Avoir une raison de ne pas rester seul.

- Préjugé 21 : Les hommes ne pleurent pas

Il n'avait vraiment pas l'habitude de ça.

Il n'avait pas l'habitude d'avoir des pouvoirs déjà, mais bon, il vivait dans un monde pourvu de magie, et leur groupe était constitué d'un bon nombre de personnes pouvant la pratiquer, Regina en était le meilleur exemple, il y avait les fées en général aussi, mais surtout Clochette et la Fée Bleue, qui étaient celles qu'il connaissait le mieux.

Alors oui, ce n'était pas réellement la magie le problème, enfin, c'en était un pour lui, mais pour les autres… il savait très bien pourquoi il était scruté en permanence depuis qu'il était revenu au palais.

Les gens n'avaient pas confiance en lui, pas tant parce qu'il était le Ténébreux (même si ça jouait pas mal en sa défaveur effectivement) que parce qu'il venait de le devenir, contrairement à Rumplestiltskin, qui, pour autant qu'il pouvait se montrer manipulateur, avait au moins le contrôle.

Pas lui, lui, il venait tout juste d'acquérir des nouveaux pouvoirs auxquels il ne comprenait encore absolument rien, sans l'avoir voulu et après avoir passé sa vie à non seulement éviter toute forme de magie (oui, cette ironie ne cesserait jamais de lui faire grincer des dents à chaque fois qu'il y repensait, que les ténèbres l'aient choisi lui entre tous pour devenir l'être magique le plus puissant de l'univers) mais aussi à ne jamais s'en servir, c'était normal qu'il se sente un peu beaucoup perdu.

C'était normal aussi que les autres le craignent un peu, comme on avait craint son père autrefois, et il avait envie de leur dire que justement c'était bien cette méfiance imméritée qui avait en partie précipité son père dans les ténèbres.

(Enfin ça entre autres, ainsi que les ténèbres elles-mêmes, les voix dans la tête de son père et sa propre paranoïa aussi.)

Mais d'un autre côté, ils n'avaient pas complètement tort, c'était vrai tout cela, cette méfiance était, à défaut d'être méritée, du moins compréhensible.

La vérité, c'est qu'il n'était effectivement pour l'instant pas du tout fiable.

Il ne maîtrisait pas ses pouvoirs, n'importe qui d'autre aurait été mieux placé pour le faire, Emma par exemple ou peut-être même Regina, certes, elle avait été elle aussi du côté des ténèbres et des ombres pendant des années, l'était encore, elle avait côtoyé la magie noire dans ce qu'il y avait de pire, mais justement.

Qui de mieux que quelqu'un qui connaissait les ténèbres mieux que personne pour accueillir les ténèbres elles-mêmes en elle ?

Qui de mieux placée qu'elle pour les contrôler et peut-être s'en servir à bon escient comme son père l'avait fait à quelques occasions ?

(Ou pour mieux y retomber la tête la première, mais Neal était tout de même prêt à prendre ce risque, enfin, aurait été prêt à le prendre dans d'autres circonstances.

Sauf que c'était lui qui était chargé de ça, qui avait la responsabilité de cette magie, et il aurait volontiers échangé sa place contre celle de presque n'importe qui sans la moindre hésitation.)

Ou du moins un être magique, quelqu'un qui savait comment la magie fonctionnait, savait très bien comment s'en servir, et qui ne resterait pas stupidement figé sur place juste pour avoir réussi à faire bouger une chaise.

N'importe qui sauf lui en somme.

La vérité, la voilà, il n'était pas juste en colère vis-à-vis de la situation, il avait la trouille.

Il avait peur, il était terrifié même, à cause de ce formidable pouvoir qu'il avait entre les mains, qui n'aurait jamais dû être le sien, sous aucun prétexte, mais dont il avait pourtant bien hérité, et il devait faire avec, seulement, et si ce n'était pas suffisant ?

Et si ses bonnes intentions ne suffisaient pas, et si il finissait par tout faire foirer en perdant le contrôle justement, et si tout ce qu'il y avait de mauvais, de sombre et de pire en lui s'éveillait au contact de cette magie sombre et prenait le contrôle en lui ?

Et si ils avaient tous raison de le craindre et que la seule bonne chose à faire soit en fin de compte de faire ce que son père n'avait jamais été capable de faire ?

Abandonner la dague à quelqu'un qui pourrait en faire bon usage, accepter de ne plus avoir le contrôle.

Tout son être se révulsa immédiatement à cette simple idée, et la peur là aussi refit surface, une autre forme de peur, véritablement insensée, il le savait bien, il leur faisait confiance après tout. Il faisait parfaitement confiance à Belle, il savait qu'elle ne le trahirait pas, jamais, et qu'elle n'utiliserait jamais la dague contre lui non plus, si ce n'est en cas d'extrême urgence.

Mais le Ténébreux en lui, oh, il n'était définitivement pas de cet avis, aussi il préféra conserver le statu quo et garder la dague avec lui, enfin, à continuer de dissimuler l'endroit où il l'avait cachée.

Un frisson désagréable le traversa et il eut le léger sentiment qu'il avait peut-être fait une erreur.

En regardant droit dans les yeux le démon vissé dans son crâne, il demanda ce qui venait de lui et ce qui découlait des pensées de l'ancien Ténébreux.

Par chance, Regina lui permit de ne plus songer à tout cela, au moins temporairement, en venant lui parler.

« J'aurais besoin de votre aide, lui dit-elle une fois la réunion terminée.

- Ah oui ? À quel sujet ?

Il lui était sincèrement reconnaissant à vrai dire, il avait besoin de faire quelque chose, de se sentir utile, non seulement pour parvenir à chasser la peur de son esprit troublé mais aussi pour ne plus avoir à penser à… à tout ce à quoi il réfléchissait justement quelques secondes plus tôt.

Son air était soucieux, un peu comme si elle n'était pas certaine de sa décision.

- J'aurais besoin que vous utilisiez votre magie.

Il comprit alors soudainement sa réticence à venir lui en parler, il ne savait pas trop si c'était parce qu'elle se méfiait de lui ou parce qu'elle avait conscience qu'il n'aimait pas le fait de devoir se servir de ses pouvoirs, mais en tout cas, c'était l'un des deux, voire un mélange des deux tout court.

- Écoutez, soupira-t-elle avant qu'il n'ait eu le temps de protester, je sais que vous ne voulez pas utiliser la magie, déjà parce que vous n'aimez pas ça, et surtout parce que vous avez peur de ne pas réussir à contrôler vos nouveaux pouvoirs, seulement… Ma demie-sœur, Zelena… Elle est puissante, et j'ai déjà pu constater que la magie du sang ne fonctionnait pas, donc on risque de se faire attaquer par elle de nouveau. Et j'ai envie de protéger le royaume des dites attaques si possible, et mes pouvoirs ne suffiront probablement pas alors s'il vous plaît… Aidez-nous.

Il hocha la tête quelques secondes plus tard, il ne pouvait pas dire non de toute évidence, et de toute façon elle avait raison en un sens, à quoi bon avoir peur de ce pouvoir puisqu'il ne pouvait pas s'en débarrasser ?

Si il n'essayait pas de le contrôler, ce truc allait finir par tout simplement le bouffer et personne n'avait envie que ça arrive, lui le premier.

- Très bien, je… Je vais voir ce que je peux faire dans ce cas…

Elle lui sourit alors.

- Je vous remercie. Et, Neal, je… Je suis sincèrement désolée, pour ce qui est arrivé à votre père et… ce qui vous est arrivé à vous.

Il essaya de sourire et d'ignorer le sourire railleur de l'ombre devant lui parce qu'il avait échoué, échoué, échoué, il avait échoué de toutes les manières possibles, il avait échoué à sauver sa famille et il n'arriverait jamais à se pardonner pour ça.

- Merci Regina… »

§§§§

La magie coulait dans ses veines, c'était un fait.

Mais c'était véritablement tout autre chose que de la voir en action, que de la sentir agir sur le monde qui l'entourait.

Ce qui l'habitait actuellement, alors qu'il élevait des protections magiques autour du palais (il allait commencer par là, il préférait faire petit au début honnêtement, avant de s'attacher à faire la même chose pour le reste du royaume), c'était un mélange entre la peur, qui ne le quittait jamais réellement, s'attachant constamment à ses pas comme le faisait l'ombre qui avait le visage de son père, et l'euphorie.

Il ne s'attendait pas à cela, honnêtement, à se sentir aussi… aussi revigoré, et même aussi vivant tout simplement, alors qu'il se servait consciemment et volontairement de sa magie pour la première fois, pendant une période de temps conséquente en tout cas.

Mais d'un autre côté, c'était parfaitement logique, il le comprenait à présent, la magie, qu'il le veuille ou non, que ça lui plaise ou pas, faisait partie de son ADN désormais, était une part de lui-même dont il ne pouvait pas se débarrasser, sans laquelle il ne pouvait pas vivre (et qui surtout allait l'empêcher de mourir, à moins que quelqu'un ne le tue un jour. Il n'était pas vraiment sûr que cette perspective le dérange réellement), et il devait faire avec.

Si il ne s'en servait pas, il ne se sentirait pas réellement lui-même, ce qui était très amer à constater, lui qui avait passé sa vie à vivre sans magie, il y était presque dépendant maintenant et c'était tout sauf agréable, vraiment.

C'était effrayant aussi, parce que ça, ce n'était pas lui, pas vraiment, c'était une version de lui-même qu'il n'avait jamais voulu devenir, et il espérait réellement qu'elle n'effacerait pas pour toujours celui qu'il était réellement.

(Parfois il ne savait même plus qui il était vraiment.

Ou s'il était encore et toujours lui-même.)

« Je pense que tu te débrouilles pas mal pour quelqu'un qui, il y a encore à peine un jour, n'avait jamais fait de magie de sa vie. »

Neal sursauta, avant de se retourner et de tomber sur… Ruby, c'est ça ?

Oui, c'était bien son nom, c'était elle, la jeune femme brune, la louve, l'amie de Belle, Blanche-Neige et Emma entre autres. Il ne la connaissait pas beaucoup, ne lui avait pas vraiment parlé, que ce soit à Storybrooke avant ou après leur voyage au Pays Imaginaire, avant la malédiction, ou même dans la Forêt Enchantée une fois la malédiction lancée par Peter Pan.

Il grimaça.

La voix vissée sous son crâne, la voix de celui qui était son père et qui ne l'était pas, était toujours là, lui intimant d'agir, de le faire le plus vite possible avant qu'il ne soit trop tard, de les trahir avant qu'ils ne le trahissent, de les tuer, les tuer, les tuer tous autant qu'ils étaient.

Et il savait, il savait bien que c'était les ténèbres qui parlaient, et pas lui, qu'elles avaient tort et qu'il ne devait pas les écouter, mais…

C'était à chaque fois difficile, toujours plus difficile de parvenir à les faire taire, et ce, même quand il y avait des gens à côté de lui.

En fait, il commençait même à se dire que ça empirait probablement les choses, quand ils étaient là, la peur, la terreur, la paranoïa, tout cela refaisait surface, alors que quand il était seul, il pouvait y réfléchir plus calmement et oublier tout ça un moment.

Ou peut-être pas.

Peut-être le silence était ce qu'il y avait de pire, parce que ce n'était jamais un vrai silence, que ce soit dans son crâne, ou autour de lui, parce qu'ils étaient toujours là, ses prédécesseurs, les anciens Ténébreux, Nimue, Zoso, son propre père, et tous les autres.

Parfois ce n'était que son père qui lui susurrait à l'oreille des paroles empoisonnées, parfois c'était lui et Nimue, ou Zoso, ou n'importe lequel des autres Ténébreux.

Et parfois ils parlaient tous ensemble, formant alors un chœur assourdissant qui s'exprimait à l'unisson, en un concert plein de fausses notes qui résonnait dans son esprit encore et encore et encore et encore, au point de lui vriller le cerveau, et qui lui donnait parfois envie de hurler.

Mais il ne pouvait pas le faire, alors à la place, il se tut, encore et toujours, comme d'habitude depuis qu'il était devenu le Ténébreux et avait vu son esprit être plongé tout droit en enfer.

En somme il n'était plus tranquille, à aucun moment, ne pouvait plus l'être, ne le serait même probablement plus jamais de sa vie.

« Oh, fit-il en haussant les épaules, je n'en suis pas vraiment responsable en vérité. C'est la magie du Ténébreux qui fait ça, pas moi, et je suis sûr que je serais un parfait incapable si j'avais dû apprendre les bases de la magie avec quelqu'un. Du moins je n'aurais pas été de très bonne volonté, ou un élève très assidu, je l'avoue aisément.

La louve eut un sourire amusé.

- Mais je trouve tout de même que tu ne t'en sors pas trop mal, surtout dans ces circonstances… Je me doute que… que ça ne doit pas être facile, tout ça, cette situation, maintenant que ton père… n'est plus là, et que tu as dû prendre sa place… bien malgré toi.

- Non… admit-il. En effet, ce n'est pas simple.

Elle se rapprocha de lui, les mains dans les poches, ne semblant pas réellement inquiète à l'idée de se trouver là, juste à côté de lui alors qu'il pouvait la tuer à tout moment, et il n'avait aucune idée de s'il avait envie qu'elle parte ou qu'elle reste.

Mais il n'avait pas envie de rester avec lui-même et toutes les voix dans sa tête qui menaçaient de le rendre fou, alors il décida de la laisser rester.

- Je ne sais pas ce que ça fait, ajouta-t-elle, d'être le Ténébreux… En fait, je ne sais pas véritablement ce que ça fait que d'avoir de la magie, ou d'en utiliser, en revanche… Je sais ce qu'on ressent quand on perd le contrôle, je connais la peur qui peut vous animer à la simple idée de devoir faire face à la bête qui est en nous… La peur à l'idée qu'elle s'échappe et détruise absolument tout. Parce que ça m'est déjà arrivé, autrefois. Je reconnais la peur quand je la vois chez quelqu'un d'autre, surtout si c'est la peur de soi-même… la haine de soi aussi.

Et puis Neal se souvint subitement que la jeune femme avait tué et mangé son petit-ami quand elle était sous sa forme de louve, et il comprit alors ce qu'elle voulait dire par là.

Sa gorge se noua en réalisant ce qu'elle était en train de faire, elle voulait l'aider, contrairement aux autres, elle savait parfaitement ce qu'il était en train de vivre, même si elle n'avait jamais vécu ce que lui-même avait vécu (tout comme lui non plus ne s'était jamais changé en loup de sa vie), et elle ne le regardait ni avec de la peur ni avec de la pitié dans les yeux.

Il eut le sentiment qu'il pourrait gagner une nouvelle amie dans la Forêt Enchantée, quelqu'un qui savait ce que cela faisait que d'avoir peur de sa propre nature, et ce constat lui réchauffa le cœur, en plus d'éloigner pendant un temps les voix qui lui explosaient le cerveau.

- Merci… Je… Effectivement, j'ai peur. Peur de devenir comme mon père, peur d'être pire que lui, peur que mes pouvoirs m'échappent complètement un jour et que le monstre en moi prenne le contrôle de façon définitive… J'ai peur qu'un jour, je ne sois plus vraiment Neal et qu'il ne reste plus en moi que le Ténébreux… et que ce processus soit inévitable et impossible à arrêter. Et j'ai peur aussi, soit de faire quelque chose de terrible un jour, soit que l'un d'entre vous se voit obligé de me tuer pour empêcher qu'une chose pareille arrive.

Dieux, il avait vraiment besoin de voir un psy…

Mais il avait un royaume à protéger d'une méchante sorcière avant cela, alors une chose à la fois.

- Je vois, dit-elle, l'air soucieux, avant de lui adresser un sourire réconfortant. Hé bien, nous allons absolument tout faire pour que ça n'arrive pas. »

Il hocha la tête.

Ça n'irait sans doute plus jamais bien, pas après tout ce qu'il avait perdu et risquait encore de perdre, voire de détruire,mais le fait est que malgré ce que les ombres dans son crâne s'efforçaient de lui faire croire, il n'était pas seul dans cette épreuve.

Et il n'avait pas à l'être.

Peut-être pourrait-il finalement s'en sortir en fin de compte, malgré la douleur, le vague à l'âme, la tristesse et les ténèbres qui menaçaient de lui arracher son humanité.

Lorsque Ruby le prit dans ses bras, il ne vit pas l'ombre devant lui pour une fois.

Et si, d'aventure, il se mit peut-être à pleurer dans le processus, ça n'avait absolument aucune importance.

Son esprit, pour la première fois depuis qu'il était devenu ce qu'il haïssait le plus dans l'univers, était en paix, même si ce n'était que de façon temporaire, ça faisait du bien.

Vraiment.

A suivre…