Dix minutes à triturer la serrure de l'immense porte du château ni avait rien fait. Ils étaient bel et bien enfermés dehors. Seulement il fallait bien qu'ils rentrent. Si on les retrouvait à l'extérieur demain matin, et ce dès leur premier jour d'école, ni l'un, ni l'autre ne voulait imaginer ce qui les attendrait. Les deux garçons étaient déconfits.
Indy pensait à sa belle carrière qu'ils n'auraient jamais. Il serait à jamais étiqueté comme « l'élève qui désobéit au premier jour » et cette étiquette lui collerait à la peau toute sa vie, et alors jamais il ne pourrait diriger le moindre ministère !
Stan, lui, imaginait la tête de ses parents. Ils seraient sans aucun doute extrêmement déçus de le voir expulser de l'académie. Il le garderait cloîtré à jamais et alors il n'aurait plus jamais l'occasion de parler à personne d'autre !
Les deux garçons semblaient être partis pour se lamenter jusqu'au petit matin. Soudain ils se jetèrent à nouveau à terre. La porte s'ouvrait. Une femme au teint pâle comme la lune et aux cheveux châtains tressés avec beaucoup d'élégance sortie à son tour de l'académie. La porte était ouverte, mais impossible de passer sans être vu. C'était si frustrant de ne pouvoir rien faire.
La femme jeta des regards à droite et à gauche, elle semblait chercher quelque chose. Elle enfonça la grosse clé qu'elle venait d'utiliser dans l'une des poches de sa longue robe ocre, puis avança avec détermination au milieu des statues noctambules, coupant à travers l'allée et les parterres sans hésitation.
C'était peut-être là leur seule chance de rentrer. Ils ne devaient absolument pas la perdre de vue. Ils se mirent donc à ses trousses en essayant de rester aussi discrets que possible. Chaque statue qu'ils croisaient les saluait. Certaines se montraient chaleureuses, d'autres plus sévères, mais dans tous les cas, il fallait toujours leur serrer la main. Or leur poigne était puissante et semblait se renforcer encore salut après salut.
Le professeur, lui, n'était nullement sollicité ce qui rendait sa progression bien plus aisée que pour les deux adolescents dont les mains commençaient à les faire souffrir.
« - J'ai l'impression qu'ils essayent de nous retenir poliment.
- Moi j'ai l'impression qu'ils essayent surtout de nous faire regretter, poliment, notre sortie ! On ne devrait pas trop traîner où on va finir par y laisser une main, ou pire, deux ! »
Indy secouait et massait ces dernières avec énergie. La femme devant eux s'arrêta finalement devant une statue que Stan reconnut aussitôt malgré la pénombre. C'était la statue de Luc Millefeuille ! Le fameux empoisonneur de Moldus, et le créateur des enfants pourpres...
Mais que faisait donc ce professeur devant cette statue ? Elle s'approcha, se pencha, examina la statue et ses chaînes sous tous les angles. Il sembla même à Stan qu'elle lui murmurait des choses. Soudain, la statue tressaillit ce qui fit sursauter les deux adolescents. La femme se retourna rapidement, cherchant un signe de présence aux alentours, mais elle ne les vit pas cachés derrière l'un des nombreux piédestaux du Jardin des Félicités.
Elle retourna donc à son étude de la statue. Cette dernière ne bougeait plus. Le professeur se redressa, recula de quelques pas avant de murmurer quelque chose à son adresse. Stan tendit l'oreille autant qu'il put, en vain. Il passa alors la tête pour regarder. C'est à ce moment précis que la statue décapitée se mit à se débattre rageusement. Stan recula aussitôt sa tête tandis que la femme reculait précipitamment. Elle reste pensive un instant devant la statue de nouveau immobile. Puis, sans plus un regard pour elle, elle se dirigea vers le Nord.
Après une dizaine de minutes de marche, elle pénétra dans ce qui ressemblait à un petit Tempietto fleuri. Les garçons s'approchèrent rapidement d'une fenêtre pour voir et écouter ce qui se passait à l'intérieur. Par chance, l'une d'entre elles, proche de la porte d'entrée, avait été gardée entrouverte, sans doute pour laisser rentrer la fraîcheur du soir.
À l'intérieur, une seule et unique salle ronde dans laquelle se trouvait un joyeux capharnaüm. Au milieu de ce joyeux bazar se trouvait le professeur qu'ils avaient suivi ainsi que Toufeu ! Ou Touflamme. Peu importe.
Par un coup du sort incroyable, une chance insolente même, non loin de la fenêtre d'où les deux garçons observaient, se trouvait le manteau du mystérieux professeur.
Indy fit un signe de tête à Stan avant de pointer ce dernier du doigt. Ils hochèrent la tête à l'unisson. C'était leur seule chance. Il devait récupérer la clé, puis partir aussi vite que possible en priant pour ne pas être pris. Alors que Stan entreprenait d'ouvrir davantage la fenêtre avec une extrême précaution, il ne put échapper à la conversation qui se déroulait à l'intérieur.
« - Et je préfère vous prévenir Touflamme ! - C'était donc Touflamme songea Stan. - Vous savez que nous avons des enfants pourpres au sein de l'académie. Nous ne pouvons pas nous permettre qu'ils entrent en contact avec la statue sans être préparés. C'est entendu ? La statue ne doit être dérangée sous aucun prétexte. Je passerais personnellement vérifier que vous faites votre travail, soyez-en sûr. »
Stan avait à présent la moitié du corps à l'intérieur de la luxueuse cabane. Sa main tendue avait atteint la poche du manteau et y fouillait à présent sans retenue à la recherche de la fameuse clé.
Pendant ce temps, lui tournant le dos, la femme rabrouait Touflamme sans discontinuer. Ce dernier gardait la tête basse et acquiesçait sans un mot. Stan devait se dépêcher ! Impossible de savoir combien de temps durerait ce monologue, mais lorsqu'il serait fini, il était presque certain que Stan se ferait attraper. À moins qu'il ne soit déjà parti.
« - …Écoutez Touflamme. Je sais que vous faites de votre mieux, mais on ne peut prendre aucun risque ! Il est plus qu'incertain qu'on approuve ce que nous essayons de faire. J'ai juste besoin de temps vous comprenez ? »
L'elfe de jardin opina du chef, il allait relever la tête pour dire quelque chose, Stan serra les dents, heureusement le professeur continua sa longue tirade sans lui prêter plus d'attention ce qui lui fit abandonner son effort.
« - Si vous découvrez l'identité d'un enfant pourpre, faites-le-moi savoir c'est bien compris ?
- C'est bien compris.
- Je vous le répète, si vous découvrez l'identité d'un enfant pourpre, faites-le-moi savoir, à moi et à moi seule ! J'en ferais mon affaire…
- Je n'y manquerai pas...
- Comprenez bien que je fais... »
Stan avait enfin atteint la clé et bien que la conversation en cours soulevait énormément de questions et attisait sa curiosité, il n'était pas assez fou pour s'attarder plus qu'il n'en avait besoin. Il rebascula à l'extérieur en levant triomphalement la grosse clé sous le nez d'Indy.
« - Vite ! Rentrons ! »
Et ils déguerpirent sans plus un mot vers la grande porte d'entrée de l'académie non sans manquer de contourner soigneusement, cette fois, la foule des statues qui n'en finissaient pas de profiter du clair de lune.
Arrivés au château, ils ouvrirent aussi discrètement que possible la porte. Ils rentrèrent sans plus attendre et Stan s'apprêtait à refermer la porte lorsqu'Indy l'interrompit, lui montrant la clé qu'il tenait encore dans sa main.
« - Et que fait-on de ça maintenant ?
- La clé ? …Donne. »
Stan se saisit de cette dernière et, sans laisser le temps à Indy de faire aucun commentaire, la jeta par l'entrebâillement de la porte en direction du jardin. Indy lui fit les gros yeux.
« - Bah quoi ? Tu avais une meilleure idée ? Tu voulais peut-être la chercher demain pour lui rendre ? Là, avec un peu de chance elle pensera qu'elle est tombée de sa poche et on sera tranquille.
- J'espère… Là, maintenant, tout ce que je veux, c'est retourner dans notre chambre, dépêchons-nous ! »
Il ne leur fallut pas longtemps pour revenir dans les dortoirs. Ils n'avaient pas fait montre de la même prudence au retour qu'à l'aller. L'un comme l'autre avaient eu trop d'émotions pour une seule soirée et n'aspiraient plus qu'à trouver le sommeil.
Ils eurent un moment de doute quand il fallut demander poliment le passage à la sirène. Il était tard après tout, très tard… Cette dernière ne fit cependant que peu de difficulté. Elle se contenta de les regarder d'un air sévère, avant de hausser les épaules et d'ouvrir le passage en sifflant.
Stan pensa à Salvador avec inquiétude. Il était trop tard pour le chercher encore, il faudrait attendre demain. Cela le contrariait beaucoup, mais il n'y pouvait rien. Il ferma les yeux en espérant que demain serait un jour meilleur…
« Demain » venait à peine de se lever que déjà Stan doutait qu'il soit meilleur qu'« hier ». Il n'avait pas fait attention lorsqu'il était rentré au milieu de la nuit, épuisé et la tête pleine de questions, mais il y avait de nouveaux occupants dans sa chambre.
Même si il n'avait pas écarté la possibilité que d'autres viennent s'installer dans sa chambre, il avait caressé l'espoir de ne passer l'année qu'avec Indy pour seul camarade de chambrée. C'était perdu. Au-dessus de son long, encore endormi, ronflait Steeve Mackrekan. De l'autre côté de la chambre, au-dessus d'Indy, se trouvait Song Daodang dont l'une des jambes pendait paresseusement dans le vide.
Il allait donc devoir partager sa chambre avec deux grands dadais qui semblaient aussi futés qu'un tonneau de bière au beurre. Stan se gronda lui-même de sa méchante pensée. Ce n'était peut-être pas si mal, au moins ils ne lui étaient pas totalement inconnus. Et Stan préférait deux passionnés de bras de fer qu'un garçon prétentieux comme Lothar.
Il se prépara avec lenteur, la nuit avait été courte. Tout le monde dormait encore dans les dortoirs, ce qui n'avait rien d'étonnant, il était encore très tôt. Seulement Stan espérait être le premier dans la Grande Salle afin de pouvoir retrouver Salvador avant que quoi que ce soit, ou qui que ce soit ne lui fassent du mal.
Voilà pourquoi il s'apprêtait à passer une journée qui promettait de lui paraitre bien longue au vu de son manque de sommeil. Mais c'était un maigre sacrifice pour retrouver son animal de compagnie.
Il monta en silence les marches qui menaient à la Salle Commune, traversa cette dernière, et partit en direction de la Grande Salle. Avec son escapade d'hier, il avait pu se familiariser avec les couloirs qui y menaient.
Une fois dans l'Entrée, il fut rassuré de voir les quatre escaliers à leur place. Il en emprunta un et entra dans le réfectoire déjà ouvert.
Il fut étonné de constater qu'il n'était pas seul. Quelques étudiants plus âgés étaient en effet déjà installés et mangeaient, pour la plupart, tout en lisant un livre ou un magazine. Le silence n'était rompu que par le bruit des cuillères, des fourchettes, des verres et des bols. Stan s'avança aussi naturellement que possible vers le fond de la salle où se trouvait le buffet du petit déjeuner. Il emprunta l'allée la plus à droite aussi lentement que possible, scrutant autant qu'il le pouvait chaque élément du décor. Arrivé à destination, il se saisit distraitement de quelques viennoiseries et d'un bol de lait chaud avant de repartir en sens inverse, empruntant cette fois la travée opposée à celle qu'il venait de suivre.
Mais rien ne lui sembla suspect. Aucune coupole renversée, aucun sac abandonné, et bien sûr, aucun petit Occamy à l'horizon. Stan trempa mollement son petit croissant en ruminant ses pensées.
Tout à coup, des mains humides vinrent se poser sur ses yeux. Stan sursauta avant de se retourner prêt à se défendre ! Mais ce n'était que Morgane qui, une fois n'était pas coutume, riait joyeusement de sa farce puérile.
« - Très drôle Morgane, très fin… »
Stan s'essuya le visage tandis que la jeune fille récupérait son plateau posé à proximité et venait s'installer prêt de lui.
« - Que fais-tu ici ? IL n'est pas un peu tôt pour être debout ?
- Il est aussi tôt pour toi que pour moi ! Alors je te retourne ta question, que fais-tu ici ? »
Morgane saisit une pomme et commença à la couper comme s'il s'était agi de pain. Stan fut admiratif. Il concevait mal de commencer sa journée sans quelque chose de sucré, ou de beurré, ou de chocolaté. Il devait donc au moins reconnaitre ça à la jeune fille, elle mangeait mieux que lui.
C'est en tout cas ce qu'il crut pour quelques secondes. Car, lorsqu'elle eut fini de couper sa pomme, elle se saisit d'un pot de confiture de fraise et s'appliqua à en recouvrir parfaitement chacune de ses tranches de pommes. Stan retirait tout ce qu'il avait dit. Cette fille était complètement folle ! Voyant le regard de son ami, Morgane lui tendit une tranche de pomme tartinée.
« -Tu veux goûter ?
- Merci, mais non merci. Et sache que je suis à la recherche de Salvador, tu sais mon…
- Ton Occamy, oui je sais. Mais pourquoi tu le cherches ? Tu sais qu'il n'est pas autorisé ici ?
- C'est que je l'avais hier dans ma capuche, mais je ne le trouve plus.
- Une idée de ce qu'il aurait pu faire ?
- Et bien… »
Stan n'avait pas vraiment envie de parler de sa vision, enfin « vision »… de ce qu'il avait entendu dans sa non-vision. Il essaya de contourner la question.
« - Tu n'aurais pas entendu Lothar parler hier ? Dire des choses… tu sais… bizarre ?
- Lothar ? Comment j'aurais pu l'entendre, il était à la table des Aigrefeus tu le sais bien.
- Ha, oui… Bien sûr. Mais tu n'aurais rien remarqué de suspect ?
- Hmm… »
Pensive, Morgane suspendit son geste avant de lever les yeux au ciel. Le coin de ses lèvres était à présent rouge de fraise. « Quelle cochonne » songea Stan. La confiture posée sur sa tranche de pomme et qu'elle tenait à la main coulait lentement et menaçait d'un moment à l'autre de lui couler sur tout le bras. Heureusement, cette dernière redressa l'ensemble en s'exclamant.
« - Attends ! Lothar est resté un moment derrière toi hier, je croyais qu'il se moquait simplement de toi…
- Et tu ne m'as rien dit ?!
- A quoi bon ? Je ne pouvais pas deviner qu'il essayait de te voler Salvador !
- C'est incroyable…
- Oui, je sais, c'est fou qu'il ait osé sans prendre à ton pauvre petite Occamy.
- Je n'arrive pas à y croire !
- Ne t'inquiète pas on va le retrouver !
- Tu l'as vu se moquer de moi dans mon dos et tu ne m'as rien dit ! – Stan était outré. Morgane, elle, fut prise au dépourvu. Elle retrouva néanmoins très vite sa contenance. –
- Pourquoi j'aurais dû te le dire ? Tu as tant envie de te disputer ? Qu'est-ce que ça aurait fait ?! Tu aurais fait quoi, Stan, si je te l'avais dit ! Tu te serais battu ?! »
La colère était montée au fur et à mesure que Morgane parlait. C'était la première fois que Stan la voyait comme ça. Il en fut tout intimidé et même tout penaud. Il détourna le regard des yeux noirs de la jeune fille.
« - Je suis désolé…
- …
- C'est juste que j'ai eu une dure journée hier et une courte nuit aussi… D'abord je suis un Cameleau, ensuite je perds Salvador, on se retrouve dehors, et maintena…
- Vous avez été dehors ?!
- Hein ? Quoi ? Non ! Enfin… si, peut-être. Mais non ! Tu ne dois le dire à personne ! »
Stan aurait voulu s'enterrer très profondément sous terre. Il n'avait jamais eu aussi honte. Il lança un timide regard à sa camarade. Celle-ci avait retrouvé son habituel sourire et se voulut rassurante.
« - Je ne dirais rien, ne t'inquiète pas…. Tu sais bien que je suis une tombe !
- Mouais… Une tombe sacrément bavarde quand même…
- Hey ! – Elle lui envoya un petit coup dans les côtes avant de murmurer de son mieux. – En tout cas tu DOIS me raconter ! Comment c'était, qu'avez-vous fait ?!
- Nous avons été dehors, mais sans faire exprès, et toutes les statues marchaient n'importe où dans le jardin…
- Nooon…
- Et il y avait une femme, très belle,
- Très belle ?
- Enfin, normale quoi. Bref, elle a fait je-ne-sais-quoi autour de la statue de Luc Millefeuille. Elle avait l'air de parler toute seule. Et puis après elle est allée voir Touflamme pour lui dire de surveiller la statue et… »
Stan hésita à parler des enfants pourpres, il ne sentait pas à l'aise avec ce sujet. Enfin, il devait bien ça à Morgane après le coup qu'il lui avait fait.
« - Et puis elle a parlé des enfants pourpres et du fait qu'il fallait qu'elle les trouve et que personne ne sache.
- Ils existent vraiment ? Mon père dit que c'est une invention du Ministère pour cacher leurs propres expériences.
- Et bien… je crois qu'ils existent…
- … Ok ! Et alors après ?
- Ho pas grande chose… On a volé la clé de la femme et on est rentré très vite après l'avoir jeté dans le jardin !
- La femme ?!
- La clé ! »
Morgane ricana avant de prendre une minute pour repenser à tout ce que Stan venait de lui raconter. Elle le regarda avec des yeux sceptiques avant de lancer, taquine :
« - Vous êtes fous ! Tu es sûr que tu n'es pas un Aigrefeu ?
- Hey !
- Enfin bon, c'est vraiment bizarre tout ça.
- Le plus important maintenant c'est de retrouver Salvador ! Si c'est Lothar qui l'a il faut qu'on le trouve !
- On n'attend pas Indy ? – Stan la regarda avec perplexité –
- Pourquoi faire ? – Sa réponse déconcerta Morgane –
- Pour… tu sais, partir à l'aventure ! »
Le regard désabusé que lui renvoya le jeune homme était à la hauteur de son propre enthousiasme.
« - Ce n'est pas une aventure Morgane. Je vais simplement sauver mon animal de compagnie des griffes d'un vilain garçon.
- Ça ressemble quand même beaucoup à une aventure… - Morgane se fit boudeuse. –
- Et bien, ça n'en est pas une ! Soit tu viens, soit tu restes, mais moi, j'y vais, et maintenant !
- Ça va, ça va, je viens. Pas la peine de faire ton ronchon. »
Stan goba son dernier morceau de croissant, Morgane avala d'une traite son jus d'orange, puis les deux adolescents se levèrent et partirent d'un pas décidé vers les escaliers cardinaux. Morgane ne put s'empêcher de s'exclamer avec une joie à laquelle Stan eut du mal à répondre.
« - Aventure, nous voilà ! Youhou !
- Youhou… »
Comme ils n'avaient, en fait, aucune idée d'où ils devaient aller pour trouver Lothar, Stan et Morgane se contentèrent d'attendre dans l'Entrée. Ils poireautèrent ainsi durant un bon quart d'heure, regardant affluer un nombre croissant d'élèves.
Finalement, Lothar fit son entrée. Il était parmi les derniers à se diriger vers le réfectoire, accompagné d'une jeune fille qui semblait l'écouter d'une oreille distraite. Stan n'attendit pas une seconde pour aller à sa rencontre, suivi de près par Morgane. Il marcha droit sur Lothar qui eut à peine le temps de le remarquer avant que celui-ci ne l'interpelle.
« - Qu'as-tu fait de Salvador ?!
- Mais de quoi tu parles ?
- Tu sais très bien de quoi je parle. Mon Occamy. Tu me l'as volé ! Où est-il ?! »
Lothar laissa naitre un sourire narquois sur son visage avant de répondre avec lenteur.
« - Stan, mon pauvre Stan… Je ne vois absolument pas de quoi tu parles… - Stan sortit sa baguette magique. -
- Je te préviens Lothar, tu vas me dire ce qui est arrivé à Salvador où tu risques de le regretter ! – Lothar lança un coup d'œil en direction de la fille qui l'accompagnait. -
- Ha oui ? J'aimerais bien voir ça. Que vas-tu faire Stan ? Est-ce que tu sais au moins jeter un sort ?! »
Autour d'eux, quelques élèves commençaient à se rassembler, attirés par la perspective croustillante d'une bagarre. -
- Je te le répète une dernière fois Lothar… Où est Salvador ?! »
Lothar ne dit rien, mais dégaina à son tour sa baguette. Stan était indécis. Déjà il savait bien qu'il était strictement interdit de se battre dans l'académie. De plus, il ne connait presque aucun sort utile pour se battre. Et puis… il n'avait aucune envie de se battre en vérité, il avait juste espéré faire peur à Lothar ce qui était un peu ridicule quand il y repensait…
Alors que faire… Ce n'est qu'à ce moment seulement que Stan remarqua la besace pendante au côté de Lothar. Elle s'agitait. Salvador ! Il n'avait plus le choix, il leva sa baguette, mais Lothar fut plus rapide, il lança un puissant « Tarentallegra » qui l'atteignit aux jambes.
Aussitôt, Stan se mit à effectuer des claquettes contre son gré. Heureusement, il avait encore l'usage de ses mains, il tenta donc de recopier le sort de son adversaire. « Tarentallegra ! » Mais connaitre la formule ne suffisait pas bien sûr. Rien ne se produisit. Lothar en profita pour s'approcher et le pousser sans ménagement. Stan tomba au sol avec douleur. Il tenta alors de lancer le seul sort qui lui vint à l'esprit : « Nox Expendo ! ». Rien ne se produisit. Encore une fois, seuls de ridicules tentacules d'ombres émergèrent de la pointe de sa baguette pour aussitôt se dissoudre dans l'air. Lothar rit avec satisfaction. Autour d'eux les étudiants murmuraient et certains étaient déjà partis chercher un professeur. Il ne fallait pas qu'ils se fassent prendre songea Stan, mais il devait absolument sauver son Occamy ! Lothar était trop occupé à s'admirer pour penser aux professeurs qui ne tarderaient pas à arriver.
« - Alors Stan, c'était ça ton plan ? Disparaitre dans le noir pour échapper à la honte ? C'est vrai que ça aurait été une bonne chose… Dommage que tu ne sois même pas capable de quelque chose d'aussi simple ! »
Lothar brandit à nouveau sa baguette, derrière lui Morgane saisit la sienne à son tour, mais ce fut Stan le plus rapide cette fois. Libéré de l'emprise du sort, il répéta sa formule « Nox Expendo ! ». Et alors qu'un professeur pointait le bout de sa robe à l'angle de l'escalier, des vagues énormes et innombrables s'échappèrent de la baguette de Stan et envahirent toute la salle et les couloirs attenants en moins d'une seconde.
La panique fut totale. Les étudiants affolés se mirent à crier, cherchant ici et là, un soutien ou une sortie.
Stan lui n'hésita pas une seconde, il se jeta en avant, saisissant à l'aveugle Lothar et l'entrainant dans sa chute. Aussitôt il laissa sa main glisser jusqu'à trouver la besace qu'il arracha sans laisser le temps de réagir à son adversaire un peu sonné. Il se mit alors à courir les mains en avant en appelant aussi bas que possible Morgane. Il la trouva vite. Ayant mémorisé l'endroit où il se trouvait au moment où il avait jeté son sort, il avait une vague idée d'où se diriger. Aussi rapidement que possible donc, il rejoignit un mur tout en tenant fermement la main de son amie. Une fois le mur atteint il le longea jusqu'à trouver le couloir menant à leur Salle Commune. Ils s'y engouffrèrent et coururent de plus en plus vite à mesure que le bruit s'atténuait et que la lumière reprenait ses droits.
Hors d'haleine, et certains d'être suffisamment loin pour n'être accusé de rien, ils reprirent enfin leur souffle et rirent nerveusement à l'unisson.
Enfin, Stan défit les cordons de la bourse et libéra le petit Occamy terrorisé. Une fois assurés que le petit animal se portait bien, les deux adolescents retournèrent dans la Salle Commune pour l'y laisser. C'est là qu'ils retrouvèrent Indy qui venait de quitter sa chambre.
« - Salut les copains ! Il serait plus que temps d'aller prendre le petit déjeuner, vous ne croyez pas ? »
L'incident de l'Entrée avait circulé dans toute l'école avant que le petit déjeuner ne soit débarrassé. Les rumeurs les plus folles étaient nées. Certains parlaient d'un combat entre professeurs, d'autres de l'intrusion d'un voleur ou encore de la défaillance d'une vieille protection magique. Mais une rumeur supplanta vite toutes les autres. L'incident avait été déclenché par un enfant pourpre qui voulait boire le sang des jeunes étudiantes de l'académie. « C'est ridicule… » avait commenté Stan tandis qu'ils se dirigeaient vers leur premier cours.
La salle de classe était très grande et scindée en deux parties distinctes : la première, classique, présentait bancs, tables, bureau et tableau noir. La seconde, elle, n'était qu'un large espace recouvert de paille avec, sur le mur du fond, diverses portes de diverses tailles.
Les élèves s'installèrent rapidement sous le regard impassible de Mademoiselle Broomfield. Une fois chacun à sa place, cette dernière prit la parole.
« - Bonjour à tous. Je suis Mademoiselle Broomfield, professeur de soin aux créatures magiques. Ici, à l'académie Beauxbâtons, nous accordons une grande importance à la préservation des espèces magiques. C'est pourquoi vous apprendrez dès votre première année à reconnaitre, comprendre et soigner des animaux aussi étranges qu'imprévisibles. – Djibril Kofe, le garçon à la coupe afro, leva la main. –
- Est-il vrai que l'on va soigner des dragons ? – Des ricanements accompagnèrent sa question. –
- Non, il n'est pas prévu de soigner des dragons. – Rose Broomfield laissa un temps. – Pas en première année en tout cas. »
Des exclamations à la fois surprises et ravies accompagnèrent cette remarque.
« - Quelqu'un peut-il me dire qu'elle est la première qualité que demandent les soins aux créatures magiques ?
- De l'énergie ! – C'était Morgane qui avait levé la main. –
- Vous en aurez assurément besoin, Mademoiselle Rougerive mais cela ne suffira pas.
- De la patience. »
Celui qui venait de répondre n'était autre que le voisin de Stan. Portant l'insigne des Marbouelins, il avait un crâne parfaitement rasé, des yeux verts, un long nez et de grandes oreilles décollées. Pour une raison qu'il ignorait, Stan le trouva étrangement sympathique.
« - Tout à fait, Monsieur Martin. La patience est la plus grande qualité que vous devrez posséder pour pouvoir soigner et interagir avec les animaux magiques. C'est pourquoi nous allons travailler, pour cette première séance, avec des chartiers. L'exercice est simple, vous irez, par table, chercher l'une des cages qui se trouvent ici. Puis, une fois de retour à vos places, vous n'aurez qu'à appliquer le baume apaisant que je vais vous donner sur les zones présentant des griffures. N'oubliez pas qu'il vous faudra apprendre la composition de ce baume à l'aide de votre manuel pour la semaine prochaine. Bien, au travail ! »
Sans plus attendre, et avec une certaine perplexité pour la plupart d'entre eux, les élèves allèrent donc chercher une cage. Une fois de retour, Stan déposa la sienne sur la table entre lui et son voisin avant de soulever le tissu qui la recouvrait. Le chartier ne ressemblait, ni plus, ni moins, qu'à un gros furet. En quoi, cet animal leur apprendrait-il la patience ? Stan regarda son voisin, dubitatif. Celui-ci lui adressa la parole pour la première fois.
« - Moi c'est Raphaël Martin, mais tu peux m'appeler Raf ou Rafi, et même Rafiki si tu veux.
- Raphaël c'est bien.
- …Ok. Et sinon tu t'appelles comment ?
- Stanyslas Gravel, mais tu peux m'appeler Stan.
- Stanyslas c'est bien. »
Stan le dévisagea pour essayer de voir s'il se moquait de lui ou non. C'était sûr qu'il se moquait en fait, mais il n'en laissait rien voir sur son visage. Cela lui plut.
« - Bon ? On s'y met ? Ça devrait être rapide non ? »
Les chartiers qu'avait apportés Mademoiselle Broomfield avaient été domestiqués afin de pouvoir être manipulés par les élèves. De plus, un sortilège de « Dulcedinem » leur avait été lancé afin de les vider de toute énergie. S'ils ne représentaient donc aucun risque pour l'intégrité physique des étudiants, il en allait tout autrement concernant leur santé mentale comme ils ne tardèrent pas à le découvrir.
Stan caressa avec précaution le duveteux animal pour que celui-ci se réveille. Lorsqu'il commença à s'agiter, Stan l'encouragea à se retourner afin qu'il puisse lui observer le ventre. C'est là que le chartier se réveilla pleinement. Et c'est là que Raphaël et Stanyslas comprirent que l'heure à venir allait être longue, très longue …
« - Sac à crotte, boule de pus, crotte de nez et poil aux fesses ! Imbécile heureux, gros thon, petite baleine, courge tordue, gros nul, gros mou, gros tas, tête d'œuf, tête de balai, balai de toilette, mauviette, flemmard, asperge, patate… »
Le chartier s'était mis à proférer des insultes en un flot ininterrompu. S'il n'avait pas la force de se relever ou de donner aucun coup de griffe, il ne manquait pas d'énergie. Une véritable cacophonie d'insultes et de grossièretés se fit entendre dans toute la classe. Autant le volume sonore que les propos eux-mêmes étaient insupportables. Les élèves venaient de se découvrir une envie pressante de soigner TRÈS VITE leur chartier pour pouvoir, TRÈS VITE, le remettre sous son voile. Mademoiselle Broomfield haussa le ton pour se faire entendre par-dessus le bruit ambiant.
« - Vous devez bien faire pénétrer la crème, chaque zone doit être massée au moins cinq minutes. Oui monsieur Kofe, vous êtes autorisé à faire un croquis de votre chartier. Non, Madame Rougerive, vous n'êtes pas autorisée à avoir un chartier comme animal de compagnie. Monsieur Sellier, attention, je vous vois ! »
Stan et Raphaël s'étaient mis à la tâche, en silence tout d'abord. Mais Raphaël rengagea rapidement la conversation.
« - Dis donc, ce n'est pas ton père qui a fait de la recherche en botanique ?
- Heu… Si, sans doute. Enfin, il en fait toujours en fait.
- Il parait qu'il était très calé dans son domaine. Plus tard, je voudrais faire comme lui !
- Ho… Ok. Super…
- Désolé, je parle trop de ton père. Mais dis-moi, pourquoi t'n'es pas chez les Marbouelins ?
- Je ne sais pas. Demande à la Table qui Tache.
- Désolé, je ne voulais pas te vexer.
Non, non, c'est bon. C'est juste que je ne m'attendais pas à ne pas y aller. Donc c'est un peu dur pour moi.
- Tu sais, il ne faut pas te faire du mauvais sang pour si peu. Cameleau aussi c'est très bien. Tu sais ce que tu veux faire plus tard ?
- Je devrais reprendre les travaux de mon père.
- Wouha ! C'est incroyable !
- Mais je suis un Cameleau…
- Et alors ?! Ça ne change rien ! Les Cameleaux aussi font d'excellents botanistes !
- Tu crois ?
- J'en suis sûr ! »
Pour la première fois depuis que la Table qui Tache l'avait envoyé chez les Cameleaux, Stan sourit, rassuré.
« - Et toi tu veux faire quoi alors ?
- Moi ? Je crois que c'est évident non ? Je veux prendre la place de ton père ! »
Raphaël rit en disant cela, vite rejoint par Stan.
« - Plus sérieusement, j'aimerais pouvoir changer le monde grâce à mes travaux.
- Tu es drôlement ambitieux.
- Merci.
- Qui a dit que c'était un compliment ? »
Ils sourirent l'un et l'autre et poursuivirent leurs soins sur leur animal insultant. Le cours s'acheva lorsque le dernier des chartiers fut enfin remis à sa place. Certains élèves étaient toujours sereins, tandis que d'autres semblaient à bout de nerfs. Mademoiselle Broomfield avait même dû faire sortir deux Aigrefeus qui avaient tenté de faire taire leur chartier et un Tirelair qui avait, lui, choisi de répondre à son animal !
Le cours achevé, le professeur félicita ses élèves pour leur patience et leur rappela les devoirs qu'ils devaient faire pour la semaine prochaine. Puis ce fut l'heure du cours suivant.
Ainsi s'enchainèrent les leçons : sortilèges avec Monsieur Vaguesort, défense contre les forces du mal avec Monsieur Almaduro et, pour terminer la journée, cours de potions avec Mademoiselle Tosenblat.
Mademoiselle Tosenblat était une excentrique, ses cheveux, attachés en queue de cheval, étaient un mélange fluctuant de teintes roses, violettes, bleues et jaunes. En lieu et place d'une robe, elle portait une queue-de-pie noire sous laquelle apparaissaient des vêtements colorés où le rose dominait tout comme sur sa chevelure. C'était Mademoiselle Tosenblat, professeur de potion et jeune femme d'une trentaine d'années, pétillante et pleine d'énergie
qui n'aimait rien tant que d'accueillir ses élèves la tête au-dessus d'une énorme marmite bouillonnante et fumante.
Stan était parvenu à éviter Lothar toute la journée. S'il avait pu sentir son regard noir sur lui durant chaque leçon, il était satisfait de n'avoir pas eu à la côtoyer de plus près. Hélas, lorsque Stan s'installa à sa place, et avant qu'Indy ne puisse le rejoindre, Lothar se précipita à ses côtés.
« - Salut Stan…
- … »
Stan préférait ne pas lui répondre. De toute façon, Lothar n'avait que de mauvaises intentions, et ce, quoique puisse dire Stan. Ce garçon était juste méchant. Voilà.
Une fois les élèves assis, les manuels sortis et les chaudrons bien installés sur leurs socles, Mademoiselle Tosenblat prit la parole, son visage entouré par les vapeurs opaques de sa préparation bouillonnante.
« - Il n'y aura pas de baguette magique, ni incantations idiotes dans ce cours. Aussi, je m'attends à ce que vous ne compreniez rien à la science subtile et à l'art rigoureux de la préparation des potions… »
Malgré les couleurs chatoyantes dont elle se parait, l'atmosphère sembla s'assombrir.
« - Néanmoins… »
Un silence tendu s'installa, le professeur balayant du regard la salle, fixant chaque élève dans les yeux sans cesser de faire tourner sa mixture mystérieuse sous son menton.
« - Néanmoins… Je plaisante ! »
Sur ces mots, elle jeta quelque chose dans sa préparation ce qui eut pour conséquence une explosion de fumée multicolore qui s'échappa au sol avant d'aller courir entre les allées.
« - Bienvenue ! Bienvenue au cours de potions de Mademoiselle Tosenblat ! Pour ce qui est des plus maladroits des sorciers, ou des plus mous de la baguette, je PEUX leur apprendre à ensorceler l'esprit d'un homme et à lui emprisonner les sens. »
Le professeur parcourait à présent les allées à grand renfort de moulinets des bras. Elle n'était qu'extravagance et déjà, certains élèves souriaient, le rire au bord des lèvres.
« - Je peux leur apprendre à mettre la gloire en bouteille et à distiller la grandeur ! Et même… »
Elle se pencha en avant, une main le long de sa joue comme pour partager un secret, tournant sur elle-même pour s'adresser à tous.
« - Et même… je peux lui apprendre à enfermer la moooooort dans un flacon ! »
Mademoiselle Tosenblat se tourna vers la table de Stan.
« - Cela étant… je suppose que certains sont venus à Beauxbâtons en possession d'aptitudes exceptionnelles… Bonjour Monsieur Gravel. »
Mademoiselle Tosenblat ressemblait à un tigre s'apprêtant à sauter sur sa proie. Ses yeux pétillaient d'envie.
« - Monsieur Gravel, qu'est-ce que j'obtiens si j'ajoute de la racine d'œillet en poudre à une infusion d'Hortensia ?
- …
- Vous ne savez pas ?
- Je… je crois qu'on n'obtient rien ?
- Ha ! »
Le professeur dévisagea Stan avec un regard mi-amusé, mi-curieux.
« - je sais qu'en ajoutant de l'essence de Jacinthe on peut fabriquer la base d'une potion de Mêmesprit… Mais sans ça, je ne sais pas trop...
- Excellent ! »
Mademoiselle Tosenblat applaudit avec énergie, accompagnée par quelques élèves amusés. Stan rougit.
« - Votre père serait fier de vous, ne pensez-vous pas Monsieur Gravel ?
- Sans doute…
- Évidemment ! »
Sans plus attendre de réponse, Mademoiselle Tosenblat repartit en direction de l'estrade.
« - Bien, commençons la leçon. »
La première leçon consistait à fabriquer de la Pimentine qui permettait de lutter contre les rhumes. Une recette sans grande difficulté, mais pour laquelle Stan devait travailler à côté de son pire ennemi. La recette avançait bien. Cela faisait maintenant dix minutes que la préparation mijotait à feu doux et il était temps d'aller chercher le prochain ingrédient. Alors que Stan était parti, Lothar en profita pour ajouter quelques ingrédients dans sa préparation.
Heureusement, Mademoiselle Tosenblat l'avait vu. Elle ne dit cependant rien, mais attendit que Stan revienne et que Lothar s'en aille à son tour. Alors sans un mot, un doigt sur les lèvres et avec un clin d'œil, elle intervertit les marmites des deux élèves sous le regard médusé de Stan.
« - Chut ! »
Puis la leçon se poursuivit jusqu'à l'instant décisif. Les préparations étaient prêtes. Il fallait à présent les tester. Chacun prit une petite cuillère de ce qu'il avait mijoté avant de la porter à ses lèvres, chacun leur tour.
La plupart des élèves réussirent avec succès. Djibril Kofe réussit l'exploit de se donner un rhume tandis que les oreilles de Morgane sifflèrent. Arriva enfin le tour de Stan. Lothar ne le quittait pas des yeux. Stan but. Rien ne se passa. Lothar eut envie de dire quelque chose, mais se retint. Ce devait être un miracle que rien d'anormal ne se soit produit, songea-t-il. Tant pis ! Il l'aurait la prochaine fois !
Enfin vint son tour. Sans se méfier, et sous le regard scrutateur de Mademoiselle Tosenblat, Lothar but sa préparation. L'effet fut impressionnant. De la fumée se mit à sortir de ses oreilles comme cela devait être. Cependant le débit s'accéléra et devint si fort que sa tête se mit à tourner sur elle-même l'obligeant à tourner avec elle. On aurait dit une toupie humaine. Il se mit à crier et fut proche de vomir tout son repas. Heureusement, il n'avait bu qu'une toute petite gorgée et l'effet s'estompa donc rapidement.
Trop nauséeux pour protester, Lothar fut emmené à l'infirmerie. Stan était ravi. Voilà donc pourquoi le professeur avait échangé leur chaudron ! Il avait essayé de le piéger ! Quelle fourberie, songea Stan.
Le cours se termina et les élèves purent enfin retourner dans leur Salle Commune en attendant le repas du soir.
Stan était resté en arrière, il voulait remercier son professeur pour son aide. C'est donc lorsque tous furent partis qu'il s'avança timidement vers l'estrade. Il se racla la gorge.
« - Mademoiselle Tosenblat… »
Cette dernière se retourna avec énergie.
« - Ho, Stanyslas. Que puis-je pour toi ?
- Je voulais juste vous remercier pour ce que vous avez fait… Vous savez avec Lothar.
- Ho ça ? Ce n'est rien, voyons ! Comment pourrais-je laisser un élève gâcher le travail et tout le potentiel d'un autre ?
- Merci quand même… »
Il n'y avait plus rien à dire et pourtant, Stan ne pouvait se résoudre à partir.
« - Il y a autre chose dont tu voulais me parler peut-être ?
- Et bien…
- Vas-y, n'aie pas peur, je serais muette comme une tombe !
- Je voulais savoir pourquoi mon père est si connu ?
- Il ne t'a pas raconté ?
- Non. Il dit que ça n'avait pas d'importance.
- Stanyslas, je ne sais pas si c'est à moi de te le raconter alors.
S'il vous plait, je voudrais juste connaitre un peu mieux mon père ! Et… Et je voudrais savoir si je serais à la hauteur, vu que, vous savez, je suis un Cameleau…
- Ho, Stanyslas, qu'est-ce que tu racontes ? Être un Cameleau ne change rien à ton avenir. Si tu veux devenir botaniste, rien ne t'en empêchera. C'est vrai que les Marbouelins semblent avantagés par leur affinité naturelle avec la terre. C'est vrai. Cela aide. Mais cela ne veut pas dire que tu ne seras pas capable de faire de grandes choses ! »
Stan ne semblait pas convaincu. Il avait le visage baissé et les épaules abattues. Cela toucha Mademoiselle Tosenblat qui s'approcha et s'accroupit pour être à son niveau. Elle posa une main rassurante sur son épaule.
« - Écoute-moi Stan. Le fait qu'il n'y ait pas de Cameleau botaniste célèbre ne signifie pas que tu ne peux pas en devenir un. Cela signifie simplement que tu seras le premier. Et ça… est-ce que ça n'est pas magnifique ?
- …Peut-être…
- Penses-y. La Table qui Tache a vu chez toi une affinité avec l'eau. Or il s'agit d'un élément essentiel en botanique, non ?
- Si…
- Alors tu vois ? Un champ de recherche infini s'ouvre à toi si tu le décides, si c'est ce que tu veux. Tu dois croire en toi, et si tu écoutes ta petite voix intérieure, je suis certaine que tu accompliras de grandes choses.
- Merci Mademoiselle Tosenblat.
- Entre nous, tu peux m'appeler Camelia
- D'accord Mademoiselle Tosenblat.
- Allez, retourne dans ton dortoir maintenant. Mais n'hésite pas à revenir me voir si tu le souhaites. Ma porte est toujours ouverte pour les élèves qui cherchent leur voix. »
Stan s'inclina légèrement en la remerciant encore avant de prendre le chemin de la Salle Commune. La journée avait été longue et, encore une fois, riche en émotion, mais il allait se coucher le cœur un peu plus léger. Mademoiselle Tosenblat avait raison. Il dirait à son père les mêmes choses qu'elle lui avait dite et il comprendrait. Stan lui montrerait qu'il était digne de prendre sa suite. Il le voulait, il le fallait.
Il aimait trop son père et sa mère pour les décevoir.
