Ymir courrait, fuyant ses poursuivants. Ceux ci ne semblaient jamais se fatiguer. Cela faisait des jours qu'ils la prenaient en chasse. Elle commençait à faiblir, ses membres rouillés par le trajet en bateaux ne pourraient pas tenir encore longtemps. Les titans primaires étaient de plus en plus nombreux à la pourchasser. Le sol tremblait sous le martèlement de leurs pieds. Ils allaient bientôt arriver à son niveau, et ce serait la fin pour elle. Elle aura fait tout ce chemin pour rien.
Heureusement, le mur Rose apparaissait à l'horizon. Mais est-ce qu'elle pourrait entrer dans l'enceinte du royaume ? Ils n'ouvriront pas les portes à un titan, alors elle devra obligatoirement reprendre forme humaine. Or la jeune fille de 1m72, affamée et épuisée, n'allait pas tenir longtemps contre la horde de titan.
Elle ne voyait pas comment s'en sortir. Yelena lui avait dit de se débrouiller, les gens sur le continent semblaient croire les titans invincibles. Pour le peuple des murs, les titans sont devenus le quotidien. Ymir ricana intérieurement. Les Eldiens de l'île étaient beaucoup plus préparés au combat contre les titans que Mahr. De plus, avec l'aide des petits pays comme Heazul, leur puissance allait encore être multipliée. Sans soutien extérieur, Paradis allait sombrer, mais désormais, la balance du pouvoir était inversée. Le règne de Mahr arrivait à son terme, elle le sentait. Ceux qui l'avaient persécutée n'en avaient plus pour longtemps.
Mais cela n'arriverait que si elle parvenait à atteindre le mur Rose. Or pour le moment, ce n'était pas gagné. La victoire des opprimés sur les dominants reposait sur ses épaules. Après avoir sauvé les Eldiens, Ymir allait enfin connaître la paix. Finalement, sa vie n'était pas qu'un marais de désespoir, elle connaîtrait peut-être le bonheur, voir l'amour.
L'amour...
Ses sentiments profonds envers Historia étaient-ils réciproques ? Et même si c'était le cas, seraient-elles heureuses ensembles ? Elle ne devait pas oublier que désormais la blonde assumait son véritable nom et qu'elle devait sûrement être considérée comme noble. Ymir avait conscience que personne ne la laisserai approcher une personne de haut rang comme Historia. Son retour sur l'île ne serait en fait qu'un enfer déguisé en paradis ? Sans oublier ses anciens amis. Peut-être étaient-ils tous morts ? Sasha, Connie, Armin, Jean... Ils lui avaient tous un peu manqué.
Ymir arrivait désormais à proximité du mur Rose. Elle apercevait distinctement le district de Trost. Son calvaire touchait à sa fin. Dans quelques heures, elle serait soit dans l'enceinte des murs en sécurité, soit morte dévorée par les titans primaires. Quelle perspective réjouissante.
Alors qu'elle approchait de la porte, un titan de 15 mètre lui saisit la jambe. Ymir s'écroula à terre. Elle tenta de se redresser, en vain. Le grand gaillard lui bouffait déjà le mollet, et un autre arrivait sur sa droite. Elle serra la dents.
"Je n'ai pas fait tout ce chemin pour rien merde..."
Les nerfs reliés à sa jambe tirèrent. Elle retint un cri de douleur, la sensation de souffrance lui brûlait les entrailles. Lorsqu'un petit gabarit lui mordit la cuisse, elle se ressentit un déchirement au niveau de sa cage thoracique. Elle ne parvenait jamais à se souvenir de ce qu'il lui arrivait pendant ses transformations, et chaque fois elle oubliait la douleur.
- Ymir, chuchota une voix dans son oreille. Cours. Cours loin. Vas me retrouver. Reviens moi Ymir, je t'en supplie, tu me manque atrocement.
La brune se glaça. Cette voix lui était beaucoup trop familière.
- Historia ? C'est toi ?
Elle ne répond pas. La douleur revient, encore plus intense.
- HISTORIA ? REVIENS ! S'il te plaît...
La partie inférieur de son corps la brûla. Elle avait l'impression que des flammes dévoraient ses hanches. La voix d'Historia n'avait fait qu'augmenter son calvaire. Elle lui avait offert de l'espoir, puis l'avait aussitôt retiré.
- J'ai besoin de toi imbécile, continua-t-elle, sans toi je fais n'importe quoi.
Du rouge.
Partout.
Des larmes.
Beaucoup de larmes.
Le silence.
D'un coup.
De la lumière.
Violente.
Ymir se sentit arrachée de son corps de titan. Elle sentit le vent sur son corps meurtri. Voilà des jours qu'elle courrait sans cesse sans s'arrêter, ses membres faisaient peine à voir. Ses cheveux poisseux de sang collaient à sa peau, elle était sale, souillée. Mais elle était libre, libérée de ce corps qui ne lui appartenait pas. L'air chaud lui caressa les joues. Ses yeux étaient humides, la lumière les rendait retissant à s'ouvrir. Malgré toutes ces mauvaises conditions, elle parvint à entendre une nouvelle voix, mais bien réelle cette fois.
- Bah alors gros boudin, on t'a manqué à ce que je vois ?
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- Elle se réveille enfin !
Ymir papillonna des yeux, s'habituant à la lumière. Même si il n'y avait qu'une simple torche, elle avait dormi plus de deux jours. Au dessus de sa tête, Jean la fixait avec des yeux ronds.
- Bah alors tu reviens nous voir ? ria-t-il.
Elle se redressa brutalement du lit dans lequel elle se trouvait. Autour d'elle, il y avait des chaînes et des menottes. On pourrait croire à une mauvaise blague sado-maso. A mieux y regarder, les murs étaient en fait des barreaux. Elle était emprisonnée.
Encore.
Ça devient une habitude de se réveiller en prison, pensa-t-elle.
Jean claqua des doigts devant elle pour la sortir de ses pensées.
- Comme tu le vois, t'es en taule. Mais t'inquiète pas, t'as rien fait de mal. C'est juste des mesures de sécurité. On attend les consignes de l'Etat Major. Si Historia, Connie, Sasha, Eren et Hansi font bien leur boulot, tu devrais être libre.
Ymir se massa les tempes. C'était vrai qu'elle était dangereuse, ils avaient bien fait de l'enfermer.
- On t'a tous sauvé, enfin c'est surtout Connie qui a lancé l'alerte dès qu'il a vu ton titan boudin approcher. Tu l'as échappé bel, un peu plus et tu te faisais bouffer.
Elle le dévisageait, la langue trop lourde pour répondre.
- Pendant que t'étais pas là il s'est passé pleins de trucs. On a appris que Eren avait mangé son père, qu'il pouvait contrôler les titans et qu'Historia a failli le manger à son tour. On aurait dit une blague de cannibale. Mais finalement, elle est devenue reine et a vaincu le gros gros titan. Rien de plus normal pour le Bataillon d'Exploration quoi.
Ymir se détendit un instant avant de réellement prendre conscience des paroles de Jean.
Historia est devenue reine ? Le sang des Reiss était en réalité le sang royal ? Mais dans ce cas la blonde aurait du hérité du titan originel ? Une alarme s'alluma dans sa tête. Si Historia est le titan originel, il ne lui reste que 13 ans à vivre... Elle ne pourra pas pleinement profiter du monde, elle aura des tonnes de responsabilités sur le dos. Tout le chemin accompli par Ymir pour offrir la paix à sa dulcinée serait donc vain ?
Non. Mes efforts pour retrouver Historia ne seront jamais réduits à néant si je la revois.
- Ymir ? Ça va ? Par les sourcils d'Erwin, on t'a pas sauvée pour que tu devienne muette !
Elle leva les yeux vers lui. Il ne pouvait pas la laisser penser en paix cet imbécile ?
- Bonjour Jean, articula-t-elle, la bouche sèche. De l'eau.
Sa voix rauque résonna dans la prison. Il la dévisagea quelques instants avant d'éclater de rire.
- Wouah Ymir, tu t'es mise à la pipe pendant ton séjour ? Parce que pour avoir une voix comme ça faut y aller !
- Ça fait des jours que j'ai pas bu enculé. Alors va me chercher de l'eau avant que je ne t'étrangle.
Il s'empressa de sortir et laissa la brune avec ses pensées. Elle n'avait aucun souvenir de son retour sur l'île. Malgré ça, elle sentait bien que son corps avait été poussé à bout. Le trajet avait-il été si compliqué ? Elle ne savait même pas combien de temps elle avait couru exactement.
Une image s'imposa à elle. Celle d'Historia, assise sur un trône, un diadème sur les cheveux. Cela lui donna des frissons. Historia était censée vivre pour elle-même, et maintenant elle se retrouvait reine de Paradis ? Quelle méchante coïncidence. En plus, si la blonde était de sang royal, il serait encore plus difficile pour Ymir de l'approcher. Enfin, sauf si Historia était elle aussi un titan. Cette perspective devint tout de suite plus réjouissante.
Soudain, elle se souvint des paroles de Jean. Il avait dit qu'Eren pouvait contrôler les titans. Ymir éclata de rire intérieurement. Alors comme ça c'était cet idiot suicidaire qui avait hérité de l'originel ? Paradis était mal barré.
- Tiens ton eau, dit Jean en lui tendant une gourde.
- Merci, grinça-t-elle.
Assoiffée, elle se jeta littéralement dessus et bu tout son contenu d'un coup. Une fois rassasiée, Jean lui mit une assiette de riz son le nez. Elle le remercia d'un coup de tête et englouti la nourriture.
Lorsqu'elle fut enfin apte à parler clairement, elle se lança dans son récit.
- Bon, en gros, Reiner et Berthold m'ont ramenée de là où nous venons tout les trois. Il y a des années, j'avais bouffé un pote à eux et ça m'avait donné le titan mâchoire. Donc ils m'ont renvoyée au pays pour qu'un des leurs reprenne ce pouvoir en me mangeant à son tour. Heureusement pour moi, il était loin de la côte à mon arrivée et j'ai croupi quelques heures en cellule. Pendant ce temps, des gens m'ont libéré et m'ont donné la mission de retourner sur l'île pour vous prévenir de ce qui se passe à l'extérieur. J'ai donc repris le bateau et j'imagine que mon trajet en titan ne s'est pas bien passé puisque je sens encore mes blessures malgré la régénération. Fin de l'histoire, je peux partir maintenant ?
Il la fixa avec des yeux ronds avant de l'empêcher de se lever.
- Arrête ! Tu dois rester au lit, ordre du doc. Moblit devrait arriver d'un moment à un autre.
Elle le poussa d'un coup de pied bien placé et se mit debout.
Aussitôt, elle s'écrasa au sol.
- Je te l'avais dit.
- Aide moi à me relever.
- D'accord.
Il passa son bras sous son épaules et la replaça dans sa couchette. Alors qu'elle rabattait la couverture sur son corps blessé, Moblit poussa la porte de la cellule.
- Bonjour Ymir ! Tu es restée endormie pendant deux jours, mais ne t'inquiète pas, tu n'as rien loupé d'important. Hansi, Connie, Sasha et Eren vont bientôt revenir avec les décisions de l'état major. Je suis sûr qu'ils t'ont bien défendue, Sasha et Connie étaient décidés à te sortir de ce pétrin.
- Et en plus, ajouta Jean, Historia fait partie du tribunal. Elle a dû se battre pour te libérer.
Le rouge monta aux joues d'Ymir. Elle faisait confiance à Historia, même si celle-ci semblait fluette et peureuse, ce n'était pas du tout le cas. Derrière l'ado naïve se cachait une femme forte.
Jean vit son rougissement et en rigola.
- Bah dis donc, si j'avais su que c'était si facile de te mettre mal à l'aise, j'en aurais profité avant !
Ymir enfonça sa tête dans son oreiller. Elle se sentait mise à nue. Jean s'esclaffa de plus bel.
- Bien, reposez vous en attendant l'arrivée d'Hansi, leur conseilla Moblit. Toi aussi Jean, tu as veillé toute la nuit.
Soudain, on entendit une chute dans l'escalier. Puis, des cris, et enfin Sasha et Connie apparurent dans l'encadrement de la porte.
- On est de retour ! gloussa la brune.
- Ymir est réveillée ! s'exclama Connie en bousculant son amie.
Il se précipita au chevet de la blessée et lui mis une petite tape dans l'épaule.
- Aïe ! Mais qu'est-ce qui te prend ? ragea Ymir.
- Pourquoi t'es partie espèce d'idiote ! Regarde le pétrin dans lequel on est ! Naile veut te donner en pâture aux titans et Zackley refuse que tu vois Historia. On en serait pas là si t'étais restée gros boudin.
Ymir baissa la tête. C'est vrai qu'elle les avait tous abandonnés. Peut-être qu'elle s'en fichait de mourir à ce moment-là, mais elle comptait quand même pour eux.
Hansi débarqua dans la pièce, des tas de dossiers dans les bras. Elle les fixa tous un instant, puis soupira et s'avança au pied de la couchette. Elle inspira un grand coup.
- Ymir, je te dois des excuses, commença-t-elle.
Devant leurs mines intriguées, elle posa ses affaires sur une chaise et reprit
- J'étais en colère contre toi au moment du procès. Tu savais beaucoup de choses, si tu nous les avais dites avant ça nous aurait évité de nombreuses morts. On aurait pu avancer plus vite dans notre étude des titans, au lieu de patauger pendant des années sans aucune idée de ce qui nous attend dehors. Je ne comprenais pas que tu aies pu nous cacher ces informations, alors même que tu nous voyais galérer. Je te dois donc des excuses, parce qu'à cause de ma colère, je n'ai pas été juste lors du procès. Je leur ai donné une mauvaise image de toi, sans jamais te défendre . Heureusement que Connie, Sasha et Historia étaient là, sinon par ma faute tu aurais fini dévorée.
- Et puis, ajouta Sasha, elle ne s'est rendue compte de sa bêtise que lorsque Historia est arrivée rouge colère et l'a engueulée. Elle a du cran la petite blonde.
Hansi tripota ses mains, rouge de honte.
- Oui oui...
Connie tapa des mains.
- Bon, c'est pas tout, mais si tu veux être libérée au plus vite tu dois répondre à l'énorme pile de questions de l'Etat Major. Alors premièrement, raconte-nous ton histoire.
Il s'installa à côté d'elle, comme un enfant attendant sa lecture du soir.
Ymir réfléchit. Elle ne savait pas vraiment quoi leur dire. Son histoire avait-elle de l'importance dans la guerre contre les titans ? Avait-elle vraiment envie de déballer son vécu devant eux ? Elle ne voulait pas qu'ils aient pitié d'elle, encore moins qu'ils se sentent coupables, surtout Hansi. Si la scientifique apprenait son passé, elle culpabiliserai sûrement de ne pas l'avoir défendue. Elle pouvait au moins leur raconter l'histoire des titans sans pour autant déballer sa vie.
- Les légendes racontent qu'au départ, il y avait un roi, le roi Fritz, le roi des Eldiens. Celui ci était avide de pouvoir, mais il manquait de force. Il avait pour servante Ymir...
- Mais c'est toi ça ! s'exclama Sasha.
- Non, vous comprendrez après. Bref, un jour cette servante a acquis le pouvoir des titans mais comme elle était soumise au roi Fritz, elle l'a aidé à faire de sa nation un grand royaume. Le peuple du roi Fritz, c'est nous, nous sommes des Eldiens. Lorsque Ymir Fritz est morte, elle a transmis son pouvoir à son peuple, permettant aux Eldiens de rester le royaume dominants. Le règne d'Eldia s'est perpétué jusqu'à ce qu'elle soit vaincu. Le roi actuel avait donc décidé de se replier sur une île, Paradis, celle où nous sommes en ce moment même. Il construit trois murs grâce au pouvoir des titans pour se protéger des autres pays. Avec le pouvoir du titan originel, il a effacé la mémoire des habitants de l'île. Malheureusement, il n'a pas pu emmener tout son peuple avec lui et beaucoup d'eldiens sont restés entre les mains de leur vainqueur, la nation Mahr. Les Mahr ont assouvi les Eldiens et en ont fait leurs esclaves. Grâce à eux et au pouvoir des titans, ils ont dominé le monde. Je fais partie des Eldiens restés sur le continent.
- ATTENDS, la coupa Hansi. Tu veux dire que l'humanité n'a pas été décimée par les titans ? Nous ne sommes pas seuls ?
Ils buvaient ses paroles, émerveillés par un monde qu'ils croyaient inexistant.
- Non. Mais d'un autre côté, nous sommes quand même seuls face aux autres pays. Beaucoup nous en veulent pour les crimes que les titans ont accomplis il y a des siècles.
- Maïs c'est totalement stupide ! s'exclama Hansi. Nous, on ne leur a rien fait. On peut compter sur les autres Eldiens au moins ?
- Non plus. Ils vous en veulent de les avoir laissés aux mains des Mahr et d'avoir fui sur Paradis. Je dirais même qu'ils ont plus de haine envers vous que les autres peuples. Aux yeux du monde entier nous sommes des meurtriers, des assassins, des terroristes.
Chaque personne présente dans la pièce baissa la tête, dépité. On leur en voulait pour quelque chose dont ils n'était même pas au courant. C'était injuste.
Moblit brisa le silence.
- On va devoir dire tout ça à l'état major... Quelle merde.
Le combat devenait plus complexe. Ce n'était plus des êtres sans conscience qu'ils devraient battre, mais des humains comme eux. Une ambiance de deuil régnait dans la cellule.
Le deuil de leur naïveté.
- Mais, malgré tout, vous n'êtes pas isolés ! tenta Ymir pour détendre l'atmosphère. Mahr s'est fait de nombreux ennemis, et certains peuples voudraient s'allier à vous. Je suis leur messagère.
Une lueur d'espoir revint dans leurs yeux. Finalement, la perspective d'un nouveau monde derrière les murs n'était pas si terrible.
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