LE PRISME DE VERRE

Chapitre 4 : Rouge

Sherlock ne prête aucune attention à son cœur qui bat à toute vitesse, comme ses jambes qui n'en finissent plus de courir à un rythme effréné, le détective parvenant à rattraper le criminel tout aussi endurant. Cependant, Sherlock sent que sa « proie » a de plus en plus de signes de fatigues, prenant certains virages dans les rues de manière désaccordée, et son attention quant à la circulation moindre au fil des minutes. De son côté, Sherlock se sent bien, son corps tout entier habitué depuis des années à d'intenses exercices physiques, particulièrement depuis deux ans. Durant sa course, le détective pense aux nombreuses courses poursuites qu'il a fait dans de nombreux pays, les scènes dignes d'un quelconque film d'espionnage où le personnage principal cabriole sur les toits et saute de balcons en balcons. Sherlock n'en est pas à ce niveau, mais certaines de ses courses y ressemblaient. Il se souvient en particulier d'une en Inde dans un bidonville, où il poursuivait une femme trafiquante d'armes. Les habitants du bidonville regardaient les deux individus foncer, l'une à travers les rues malodorantes, et l'autre sur les toits en tôle, ce dernier finissant pat rattraper sa cible en sautant et atterrissant sur la femme. De ce qu'il en a entendu, le bidonville serait un peu moins sujet à la violence.

En attendant, c'est dans les rues de Londres que Sherlock fonce, n'étant plus qu'à une dizaine de mètres de l'homme. Ce dernier prend cependant l'avantage, passant juste à temps devant un bus que Sherlock doit contourner, perdant brièvement de vue l'autre. Il l'aperçoit tout de même entrer dans un vieux bâtiment, dont les appartements sont à revoir quant à leurs qualités et leur insalubrité. Les pas pressés des deux hommes provoquent un grand brouhaha dans toute la cage d'escaliers. Sherlock entend la porte de secours être ouverte puis aussitôt refermée, le claquement assourdissant. Trois secondes plus tard, le détective ouvre à son tour le lourd battant en métal d'un coup, se faisant mal à l'épaule en poussant de toutes ses forces. Sans surprise, il se retrouve sur le toit de l'immeuble, les systèmes de ventilation crasseux, datés et bruyants ainsi que le sol gris couvert çà et là de mousse ou de cadavres de mégots forment le décor sinistre dans lequel se retrouve Sherlock. Et en face de lui, il y a son homme qui se tient à deux mètres du bord du toit, semble t-il perdu, toute solution lui échappant.

- Laissez tomber, dit Sherlock d'une voix épuisée par la course, reprenant avec difficulté son souffle. Vous savez qu'il n'y a plus d'issue.

L'homme ne répond pas, et demeure le dos tourné, les épaules voûtées, reprenant lui aussi sa respiration, son souffle semblable à celui d'un bœuf. Sherlock garde son calme et sa patiente, ainsi qu'une distance de quelques mètres. L'individu peut très bien cacher une arme depuis le début, même s'il se doute que ce n'est pas le cas le type l'aurait déjà probablement utilisé. Toujours est-il que le criminel ne pipe mot, se figeant un peu plus au fil des minutes. Le détective s'attend à ce qu'il se jette sur lui à tout moment, mais il est à la place surpris lorsque la voix fluette de son vis à vis s'élève.

- Je lisais tous les jours le blog de votre ami le docteur Watson.

Sherlock fronce les sourcils, ne saisissant pas le lien. Et puis penser à John maintenant n'est pas une bonne idée. En fait, penser à lui tout court est désormais une mauvaise idée… À la place, le limier essaye de comprendre l'homme. Il est déjà arrivé que des criminel(le)s fans du détective et de son acolyte commettent meurtres, enlèvements ou tout autre crime pour attirer leur attention dans un but primitif de se faire remarquer par leurs idoles. Sauf que Sherlock a au mieux une opinion neutre quant à ses fans, les seuls proposant des enquêtes avec un minimum d'intérêt étant les plus importants aux yeux du limier, ou au pire très sévère, jugeant dans sa tête ou de vive voix certains individus un peu trop névrosés par leur admiration. Le type en face est pour le moment difficile à identifier, mais au moins dans la catégorie « Arrêtez-moi » plutôt que celle des « J'habite juste à côté ».

- Je lisais son blog, continue l'homme, toujours de dos. Il vous décrivait comme passionné, et que les périodes sans enquêtes étaient très compliquées pour vous deux.

- C'est exact. À l'époque.

Sherlock tient désormais à cette précision. Les expériences vécues à travers son triste tour du monde lui ont quelque peu fait changer son opinion quant aux enquêtes, réalisant à quel point les résoudre seul est bien plus terne. Avant de trouver le coupable, Sherlock admet au fond de lui qu'il était à la fois plongé dans cette enquête, mais aussi absent, se reposant beaucoup sur l'aide de son réseau de sans abri. Il sait qu'un sentiment demeure en lui depuis maintenant des jours le doute. C'est si frustrant pour lui de ne pas tout comprendre, si seulement John pouvait lui donner des réponses. En attendant, seul Eric parvient vraiment à lui faire oublier le médecin.

- Monsieur Holmes, à peine que tout le monde vous décrit comme revenu à la vie que vous reprenez les enquêtes. Au fond, qu'est-ce que ça vous apporte ? Ce n'est pas une question de justice, de vouloir faire le bien. C'est pour assouvir quelque chose, n'est-ce pas ?

L'homme se tourne enfin, et Sherlock est surpris qu'une voix aussi douce habite dans un corps aussi lambda, avec quelques détails bourrus sur le visage. Et à en juger le regard appuyé que ce dernier lui jette, Sherlock comprend qu'une réponse doit vite être émise.

- C'est mon travail.

- Il y autre chose. Le docteur Watson a écrit que c'est pour tuer l'ennui.

- Vous n'avez pas tout lu, il faut croire.

- Comment ça ?

- John a aussi écrit que sur chaque enquête, ou presque, je suis extatique, ou très concentré. Je ne sais plus s'il l'a écrit sur son blog, mais une fois, il m'a dit que je ressemble à un peintre ou un auteur de roman qui se creuse la tête pour créer une nouvelle œuvre. D'après John, je suis un artiste.

Sherlock sourit en disant cela, fier comme un paon. C'était dix mois après leur rencontre. John lui avait dit cela alors que Sherlock était en train d'examiner un corps déposé sur une rive de la Tamise. Lestrade avait quelque peu grimacé quant à cette analogie, mais Sherlock tournant le dos à son ami et toute l'équipe du Yard, n'avait guère pu s'empêcher de rougir. Le détective a de nombreux souvenirs de John le complimentant, sur divers sujets. Il ne serait pas capable de les classer par ordre de préférence, mais Sherlock a une affection particulière de cette fois où John constatait avec étonnement et admiration ses talents de boxeur après une houleuse confrontation avec un ancien professeur de boxe reconverti en trafiquant d'arme. Ou cette fois où John a mangé avec un assez bon appétit un plat de lasagnes que Sherlock avait cuisiné en guise d'excuse après avoir fait des remarques désobligeantes. Ou ces nombreuses fois où John l'écoutait les yeux fermés, les lèvres largement étirées d'un sourire pendant qu'il jouait du violon…

Sherlock perd le contact avec la réalité pendant un instant, perdu dans ses pensées. L'homme en profite pour s'approcher de lui d'un pas tranquille.

- Le docteur Watson n'est plus là, n'est-ce pas ? Alors pourquoi continuer ?

- Ça ne vous regarde pas. C'est à moi de vous poser des questions pourquoi faire tout ça ? C'est un jeu ? Un pari ?

- Non. Un entraînement.

- Comment ça ?

- Imaginez si je parviens à faire détourner un avion transportant des têtes importantes de ce monde ! Il faut bien commencer quelque part, et même si c'est facile, je dois admettre que c'est très amusant. Tous ces couples mielleux qui font un tour en grande roue qui se sont mit à crier. Dommage que le type qui contrôle le manège soit très adroit. Il a sauvé des dizaines de vies sans s'en rendre compte.

- Ce sera votre dernier exploit, répond Sherlock d'un ton ferme, le regard déterminé.

La seconde suivante, l'homme se jette sur lui, confirmant sa théorie de l'absence d'arme à feu.



John court aussi vite que possible. Durant sa course, il se rend vite compte que le fait de ne plus poursuivre quotidiennement des criminels aux côtés de Sherlock a affaibli son endurance, un point de côté apparaissant trop vite aux yeux du médecin. Il réprime cependant la douleur, ne voulant pas ralentir à cause de ça. Pendant qu'il court, il garde près de son oreille son téléphone, certains sans abri ayant son numéro et lui indiquant les rues et chemins qu'ont prit Sherlock et le bandit. Déterminé à venir au secours de son ami, John ne cesse de se répéter en boucle de se dépêcher, et d'ordonner au détective de ne pas se faire tuer. Ce n'est pas son style, mais son caractère buté le pousse parfois à se jeter dans la gueule du loup sans réfléchir une demie seconde.

Finalement, après plusieurs minutes à courir à s'en étouffer, tournant dans des rues plus ou moins malfamées, John entent la dernière indication du sans abri, un vieux bâtiment apparemment abandonné, vu la façade insalubre, taguée et cassée à divers endroits. John pénètre dans l'immeuble, et suit son instinct, à savoir monter tout de suite vers le toit. Ses pieds tambourinent les marches, ignorant la rambarde qui longe les escaliers. La porte de secours menant au toit est entrouverte, ou plutôt mal fermée, un fin trait de lumière passant à travers, ce qui éclaire la fin de portion de marches à moitié plongée dans l'obscurité. John repense d'un coup à leur tout première enquête, quand il cherchait déjà de partout Sherlock dans un dédale de pièces, pendant que ce dernier était en présence d'un tueur en série, et donc en danger de mort. Le médecin pense ensuite à son arme de service qu'il a rangé depuis longtemps dans un carton, ledit carton au fond d'un cagibi froid et rarement fouillé. Cela donne au fond un pincement au cœur à John.

Il ralentit ses pas, veillant à ne pas se faire repérer sur-le-champ. Il reprend son souffle juste à côté de la porte, puis l'ouvre avec son avant bras, se préparant à une quelconque attaque.

La surprise est plutôt de taille lorsqu'il découvre ce qui se présente sous ses yeux étonnés. Près d'un des systèmes de ventilation qui continue de tourner sans aucune raison repose le corps inconscient du saboteur, l'homme ayant plusieurs ecchymoses sur la figure et les vêtements abîmés. Il est installé en position latérale de sécurité. John se doute bien de qui l'a mit ainsi, ce quelqu'un qu'il cherche maintenant du regard, marchant à petits pas. Un complice peut surgir après tout.

- Il n'y a personne d'autre, si c'est que vous cherchez.

John sursaute en entendant la voix grave de Sherlock. Le détective est assis contre un mur, les jambes repliées contre le buste, tandis qu'il se tient le crâne des deux mains, comme pour calmer une douleur.

- Sherlock, ça va ?

- J-John… ?

Le limier semble vraiment étonné de voir le médecin. John comprend que son ami s'attendait à ce que ce soit un policier lambda qui arrive, ou éventuellement un sans abri. Lire une telle surprise dans le regard de Sherlock fait mal à John, réalisant que son ami n'espérait plus qu'il revienne. Il aurait… renoncé, et continué sans lui ? John s'en veut d'avoir était aussi stupide, et de ne pas avoir écouté le détective. Il préfère cependant mettre son amertume de côté, et de s'occuper du blessé, s'agenouillant juste en face de lui.

- Qu'est-ce… Qu'est-ce que tu fais là ? demande Sherlock dans un murmure, son ton toujours aussi incompréhensif.

- Je suis venu t'aider, mais je suis arrivé trop tard apparemment, répond John en souriant.

- Comment tu savais que-

- Que tu étais là ? J'étais dans la grande roue avec Mary quand le type l'a trafiqué. On a pu descendre rapidement, et je suis parti te chercher. Les sans abri de ton réseau me guidait par téléphone.

- Je ne savais pas qu'ils avaient gardé ton numéro.

John est un peu surpris que Sherlock se contente de répondre cela. Il ne semble pas inquiet quant au fait que lui et Mary auraient pu être blessés dans le manège. Ou que John aurait pu se perdre ou se faire renverser. Le médecin s'en veut à nouveau. Avec son rejet, Sherlock semble mettre une distance sans s'en rendre compte.

- Tu es blessé ? questionne John.

- Je vais bien, répond Sherlock d'un ton plutôt froid.

- Je n'ai pas l'impression, fais-moi voir ton crâne.

Sherlock le regarde un instant avec un air indescriptible, mais accepte quand même de se faire examiner. Il grimace pendant que John effleure son crâne et écarte ses mèches pour vérifier la présence d'une égratignure. Mais le diagnostic est vite constaté. Pas de blessure grave, hormis un début d'ecchymose au dessus de la tempe gauche, ainsi qu'une petite plaie à l'arrière du crâne. Sherlock acquiesce d'un vague grommellement quand John lui dit qu'il va le soigner chez lui. Mais le détective comprend vraiment deux secondes plus tard.

- Attends. Me soigner, chez… ?

- Chez toi, oui. À Baker Street. Madame Hudson m'en a parlé un peu, mais elle ne m'envoie pas vraiment de messages, étant donné que je… que je ne te parlais pas.

- Je peux très bien aller à l'hôpital, ne perds pas ton temps avec ça.

- Sherlock, s'il te plaît. Je veux m'occuper de toi.

John dit cela d'un ton ferme alors qu'il tient son ami par les épaules, son regard fixant le sien. Qu'est-ce que peut bien penser le détective pour tenter de le repousser ? John aimerait pouvoir lire avec la même facilité que Sherlock en voyant les yeux bleus de ce dernier. Ses iris clairs sont toujours aussi hypnotiques, et ses pupilles quelques peu dilatées tremblotent, ayant clairement du mal à garder le contact avec celles de John. Le médecin se dit que son ami doit avoir froid à cause du vent, étant donné ses pommettes -toujours aussi prononcées- se teintent d'un rouge délicat. John se racle la gorge pour ne pas laisser distraire par ce spectacle attendrissant. Il aide Sherlock à se relever. Au même moment, plusieurs véhicules de police débarquent au pied de l'immeuble, les sirènes sifflantes. John sourit. Le réseau de Sherlock est toujours aussi coordonné.



Après un échange assez bref avec Lestrade, ce dernier ayant rendu le téléphone du détective, emprunté à un témoin, d'après ses dires, Sherlock et John se rendent à une rue plus passante pour trouver un taxi. Le détective ne dit absolument rien, jetant à peine un regard à John quand il appelle Mary pour la prévenir qu'il rentrera plus tard. Sherlock entend vaguement la voix fluette de la jeune femme accepter, ainsi qu'une phrase intelligible à cette distance, ayant pour seul mot distinct « Sherlock ». Le détective se pose une ou deux questions, mais préfère ne pas réfléchir. À la place, il se concentre sur la circulation dense de l'avenue et fait signe à un taxi qui approche. En levant le bras, cela lui lance une douleur dans le crâne, semblable à une balle qui rebondirait à l'intérieur. John le remarque, et lui dit quelque chose, mais Sherlock n'entend pas vraiment avec les véhicules passant rapidement. Aussi peut-être parce qu'il ne veut pas entendre.

Une ambiance pesante règne dans le taxi tout le long du trajet, les deux hommes regardant chacun de leur côté la route, sans tenter d'émettre la moindre syllabe. Si le chauffeur était curieux, il penserait que le duo se serait sèchement disputé il y a peu de temps. Et dans le fond, il n'aurait pas tort…



Assis au bord du canapé, Sherlock garde le visage baissé, écoutant cette fois-ci John s'affairer pour prendre de quoi le soigner. Ce n'est pas la première fois qu'une telle scène se produit au 221b Baker Street, mais cela fait si longtemps que ça ne s'est pas reproduit qu'une certaine forme de malaise persiste dans l'appartement, identique à celui qu'il y avait tout à l'heure dans le taxi. Sherlock sent un gros nœud dans son ventre, et il sait qu'il doit faire quelque chose pour le défaire. Mais comme on dit, plus facile à dire qu'à faire. Et en l'occurrence, c'est bien « dire » qui est compliqué. Discuter est parfois très compliqué pour Sherlock, surtout quand ça implique un sujet délicat comme les sentiments.

Il regarde alors John qui revient de la salle de bains, portant tout un nécessaire de soins qu'il dépose sur la table basse étonnamment dégagée, où seule traîne une partition entamée, que Sherlock n'a pas finit d'écrire. Pour plus de confort et de facilité, John s'assoit sur la fameuse table, ayant le visage bien en face de Sherlock, et leurs genoux se frôlant. Le détective s'efforce de son côté de ne rien déduire en observant le visage de John. À la place, il se concentre sur ses lèvres pendant que le médecin lui applique une poche de glace couverte d'un linge là où le criminel l'a frappé. En constatant quelque chose, le limier ne peut s'empêcher de le dire à voix haute.

- Tu as rasé ta moustache.

- Oui, elle ne plaisait à personne en fait.

- Tu es mieux rasé de frais.

- Ah… euh… merci.

Sherlock tente un sourire, mais le froid de la glace conjugué à la chaleur de ses joues doivent certainement donné un rictus crispé. John remarque son frisson, le froid de la glace étant assez mordant malgré le tissu qui le recouvre. Il essaye de réchauffer le détective en posant une main sur sa joue, mais se demande si c'est une bonne idée quand Sherlock sursaute au contact de sa paume. Il va pour retirer sa main, mais celle du détective recouvre aussitôt la sienne, ses doigts accrochant les siens. John déglutit. Il a déjà soigné Sherlock, mais il n'a aucun souvenir d'une séance de soins où il se montrait aussi… vulnérable. En se présentant le teint rosé, les épaules frémissantes, les yeux fermés et la main entourant la sienne, John est incapable de savoir s'il se sent détendu face à un tel spectacle, ou au contraire, tendu. Et sans mauvais jeu de mot, il comprend que c'est lui qui doit parler pour briser la glace qui s'est crée entre eux.

- Je suis désolé, dit John d'une voix sincère.

Sherlock relève le visage, ses yeux bleus à nouveau ouverts, le regard empreint d'une incompréhension.

- Pourquoi ? demande le détective, sa voix grave donnant quelques frissons à son interlocuteur.

- J'ai cédé à la colère. Je n'aurai pas dû m'emporter autant. Tu as sans doute des choses à dire, et je n'ai pas cherché à t'écouter. Je comprends que tu m'en veuilles.

- John, je ne t'en veux pas !

Le médecin sursaute par le ton presque suppliant qu'emprunte Sherlock, comme s'il venait de dire une menace. Sherlock en sert ses genoux de ses deux mains, libérant celle de John sur la joue du détective. Ce dernier s'explique.

- Je ne t'en veux pas. Je ne sais pas ce qui te pousse à te faire croire ça. Je ne suis peut-être… pas très réceptif, mais ce n'est pas par colère, c'est plus par… par… par peur.

- Peur ? murmure John.

- Quand j'étais sur le toit…, je me rendais compte à quel point j'étais loin d'être un sociopathe. Pour être honnête, je ne l'ai jamais vraiment été. Je préférai garder au fond mes émotions en compensation. Et après notre rencontre, beaucoup de choses ont changé en moi, et je m'en rendais compte au fil des mois, mais ça ne me paraissait vraiment flagrant que quand j'étais sur le toit… J'avais si peur de vous perdre, madame Hudson, Lestrade et toi. Surtout toi, en fait. Je m'en veux de penser ça. Et quand je suis revenu l'autre jour, je me demandai où est-ce que je me suis trompé. Pas que dans ma mission, mais aussi au niveau de là.

Sherlock ponctue ses dires en portant une main à son cœur. John déglutit, sachant à quel point il est compliqué de parler de ce genre de choses, qui plus est chez le détective.

- Je me disais que j'avais fait une grande erreur, et que ta colère était ma punition. C'est que je pensais, et j'en ai un peu discuté avec… quelqu'un, et pour être honnête, je suis encore plus perdu.

Sherlock dit tout cela d'une voix de plus en plus perdue, terminant sa phrase en se couvrant le visage. John retire la poche de glace et reprend les épaules de son ami, voulant le sortir de son début de crise. Dévoiler de tels secrets en si peu de temps a dû être très éprouvant pour Sherlock, et John sait à quel point l'écouter est primordial à cet instant. Non sans rougir furtivement, le médecin approche son visage pour avoir toute la confiance de son vis à vis.

- Sherlock, chuchote t-il, tu n'as pas fait d'erreur. Je ne sais pas ce que tu as fais pendant ces deux ans, mais j'imagine que tu n'avais pas le choix. Je n'y avais pas pensé l'autre jour, car j'étais trop en colère et… et égoïste, il faut le dire. Si je t'ai mit en tête toutes sortes de questions et de doutes, j'en suis vraiment navré, tu as ma parole.

- Tu ne m'en veux plus ? demande Sherlock après avoir enlever ses mains de son visage, son regard scrutant celui de John.

- Plus du tout. Je suis encore parfois lent à la détente, ça n'a pas changé.

Le sourire que lui adresse Sherlock rassure John, les lèvres de son ami exprimant maintenant un tel soulagement et une joie. Pour se changer les idées, John réexamine l'ecchymose au dessus de la tempe. Il a largement dégonflé, mais il y demeure une légère couleur rosie à cause du froid de la glace. Heureusement, avec les mèches longues de Sherlock, l'ecchymose ne se verra pas, et pourra dégonfler tranquillement. John donne un cachet d'ibuprofène à son ami, ayant dû chercher pendant plusieurs minutes quelque chose d'adapté dans la petite pharmacie au dessus du lavabo, le petit meuble servant visiblement plus de rangement pour divers solutions chimiques pour ses expériences, plutôt que des médicaments. Pendant que Sherlock avale un grand verre d'eau avec le cachet, John ne peut empêcher ses yeux de se poser sur la pomme d'Adam de son ami en train de bouger. Après cela, Sherlock se retourne sur le canapé, assis en tailleur, présentant l'arrière de son crâne au médecin. Finalement, la plaie, après un examen plus approfondi, s'avère être vraiment superficielle, ne nécessitant qu'une nettoyage et une désinfection pour éviter toute infection. Pendant cette petite opération, John bouge certaines boucles de cheveux de Sherlock pour bien nettoyer la plaie, constatant ainsi la douceur de la chevelure de son ami. Ne voyant guère le visage de Sherlock, John en profite pour poser une question qui lui taraude depuis une ou deux minutes.

- Ce « quelqu'un » a qui tu as parlé, c'est une personne que je connais ?

- ...Non.

John ne répond rien, se contentant de sourire pendant qu'il termine la désinfection de la plaie. Une fois le soin de la petite blessure terminée, Sherlock demeure assis de dos, les épaules un peu voûtées. De son côté, le détective est soulagé de ne pas avoir été blessé aux épaules ou au dos comme ça lui est déjà arrivé pendant des enquêtes avec John. Il aurait été obligé là aussi d'enlever sa chemise. Or, avec ses cicatrices qui demeurent sur son dos, cela aurait rendu la conversation plus compliquée et source d'inquiétude. C'est Eric qui a eu cet « honneur » de s'en préoccuper, et de le soigner. Sherlock frémit, repensant aux bons soins de son amant. À ses paumes chaudes, à sa douceur, à ses baisers. John était aussi doux à l'instant pour son crâne, mais Sherlock le ressentait plus comme une douceur professionnelle. Un habituel contact délicat lié à son travail. Pourtant, cela n'a guère empêché le détective de savourer le toucher de John sur son crâne et ses cheveux. Il aurait aimé qu'il lui caresse ainsi ses boucles pendant des heures. Une pensée apparaît soudainement à lui, avant de s'échapper aussitôt via ses lèvres.

- Mary a beaucoup de chance.

- Ah… Je… Merci.

Sherlock se retourne, faisant à nouveau face à un John ne sachant plus quoi exprimer. Le détective ne remarque que maintenant la bague qui orne l'annulaire gauche de son ami. Un anneau en argent, avec une minuscule pierre blanche incrustée au milieu. Ça lui va bien.

- Sherlock… ?

Le brun lève le visage, observant celui confus de John. Il ne comprend pas tout de suite pourquoi une telle expression voile son regard, jusqu'à ce qu'il réalise qu'il tient délicatement sa main, son pouce effleurant l'anneau. Sherlock relâche aussitôt, pâle comme un linge. Il entend vaguement John se racler la gorge. À ce stade, il est peut-être temps que le médecin s'en aille avant que le détective fasse une nouvelle bêtise. C'est ce qu'il se dit. Sauf que John n'a pas l'air décidé de partir.

- Je suis content que tu vois du monde, dit-il avec beaucoup de chaleur. Cette personne avec qui tu as discuté, j'espère de tout cœur que tu t'entends bien avec.

Sherlock cligne des yeux, essayant vainement de ne pas repenser à Eric et… de choses diverses. Je lui ai avoué des choses que tu ne sais pas. Il me fait rougir comme une gamine. On s'est embrassés plusieurs fois à en perdre notre souffle, il a soigné mon dos écorché, il m'a touché, caressé, masturbé et m'a fait jouir à m'en faire presque pleurer, je pense qu'on s'entend bien. Décrire tout cela dans sa tête lui fait perdre quelques instants ses moyens. À chaque fois qu'il pense à Eric, il le visualise comme un ange gardien, à qui on confirait tous nos secrets, mais aussi à un homme incroyablement attirant. Son palais mental a déjà enregistré en détail chaque tatouage qui orne la peau de Eric. Les ronces, les roses, les plumes, et ce majestueux phénix… C'est comme si plusieurs œuvres d'arts étaient dessinées sur son corps, lui-même déjà une œuvre tant il pourrait être un modèle pour une peinture ou une sculpture. Sherlock se surprend à penser tout cela, mais c'est toujours ce genre de choses qui lui viennent à l'esprit à chaque fois qu'il pense à Eric. Le détective espère alors ne pas avoir fait attendre John, se perdant de plus en plus dans ses pensées, alors il se dépêche de répondre.

- Oui, je m'entends bien avec lui.

- Alors il a beaucoup de chance lui aussi.

John dit cela avec un sourire étrange, à la fois mélancolique et sincèrement heureux. Sherlock frémit en voyant cela.

Finalement, après s'être rendu compte de l'heure, John se lève pour partir, mettant d'un geste souple son manteau. Sherlock demeure sur le canapé, tandis que le salon se retrouve depuis tout à l'heure un peu plus dans l'obscurité, le soleil se couchant rapidement derrière les bâtiments. Il ne reste comme source de lumière que celle de l'ampoule au dessus du levier de la cuisine, donnant une atmosphère comme énigmatique dans l'appartement, comme si quelque chose allait éclater à tout instant. John ouvre la porte d'entrée, donnant sur l'escalier lui aussi peu éclairé. Cependant, il ne bouge plus, en proie à une réflexion que lui seul entend. Il entend tout de même Sherlock qui se lève et s'approche de lui, le pas feutré. En se retournant, John constate le peu de distance entre son visage et celui de Sherlock. La petite lumière se reflète dans les yeux luisants du détective, qui bouge les lèvres sans parler. Sa voix sort tout de même une poignée de secondes plus tard, plus basse et profonde que d'habitude.

- John, est-ce que je pourrai t'appeler pour une enquête ?

- Oui. Tu peux. Je te dirai quand je suis disponible.

- D'accord.

John sent son cœur battre dans sa poitrine, et il n'aime pas ça. Il pense à Mary, qui fait elle aussi perdre les moyens à son cœur. John regarde alors sans comprendre pourquoi la chemise de Sherlock.

- Tu sais, ça fait depuis tout à l'heure que je le pense, mais… Ça te va bien cette tenue. C'était pour ton enquête ?

Bon sang que sa voix est grave à lui aussi. Pourquoi ses cordes vocales font ça ?

- Oui, avec le manteau, j'aurai étais trop visible.

- Je comprends. Tu… Tu n'es pas trop embêté par les fans ?

- Ils commencent à se calmer, donc ça va.

- D'accord.

Plus aucun mot n'est émit, et leurs regards ne se lâchent guère. C'est à se demander si au moins l'un des deux clignent. Finalement, c'est la cloche de Big Ben au loin qui les font sortir de leur immobilité, sonnant dix neuf heures. Les deux hommes battent des paupières, comme se réveillant, se raclant en même temps la gorge.

- Au revoir, disent-ils à l'unisson.

Sherlock regarde John partir à pas pressés, la porte principale claquant au bout de quelques secondes. Il referme celle de son appartement, et ses jambes n'en pouvant plus, Sherlock se laisse glisser le long du battant, relâchant une profonde expiration, qui mue furtivement en un sanglot. Malgré le cachet donné par John, il a toujours mal à la tête, plus à cause de sa blessure, mais bien à cause d'un trop plein de questions. Dans ce maelström d'interrogations, Sherlock entend les voix de John et Eric se superposer pour dire la même chose.

Ça te va bien.

- Qu'est-ce que je dois faire ? murmure t-il à lui-même.


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À suivre...