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Chapitre 3
Premier battement du Coeur
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« OK, tu m'as gavé, » siffla-t-il entre ses dents. « C'est définitivement MOI qui vais m'occuper de ta putain de tignasse. »
« Non, ne t'approche pas ! » lui cria Allen en reculant à l'autre bout de la pièce, main porteuse de l'Innocence tirée devant lui comme vaine protection.
Une lueur malicieuse vint briller dans les yeux profondément bleus de Kanda qui offrit de terribles frissons glacials dans tout le corps d'un Allen méfiant.
« T'as nulle part où filer, j'ai la clé, » renchérit le brun en tapant la poche de son pantalon de sa main libre. « Et je doute que tu souhaites défoncer la chambre de ces braves hôtes. »
« T'as même pas de ciseaux ! »
« Oh crois-moi, je suis loin d'avoir besoin d'une paire de ciseau. »
« Kanda. J'espère que c'est une grosse blague. »
Allen suait à grosses gouttes alors que Kanda se rapprochait dangereusement de lui avec Mugen en main. Il alla répliquer à nouveau quand d'un geste vif, une poigne de main vint sans douceur agripper le col de son pull effiloché pour le tirer au centre de la pièce.
« Ferme les yeux, » lui ordonna Kanda, sa main toujours enclavée autour du tissu.
Fermer les yeux ? Quelle bonne blague.
« NON ! J'ai pas confiance ! »
« Ai-je une seule fois blessé un aillé en bataille ? »
Puis, Kanda lâcha son col, recula d'un pas, et haussa Mugen vers le visage du futur condamné.
« Ta lame est à deux centimètres de mon visage ! » s'écria Allen d'une voix suraigüe, n'ayant décidément pas du tout confiance.
Mais la parlotte avait assez duré puisque dans un mouvement vif qu'Allen eut bien du mal à prévoir, la lame du sabre vint filer contre sa nuque, la fraicheur du fer venant hérisser les cheveux de sa nuque, et un « tchack » retentit dans les oreilles du maudit. Son cœur rata un battement alors qu'il baissa les yeux pour voir des mèches blanches venir rejoindre le parquet, avec autant d'élégance qu'auraient eue les plumes d'un oiseau.
Mais sans attendre une remarque de la part du Moyashi, Kanda empoigna l'épaule fine de son homologue et l'amena jusqu'au miroir de la pièce, situé entre les deux lits. Allen ne savait pas trop sur quoi concentrer son esprit : sur la main chaude et puissante de l'autre homme contre son épaule ou sur son reflet dans le miroir qui lui offrait une vision de lui amaigri et pâle.
« Si tu râles, j'te jure j'te fou la boule à zéro, » l'avertit Kanda qui attendait derrière lui, sa main toujours là.
« Je te hais si fort, tu le sais, ça ? »
Mais d'une main, Allen ne put s'empêcher de toucher l'arrière de son crâne, là où ses cheveux avaient été coupés. Tout portait à croire qu'il avait regagné sa longueur d'antan, ni trop longs, ni trop courts, et cela, en un coup affiné de sabre.
« La raie, sur le côté j'imagine, » ajouta soudain Kanda, faisant retomber brutalement l'esprit d'Allen qui avait commencé à divaguer, porté par la chaleur de Kanda derrière lui.
« Quoi ? »
Derrière lui, Kanda retira sa main. Même main qui vint se poser sur le crâne du plus jeune aux mèches encore longues qui venaient à nouveau gêner sa vision suite à ce geste.
« Quand je t'ai rencontré pour la première fois, t'avais la fâcheuse manie de cacher ton pentacle derrière tes cheveux, » expliqua-t-il d'une voix pourtant désintéressée. « Après l'Arche, tu as semblé prendre confiance en toi, et n'y faisait plus gaffe. »
Pour appuyer son dire, d'une main, Kanda regroupa une partie de ses mèches blanches sur le côté droit de son visage, le pentacle rouge totalement à découvert. Rouge en parfait contraste avec la pâleur de sa peau.
Cœur tambourinant bien trop fort contre sa poitrine, Allen aurait voulu lui demander d'arrêter. Arrêter de lui faire ressentir tout ça. Tous ces sentiments impurs qu'il ne devrait pas avoir pour un autre homme. Cependant, la seule chose qu'il put faire, ce fut de retenir sa respiration, et d'essayer d'ignorer la chaude main du brun dans ses cheveux.
« Coupe les pas trop courts, » parvint à dire Allen, repoussant légèrement la tête sur le côté, coupant tout contact avec la main de Kanda.
Ses cheveux blancs lui retombèrent devant les yeux, et Allen espéra que ce fut suffisant pour cacher une partie de son visage rougie.
« Qu'est-ce que ça veut dire, pas trop courts ? » marmonna Kanda en arquant un sourcil, scrutant le reflet de Moyashi à travers le miroir.
« Histoire que je puisse voir sans trop que la marque soit trop visible. »
Allen n'osa pas le regarder, et garda son regard fixé vers le parquet à ses pieds. Il sentit Kanda se tendre derrière lui, et attendit patiemment que la bombe explose.
« Tu te fiches de moi, » cingla Kanda après quelques secondes de lourd silence. « C'est à cause de ce que la nana t'a dit hier ? »
Merde. Ce n'était pas de côté-là qu'Allen voulait que la conversation se poursuive.
« Je t'ai dit que ça ne m'atteignait pas, » répliqua Allen en levant à nouveau les yeux, croisant le regard agacé du kendoka à travers le miroir. « C'est pour éviter qu'on me reconnaisse si facilement et qu'on nous localise. Un paquet de monde est à nos basques. »
Et Kanda parut réfléchir un instant, cependant, Allen soutint son regard, sourcils froncés. Puis, finalement, le brun reprit la parole, yeux soudain plissés avec suspicion évidente :
« Ton attention n'est pas débile, je le conçois. Mais tu mens. »
Déglutissant suite à la conclusion de son aîné, Allen referma la bouche et compressa la mâchoire, réaction que ne loupa pas du tout son vis-à-vis.
« Bordel, je croyais que ça t'était passé, » s'exclama Kanda hargne. « Comme tu l'as dit, te préoccupe pas des opinions des autres ! » puis sans crier gare, vint d'une main tirer les cheveux d'Allen en arrière, dévoilant à nouveau ses yeux gris et sa marque significative. « Sois fier une petite fois dans ta vie de ce que tu es et ce que tu as fait. »
Allen était immobile, tout simplement paralysé par les propos de Kanda. Il scruta son propre reflet, son propre visage pâle et aux yeux cernés de noir suite à son déficit en heures de sommeil, ainsi que la marque rougie que lui avait fait l'Akuma porteur du nom de Mana.
Fier. Fier de ce qu'il est, de ce qu'il avait fait. Un long chemin l'avait conduit jusqu'ici, chargé de regrets. Il ne savait pas si beaucoup de positif en avait découlé, si les vies qu'il avait sauvées avaient un intérêt à aujourd'hui, mais… Kanda lui donnait envie d'y croire.
La main de Kanda contre son front était ferme, chaude, et pleine d'assurance. Et pour il ne savait quelle raison, l'Innocence dans le dos de sa propre main s'agitait elle aussi, le titillant de pics de chaleur curieux.
Puis soudain, comme l'abaissement du rideau sur une pièce de théâtre, Kanda lâcha les cheveux d'Allen qui le firent retomber lourdement sur terre, ne pouvant pas croire qu'encore une fois, il s'était laissé aller avec ses sentiments.
« Fais ce que tu veux, » parvint à articuler Allen, le cœur toujours battant.
« OK, ce sera la boule à zéro ! »
« Kanda ! »
Finalement, après deux petites minutes de travail sur ses cheveux avec la lame aiguisée de Mugen et les gestes précis de son porteur, Allen se trouva bien plus léger avec quelques centimètres en moins. Il secoua vivement la tête devant le miroir afin de laisser retomber les cheveux coupés mais encore piégés dans sa tignasse et se prit ensuite à s'inspecter tandis que derrière lui, Kanda rengainait son arme.
Comme l'avait fait remarquer Kanda –et c'était d'ailleurs surprenant qu'il avait perçu de genre de détail-, comme après l'Arche, il portait actuellement la raie sur le côté, montrant au monde le pentacle, ne cachant pas ce qu'il était.
« Tu devrais te reconvertir en tant de tailleurs ou barbier, » fit pensivement Allen en passant une main dans ses cheveux. « Mais ça reste quant même bien flippant. Je préfère quand ce sont les mains délicates de Johnny qui me coupent les cheveux à la Congrégation. »
Kanda grogna quelque chose, et déposa son arme sur le matelas de son lit pour ensuite enfiler lui aussi ses bottes. Il allait être temps de commencer les recherches et surtout de manger. Allen mourrait de faim et quand ses yeux se posèrent sur les deux bourses pleines d'argent déposées sur le rebord de la petite cheminée de la chambre, il sourit à pleines dents.
Il enfila son manteau, attrapa les deux pochettes qu'il rangea précieusement à l'intérieur de la veste puis se retourna vers Kanda à présent debout, qui retirait la plume à écrire de ses cheveux. Longs cheveux qui retombèrent sur ses épaules et dans son dos. Allen savait que c'était peine perdu à lui faire entendre raison et qu'il coupe ses propres cheveux –et puis, Allen devait avouer que sa chevelure était très élégante-, et donc, lui tendit à nouveau le ruban rouge.
« Tiens, prends-le, je n'en ai plus besoin à présent. »
« Remets-le autour de ton cou. J'ai coupé l'ancien, » répliqua le concerné en récupérant son uniforme bien plié.
« Oh, tu te rappelles de ça ? Tu vois pourquoi j'ai peu confiance en toi et Mugen ? »
Un sourire narquois vint naître sur les lèvres de Kanda alors qu'il passait son uniforme sur ses épaules. Puis, sans avertissement, intercepta vivement le ruban rouge que le présentait Allen, et vint tirer ses propres cheveux en arrière.
Voir Yû Kanda les cheveux attachés à l'aide de son ruban était une vision on ne peut plus plaisante, et Allen sourit doucement à cela.
« Très bien, nous sommes donc fin prêts, » annonça Allen, l'espoir naissant au sein de son cœur.
O
Road Kamelot sursauta, ses yeux s'écarquillant à la sensation qui s'était emparée de son cœur. Elle jeta rapidement un coup d'œil à la personne alitée dans le lit sur lequel elle s'était assoupie, bras croisés contre le rebord du matelas, et fut soulagée de constater que le Comte dormait toujours. Cependant, cela n'apaisa pas la crainte qui vint piquer tout son être, et sans un bruit, se redressa, et quitta la chambre du Créateur.
Le manoir était silencieux, la nuit était tombée et lorsqu'elle traversa le long couloir, seule la lune traversant les vitres alignées tout le long du mur éclairait son passage. Depuis que les Noé s'étaient décidés à capturer Allen Walker et pouvoir converser avec le Quatorzième, ils s'étaient rendus aux quatre coins du monde, tous à sa recherche. Ainsi, la grande bâtisse demeurait étrangement calme.
Cependant, hormis les divers serviteurs et femmes de chambre qui à cette heure-ci de la nuit, avaient rejoint les bras de Morphée, la Noé aux traits d'enfants parvint à ressentir la présence d'un des siens. Super, elle avait besoin que quelqu'un puisse enquêter un peu en son nom.
Ainsi, elle ne fut pas surprise de voir Mercym attablé devant plusieurs boîtes carrées ou rectangulaires contenant des herbes variées, lorsqu'elle entra dans l'immense cuisine du manoir. Le Noé musclé séchait en silence diverses feuilles de thé, surement récupérées lors de son dernier voyage, ce qui avait toujours été l'un de ses grands principes : ne jamais oublier de ramener un petit souvenir gustatif.
« Déjà de retour, » lui fit-elle en s'approchant de la table ronde, gardant comme toujours un parfait contrôle de ses émotions malgré ce qu'elle avait ressenti, et qu'elle pouvait encore percevoir quelque part dans son cœur.
« Avant que tu ne m'accuses de procrastinateur, sache que je repars dans l'heure, » fut la simple réponse du concerné qui ne leva pas la tête vers elle, continuant son opération précise.
« Je ne suis pas venue te réprimander, non. Justement. »
Elle fit le tour de la table, et vint s'installer sur l'une des chaises face au septième Apôtre. Cette fois-ci, Mercym se figea dans ses gestes, et vint scruter la fillette à travers les verres épais de ses lunettes teintées.
« Quelque chose s'est produit, » devina alors Mercym, voix toujours aussi grave et plate.
Pour toute réponse, Road hocha la tête, se perdant un instant dans ses pensées. Non, elle refusait de sauter sur des conclusions hâtives, elle avait besoin de renseignements avant tout ça.
« Il s'est en effet passé quelque chose. J'ai ressenti une perturbation dans l'air, et durant une infime petite seconde, j'ai perçu son aura… »
« Son aura. Ne me dit pas… »
Mais il ne termina pas sa phrase, oubliant totalement son activité précédente. Road poussa alors un soupir et hocha la tête, ses yeux se perdant quelque part dans la cuisine.
« Si, Mercym. Je souhaite que tu ne le ressentes plus jamais. Ça n'apporte que des souvenirs terribles et insoutenables, » avoua-t-elle.
Elle avait réussi à garder contenance grâce à son pouvoir, son expérience et aussi, parce que cette sensation n'avait duré qu'une petite seconde, tout au plus. En réalité, elle aurait pensé qu'avec le temps, ressentir la présence de leur vieil ennemi, destructeur de leur monde, sa réaction n'aurait pas été si poignante.
« Et donc, il est de retour ? Tu as pu le localiser ? » insista Mercym, ses poings se serrant contre le bois de la table à manger.
D'ordinaire, Mercym n'était pas très loquace, mais Road c'était bien doutée que ce sujet ne pouvait pas le laisser indifférent, surtout pour les souvenirs du Noé qui était en lui. Ainsi, elle se redressa sur sa chaise, soutenant le regard de son interlocuteur alors que seul le « tic tac » régulier de l'horloge de la cuisine était le son audible, apportant à la scène une atmosphère presque angoissante.
« Je ne crois pas qu'il soit réellement de retour, sinon, je ressentirais encore quelque chose à l'heure actuelle, » lui expliqua-t-elle. « J'ai comme l'impression que ce n'était que les prémices. Comme le cœur d'un fœtus se mettant à battre pour la première fois dans le ventre de sa mère. »
Même avec ses lunettes, Road pouvait clairement sentir derrière les verres, les yeux de son camarade s'étaient illuminés. Tandis qu'un sourire carnassier se répandait sur les lèvres du Noé musclé, une tempête à l'extérieur prenait en intensité.
« Alors c'est peut-être notre chance, » fit-il en tapant de son poing contre la table, les bocaux de sucreries et de bonbons situés au centre teintant entre eux sous la pulsion. « L'éliminer avant qu'il ne soit à son potentiel maximal. »
« Si l'on va trop vite en besogne, il pourrait nous échapper, » répliqua la Noé du Rêve en levant son index. « Nous devons être précautionneux. Et pour l'instant, ce ne sont que des hypothèses, ne nous excitons pas. »
« Et donc, as-tu pu déterminer qui était le porteur ? Quelle est l'Innocence concernée ? »
Évidemment, qu'elle avait pu. Cela avait été encore plus facile puis qu'il s'était agi d'une personne qu'elle connaissait très bien et aimait particulièrement suivre à la trace. En réalité, la réalisation était peu joyeuse, elle aurait aimé que ça ne soit pas lui qui soit concerné. Mais visiblement, le sort semblait s'acharner, encore et toujours.
« C'était deux Innocences, que j'ai pu ressentir, » ajouta-t-elle. « Peut-être parce qu'elles étaient trop proches l'une de l'autre et que je n'ai pas su faire la différence ou bien… »
Elle ne termina pas sa phrase, elle n'en eut pas besoin. Mercym comprit et hocha simplement la tête, expression déterminée. Cependant, le malaise qui avait suivi la soudaine sensation insupportable et acide restait bien ancré dans son esprit, et afin d'apaiser un peu son corps, Road vint se pencher en avant afin de ramener vers elle l'un des bocaux de bonbons.
Attendant patiemment, Mercym la regarda ouvrit le bocal pour y plonger sa main et récupérer des sucreries enveloppées dans du papier de couleur. Après avoir ouvert l'une des boules sucrées pour la jeter dans sa bouche, elle lui offrit d'autres indications :
« Je voudrais que tu te rendes là où j'ai pu détecter cette énergie. C'était rapide et subtil mais assez puissant pour que je puisse précisément la localiser. Retrouve-les, combat- les un peu, étudie-les, et reviens. »
Après un hochement de tête entendu, Mercym se leva, la chaise grinçant sur le carrelage derrière lui.
« Qui sont-ils ? Des Exorcistes ? Maréchaux ? »
« Allen Walker et Yû Kanda. »
Ces prénoms résonnèrent longtemps dans la grande cuisine, saupoudrés de quelques éclairs tonnant dans le lointain, accentuant les éclats des gouttes d'eau contre les vitres de la pièce. Finalement, un second sourire vint titiller les lèvres de Mercym qui croisa les bras contre sa poitrine.
« Tiens, ça tombe bien, on était à sa recherche, » dit-il, bien heureux de voir que les choses allaient enfin bouger.
« Ne dis rien aux autres pour le moment, mais ne t'occupe pas d'Allen ou du Quatorzième, » reprit Road en ouvrant un second bonbon, pourtant sans quitter l'autre Noé du regard. « J'ai besoin de tes yeux. Tu es le Noé de la Miséricorde, tu es doué d'empathie. Tu ressens chez les autres ce que nous, nous ne ressentons pas. Et tu sais ce que je soupçonne maintenant. »
Après un second hochement de tête entendu, Mercym repoussa la chaise contre la table et récupéra d'un geste sa veste épaisse qu'il avait portée dans le nord glacé de la Russie où il s'était rendu pour chercher Allen Walker.
« Fais attention, » le prévint Road alors que le Noé ajustait les manches de son manteau et refermait son col. « Le Cœur tient une rancœur à notre égard. Pour avoir survécu. »
« Je sais. »
Puis il tourna les talons, décider à rejoindre leur propre Arche et voir où Road allait lui ouvrir le passage. Cependant, les yeux de la Noé du Rêve vinrent s'attarder sur l'espace de travail qu'avait utilisé Mercym pour assécher ses feuilles.
« Et tes feuilles de thé ? » l'interrogea-t-elle, l'arrêtant net dans ses traces.
« Ça peut attendre, » dit-il sans se retourner. « Le Cœur, lui, n'attendra pas. »
Road hocha pensivement la tête, main se pressant contre sa joue pour soupeser son crâne.
« Je vais terminer ton travail, t'en fais pas. Bon voyage, » ajouta-t-elle ensuite.
De sa position, Mercym leva un pouce et après un « Merci, ma petite Road, » quitta la cuisine et disparu dans la pénombre du manoir.
O
Assis l'un en face de l'autre à la table de la bibliothèque de la ville, Kanda tournait page après page d'un vieux livre décrépit, poing pressé contre sa joue, alors qu'Allen, langue entre les dents, tentait de reproduire en dessin ce qu'il avait vu dans le rêve de Neah. « Tentait » étant le mot-clé.
Le silence du grand espace était apaisant, de plus, la ville fêtait le début de l'hiver par une parade animée dans les ruelles marchandes, ainsi, rares étaient les lecteurs au sein de la bibliothèque. Ce fut donc après un bon petit-déjeuner au restaurant de leur hôtel et quelques achats de vêtements chauds pour les deux hommes qu'ils s'étaient décidés à poursuivre tout d'abord leurs recherches ici.
« C'est bon, t'avances dans ton coloriage ? » maugréa Kanda au bout d'un moment, n'étant pas friand de lecture et encore moins lorsqu'il fallait mener des recherches si floues.
L'œil droit d'Allen tiqua à cette tirade, et il lança alors un regard mauvais à son homologue masculin.
« Ça peut te paraître surprenant, mais je mets toute mon énergie à essayer de reproduire le manoir, » lui répondit Allen en dissimulant ce qu'il dessinant en se penchant vers son dessin, barrant la vision de Kanda à l'aide de son bras. « Laisse-moi un peu de temps. »
« J'ai comme un mauvais pressentiment. »
« J'ai pas le don de Lavi en dessin. Un peu de d'indulgence, Bakanda. »
Puis, il reprit son dessin, fouillant encore et encore dans sa mémoire. Kanda pour sa part, poussa un long soupir, referma le livre qu'il poussa au bout de la table dans douceur pour en ouvrir un autre. Grâce au nom Campbell, ils allaient peut-être parvenir à récolter quelques informations pour aguiller leurs recherches, mais la bibliothécaire n'ayant jamais entendu ce nom, leur avait conseillé d'éplucher ces quelques livres.
Quelques livres étaient des immenses bouquins poussiéreux qui avaient extrêmement crispé Kanda. Néanmoins, c'était le boulot à faire pour parvenir à leur fin. La localisation du manoir n'allait pas se trouver toute seule.
Ainsi, à nouveau plongé dans le silence de la bibliothèque ancienne, chacun continua son activité sans piper mots durant quelques longues minutes jusqu'à ce qu'Allen presse le bout de son crayon contre son menton, ses yeux s'attardant sur les vitraux colorés qui s'élevaient derrière les grandes étagères.
« Tim' me manque, » fit-il tout haut, sa voix résonnant tout autour de lui.
Il avait dit cela sans trop réfléchir, mais ne regretta pas vraiment de l'avoir verbalisé. En effet, le pincement qu'il avait au cœur était assez conséquent pour le garder focaliser sur Timcanpy et rien d'autre. Depuis que Kanda l'avait rejoint et qu'il avait appris pour le sort de son golem, rares étaient les moments de calme qui s'étaient produits, et lorsque son esprit divaguait, il repensait à tout ça.
À ceux qu'il avait laissés à la Congrégation, à ses amis qu'il avait dû laisser en arrière. Aux motivations d'Apocryphos et l'assassinat de son ancien protecteur, Howard Link. Des propos de son maître et de l'identité de Neah qui semblaient pourtant à portée de main. De la disparition de Lavi et Bookman. Au sort du monde toujours en proie aux Akuma. Et bien évidemment, à son fidèle golem réduit littéralement en poussière par Apocryphos.
« Johnny et les autres, à la section scientifique, ils pourront peut-être le réparer, » lui fit Kanda, levant les yeux vers le Moyashi, poing toujours pressé paresseusement contre sa joue.
« J'en doute, » soupira Allen tristement. « Tim' a une capacité de régénération hors du commun, mais là… c'était un ticket de non-retour. Et tu le sais très bien, Kanda. »
Gardant un air profondément désintéressé, le kendoka ne le lâcha pas des yeux, et resta silencieux, comme jaugeant l'autre garçon de son regard.
« C'est pas ton genre de me ménager, » ajouta Allen après un raclement de gorge. « Autant dire la vérité. »
« Je sais que ce stupide golem t'était cher. »
Non, derrière son air blasé, il y avait un petit quelque chose qu'il était désormais plus facile pour le Moyashi à détecter. Quand on connaissait le Japonais et ses expressions, on ne pouvait pas passer à côté d'une certaine compassion qu'il tenait à dissimuler mais qui brillait subtilement dans ses yeux.
« Tu me donnes de l'espoir par bonté de cœur ? » l'interrogea alors Allen en arquant un sourcil à son adresse, tout de même touché. « Tu as bien changé. »
« Je suis pas un connard non plus, » riposta le concerné en fronçant les sourcils.
« C'est pas ce qui courait à la Congrégation. »
« OK, ferme-la et montre-moi le fichu dessin sur lequel tu es depuis des heures ! »
Et Allen n'eut pas le temps de protéger son dessin puisque d'une main experte, Kanda s'emparait du papier crayonné à l'encre. Fort heureusement, ils étaient assez loin de la bibliothécaire et d'autres occupants de ces lieux pour ne pas se faire taper sur les doigts suite à leurs voix haussées.
Et là, le bretteur fit face à l'œuvre du Walker. Un dessin ridicule et simpliste dévoilant une maison digne d'un enfant apprenant à tenir son crayon ainsi que les semblants d'un arbre. Dessin qui contracta tous les muscles de Kanda qui aurait bien aimé matraquer la tête de l'artiste d'un bon nombre de coups de bâton.
« T'as pas les dons de Lavi ? » répéta-t-il d'une voix calme avant de jeter le dessin à la figure d'Allen. « T'as même pas le don d'un enfant de trois ans ! »
Au moment où le dessin chiffonné retombait lourdement sur la table, quelqu'un dans le lointain de l'immense pièce leur adressa un « chhhhut » agacé. Allen quant à lui fronça les sourcils, piqué au vif.
« Tu abuses, » fit-il sombrement, ayant comme la douloureuse impression de revivre l'époque où Lavi et Lenalee avaient bien du mal à se retenir de rire suite à ses dessins lors de leurs missions et qu'ils étaient à la recherche de quelque chose ou de quelqu'un.
« Ton arbre, c'est juste un poireau géant planté au sol, » lui fit Kanda en pressant son index sur la forme infâme inscrite à l'encre noire.
« Tu juges, mais aurais-tu fait mieux ? »
« Et c'est quoi tous ces traits partout ? T'étais en pleine crise d'épilepsie ? »
« Non, c'est le blé et l'herbe du champ, Bakanda. Fais un effort. »
Kanda s'empressa alors de rouler en boule l'œuvre du maudit et sans avertissement, lâcha devant lui un livre épais dont la poussière vint chatouiller les narines d'Allen. Pressant sa main contre la couverture du bouquin antique, Kanda lui ordonna d'une voix profondément sombre :
« Maintenant, tu te mets au boulot et tu lis ça. J'arrive pas à croire que tu aies passé une heure juste pour me pondre ça. »
Puis, sans attendre une réponse du Moyashi, Kanda se rassit sans douceur contre sa chaise qui grinça contre le carrelage, lui valant un autre « chut ! » cette fois-ci, provenant de la partie ouest de la bibliothèque. Au prochain « chut » lâché, Kanda se jura d'aller découper ladite personne en rondelles à l'aide de Mugen.
« Tu es… tendu, » reprit alors Allen après quelques secondes de lourd silence.
« Tu me tends, Moyashi. »
Allen soupira alors, mais ne répliqua pas et ouvrit le lourd bouquin, agitant une main devant son visage pour éventer la poussière persistante. Tout un tas de riches familles historiques résidaient entre ses pages, mais à ce rythme-là, si la chance n'était pas de leur côté, ça allait leur prendre des plombes.
« Un champ. Un arbre. Et un manoir, » énuméra soudain Kanda après quelques minutes. « Autre chose de significatif ? »
Jetant un regard vers Kanda qui gardait son regard rivé vers les lignes inscrites dans son livre, Allen finit par secouer la tête :
« Rien. Pas même une odeur particulière ou les sensations de Neah face à ce souvenir. Ou du moins, je ne m'en rappelle pas. »
« Creuse pas trop non plus, ça pourrait attiser ce foutu Quatorzième. »
Un léger sourire vint naître sur les lèvres d'Allen Walker. Qui aurait cru que Kanda soit si prévenant ?
Mais la légèreté qui avait pris place dans son cœur fut de courte durée puisque sans crier gare, son œil gauche s'activa. Se hissant sur ses jambes tell un ressort, Allen leva aussitôt les yeux vers le toit de la bibliothèque.
« Akuma ! » s'écria-t-il.
Salut, voilà l'action qui commence, et le début d'une longue aventure.
Faites moi part de vos avis, bisou
