J'observe les ponstastillas, ma baguette à la main, prêt à me défendre si les snillusions décident de descendre de leur piédestal, là-haut, parmi les lianes. Pour l'instant, ils restent calmes, mais je me méfie. Je leur jette quelques œillades, en continuant de noter les déplacements des ponstastillas. Ils illuminent la jungle luxuriante, lui donnent un aspect moins sombre, moins effrayant. Les créatures tournoient dans le ciel, tourbillonnent au milieu des arbres. Elles sont très nombreuses. Il y a forcément un secret ici…

- Weasley te cherche, fait une voix dans mon dos.

- Lequel ? Je demande sans me retourner.

- Le roux.

- Lequel ? j'insiste.

- Celui qui a une grande gueule.

- Aucun des deux n'a une grande gueule.

- Le plus âgé.

- Mon père ? Je fais.

- Ça, je n'en sais rien, je ne connais pas l'arbre généalogique de toutes les personnes étant sur cette mission, grogne la voix.

- Et Merlin te préserve d'avoir à apprendre celui des Weasley, je ris doucement.

Je me retourne enfin, pour regarder la jeune femme qui vient de me parler. Ses yeux verts et sa peau halée par le soleil brillent à la lumière des ponstastillas. Ses cheveux noirs et crépus forment une auréole au-dessus de sa tête. Les poings sur les hanches, elle me jauge autant que je la jauge. Eloïsha Garnet, une magizoologiste spécialisée en créatures magiques ayant la faculté d'altérer les souvenirs et la mémoire humaine : une vraie célébrité.

- C'est bien toi, Louis Weasley ?

- Il paraît …, je souris énigmatiquement. C'est un honneur de rencontrer la fameuse Eloïsha Garnet.

- Je déteste qu'on me lèche les bottes. Épargne ta langue. Sauf si tu sais convenablement t'en servir à bon escient…

Je hausse un sourcil, en me sentant légèrement rougir. Ses yeux pétillent de malice. Je change de sujet, redevenant plus sérieux :

- J'ai détesté ton approche du pouvoir des psychards. Je ne pense pas qu'ils ressentent le besoin de souffler sur les humains … Ce sont des créatures bienveillantes ! J'affirme en croisant les bras sur ma poitrine.

- « Bienveillantes » ? J'ai observé des psychards sur les plages de Grèce, qui faisaient volontairement revivre leurs pires cauchemars à des sorciers, jusqu'à ce qu'ils hurlent et ne deviennent plus que des coquilles vides !

- Peut-être l'avaient-ils cherché ?

- Tu supposes que les psychards se vengeraient volontairement ? Hausse-t-elle un sourcil.

- Ce sont des créatures intelligentes, qui comprennent les émotions humaines. Après tout le mal qu'on leur fait depuis ces dernières années, à les exploiter pour l'industrie des rapeltouts…

- Les psychards n'ont pas les mêmes capacités émotionnelles que nous…

- Va dire ça à Faramond ! Je ricane légèrement.

- Faramond ?

- Le psychard qui vit sur la tête de mon oncle.

- Les créatures magiques sont peut-être intelligentes, mais pas autant que nous.

Je laisse échapper un sifflement, légèrement irrité. Je déteste ce genre de hiérarchisation…

- Si tu n'aimes pas mes travaux, pourquoi me rencontrer serait-il un honneur ? Demande-t-elle sérieusement.

- Parce que tu restes une bonne magizoologiste.

Face à son silence, je reprends mes observations sur les ponstastillas, en retranscrivant leur dernier mouvement sur ma carte. Ils forment des spirales, qui montent et qui descendent, en colonnes sinusoïdales, autour des gros arbres de la jungle.

- Tu aimes les créatures magiques…

- Pas toi ? Je rétorque.

- Elles me fascinent. Mais je ne les aime pas. Elles m'intéressent. Mais je ne les adore pas.

Elle s'assoit à mes côtés, et un frisson me parcourt. Cette femme dégage un truc. Elle me glace. L'air lourd de la jungle l'est toujours, mais il semble moins chaud, sans pour autant être plus agréable.

- Tu seras diplômé d'ici mars prochain, c'est ça ? Me demande-t-elle.

J'opine, en continuant de dessiner les mouvements des ponstastillas.

- Tu as déjà choisi un sujet d'étude ?

- Pas vraiment, je réponds. Je m'intéresse beaucoup aux dragons. Je vais très probablement choisir un sujet sur leur migration du fait de l'Homme.

- Intéressant.

- Tu n'en penses pas un mot, je devine.

- Si, je t'assure.

- Tu sais sourire ? Je m'amuse en me tournant vers elle.

- Pourquoi ?

- Ton visage est fermé.

- Ça te plairait que je t'offre un sourire ?

- Si je te réponds oui, feras-tu de moi un homme heureux ? Je m'amuse à mon tour.

- Je me montrerai plus sympathique avec moi à ta place. Je pourrais très bien être dans ton jury final d'ici mars prochain !

Je fronce les sourcils, légèrement étonné, bien qu'impressionné :

- T'as même pas trente ans !

- Les jurés sont choisis en fonction de leurs qualifications et expériences. L'âge n'a rien à voir là-dedans.

Un ponstastilla plonge en piquet, et s'arrête juste avant de heurter le sol. Je fronce davantage les sourcils, sans comprendre. Ils ont tous des mouvements aléatoires, qui ne nous permettent pas de dégager un schéma, une séquence qui se répéterait : ils vont et viennent sans aucune logique. Ou tout du moins, nous ne l'avons pas encore trouvé. D'ordinaire, il y en a toujours une. Mais là, c'est comme si les sortilèges d'amnésie lancés sur la zone les brouillaient complètement. Ils sont perdus… Ils tournent autour des arbres, se déplacent, forment des boucles et reviennent inlassablement, montent, descendent, et le tout, pas forcément dans cet ordre.

- T'as déjà vu des ponstastillas faire ça ?

- Oui. Dans la plupart des sites archéologiques magiques, les ponstastillas sont comme des fous.

- On dirait qu'ils ne se posent jamais… Ils vont finir par s'épuiser, je crains.

- C'est le cas. La magie est si forte qu'ils cherchent son épicentre sans parvenir à le trouver, parce qu'elle s'est étendue trop loin, trop longtemps, qu'elle est trop ancienne. Ils vont voler, jusqu'à mourir. Mais la plupart du temps, on parvient à trouver un schéma. Ici, en revanche, je ne suis jamais parvenue à le comprendre…

Elle énonce ça froidement, comme si ce n'était pas quelque chose de grave.

- Ils souffrent ?

- Sûrement. Ils meurent d'épuisement, Weasley.

- Comment tu peux être aussi…

- Je suis pas une soigneuse Louis. Je suis magizoologiste. Je fais pas dans le sentiment. J'étudie. Je t'ai observé. T'as le potentiel d'un bon magizoologiste, mais t'es trop émotif. Regarde-toi ! T'es en train de chouiner pour des ponstastillas !

Je reste muet, incapable de dire quoique ce soit.

- Il n'y a rien que l'on puisse faire pour eux. J'ai déjà essayé, souffle-t-elle. Les éloigner des sorts d'amnésie les tuerait.

- Pourquoi tu fais semblant d'être insensible ?

- Parce que j'en ai marre d'avoir mal chaque fois que je vois une créature souffrir. Il faut que tu te protèges Weasley. Y'a rien qui ne se brise plus facilement qu'un cœur, et le tien me paraît être de cristal.

Je me demande ce qu'elle a vécu pour être à ce point hermétique. Eloïsha est l'une des meilleures magizoologiste de notre génération. A vingt-neuf ans, elle a déjà bien plus accompli que certains sorciers qui ont passé la moitié de leur vie à étudier les créatures magiques. Dans ses écrits, on ressent sa passion, mais aussi sa grande logique. Je n'ai jamais rien lu d'aussi rigoureux en tous cas. Parfois, ça l'est tellement que cela semble aseptisé. Son étude sur les psychards l'était…

- Tu penses qu'on peut parvenir à trouver une logique dans leur déplacement ? Je l'interroge en changeant le sujet de conversation.

- J'essaie. Mais cela fait cinq ans que j'y passe mes jours et mes nuits. J'ai un peu perdu espoir…

- Tu ne devrais pas. Cette fois-ci est peut-être la bonne.

- Les rêveurs comme toi me donnent envie de rêver moi-même, sourit-elle.

Je continue d'observer les créatures, qui brillent dans la nuit. Ils forment désormais un nuage et vadrouillent dans tous les sens. Ils se dispersent, se rassemblent, et continuent de tourner de bas en haut. Je me lève, pour gagner en hauteur. Un snillusion sursaute au-dessus de moi. Son long corps se glisse jusqu'au sol, alors qu'il rejoint l'arbre juste en face de nous. Les ponstastillas zigzaguent entre eux.

- T'es intéressant, Louis Weasley.

- Euh…. Merci ?

Elle s'esclaffe un moment, et son rire tranche tellement avec toute la froideur qu'elle dégage, que je reste immobile pendant quelques secondes. Elle finit par se relever, et s'en va sans ajouter un mot. Le snillusion me regarde attentivement. Il sort sa longue langue en v et ses yeux jaunes commencent à tournoyer :

- Pas avec moi, mon petit gars ! Je suis plus malin que ça !

Il baisse la tête, déçu, conscient que je ne me laisserai pas prendre au piège. Je l'observe glisser le long des énormes racines de l'arbre, puis s'enrouler presque trois fois autour du tronc de l'arbre, pourtant bien épais. Il fait tomber quelques lianes, en les arrachant à mesure qu'il monte. Je lève la tête et continue de l'observer passer d'arbre en arbre, créant des nœuds avec son corps, tout en poursuivant son ascension. Mon cou me fait mal : je tire, pour le regarder, alors qu'il monte, monte encore… Les arbres ici percent le ciel tant ils sont gigantesques. Son corps se confond avec les lianes à mesure qu'il poursuit son ascension. Je suis pris d'un nouveau sursaut quand la tête du serpent disparaît. Le reste de son corps est aspiré lentement. C'est comme s'il traversait le tronc. Maintenant, on dirait juste une liane qu'un vent inexistant ferait bouger.

- Weasley ! Ton père te cherche ! Grommelle une voix dans mon dos.

- Tais-toi Malfoy ! Je siffle dédaigneusement en m'approchant de l'arbre.

Je palpe le tronc, tape dessus pour vérifier s'il sonne creux. Mais ce n'est pas le cas.

- Mais qu'est-ce que tu fous, Louis ?

Scorpius pose sa main sur mon épaule et me force à me retourner.

- T'es gentil, mais je suis en train de travailler là. Lâche-moi.

Les ponstastillas tourbillonnent toujours et je crois que je commence à comprendre.

- Ils sont attirés par les arbres. Ils ont bien une séquence…, je murmure. Ce sont les arbres qui les attirent !

Et les arbres étant partout, il est normal que les ponstastillas soient complètement désorientés.

- Tout va bien ? Sourcille Scorpius.

Je l'agrippe par les épaules et il écarquille les yeux sous le coup de la surprise avant de se dégager :

- Les ponstasillas sont attirés par les arbres ! On est trop focalisé sur eux depuis le début. On les observe, et on ne remarque pas les snillusions au-dessus de nos têtes parce qu'on ne prend même pas la peine de regarder ce qui se passe en haut !

- T'as pété un câble, c'est ça ?

Je lève les yeux au ciel et d'un sortilège informulé, transforme les lianes en échelle. Je commence à grimper, réveillant les snillusions sur mon passage, qui ne sont pas montés aussi haut que celui qui a disparu.

- Redescends ! m'ordonne Scorpius.

Je lui lance un coup d'œil avec un sourire provocant.

- Un père sur cette mission me suffit, Malefoy !

- Tout le monde te cherche au camp ! Il faut qu'on rentre !

Je suis déjà trop haut et continue de monter, pendant plusieurs minutes, en ignorant les plaintes de Malfoy, qui m'imite.

- Je viens de comprendre un truc essentiel, alors ça attendra !

- Il y a un couvre-feu à respecter, Louis ! Grommelle-t-il. Cette mission est très sérieuse !

- Et je viens de sérieusement mettre la main sur une piste alors laisse-moi fait mon boulot ! Je rétorque méchamment.

Je continue en ignorant l'apprenti briseur de sorts qui est littéralement en train de rougir de colère. Je ricane, moqueur, et recommence à toucher de mes paumes le tronc rugueux, sous les yeux jaunes et curieux des snillusions.

- Me force pas à te faire descendre ! Menace Scorpius.

- Tu mes tapes sur le système, Scorpius. Et encore je suis poli, parce qu'en toute honnêteté, tu me casses les cou…

L'arbre m'absorbe tout entier avant même que je termine ma phrase.

oOo

La chute me coupe le souffle. Elle n'est pas particulièrement longue, mais elle dure assez longtemps pour que je ressente mon estomac se retourner et mon cœur dégringoler jusque dans mes talons. Je suis tombé assez de fois de mon balai lors des matchs de Quidditch à Poudlard, pour connaître cette sensation, aussi grisante qu'horrifiante. Le problème, c'est qu'il fait noir. Je n'y vois rien et ne peut pas anticiper où je vais très probablement m'écraser au sol comme une crêpe. A mesure que je descends, ma poitrine se compresse. Puis j'aperçois quelques ponstastillas, de plus en plus nombreux à mesure que je descends. Ils éclairent les parois d'une colonne infinie. Je vois désormais le fond de ce trou, et je n'ai pas lâché ma baguette, et hurle un arresto momentum. Mon nez est à quelques centimètres seulement du sol.

Je me laisse tomber sur le ventre avant d'entendre un hurlement absolument monstrueux, puis la voix de Scorpius, crier le même sort que moi. Il m'écrase de tout son poids. Sans ménagement, je me dégage et le fait rouler sur le dos pour me relever.

- Tout va bien ? Je lui demande.

Je lui tends une main, qu'il accepte, et l'aide à se relever.

- Merci.

- Ne me remercie pas, je marmonne. Lumos !

Les ponstastillas n'illuminent pas assez cet endroit. Nos voix résonnent.

- Tu m'as suivi ?

- Je n'avais pas le choix ! Ronchonne Scorpius. T'as disparu dans le tronc d'un arbre !

- Ouais, je m'en suis rendu compte, je m'esclaffe.

Il rit légèrement lui aussi, et pour la première fois depuis cinq mois, je le vois sourire.

- T'as rien de cassé toi ? s'inquiète-t-il.

- Non.

Il fait quelques pas et éclaire les murs. Nous nous trouvons dans une sorte de carrefour. Quatre grands couloirs s'étendent à perte de vue, noirs et prometteurs d'une belle aventure. Louis caresse du bout des doigts les murs. Il n'y a aucune sortie, rien du tout et pourtant, je sens un courant d'air frais me picoter les yeux.

- A ton avis, on a fait une chute de combien de mètres ?

- Cent, tout au plus, répond Scorpius.

- Periculum !

Les étincelles rouges de ma baguette s'élèvent et les ponstastillas, apeurés, se plaquent contre les parois pour les laisser passer. En montant, elles éclairent un peu plus le gouffre duquel nous venons de chuter. Scorpius et moi, les regardons devenir de tous petits points, jusqu'à ce que les étincelles soient invisibles.

- C'est sûrement l'effet d'un sort d'extension indétectable, bredouille Scorpius. Nous ne sommes pas tombés d'aussi haut. Cela nous aurait tué.

- Donc personne ne pourra voir mon signal ? Je sourcille.

Il opine, tout en restant calme.

- Y'a peu de chance, en effet. C'est toi et moi, Weasley !

- T'étais bien la dernière personne avec laquelle j'avais envie de me retrouver coincé dans un gouffre …, j'avoue froidement.

- Sentiment partagé, râle-t-il.

- Alors qu'est-ce qu'on fait maintenant ?

Il est retourné à son analyse des murs sur lesquels il s'appuie. Mon père dit toujours que Scorpius est son meilleur étudiant… J'espère que c'est vrai, parce qu'il va falloir que l'on sorte de cet endroit, probablement piégé de plusieurs malédictions et sorts.

- Les murs sont trop lisses, observe-t-il en réfléchissant à voix haute. Revelio !

Sous la lueur de sa baguette, apparaissent des dessins ainsi que des inscriptions anciennes, qui se gravent sur les murs prenant une teinte bleutée. Tout en relief, certains dessins, certaines gravures creusent tellement la pierre dure et froide que l'on dirait des statues, qui cherchent à prendre vie, à sortir de leur prison. Elles représentent des animaux, des personnes, de façon si précise que l'on croirait presque qu'ils sont vrais, et ont été pétrifiés, reposant ici depuis la nuit des temps. Sous la pulpe de mes doigts, prend vie un dragon. Ses ailes sont si grandes, si élégantes, majestueusement déployées, que je n'en vois pas le bout, mangées par l'obscurité. Elles sortent du mur, comme s'il allait s'envoler. On dirait presque qu'il porte tout le mur sur ses ailes, et que sans elles, tout s'effondrerait. Les ailes s'étendent tout le long des couloirs à ma gauche et à ma droite. Elles sont interminables. Si elles pouvaient bouger, elles déclencheraient un ouragan d'un seul battement. Scorpius les admire également. Le corps de la créature est immensément imposant, mais pas autant que ses ailes. Toutes les écailles ont été creusés dans la pierre, toutes régulières et parfaites, légèrement arrondies et petites comme la taille de l'ongle de mon auriculaire. Sa queue repliée, protège ses pattes agrémentées de griffes acérées qui feraient passer des épées pour des cures dents. Je remonte les yeux, pour croiser ceux du dragon : deux pierres bleues qui brillent dans le noir. Au-dessus de sa tête, il y a un éclair, qui se dédouble, se triple, se multiplie, dont les branches tantôt épaisses, tantôt fines, s'effilent, s'abattent sur son crâne et zèbrent ses ailes, striant ses écailles de nervures. Elles sont aussi délicates que celles que l'on peut admirer sur les feuilles d'un arbre.

- Merlin…, je souffle.

- C'est …

Il reste muet de stupéfaction. Mais moi, je suis excité.

- Une des entrées du Temple du dragon foudre, je termine à sa place.

- Ton père va nous tuer, Louis !