Milwaukee, mars

C.J. Bennett était à l'image de sa réputation. Un visage insondable, et un charisme rayonnant. Il entretenait un savant mélange de mystère, de respect et d'admiration. C'était un homme toujours apprêté en costume trois pièces, une barbe poivre et sel parfaitement taillée et un regard critique toujours en action.

Peter ne l'avouerait pas à voix haute, mais l'homme était plus intimidant qu'il ne se l'était imaginé. Lors de leur première rencontre, dans l'une des salles de conférences avec Murphy et Sullivan, il avait usé de tous ses talents pour impressionner Mr Bennett sans tomber dans l'excès. Un exercice d'équilibre subtil qui avait fini par payer. C.J. Bennett l'avait remarqué, et quelques jours plus tard, il lui avait même proposé un poste dans son journal, à Chicago.

Un ticket pour Chicago, c'est ce que Peter avait souhaité depuis des mois, il aurait dû sauter de joie, exulter, pourtant, cette annonce le plongeait dans la perplexité. Il se retrouvait assailli d'un nouveau tourbillon de doutes.
Bien sûr qu'il voulait toujours des réponses aux questions qu'il se posait depuis des mois, le besoin de vérité qui brûlait en lui ne s'était pas apaisé, au contraire. Mais ce qu'il risquait de découvrir restait toujours aussi incertain. Ici, à Milwaukee, Peter avait commencé à construire quelque chose : une carrière, un semblant de vie sociale. S'il partait, il faudrait tout recommencer à zéro, et une boule se formait au fond de sa gorge rien qu'à cette idée.

Et si sa ville natale se trouvait être un endroit hostile, s'il découvrait que son départ à plus de cent cinquante kilomètres de chez lui n'était pas que le fruit du hasard.

Et si les choses ne se passaient pas aussi bien qu'ici à son nouveau travail. Murphy et Sullivan étaient de braves types, agréables à fréquenter, qui aimaient lui raconter leurs vies sans attendre la même chose de lui en retour. Ils se contentaient de parler, de blaguer, et Peter d'écouter, et cela convenait à tout le monde.

Et s'il ne partait pas, il le regretterait toute sa vie.

Il devait faire un choix, et dans les deux cas, il lui faudrait avancer à l'aveugle.

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Le jour où Peter accepta la proposition de C.J. Bennett, sa main tremblait sur le téléphone. Il avait attendu d'être rentré chez lui pour passer ce coup de téléphone précisément pour cette raison. Après des jours à tordre la question dans tous les sens, Peter avait réalisé que c'était sa seule chance d'obtenir des réponses. Même si elles ne lui plairaient peut-être pas, même s'il craignait toujours ce qu'il pouvait découvrir sur lui-même, c'était la meilleure chose à faire. Au moins, ce nouveau poste lui donnait une excuse et palliait au courage qui lui avait manqué jusqu'à présent pour entreprendre ce qui n'avait pas abouti ici. Sans cela, il ne savait pas s'il aurait été capable de mettre les pieds à Chicago.

Il pourrait toujours décider quoi faire ensuite, il pourrait partir, retourner à Milwaukee ou bien ailleurs. Mais aujourd'hui, il était temps d'affronter ses peurs.

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Chicago, mai

Peter frissonna en rentrant dans la cabine de douche, avant de pousser un soupir de contentement une fois qu'il fut habitué au contact de l'eau chaude. Il était allé courir tôt ce matin, mais pour le plaisir cette fois-ci. Pas pour échapper au dernier flash ou pour se calmer. Juste pour lui.

Depuis quelques semaines, la fréquence de ses rêves s'était espacée, comme si son esprit avait compris que Peter avait fait le premier pas, qu'il était rentré à la maison et qu'il avait le droit à un peu de répit. Une découverte que Peter avait accueillie avec soulagement. Il dormait mieux, et appréhendait ses sorties dans Chicago avec plus de sérénité.

Il découvrait la ville au petit matin, la découpe des immeubles dans le ciel, l'odeur de vase près du lac, cette étrange sculpture en métal dans le parc. Tout ce qu'il avait eu à faire était de courir, et de s'imprégner de son environnement. Regarder, sentir, ressentir.
Jusqu'à présent, Peter n'avait ressenti aucune familiarité particulière avec cette ville, aucun déclic comme il l'avait espéré. Ce matin, il s'était contenté de finir sa course devant un grand bâtiment en béton percé de nombreuses fenêtres. Ce devait être une vieille bâtisse, car certaines lettres de l'enseigne étaient tombées et on ne lisait plus que "MERC IS MART"

Peter se frotta une dernière fois le visage sous l'eau chaude, coupa le robinet et rejoignit sa chambre une serviette sur les hanches, laissant des empreintes humides dans son sillon.

Il était arrivé quelques jours en avance à Chicago, pour prendre ses marques, et s'installer dans le logement de fonction qu'on lui avait attribué, dans l'un des immeubles réhabilité. Peter avait peu de possessions, la seule chose qu'il avait vraiment pris la peine d'installer étaient ses carnets et ses dossiers sur une étagère dans sa chambre. Le fruit de ses recherches et du peu de souvenirs qu'il avait pu collecter. Peter attrapa l'un des carnets et le stylo qui y était attaché, et commença à noter ses impressions de la matinée pendant son jogging. Les pages ne contenaient pas grand chose, Peter n'était arrivé que depuis peu, mais il espérait que bientôt elles se noirciraient avec le retour de ses souvenirs.

Le lendemain, Peter déambulait dans Chicago, une feuille de papier à la main. La liste des dix Hayes encore en vie qu'il avait réussi à rassembler durant ses recherches à Milwaukee. Il s'était armé de courage ce matin, espérant le meilleur tout en se préparant au pire.

Quatre noms étaient déjà rayés sur sa liste. Deux qui n'avaient pas répondu, et qu'il lui faudrait retourner voir. Deux autres qui, quand il s'était présenté devant eux avec la question " Je m'appelle Peter Hayes, je cherche ma famille, est-ce que vous me connaissez ?" l'avait regardé avec perplexité, comme pour vérifier que ce n'était pas une blague, avant de répondre par la négative et de refermer leur porte.

Peter ne pouvait se permettre de courir à travers la ville toute la journée, son nouveau travail commençait demain, il devait se préparer, mais il était décidé à continuer encore un peu. Encore une heure, ou peut-être deux s'il avançait à bonne allure. Il venait d'arriver devant un petit immeuble en brique, près de l'ancienne clôture. Une vieille dame qui sortait au même moment lui donna l'occasion de pénétrer dans le hall.

Peter s'enfonça un peu plus loin dans le couloir du rez-de-chaussée jusqu'à l'appartement n°5. Il se racla la gorge, inspira profondément et frappa à la porte.

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Ce soir-là, à nouveau, le sommeil semblait le fuir. Depuis deux heures, il ne cessait de se retourner dans ses draps, de plus en plus agacé, de moins en moins fatigué.

Peter aurait aimé mettre sa nervosité sur le compte de son nouveau travail, le lendemain matin, et c'était peut-être en partie vrai. Mais il savait que c'était surtout lié à sa journée de recherches infructueuses.

Il lui restait encore cinq Hayes à voir, l'étau se resserrait. Il croisait les doigts pour que, comme quand on cherchait ses clés, la dernière tentative était la bonne.

Peter hésita à se lever pour aller courir avant de secouer la tête à cette idée. Ce n'était pas raisonnable. Son nouveau travail commençait dans moins de sept heures. Il devait essayer de dormir, être reposé pour faire bonne impression à C.J. Bennett.

Mais l'envie persistait.

Plus il essayait de repousser cette idée, plus ses pieds lui démangeait. Ils avaient envie de mouvement, de fouler le macadam. Et plus Peter essayait de chasser cette idée, plus il hésitait. Il commençait de bonne heure demain, il connaissait mal la ville, surtout de nuit, qui savait sur quoi, ou qui, il pouvait tomber. Mais il avait envie, terriblement envie de sortir se défouler. D'évacuer sa nervosité.

L'hésitation faiblit de plus en plus, et l'envie prit le dessus. De toute façon, à quoi bon rester dans son lit, la tentative avait été vaine jusqu'à présent.

Les mains sur les genoux, Peter respira profondément créant des panaches blancs devant son visage. Il s'était défoulé. Il ignorait si le sommeil allait venir dès son retour, mais il ne pouvait pas faire mieux. Il n'y avait plus qu'à espérer que le réveil tout à l'heure ne soit pas trop compliqué.

Peter évalua sa position en regardant autour de lui. Il ne s'était pas trop éloigné de son quartier, mais revenir sur ses pas lui prendrait trop de temps. À quelques rues d'ici se trouvait un raccourci qu'il avait découvert quelques jours auparavant. Celui-ci passait devant un bar-boîte de nuit souvent fréquenté.

Il s'éloigna à grandes enjambées pour ne pas se refroidir, prêt à regagner son appartement. Prêt à prendre un nouveau départ à Chicago.


Consigne d'écriture : votre personnage est à la croisée des chemins et trouvera la réponse dans l'examen de son passé


Et voici pour ce prequel qui aura été écrit de manière totalement imprévu, mais qui m'a permis de découvrir le Peter que je souhaite exploiter dans ma prochaine histoire. J'espère que vous aurez aimé cette version de ce personnage que je trouve très intéressant de part toutes les facettes qu'il possède. Moi j'ai adoré écrire sur ce Peter amnésique.
Peut-être à bientôt quand je publierais la suite ;)