeune Wayne, si beau et si attentionné, l'avait écouté sans l'interrompre. Un parfait gentleman.

« Je vais voir ce que je peux faire pour vous, lui avait-il répondu. Je crois que mes parents cherchent une nouvelle employée de ménage au Manoir... Pouvez-vous me redonner votre nom ? Nous vous appellerons au besoin. »

Penny lui avait griffonné son nom et son adresse sur un bout de papier, des papillons virevoltant dans son ventre. Puis Thomas Wayne l'avait salué et était parti, souriant, tandis que Penny était sûre d'une chose : c'était un coup de foudre qui venait de se produire. Thomas Wayne et elle étaient faits l'un pour l'autre, faits pour être ensemble.

Peu de temps plus tard elle avait été contactée par les Wayne seniors, pour candidater au poste d'employée de maison laissé vacant il y a peu. Ils lui avaient dit qu'une autre personne avait candidaté : il s'agissait d'un homme. Penny avait tout de suite fait valoir qu'elle était une femme et qu'elle était donc bien plus qualifiée pour ce poste qu'un homme qui aurait naturellement bien moins de talent.

Et elle avait été acceptée.

Pendant de longs et merveilleux mois - ou étaient-ce des années ? le temps passait si vite... - Penny avait travaillé chez les Wayne, faisant un travail irréprochable. Elle collaborait avec les deux jardiniers, la cuisinière, et l'autre femme de ménage. Elle devait bien l'avouer, elle était un peu jalouse de cette dernière : celle-ci s'occupait de la partie de la maison où logeait Thomas Wayne, tandis que Penny, elle, était astreinte à la partie occupée par ses parents.

Heureusement, cela ne l'avait pas empêché de recroiser le beau jeune homme à plusieurs occasions. Il avait été si timide à chaque fois !

Penny se souvenait parfaitement du coup de foudre qui avait eu lieu entre eux, et depuis ce jour son amour pour le beau Thomas Wayne ne cessait de grandir ; de même que l'amour qu'il lui portait à elle, Penny en était persuadée. Seulement, ce n'était pas facile pour Thomas d'avouer ses sentiments : il était l'héritier de la plus grosse fortune de la ville, tandis qu'elle n'était qu'une simple employée de maison. Mais ce n'était pas grave : elle était belle, jeune, intelligente... Son statut social ne pourrait les empêcher de vivre leur amour ; car leurs sentiments étaient si purs et si forts qu'ils surpasseraient tout.

Penny avait donc longuement attendu que Thomas se déclare. Très longtemps. Cela lui avait paru interminable. Elle se consolait dans les petits moments où elle pouvait l'apercevoir... Mais, rapidement, cela n'avait plus été suffisant. Alors elle avait trouvé de petits stratagèmes : pénétrer dans d'autres pièces du manoir, dans l'espoir de le voir un peu plus, prétextant un balai cassé ou une nouvelle serpillière à aller chercher... Tout était bon pour le voir ne serait-ce qu'une seconde supplémentaire.

Mais, là aussi, cela se révéla insuffisant au bout d'un temps. Penny en voulait toujours plus ; mais Thomas, lui, semblait toujours aussi timide qu'au début. Il ne s'était toujours pas déclaré. Alors, à force de réflexion, Penny décida que c'était sûrement à elle de faire le premier pas. En douceur, bien sûr, pour ne pas bousculer son si gentil et timide petit Thomas.

Elle avait donc réussi plusieurs fois à se glisser jusqu'à sa chambre, bien que cela ne fasse pas partie de ses attributions. Malheureusement, à chaque fois, elle ne l'y avait pas rencontré. Alors, elle avait décidé de lui laisser ça et là des petits mots d'amour qu'elle prenait la peine de parfumer avec son propre parfum, pour qu'il ait toujours son odeur avec lui, dans sa chambre, quand il se couchait le soir et rêvait à elle durant la nuit...

Et puis, un matin, le drame s'était produit.

Penny avait terminé ses tâches un peu plus tôt et, comme à chaque fois que c'était le cas, elle s'était discrètement rendue dans la chambre de Thomas. Elle avait laissé un petit mot parfumé sous son oreiller... Et là, la tentation avait été trop grande. Elle n'avait pas pu résister.

Penny s'était lentement allongée sur le lit de son bien-aimé, humant son oreiller d'abord ; puis, peu à peu, défaisant les draps pour s'y glisser, imaginant le corps chaud de Thomas juste là, tout contre elle... Sa main avait lentement glissé sur son corps, jusqu'à son entrejambe. Elle s'était caressée, doucement, avec tendresse, comme Thomas le ferait... Son désir avait été si fort que l'orgasme l'avait bien vite emportée. Au passage elle avait imaginée Thomas, jouissant lui aussi, en elle...

Et puis, lorsqu'elle avait rouvert les yeux, quelque chose lui avait paru étrange. Il lui avait fallu quelques secondes de plus pour réaliser : une personne se trouvait dans l'encadrement de la porte. Thomas ? avait espéré son cœur un instant. Mais il n'en était rien : c'était l'autre employée de ménage, balai en main, qui la regardait avec stupeur depuis la porte, immobilisée par la surprise.

« Ce, ce n'est pas ce que vous croyez ! » s'était empressée de dire Penny, se redressant tant bien que mal.

L'autre était restée muette, stupéfaite.

« Ce n'est pas... S'il vous plaît, plaida Penny. Ne dites rien. Ne dites rien aux parents Wayne à propos de Thomas et moi... »

L'autre femme l'avait regardée avec de grands yeux ronds puis, finalement, était partie sans rien ajouter.

Penny, mortifiée, avait refait les draps du lit de son aimé avant de quitter la chambre précipitamment, à regret.

Le lendemain, elle apprit par l'intermédiaire d'un homme inconnu, lui refusant l'accès au Manoir Wayne, qu'elle était licenciée. Une fureur telle qu'elle n'en avait jamais ressentie s'était alors emparée d'elle.

Rien. Rien ni personne ne pourrait faire obstacle à l'amour qu'elle ressentait pour Thomas Wayne. Jamais.

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Dans la salle d'entretien, se tenant face à Benjamin Stoner, droite et bien peignée, Penny Fleck semblait aujourd'hui en pleine forme.

« Franchement docteur, disait-elle. Vous y croyez ? Ce type a râlé toute la soirée parce qu'Helena avait gagné aux cartes. Toute-la-soirée ! Vraiment, mais quel mauvais perdant, je vous jure » racontait-elle en levant les yeux au ciel tout en ayant un léger sourire au coin des lèvres.

La jeune femme semblait s'intégrer un peu plus dans le service, et même si elle critiquait encore régulièrement les autres patients, elle commençait néanmoins à créer du lien social ; cela était une bonne chose pour elle, du point de vue de son psychiatre. Son évolution avait été marquante au fil des trois mois écoulés : la jeune femme d'aujourd'hui ne ressemblait en rien à celle qu'il avait rencontré à son arrivée dans le service, aussi confuse que sédatée. A présent, tout semblait aller pour le mieux dans la vie de Penny. Enfin, presque. Tout, sauf deux aspects encore sensibles : le fait qu'elle soit encore à Arkham, ce qui continuait à l'embêter, surtout qu'elle n'avait toujours pas obtenu de date de sortie ; et le deuxième aspect concernait, forcément, sa relation avec Thomas Wayne.

Le reste du temps, elle ne se plaignait de rien d'autre. Elle était tout à fait cohérente lorsqu'elle racontait son quotidien, pouvant se montrer charmante, rieuse... Jusqu'au moment où l'on abordait la question du jeune Wayne. Question qui allait venir justement, étant donné que durant tout le début de l'entretien Penny avait raconté l'ensemble de son quotidien, agréablement. Mais il était temps à présent de s'attaquer au cœur du problème.

« Et concernant Thomas Wayne, demanda le psychiatre. Où en êtes-vous de vos réflexions ? »

Benjamin vit alors quelque chose changer au fond du regard de sa patiente. Comme un petit éclat qui se serait allumé...

« J'en suis toujours au même point, répondit-elle en haussant les épaules. Bien sûr, je pense toujours beaucoup à lui... Ne pas pouvoir le voir c'est vraiment compliqué à vivre, vous savez. Quand on vit un amour aussi fort que le nôtre, rester loin l'un de l'autre c'est vraiment, vraiment très dur... Mais notre amour est plus fort que tout, il survivra à tout ça » affirma-t-elle au médecin face à elle.

Le docteur Stoner releva, sans surprise, que sa patiente s'accrochait toujours à son délire. Impossible de lui faire dire autre chose à ce sujet, et ce depuis des semaines.

Alors, le psychiatre tenta d'aborder un autre sujet, sensible également.

« Et votre fils, dans tout ça ? »

Penny sembla tout-à-coup très triste.

« Oh... Mon pauvre chaton... Il me manque tellement. Peut-être même encore plus que Thomas... Ce qui n'est pas peu dire ! Heureusement que son père prend bien soin de lui.

- Penny, je vous l'ai déjà dit : votre fils adoptif est actuellement auprès des travailleurs de l'aide à l'enfance.

- Et alors ? demanda-t-elle sur un ton de défi. Vous n'allez tout de même pas blâmer Thomas ! Ce n'est pas grave s'il a besoin d'aide pour s'occuper de notre fils. Cela se fait de plus en plus d'être assisté par des professionnels, vous savez ? Et puis c'est un homme très occupé, bien sûr qu'il a besoin d'un peu d'aide pour élever notre enfant en mon absence... »

Elle émit alors un soupir de lassitude, puis sembla se perdre dans ses pensées.

Toujours aucune évolution de ce côté-là, nota Benjamin dans un coin de son esprit. Lorsqu'il s'agissait de parler du quotidien, mademoiselle Fleck répondait toujours de manière très adaptée, cohérente avec la réalité ; par contre, dès qu'il était mention de Thomas Wayne ou de son fils Arthur, impossible de lui faire entendre raison...

Benjamin Stoner décida donc qu'il était temps de mettre son plan en action.

« Penny ? dit-il alors, la sortant de ses pensées.

- Oui ?

- J'ai quelque chose d'important à vous annoncer. Il se trouve que monsieur Thomas Wayne a demandé à vous voir. Si vous êtes d'accord, vous le rencontrerez cet après-midi, dans la salle des familles, en présence d'un gardien. »

Au fur et à mesure de ses mots, la bouche de sa patiente s'était ouverte pour former un petit "o" de surprise tandis que ses yeux s'étaient écarquillés. Puis un large sourire fendit son visage.

« Thomas ? dit-elle alors, l'émotion perçant dans sa voix. Thomas va venir me voir ? Aujourd'hui ?

- C'est exact » répondit le psychiatre.

On aurait dit qu'il s'agissait pour Penny Fleck du plus beau jour de sa vie.

« Toutefois, je ne suis pas sûr que les nouvelles qu'il a à vous annoncer soient particulièrement bonnes, si j'ai bien compris l'objet de sa visite » tenta-t-il de prévenir sa patiente.

Néanmoins, celle-ci garda son sourire radieux.

« Voyons docteur, ne dites pas de sottises. Thomas a toujours eu le don de m'émerveiller, et ce quelles que soient les circonstances. »

Le professionnel n'insista pas plus, sachant d'expérience que la jeune femme ne pourrait pas entendre ses propos.

Il ne restait donc plus qu'à espérer qu'elle puisse, en revanche, entendre ce que Thomas Wayne aurait à lui dire...

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Petit flash-back sur ce qu'il s'est passé pour Penny avant son esclandre à Wayne Enterprise relaté dans les chapitres précédents, et donc avant son internement à Arkham.
Au départ je n'avais pas prévu d'écrire quoi que ce soit d'ordre sexuel ; et puis, l'idée m'est venue d'ajouter cette dimension : un fantasme chez Penny d'une relation sexuelle avec Thomas Wayne, qui aurait pu devenir réalité dans son délire, et serait donc une forme symbolique de la naissance de Arthur dans son esprit..