CH 4 La chute du tirant

La porte du repaire s'ouvrit avec un grincement, Geoffrey sursauta et leva la pointe de l'épée qui reposait à côté de lui. Il poussa un long soupir agacé en reconnaissant le garde de Priwen.

"-Matthias, souffla McCullum. Que fais-tu là ?

-C'est mon quartier de patrouille chef, expliqua le jeune homme aux cheveux noirs. Je venais ici pour me reposer suite à ma nuit de chasse.

En observant les alentours, il découvrit le petit matin éclairer l'entrée. Matthias retourna vers la porte et la ferma. Geoffrey chercha Reid du regard, il voyait ses affaires pendre près du lit où le médecin dormait toujours, dans la pièce derrière le salon où reposait l'irlandais.

-Chef ! Vous êtes blessé ! S'inquiéta le jeune en poussant son lance-flamme sur le côté et s'approchant plus près. Est-ce la sangsue qui vous a fait ça ?

-Jonathan...Non, non. Enfin, reprit l'homme. Il m'a soigné. Et puis, comment tu sais ça toi ?

-Vous pensez, ça a fait le tour de la garde, ricana à moitié le jeune chasseur. Le chef le plus dévoué de l'ordre fait équipe avec la sangsue qu'il a traqué pendant toutes ces semaines.

Geoffrey grommela en se redressant un peu.

-Quelles sont les nouvelles ?

-L'équipe de Nelson n'a trouvé que quelques skal, James et les autres ont eu un vulkon, pour Stan et sa bande, rien. Pour ma part, j'ai eu deux skal, les membres de mon équipe sont partis avec Chris sécuriser le QG. Moi j'ai déjà fait quatre nuits d'affilées, j'en peux plus.

Étrange, il y avait moins de skal dans les rues. C'est vrai que la nuit était plus calme. Alors que le calmant ne faisait plus effet, Geoffrey avait écouté les bruits de la soirée, voir ce qu'il se passait. Mais c'était calme, trop calme. Reid avait-il réglé le problème des skal en même temps que celui du Désastre ? Logique, vu que le nombre avait augmenté depuis son éveil. Londres avait été sauvée par un vampire, et personne ne le saurait jamais.

-Je peux...aller dormir ailleurs si vous voulez chef, proposa Matthias qui n'avait pas bougé.

-Non, gronda l'homme en s'assaillant au bord du lit. Il y a un autre matelas, là-bas.

Le jeune repéra l'édredon et retira son attirail et s'installa. Geoffrey s'extirpa de sa couche et souleva à nouveau l'épée que lui avait prêté Jonathan. La véritable Tueuse de Dragon. Rien que ça ! Le trésor le plus précieux de l'Étole de Saint-Paul entre les mains de Reid. Il lui avait tendu comme on donne un livre que l'on a déjà lu et apprécié son contenu. Le garde testa son équilibre, sa force et sa rapidité, l'épée était plus maniable et légère que celle qu'il utilisait d'habitude, mais tout aussi dangereuse. Ses blessures ne l'entravaient pas, son énergie était revenue, seule son épaule gauche était inutilisable.

-J'y pense chef, déclara Matthias. Le corps du noble que vous avez trouvé, y a une jeune femme fort charmante qui l'a réclamé, elle est venue le chercher avec un homme qui dépassait les deux mètres. Ils disaient qu'il voulait lui donner une sépulture digne de lui. On n'a rien fait de mal j'espère ?

-Qui était avec toi à ce moment-là ?

-Thomas et Billy.

-Bon, alors tout va bien. N'en parle à personne, compris.

Le jeune acquiesça et se tourna pour dormir. Geoffrey enleva son écharpe avec une grimace et commença à s'habiller.

-Je te le confie, déclara le garde. S'il me cherche, dis-lui que je suis au QG.

Le jeune glissa un regard inquiet à la pièce où dormait le médecin.

-Il ne te fera rien, gronda le plus vieux. Et puis, tu as ton lance-flamme, il ne devrait pas y avoir de problème.

Le pauvre secoua la tête affirmativement, se détendant quelque peu mais gardant son canon à portée de main. Geoffrey ouvrit la porte quand le chasseur l'interpella.

-C'est vrai ce qu'on dit sur lui chef, commença le petit. Il n'a jamais sucé un humain ?

-C'est vrai, lâcha McCullum après quelques secondes de réflexions."

Le trentenaire passa la porte et se dirigea vivement vers le QG. Il n'avait pas remis son écharpe autour du bras et le regrettait amèrement, son épaule lui rappelant qu'il s'était battu la nuit dernière. Tentant de passer outre la douleur il se glissa dans le vieux bâtiment qui leur servait de base secrète. Il fonça vers ce qui servait de salle d'archive. Tous les raids, les renseignements, les documents étaient empilés et rangé dans diverses étagères. Geoffrey trouva tout ce qu'il cherchait et s'installa pour étudier les différents documents.


Jonathan s'éveilla lentement, braquant son regard sur le plafond. Il pouvait sentir que le sang de Geoffrey avait fait son œuvre, ses plaies et blessures n'étaient plus qu'un souvenir. Le vampire ferma un instant les yeux se concentrant sur ce qui l'entourait, le soir qui tombait, les quelques marchands fermant leurs boutiques dans la rue, l'odeur du phosphore blanc dans la pièce d'à côté. Ses yeux s'ouvrirent brusquement, réalisant que l'odeur de Geoffrey s'était atténuée pour laisser place à une plus fraiche couverte par le phosphore. La porte grinça à nouveau et des pas lourds s'avançaient lentement, Jonathan tenta de se calmer en sentant l'odeur de la terre et du bois derrière celle plus forte que le phosphore et la pluie de l'autre homme.

"-Chef, vous êtes revenu ! S'égailla le jeune.

-Tu en doutais, gronda l'homme en tirant une chaise.

-Non...Mais je dois avouer que je n'étais pas tranquille. Reid a parlé durant son sommeil.

-Ouais, lâcha Geoffrey. Ça lui arrive.

Tiens, Jonathan n'avait jamais fait attention au fait qu'il parlait dans son sommeil. Son esprit essayait sans doute d'évacuer les traumatismes que le docteur avait accumulé en si peu de temps.

-Qu'a-t-il dit ? Demanda McCullum.

-Il vous demandait pardon chef.

Un étrange silence plana dans la pièce, le jeune attendait simplement les ordres de son chef.

-Pourquoi tu t'es engagé Matthias ?

-Euh...Pour venger ma sœur morte à cause d'un vampire, répondit l'autre chasseur.

Jonathan reprit la respiration qu'il ne se souvenait pas avoir retenue.

-Et, poursuivit le chef. Tu trouves que tu es utile ?

-Eh bien, je protège les humains des vampires alors, hésita le jeune. J'estime que oui.

-Je vois, siffla Geoffrey en se levant.

Reid choisi ce moment pour se redresser et s'habiller, il s'avança vers le salon.

-Ah quand, même, souffla le garde. J'ai bien cru que tu ne te réveillerais jamais.

-Tu as meilleur mine Geoffrey, railla le docteur. Comment te sens-tu ?

-Mieux que toi ! S'écria l'irlandais. Bon on y va ?

Jonathan savait que le chasseur mentait, il voyait bien qu'il faisait tout ce qu'il pouvait pour ne pas faire transparaitre la douleur.

-Direction le club d'Ascalon."


La démarche assurée de Geoffrey donnait de l'entrain à Reid, même si le chef de la Garde de Priwen en faisait trop, Jonathan ne voulait pas le froisser plus qu'il ne l'était. Il y avait quelque chose qui semblait différent depuis que Matthias lui avait dit que le vampire lui demandait pardon. Le chasseur faisait de gros efforts pour maintenir une certaine distance avant, maintenant il acceptait sans broncher que le vampire et lui marche côte à côte. Jonathan passa par l'arrière du club poussant la porte rouge pour s'introduire dans le bâtiment du club huppé. Après avoir sondé les lieux avec ses sens vampiriques, l'ekon fit signe à son équipier d'entrer. L'épée négligemment posé sur son épaule, Geoffrey posa son regard partout dans la pièce. Combien de ses hommes avaient péri dans ce hall, combien de raid avait été lancé ici ? Trop pour qu'il s'en souvienne. Et lui, il se tenait là, sans avoir eu à se défendre.

Jonathan grimpa les escaliers, suivit par le garde qui étudiait tous les coins, analysant chaque endroit et chaque détail. Les sens de vampire indiquèrent au médecin qu'un rassemblement avait lieu dans la salle du fond, les deux hommes s'y avancèrent et tombèrent dans une réunion. Aucun ekon ne posa les yeux sur eux, trop absorbé par l'homme qui se tenait devant la relique. Le vampire était grand, le port noble et droit, ses cheveux grisâtres, les yeux marron clair, le visage ovale terminé par un bouc en pointe soigné, il portait un costume élégant de couleur grise.

"-Je vous le répète chers confrères, déclara l'Ekon. Lord Redgrave ne qu'un usurpateur et un menteur.

L'assemblé accueilli ses paroles d'un murmure partagé.

-Qu'est-ce donc cela, tonna le susnommé venant de rentrer dans la pièce.

Le regard du Lord se posa sur Reid et s'assombrit aussitôt.

-Vous, siffla la créature. Je croyais vous avoir interdit de revenir ici. Je pensais avoir été compris.

-Laissez cet ami tranquille, cher Lord, coupa le maître du spectacle.

Redgrave posa son regard dédaigneux sur celui qui osait saper son autorité.

-Et vous, siffla l'ekon. Qui êtes-vous donc pour me parler ainsi ?

-Moi, je ne suis qu'un modeste défenseur de la vérité, s'amusa l'acteur. Et en parlant de vérité, cher Lord, il est temps de l'exposer au grand jour.

-De quoi parlez-vous ? S'énerva le membre le plus haut de l'assemblée.

-De votre prétendue descendance à notre vénéré William Marshall. J'ai ici des documents prouvant que vous n'étiez même pas sur les lieux où il est prétendument tombé. Vous étiez en voyage en Europe.

-Ces documents ont forcément été falsifiés, gronda Redgrave.

-J'en conviens, accorda l'Ekon. Ce sont de maigres preuves, alors que dites-vous de cela. Pourquoi avoir forcé mon ami le docteur Jonathan Reid ici présent à transformer Aloysius, vous auriez très bien pu le faire vous-même et ce depuis longtemps comme le souhaitait le pauvre homme. Je comprends que c'était pour assoir votre autorité sur mon confrère et tester sa loyauté, mais votre ascendance, aussi noble qu'elle soit possible, en aurait fait un meilleur atout pour Dawson.

-Comment osez-vous...siffla le compte de Bristol.

-J'ose ! Contra le présentateur. Vous avez exigé beaucoup de vos membres, mais vous donnez peu de votre personne.

-C'est vrai, s'écria un Ekon dans l'assemblée. Il demande toujours au gens du club de transformer les humains riches ou influents, mais lui n'en a fait aucun !

Des murmures affirmatifs se répandirent sur les lèvres de bien des vampires.

-C'est que je n'éprouve pas le besoin d'avoir une descendance, se défendit le compte.

-Pourtant vous êtes toujours à nous pousser à trouver de nouvelle recrue, pour contrer la menace de skal et de la Garde, tempêta un autre.

-Je suis le maître de cet ordre et vous devez vous plier à mes règles !

-De quel droit ! Aboya un vampire. Si votre sang n'est pas plus noble que le nôtre, de quel droit vous octroyer tous les honneurs !

-J'ai fondé se club avec l'accord de mon Créateur !

-N'importe lequel d'entre nous aurait pu le faire, constata un ekon plus modéré.

-Vous n'étiez pas là, cria le comte.

-Calmez-vous je vous prie messieurs, interpella le maître de scène. Et laissons Lord Redgrave prouver ce qu'il avance. Mon cher Lord, veillez transformer cet humain ici présent et ainsi votre autorité sera rétablie et je disparaitrais.

L'ekon poussa un pauvre humain apeuré devant le comte de Bristol, Redgrave l'observait comme un tas d'ordure.

-Je vous en prie, insista le comédien.

-Non, cria Reid.

Le docteur tenta de s'approcher mais fut retenu par le chasseur.

-Geoffrey tu ne vas...

-Laisse Jonathan, gronda son ami. Tu ne vois pas ce qu'il se passe !

Tous les ekons présents étaient tournés vers le comte, attendant qu'il agisse. Mais, le noble ne bougeait pas, passant son regard entre l'humain implorant au sol, les membres du club attentif et le théâtreux amusé.

-Je ne rentrerais pas dans votre jeu, s'offusqua le compte. Je n'ai pas à m'abaisser à une telle mascarade.

-Vous avez bien poussé tous ces gens ici présents à le faire, argumenta l'accusateur. Vous avez juré sur le sang de votre Créateur, n'est-pas ? Devrais-je appeler Bridget Redgrave pour qu'elle vienne vous confronter.

Des murmures outrés et surpris s'élevèrent, Lord Redgrave recula en pointant du doigt l'assemblée.

-Vous ne savez rien ! Vous allez écouter ces fables et me chasser, de mon propre club ! Vous n'êtes que des misérables !

Le comte quitta la pièce, poursuivit par quelques ekons en colère. On entendit des bruits de combat, de lutte et un gémissement. Les vampires qui avaient chassés le lord revinrent dans la salle étudiant les révélations du compteur avec leur confrères. Satisfait, ce dernier descendit de l'estrade et s'avança vers l'humain toujours au sol.

-Levez-vous Alfred, attendez-moi à la voiture.

-Bien Monsieur, acquiesça l'homme en partant sereinement.

Le metteur en scène s'approcha de notre duo, un sourire moqueur.

-J'espère que vous avez apprécié mon petit spectacle mes amis.

-Tout ceci aurait pu mal tourner, cracha Reid.

-Aucunement mon cher frère, assura l'Ekon. Car j'avais tout prévu.

-Frère, siffla Jonathan. Je ne pense pas vous connaitre.

-Oh, j'en oublie presque de me présenter. Sir Francis Drake, déclara l'homme avec une révérence. Père m'a chargé de venir ici et de régler certains...problèmes.

-Drake...souffla Jonathan. Je n'ose y croire.

-Allons, allons, reprenez-vous mon frère. Je vous vois défaillir.

-Vous n'êtes pas mon frère.

-Quand Père me parlait de vos difficultés de compréhensions, je n'imaginais pas cela ! Drake posa ses yeux sur le chasseur. Un Garde de Priwen, il m'avait dit que vous aviez des relations, mais je ne pensais pas de la sorte.

-On va plutôt dire que c'est un intérêt mutuel, affirma Geoffrey.

-Charmant, approuva le Dragon. Et, quel intérêt vous a conduit ici ?

-Cornwall, cracha le Garde. Ça vous parle ?

-Oh oui, Sir John Cornwall, chevalier de l'Ordre de la Jarretière, l'homme le plus respecté sous Henry IV, transformé en 1443. Que lui voulez-vous ?

-Il est suspecté de meurtre, siffla Geoffrey affable.

-Je vois...réfléchit l'ancien pirate. Eh bien, il a pour habitude de rester dans sa maison secondaire du côté de Temple Church, vous le trouverez sûrement là-bas.

-Pourquoi nous aider ? Interrogea Reid sorti de sa surprise.

-Père me l'a demandé, sourit le Dragon. Je n'allais pas laisser passer cette occasion de rencontrer un de mes frères et me rendre utile !

-Je vous remercie de votre aide, mais nous avons à faire, lâcha Reid gêné.

-Je comprends, accorda le corsaire. Bonne chasse mes amis.

Le docteur quitta le club en toute hâte, suivit de près par Geoffrey.

-Francis Drake est ton frère ? Gronda le chasseur. De mieux en mieux, qui sera le prochain, Isaac Newton ?

-Je t'en prie Geoffrey, ce n'est pas le moment ! Protesta le pauvre ekon.

Le chasseur constata la sensibilité de Jonathan dès que l'on lui parlait de ses liens vampiriques, il poussa un soupir et se frotta la nuque.

-Aller Johnny, ne nous fait pas une crise. Avec un membre pareil dans ta famille, je comprends que tu ne veille pas trop t'en approcher ni en parler.

Le docteur ne savait plus où se mettre, son regard fuyant de tout côté.

-Tu as raison, accorda l'Ekon. Nous n'avons toujours pas trouvé notre suspect, ni interrogé Sir Cornwall. Je dois rester concentré sur cette mission.

-Bien parler ! Cria Geoffrey en lui donna une tape dans le dos. Il est temps d'aller voir ce chevalier."