Collègue sincère
L'attention de Yami s'éveilla quand l'empereur-mage évoqua Charlotte. La capitaine de la Rose bleue étant blessée, elle participerait à distance à la réunion. Il n'y avait pourtant rien de très palpitant en ce moment.
Quand elle apparut, la capitaine Roselei n'avait pas l'air mal en point. L'image montrait sa tête et son buste, elle était fidèle à elle-même. Et elle s'excusa poliment du désagrément causé par son absence physique.
La réunion se poursuivit, les recherches du Taureau Noir sur les démons n'ayant pas été concluentes pour l'heure. Julius informa des politiques à mettre en œuvre en particulier pour restaurer la confiance des citoyens en leur ordre. Yami se sentait de plus en plus fatigué de ce bla-bla interminable.
Il bailla plusieurs fois et n'arriva même pas à éprouver le moindre soulagement au final. Quelle perte de temps. Et quelle perte d'énergie putain. Il se demandait qu'est-ce qui avait pu immobiliser sa collègue... Elle avait tellement pincé les lèvres en présentant ses excuses, il en souriait encore.
Sa fierté et son exigence envers elle-même l'embarrassaient dès qu'elle considérait être un poids pour l'ensemble. Est-ce que quelque chose de grave la retenait ? À la fin de la réunion, il interrogea discrêtement Julius mais sa réponse rassurante n'était pas assez précise à son goût.
Dès qu'il mit la main sur Finral, ils mirent le cap sur le chateau des Roses Écarlates. Le batiment était entouré d'imposantes haies et d'un grillage propre à dissuader les visiteurs innoportuns. Malgré tout, quand ils arrivèrent devant, une des portes s'entrouvrit et ils purent remonter l'allée.
L'endroit était toujours magique, semblable à un idyllique château. La partie jardin était ouvragé pour faire une vraie promenage de noble, la fontaine apportait de la fraicheur. Et le batiment était d'une pierre claire et lumineuse. Tout respirait la noblesse ici ; ça n'échappa ni à Yami ni à Finral.
Sol, la seconde vive et intense du capitaine, vint les accueillir. Sa mise simple et ses manières directes tranchaient avec la solennité du lieu :
— Salut, vous voulez quoi ?
— Voir la capitaine, j'ai à parler avec elle.
Elle fronça les sourcils et désigna son accompagnateur.
— Lui il va m'attendre ici, tu peux l'ignorer.
Si Finral fit sa tête de chien battu, Sol n'eut pas l'air de trouver ça étrange. Elle lui fit signe de le suivre et conduit le capitaine jusqu'aux appartements de Charlotte. Si ça ne tenait qu'à elle, on ne l'aurait pas laissé entrer mais bon elle n'avait pas voix au chapitre.
Yami parcourut les couloirs classieux avec l'habitude de ne pas s'y sentir à sa place. Au moins ce bâtiment ne rajoutait pas de décorations chichiteuses.
Il arriva finalement au salon où se trouvait Charlotte et dans un premier temps ne vit rien d'anormal. Elle n'avait pas l'air malade, se tenait de la même manière que d'habitude... Sauf qu'elle avait la jambe droite immobilisée.
— Bonjour, est-ce que tu veux boire quelque chose ?
Il secoua simplement la tête pour refuser, venant simplement s'installer à côté d'elle autour de la table ronde.
— Je suppose que tu n'as pas fait tout ce chemin sans raison, amorça-t-elle pour le faire parler.
Yami était un peu déçu, alors elle s'était juste blessée ? Argh, il avait l'air stupide à s'être déplacé pour ça.
Un coup d'œil lui suffit pour voir sa collègue crispée à ses côtés, le rouge envahissait ses joues, elle écrasait ses accoudoirs comme si elle voulait les briser. Yami savait qu'elle n'avait pas peur - il l'aurait compris et laissé tranquille. Mais elle n'était pas sereine en sa présence et il se demandait si elle finirait un jour par l'accepter dans le paysage.
Habituellement, elle finissait toujours par le fuir. Mais aujourd'hui... Avec une jambe immobilisée, elle ne pourrait pas. Yami aurait dû peser le pour et le contre mais l'idée était trop tentante pour qu'il la refoule.
Il sourit pour lui même et Charlotte se questionna clairement sur son état. Étrangement, sa bonne humeur s'accentua devant son incompréhension. Il se pencha vers elle, l'obligeant à se coller à son dossier pour gagner un peu d'espace.
— Dis-moi l'épineuse, c'est pas le moment où on discute enfin ?
Une rougeur subite apparut sur les joues de sa collègue alors qu'elle fixait un point derrière lui.
— J'attends que tu me parles de l'objet de ta visite donc oui, on peut dire que c'est « le moment ».
Yami ne se retint pas de grogner (ce qui la fit se crisper davantage si possible). Il détestait tout ça.
— Qu'est-ce que t'as avec moi ? Qu'est-ce que tu vois qui te pousse à fuir ?
Il sentit par son Ki sa panique grimpee.
— Ma lacheté.
La réponse avait tardé mais elle avait glissé hors de ses lèvres rose. Le ton était supposement neutre mais il la connaissait assez pour y déceler une fatigue et une colère contre elle-même. C'était comme si elle ne serait jamais satisfaite d'elle.
Le reste de sa réponse le lui confirma :
— Mes manquements aussi. Je te présente mes excuses pour ce que je t'ai infligé.
C'était bien beau l'autoflagellation mais ça ne le renseignait pas. Yami se laissa lourdement aller contre son dossier, allumant sa cigarette au passage. Sa collègue regarda fixement l'objet tout en restant obstinément silencieuse.
— Ta lacheté ? Explique pour voir.
Ses lèvres rose se pincèrent, il dut se retenir de sourire.
— Allez l'Épineuse, y'a quoi que je pourrais pas entendre ?
À ses mots, elle fut assez à l'aise pour lever les yeux au ciel. Ses yeux s'adoucirent avant de retrouver leur sérieux.
— Soit. Je suppose que la sincérité est une vertu, marmonna-t-elle.
Yami la vit carrer ses épaules, la sentit se tendre, sa curiosité allait enfin être rassasiée.
— Je suis amoureuse de toi.
Il toussa, il n'aurait pas dû inspirer à cet instant précis. Le capitaine ne mit pas longtemps à sourire avant de s'immobiliser en une grimace.
— N'importe quoi, souffla-t-il finalement en conclusion.
Il n'appréciait pas cette hypothèse, la trouvant grotesque. Il ne la pensait pas aussi mesquine.
— Alors... je mens ?
Non. La réponse claqua avec la force de l'évidence. Mais alors... c'était la vérité ? L'esprit échauffé de Yami passait en revue les informations à sa disposition.
Son analyse presque systématique du Ki des uns et des autres l'éclairait beaucoup sur leur état et leur ambition. Il n'avait pas réussi à déchiffrer la tension exacerbée de sa collègue dès qu'il apparaissait dans son champ de vision. (Et il en avait fait des tests... ) L'amour en serait la cause ?
Ce n'était pas sa première conclusion. Après tout ce n'était pas un état qu'il avait observé chez d'autres personnes, femmes ou hommes. Pourtant il en avait vu des amoureux, et de toutes les sortes. En plus ils se connaissaient depuis tant d'années. Elle avait toujours été ainsi.
C'était risible qu'une femme comme elle, une chevalier-mage de haut rang, s'échine dans une romance sans réciprocité. Car rien dans leurs discussion n'avait ce ton-là.
Mais il était sûr que Charlotte ne mentait pas. Yami le savait.
Il finit sa clope, incapable de trouver quelque chose à dire.
— Sukehiro, interpela sa collègue d'un ton des plus formels, je suis amoureuse, pas mourrante. Tout va bien.
Le capitaine impétueux ne savait toujours pas quoi dire, il acquiesça donc. Il avait ce pour quoi il était venu donc il était temps de partir. Mais comment faire pour que cela semble naturel ?
Il ne trouva pas parce qu'il se retrouva à embrasser sa tempe avant de disparaître.
