Chapitre 4
Joy se détestait. Pas nécessairement tout le temps. Au contraire, elle était plutôt narcissique, mais en ce samedi après-midi, elle se maudissait profondément. Sortir sans couverture, deux jours après le casse, n'était sans doute pas la meilleure idée qu'elle avait eu. Mais croiser Eraserhead à l'autre bout de la ville était si improbable qu'elle ne l'avait pas envisagé. Tokyo était une ville immense et en conséquence, les probabilités de se retrouver sur le même trottoir qu'Aizawa, à la même heure, égalait celles de se prendre une météorite sur la tête.
Joy courut aussi vite qu'elle le put dans la direction opposée. L'avenue était bondée mais elle n'avait pas de mal à éviter les passants, zigzaguant agilement entre les corps. Un rapide coup d'œil derrière elle ne lui fut pas suffisant pour repérer Aizawa. Pourtant, Joy pouvait sentir que son alter était toujours absent, témoignant de la présence du héros à proximité. Et elle savait pertinemment qu'il ne la laisserait pas s'échapper.
Aizawa ne portait pas sa tenue de héros. Leur rencontre était le pur fruit du hasard. Ce qui voulait dire que d'autres héros étaient potentiellement dans les parages : un danger supplémentaire à ne pas sous-estimer. Sans son alter, Joy était inutile. Elle était forte et rapide, mais manquait cruellement d'endurance. Semer Aizawa allait s'avérer suffisamment complexe, pas besoin d'envenimer la situation.
La jeune femme bifurqua dans une petite rue afin de s'éloigner des grandes avenues où il était plus probable de tomber sur d'autres pro-héros en patrouille. L'air froid brûlait ses joues et faisait apparaître de petites larmes aux coins de ses yeux. Elle continua de détaler dans le labyrinthe de ruelles, si bien qu'elle finit par arriver dans une partie excentrée de la ville qu'elle ne connaissait pas. Il n'y avait plus un seul piéton et rien qui témoignait d'une forme de vie alentours. Les bâtiments étaient abandonnés pour la plupart, certains tombants en ruine. Probablement les conséquences d'une altercation avec des vilains. Il était courant de voir des parties de la ville être détruites puis réhabilitées en quelques semaines. Parfois, il fallait plus de temps avant le retour des familles.
Joy sentait son cœur battre la chamade contre ses côtes, poussant sa cage thoracique au bord de l'explosion. Switch, son alter, lui permettait d'échanger la matière de place. Elle avait appris à se déplacer grâce à son alter et c'est ce dernier qui lui permettait de fuir rapidement, échangeant son corps contre des objets qu'elle pouvait visualiser à une certaine distance. Cette facilité lui causait du tort puisqu'elle n'avait jamais connu la nécessité de travailler son endurance. Essoufflée, elle ralentit et regarda derrière elle. Aizawa n'était toujours pas réapparu, tout comme son alter. Puisqu'elle ne pouvait plus fuir, elle allait l'affronter. Joy s'arrêta au milieu de la rue et attendit, sur ses gardes, l'apparition de son poursuivant. Elle tenta à plusieurs reprises de réactiver son alter mais rien ne vint - et Eraserhead ne se montra pas. Joy reprit sa respiration et se remit en marche, traversant la rue jusqu'à débouler devant un panneau stop. Elle leva les yeux distraitement sur les panneaux de signalisation. Au-dessus du stop se trouvait un miroir qui lui donnait une visibilité sur la rue dans laquelle elle se trouvait et sur la rue adjacente. À travers ce miroir, des yeux rouges rencontrèrent les siens. La jeune femme eut à peine le temps de se retourner qu'un pied vint heurter le bas de son dos. Elle tituba sous la force de son assaillant et l'une des bandes blanches du pro-héros s'abattit sur elle.
Le ruban de capture se referma sur ses chevilles, serrant si fortement ses jambes l'une contre l'autre qu'elle perdit l'équilibre. Joy s'écrasa lamentablement au sol, vaincue. Une masse noire lui tomba dessus et elle retint un cri lorsque le genou d'Aizawa s'enfonça dans le haut de son abdomen. Elle tenta de se débattre mais le pro-héros se contenta de mettre plus de poids sur sa jambe, coupant momentanément sa respiration.
- Attrapée, lança-t-il avec un petit sourire en coin. Avec quelques heures de retard, je te l'accorde. Désolé pour l'attente.
Joy siffla d'agacement et se débattit de nouveau, jusqu'à libérer l'un de ses bras coincés le long de son corps. Elle tenta de le porter au visage de son adversaire, en vain. Aizawa captura son poignet entre ses longs doigts fins.
- Si tu tentes de débloquer ton autre bras, je casse celui-ci, menaça-t-il en replaçant sa main.
Avec une douceur déconcertante, son pouce et son index se placèrent de part et d'autre de son poignet au niveau des articulations. Une simple pression un peu trop forte aurait suffi à réduire ses os en petits morceaux.
- Jeudi soir... Quand tu as su que j'allais sauter, tu as eu peur, pas vrai ? Et là tu es prêt à me briser les os ? Pas très héroïque, Shota...
- Je serais toi, j'éviterai ce genre de remarque. Ce serait idiot que ma main dérape. Et appelle-moi Eraserhead.
Joy fronça les sourcils. Son cerveau bouillonnait à la recherche d'une porte de sortie. Ça ne servait plus à rien de se débattre, il fallait trouver une autre solution. Elle regarda autour d'elle mais au milieu de la rue déserte, il n'y avait rien susceptible de l'aider. Son regard se reporta sur l'homme au-dessus d'elle. Contrairement à elle, il n'était pas le moins du monde essoufflé. Les cheveux bruns d'Aizawa volaient derrière sa tête en réponse à l'activation de son alter. Ses iris étaient rouges et l'intérieur de ses yeux irrités. Elle remarqua alors que, contrairement à la dernière fois où elles les avaient vu, ses yeux étaient beaucoup plus petits. Ses paupières paraissaient lourdes et sa cornée d'une sécheresse déconcertante.
- Ça doit faire mal, souffla-t-elle entre deux halètements. Tu arrives bientôt au bout de ton alter... hmpf !
La pression sur sa cage thoracique augmenta encore.
- Tu joues les durs à cuire mais regarde toi, Kitty. Ça ne sert à rien de me faire ces yeux suppliants juste après.
L'air commença à lui manquer sérieusement. Joy avait de plus en plus de difficulté à inspirer et une nouvelle vague de chaleur se diffusa sur ses joues déjà rouges à cause de sa course. Les traits du visage d'Aizawa devinrent flous et elle s'autorisa à fermer les yeux quelques secondes. Son corps lui intimait de se mouvoir mais le carcan formé par Aizawa et son foulard la dissuadait de tout mouvement.
- J'aime bien le breathplay… susurra Aizawa en se rapprochant. Mais pour ça, il faudrait d'abord essayer de respirer.
La voix basse du héros la ramena à la réalité alors qu'elle était doucement en train de perdre connaissance. Joy rouvrit les yeux et inspira. L'homme au-dessus d'elle releva sa jambe quelques secondes et enfin l'air froid de l'hiver put s'engouffrer dans ses poumons. L'air lui brûlait la gorge mais nourrissait ses muscles et alimentait sa lucidité. Elle eut le temps de prendre trois respirations et déjà la jambe d'Aizawa revint douloureusement écraser son abdomen.
- Dis-moi où sont les bijoux.
Elle secoua la tête, incapable d'articuler une réponse.
- Kitty, je ne suis pas quelqu'un de très patient, tu es prévenue.
Aizawa tordit son bras dans une position plus qu'inconfortable qui lui arracha une plainte de douleur.
- Je ne sais pas !
- Alors à qui les as-tu donnés ?
Le ton d'Aizawa était dur et menaçant. Comme plus tôt, il souleva légèrement sa jambe et Joy n'eut le temps d'inspirer que trois fois avant que le carcan ne se referme sur elle. Aizawa, agacé, libéra l'une de ses mains pour saisir quelque chose dans la poche de son jean. Presque immédiatement, Joy se débattit mais la douleur fulgurante à son bras la cloua au sol. Des larmes roulèrent le long de ses tempes alors qu'Aizawa lui lançait un regard las. Elle regarda en face d'elle, le ciel bleu et les quelques nuages qui le parsemaient. Le bruit d'un clavier tactile lui parvint et elle n'avait pas besoin de reporter son attention sur Eraserhead pour comprendre qu'il était en train de prévenir d'autres héros de leur position. Devait-elle sacrifier son poignet pour espérer s'en sortir ? Si proche du but, perdre maintenant aurait été la fin de cinq années de travail acharné.
Impossible...
Elle cria lorsque les doigts d'Aizawa se resserrèrent.
- Arrête ! Implora-t-elle.
Sa voix se brisa.
- Deuxième fois. À qui les as-tu donnés ? Demanda-t-il en replaçant son téléphone dans sa poche.
C'était une question à laquelle elle ne pouvait pas répondre. Secret professionnel. Joy retenta d'activer son alter, toujours vainement. Elle priait pour que l'alter d'Aizawa s'épuise. Puis soudainement, toute la pression sur son bras se relâcha. Le pro-héros s'écroula sur elle, inerte, l'écrasant de tout son poids. Joy gémit sous l'inconfort de ses 80 kilos de muscles et le poussa sur le côté pour pouvoir reprendre sa respiration. Le pro-héros roula sur le dos, la joue posée contre le bitume graveleux. Ses yeux étaient ouverts et il respirait toujours régulièrement.
C'est ce qu'il se passe lorsqu'il arrive au bout de son alter ? Se demanda-t-elle, méfiante.
Elle se redressa lentement à cause de sa cage thoracique endolorie et scruta précautionneusement le corps du héros. Elle remarqua quelque chose dans le cou d'Aizawa. Du bout des doigts, Joy poussa les mèches brunes qui tombaient sur la nuque du héros et retira un petit objet planté dans sa peau. C'était une petite seringue remplie d'un liquide bleu. La seringue était similaire aux fléchettes utilisées pour endormir les animaux. Joy ne réfléchit pas plus : c'était le moment pour elle de s'échapper. Elle glissa le sédatif dans sa poche et se leva d'un bond.
Un autre homme qu'elle n'avait pas entendu arriver se planta devant elle. Un autre héros ? Elle n'eut pas le temps de réfléchir. Une barre de métal épousa la forme de sa mâchoire et Joy retomba lourdement sur le sol aux côtés d'Aizawa. Le choc avait été si brutal qu'aucun son n'était sorti de sa bouche. Un goût de rouille et de sel lui donna la nausée alors qu'elle tentait de se relever pour fuir. Le nouvel arrivant la surplomba et la sonda pendant quelques secondes avant de la soulever par le col de sa veste. Il la jeta sur le côté, désintéressé. La jeune femme roula sur le flanc et termina sa course en heurtant lourdement la marche du trottoir.
Son regard croisa celui d'Aizawa - du moins, c'est l'impression qu'elle eut. Le coup l'avait profondément sonnée, sa vision était floue et quelque chose de chaud se répandait à l'intérieur de sa bouche. Sa lèvre inférieure était fendue là où la barre l'avait atteinte. L'homme qui venait de la frapper lui tournait le dos, situé entre elle et Eraserhead. Elle comprit que ce n'était ni un héros, ni quelqu'un en ayant après elle.
Vraiment mon jour de chance...
- Overhaul…. gronda Shota.
Il avait difficilement articulé le nom de son assaillant. Joy ferma les yeux lorsque l'intéressé asséna à un coup de pied dans le ventre du pro-héros. Aizawa lâcha un râle de douleur.
- J'ai perdu mon alter à cause de cet enfoiré de Shigaraki. Mais tu sais quoi, ce n'est pas très grave… Si je récupère Eri, elle pourra me le restituer, j'en suis sûr…
Joy se mit en état d'alerte après l'entente du nom de son ex-patron. Il l'avait mentionné avec temps de rancœur et de haine... Mais il avait par la même occasion donné une information plus que cruciale : il ne possédait pas d'alter.
- Eri a 6 ans. Laisse-la en-dehors de tes obsessions...
- Oh, tu peux encore parler ?
Un nouveau coup fut porté sous le rire glaçant d'Overhaul.
- À quoi tu joues, Shota ? Tu te prends pour son père ? Hmm, c'est mignon.
Le vilain sortit de sa poche un petit couteau suisse. Il déplia la lame et s'accroupit au-dessus d'Aizawa. La pointe du couteau caressa doucement la gorge du pro-héros et se posa en dessous de sa pomme d'Adam.
- Sache que quand j'en aurai fini avec toi, il n'y aura plus rien qui m'empêchera de récupérer la gamine. Plus rien ne m'empêchera de l'utiliser à nouveau… ajouta-t-il en riant.
Le sang de Joy ne fit qu'un tour. Son ton, son discours, tout chez cet homme la répugnait. Elle avait beau être elle-même une vilaine, ses valeurs étaient nombreuses. Dépouiller les riches, se débarrasser de quelques agresseurs... Elle avait accepté un tas de job et s'était salie les mains sans sourciller, tant que ce qu'on lui proposait n'allait pas à l'encontre de sa propre morale. Mais ce genre de vilain comme Overhaul, prêt à exploiter des enfants... C'était une autre forme d'allégeance au mal qu'elle ne pouvait pas tolérer. L'homme avait une carrure imposante mais elle avait connu pire. Au fond d'elle, Joy savait pertinemment que ce qu'elle s'apprêtait à faire ne lui apporterait que des problèmes. Et pour quelqu'un qui avait une forte tendance à placer ses intérêts personnels avant tout, son geste était absurde. Mais son corps lui avait hurlé de bouger et elle répondit volontiers à son invitation.
- Quels sont tes derniers mots ? Murmura froidement Overhaul.
- Switch, répondit Joy en coupant leur discussion.
Elle échangea sa place avec celle d'Aizawa. Le corps du héros réapparut contre le trottoir là où elle se trouvait une seconde avant, dans la même position. Joy quant à elle, se retrouva presque dans les bras du vilain. Elle profita de la surprise d'Overhaul pour lui asséner un coup de poing au centre du visage. Il y eut un craquement puissant et il la regarda avec fureur alors qu'un filet de sang coulait le long de ses narines. Joy roula sur le flanc, se releva et recula. Le corps-à-corps n'était pas sa spécialité, mais avec son alter, les choses prenaient une tournure différente.
Le regard d'Overhaul était menaçant devant elle et n'indiquait rien de bon. Il fit craquer ses phalanges en la regardant des pieds à la tête.
- Malheureusement pour toi, je n'ai plus de tranquillisant. J'avais prévu de te tuer dans tous les cas, ce sera juste plus long et douloureux si tu ne me laisses pas viser, ajouta-t-il d'un ton las en haussant les épaules.
Des sueurs froides coulèrent le long de sa nuque et un goût de bile vint remplacer le goût de sang. Joy avait un plan encore fallait-il pouvoir l'exécuter correctement et dans un temps limité. Elle devait fuir avant l'arrivée des pro-héros contactés par Aizawa.
La seringue de sédatif qu'elle avait récupérée sur le corps d'Aizawa n'était pas totalement vide, mais pour pouvoir la rendre efficace, il fallait qu'elle la plante aussi prêt que possible du cœur d'Overhaul. Pour arriver à ses fins, elle allait devoir se rapprocher de lui. Comme s'il était en accord avec son raisonnement, l'ennemi fut le premier à tenter un rapprochement. Il entra dans sa garde et Joy esquiva son poing avant de se prendre un coup de pied latéral. Elle expira tout l'air de ses poumons sous le choc et tituba en arrière, avant de charger à son tour. Overhaul était un peu plus lent qu'elle, gêné par son manteau, mais il frappait beaucoup plus fort. Les cheveux de Joy collaient contre la peau de son visage couvert de sang et de sueur. Le froid hivernal était bien loin maintenant que tout son corps était mobilisé. L'adrénaline l'empêchait de ressentir la douleur. Les coups fusèrent et lorsque leur combat commença à stagner, Joy s'écarta. Elle attrapa une poignée de gravier qu'elle lança en l'air et échangea de place avec chacun d'entre eux à une telle vitesse qu'il était difficile de la suivre du regard. Au moment où elle allait frapper, Overhaul attrapa sa cheville et l'entraîna au sol. Joy n'en démordit pas et enroula sa jambe libre autour du cou de son adversaire pour l'envoyé au tapis avec elle.
Le dos de Joy claqua lourdement contre le bitume. Une douleur vive se diffusa du milieu de son dos jusqu'au bout de ses jambes et elle resta paralysée quelques secondes. Suffisamment pour qu'à tâtons, Overhaul récupère son arme et l'enfonce dans sa cuisse. La lame entra dans son muscle jusqu'à la garde. Six centimètres de métal qui lui arrachèrent un profond hurlement. En échange, elle profita de cette proximité pour enfoncer le sédatif dans l'épaule d'Overhaul et l'effet fut presque immédiat. Ses yeux marron, tirant sur le jaune par endroit, se vidèrent de toute émotion. Son visage se détendit et il s'écroula sur le sol dans un bruit sourd.
L'estomac de Joy se serra et elle ferma les yeux pour ne pas vomir en regardant sa jambe. Elle tenta de se relever mais tout ce qu'elle obtint de son corps fut une plainte de douleur. Sa bouche s'ouvrit pour former un « o » dans un râle silencieux. Le couteau encore présent dans son muscle lui empêchait tout mouvement. Elle ferma les yeux, se sentit pâlir, mais elle n'avait pas le choix. Elle saisit le couteau à deux mains et, d'un geste, le retira en le tenant fermement. Joy se sentait nauséeuse et étourdie. Elle dut attendre quelques secondes que la douleur se tarisse un peu. La jeune femme se releva difficilement et posa son pied sur le visage d'Overhaul. Elle lui cracha dessus et lui asséna un coup de talon dans son nez déjà cassé. L'homme ferma les yeux et ne dit rien, mais elle vit les veines de son visage gonfler. Joy n'était plus en mesure de se battre, ni avec lui, ni avec Aizawa. Mais elle souhaitait s'assurer que le héros ne subisse pas une deuxième attaque.
Perdue pour perdue, autant aller jusqu'au bout des choses.
Joy retira sa veste et contourna le corps d'Aizawa. Elle se faufila dans le lotissement abandonné derrière eux, jusqu'à trouver une grande pièce qui lui paraissait suffisamment difficile d'accès et cachée. C'était un ancien open-space laissé à l'abandon. Le matériel informatique avait été emmené, mais il restait encore les bureaux et quelques chaises en mauvais état. Il y avait de nombreuses fenêtres grimées et couvertes de poussières. Joy passa sa main sur l'une d'entre elle et repéra Aizawa dans la rue. Plus les choses qu'elle déplaçait étaient lourdes, plus elle dépensait d'énergie et plus son corps prenait du temps pour se recharger. Encore plus lorsqu'il s'agissait d'un corps humain dans toute sa complexité.
Une chaise disparut, remplacée par le corps pantelant du pro-héros. Il était toujours immobile. Joy le souleva pour l'asseoir contre le côté d'un bureau et fouilla dans ses poches. Il ne pipa mot jusqu'à ce qu'elle mette la main sur son téléphone.
- Le code, ordonna-t-elle en montrant l'écran de verrouillage à Aizawa.
Il analysa la situation dans laquelle il était et capitula rapidement.
- 0505.
Joy fit une pause en attendant les chiffres qu'il avait choisi. Cette date... Avait-il fait exprès ? Elle sentit son cœur tomber au fond de sa poitrine en l'entendant. Elle fit la moue et tapa le code sur le clavier avant de tomber nez à nez avec le fond d'écran d'Aizawa. Devant elle se trouvait la photo d'une enfant endormie dans un sac de couchage jaune fluo et entourée de deux gros chats. C'était donc elle, la petite Eri... Joy reporta son attention sur ce qu'elle cherchait et parcourut les applications jusqu'à trouver la messagerie. Le dernier message envoyé par Aizawa datait d'une quinzaine de minutes. Il avait renseigné ses coordonnées géographiques à un certain « PM ».
- Combien de temps j'ai ?
- Tu es blessée, se contenta de répondre le pro-héros en regardant la cuisse de la jeune femme.
- À qui la faute ?
Elle lui lança un regard incendiaire. Joy portait un jogging noir sur lequel une tâche humide commençait à apparaître à mesure qu'elle perdait du sang. Si une artère avait été touchée, elle n'aurait probablement même pas pu se relever. Seuls son muscle et son gras avaient souffert du coup de couteau. Joy reposa le téléphone aux côtés d'Aizawa et tenta de se relever mais la douleur la freina. Elle grinça des dents et s'aida du bureau pour se remettre debout.
- Qu'est-ce que tu vas faire maintenant ? Tu as les héros et les vilains à tes trousses, et tu ne peux plus marcher.
Joy se contenta d'un sourire espiègle.
- Je n'ai pas besoin de pouvoir marcher pour me déplacer.
En réponse, les yeux du héros se tintèrent de rouge.
- Qu'essaies-tu de faire ? Rit-elle doucement.
- Te garder ici plus longtemps. T'emmener à la police ensuite.
- Les héros sont têtus. Ça me plaît.
Joy ricana et s'accroupit de nouveau pour être à la hauteur d'Aizawa.
- Tu vas gentiment me laisser partir.
- Pourquoi je ferai ça ?
La jeune femme saisit l'une des bandes du foulard du héros et analysa la matière entre ses doigts. Elle n'avait jamais touché à un tissu de cette consistance. Une arme sur-mesure dont elle ignorait tout.
- De un, parce que je t'ai sauvé la vie. Tu me dois bien ça. Que dira ta fille si tu m'envoies en prison alors que je t'ai aidé ? Je crois que l'autre en bas y mérite sa place plus que moi.
Joy passa le foulard sous le menton d'Aizawa et fit une boucle autour de sa tête. Elle repassa sur ses oreilles et sous son menton une seconde fois et fit un nœud au-dessus de son front.
- De deux, parce qu'une fois que j'aurai passé cette porte, tu ne me verras plus et ton alter sera inefficace. Alors, à moins de retrouver toutes tes forces d'un coup, tu n'auras pas vraiment d'autre choix que celui de me laisser partir.
Joy termina son nœud et passa un doigt sous le menton d'Aizawa pour lui redresser la tête. Sa barbe de trois jours picota le dessus de son index alors qu'elle le regardait avec un sourire moqueur.
- À croquer... commenta-t-elle sous le regard furieux du héros. Tu devrais sourire plus souvent. C'est ce qu'Oboro voudrait, non ? Lâche-toi un peu Shota, tu es mignon en œuf de Pâques.
Aizawa se vida de toute expression l'espace de quelques secondes, puis la colère resurgit de nouveau et déforma ses traits.
- Qui es-tu ?! D'où connais-tu Oboro ?
Joy retira sa main et le menton d'Aizawa retomba contre son torse.
- Je t'ai cherché. Dans les bases de données, je n'ai pas trouvé de Kitty. Dis-moi qui tu es ! Comment connais-tu ma relation avec lui ?
La jeune femme se releva, fière de son petit gag et lui tourna le dos. Aizawa lui hurlait de rester, sa curiosité définitivement piquée et son agacement grandissant dans sa voix.
- Je serais bien restée plus longtemps mais tu ne m'as pas dit dans combien de temps tes renforts arrivent. Reportons cette discussion à plus tard, Shota. Jamais deux sans trois comme on dit !
Elle s'arrêta dans l'embrasure de la porte et regarda derrière elle.
- Si tu as tant que ça envie de faire des recherches, Kitty n'existe pas. Je m'appelle Joy, ajouta-t-elle en disparaissant dans le couloir.
