Deux jours avaient déjà passé depuis mon réveil à bord de l'équipage de Barbe Blanche, sans que jamais nouvelle de mes amis ne nous soit parvenue. Nous n'arriverions à la prochaine île que dans une semaine, si le vent nous était favorable.
J'avais fait la connaissance d'à peu près chaque membre des trois premières flottes qui étaient regroupées. Le bateau sous le commandement de Ace, ayant été endommagé par mon arrivée désastreuse, une grande partie des pirates qui l'occupaient s'était répartie équitablement sur les deux navires restants. Autrement dit, par ma faute, toute l'organisation de l'équipage avait été modifiée. J'avais beau m'en vouloir, personne ne m'avait reproché quoi que ce soit. Au contraire, tout le monde avait été très accueillant.
J'avais même pu fonder des affinités avec certains savants du groupe. Ils m'en avaient beaucoup appris sur les constellations. Étant navigatrice, mes seuls outils jusqu'alors ne dépassaient pas le Log Pose, la carte marine et mes connaissances météorologiques. Ainsi, pour ceux qui voyagent par la mer, là où le ciel est le plus large, il est indispensable de connaître les différentes constellations qui fournissent de multiples points de repères géographiques. Les changements célestes peuvent également donner des signaux de prévention contre d'éventuels dangers marins. Il faut donc être attentif aux couleurs du ciel, notamment la nuit, et surtout porter une claire attention à la vitesse de déplacement des nuages.
Mais ça, je le savais déjà. En fait, c'est plutôt moi qui leur avais appris la majorité des renseignements. J'étais étonnée qu'ils en sachent autant sur l'astronomie, mais plus encore de leur ignorance des règles fondamentales de la météo. À mon goût, ils n'avaient que trop peu conscience des vents et des changements de température. Le seul élément marin qu'ils analysaient vraiment était les vagues et leur puissance. Je pense qu'ils furent impressionnés par ma culture climatique.
Ils m'avaient également présenté les innombrables archives qui composaient leur gigantesque bibliothèque. Leurs études se fondaient sur la lecture attentionnée de ces papiers, des plus anciens aux plus récents, en passant par toutes les sciences ainsi que les littératures classiques et historiques. J'en avais profité pour leur recommander quelques livres d'informations météorologiques et ils m'avaient à leur tour prêté deux énormes ouvrages sur les emplacements stratégiques des étoiles.
Mais j'avais aussi passé une grande partie de mon temps à discuter avec Marco-san sur les divers modes de navigation. Nous nous étions échangé quelques informations pratiques pour rendre la traversée des mers plus aisée et il m'avait particulièrement éclairée sur les problèmes récurrents auxquels nous risquions d'être confrontés dans le Nouveau Monde.
D'ailleurs... j'y étais en ce moment même dans ce fameux Nouveau Monde... Il ne s'était encore rien produit d'encombrant, mais il était peu dire que j'étais absolument effrayée !
Le reste du temps, Ace m'avait assistée dans la visite des pièces. Il m'avait aussi expliqué tout ce qu'il y avait à savoir sur leur routine générale qui était loin d'être monotone, et avait grandement insisté sur leurs habitudes culinaires.
Finalement, je l'avais peut-être trop vite jugé à Alabasta. Il ressemblait bien à son frère. Je reconnaissais Luffy dans son large sourire innocent, dans sa démarche sûre et son amour sans retenue pour ses compagnons. Ses yeux trahissaient une forte ambition et une assurance démesurée. Il croyait intensément en sa force, mais aussi en celle de ses amis. Cette relation de confiance avait été forgée chaque jour pendant trois longues années de fréquentation. Bien entendu, les deux frères avaient également en commun leur passion débordante pour la nourriture et les affrontements. Ace maîtrisait le feu depuis son ingestion du Pyro Pyro no Mi, comme chacun le sait. Mais il m'avait avoué ne pas encore le contrôler entièrement. C'est la raison pour laquelle il s'entraînait quotidiennement, tant à la pratique de son pouvoir qu'à sa technique de combat.
Je m'arrêtai dans ma lecture d'un livre qui m'avait été prêté, et sortis sur le pont afin de goûter un moment à la douce brise marine. Ce ne furent que quelques instants plus tard qu'un pirate au poste de guetteur cria au rassemblement. Je vis les trois Commandants suivis d'un attroupement s'avancer, et fis de même. Le pirate en hauteur nous informa qu'il s'agissait d'une bonne nouvelle.
« PÈRE ET LES AUTRES ARRIVENT ! » hurla-t-il d'une voix souriante.
Son annonce se noya rapidement dans un élan d'exaltations euphoriques. Les visages se ridèrent d'enthousiasme et la foule entière poussa des acclamations mêlées à des sifflements satisfaits.
Je jetai un coup d'œil à Ace qui se tenait debout près de moi. Il avait appuyé la main sur sa hanche musclée. Les sourcils froncés et le torse bombé de fierté, il fixait l'horizon avec un sourire sincèrement réjoui.
Père ? Était-ce...?
Je suivis son regard à mon tour. Un imposant navire approchait. J'aperçus le légendaire drapeau noir et blanc qui inspirait la crainte même chez les pirates les plus aguerris. Des modèles identiques flottaient dignement, perchés sur chaque mât. Un immense brouillard s'assombrissait à mesure que le navire approchait. Mais plus je l'observais et plus je tremblais d'ébahissement. Non, ce n'était pas de la brume ni même une ombre ténébreuse. C'était un amas d'innombrables navires. Mes yeux s'arrondirent et mes lèvres s'écartèrent de stupeur. Ace avait dû remarquer ma surprise, puisqu'il s'était mis à rire.
« Je sais, c'est carrément impressionnant hein ? » s'exclama-t-il.
Je déglutis, incapable de former un mot.
« Allez, détends-toi. Tu es entre de bonnes mains.
— Ce n'est pas impressionnant » répondis-je en me calmant.
Il roula les yeux vers moi, étonné de ma remarque, et je lui fis face. Je repris :
« Ce n'est pas impressionnant. C'est hallucinant ! Comment une telle force navale peut-elle exister sous les ordres d'une seule personne ?! C'est encore plus aberrant que la flotte de Don Krieg... » finis-je par chuchoter pour moi-même.
Ace recommença à rire sous mes yeux de nouveau affolés. Il se remit à contempler, amusé, la masse des vaisseaux marins en approche.
« Tu sais, cet homme n'est pas une simple personne. Il est celui qui a donné un toit et une famille à tous ces gars abandonnés dont personne ne voulait. Il est notre père à tous, nous qui sommes des pirates, nous qui sommes pourchassés pour notre recherche de liberté. Cet homme nous a offert l'amour qui nous manquait, des rêves, des objectifs, et la joie de vivre. »
Il marqua une courte pause puis reprit :
« Moi aussi, il m'a aidé, alors même que je tentais de le tuer. »
C'était sans doute la première fois qu'Ace se confiait à moi. Je compris au son de sa voix qu'il vouait un profond respect à celui qu'il considérait comme son père. C'était aussi le cas de tous ces hommes. Celui qui était à leur tête avait pansé et soigné des plaies profondes de peine. Ce n'était pas qu'un simple équipage. Les liens qui les unissaient étaient sûrement aussi forts que ceux d'une famille. Ils n'avaient rien d'autre.
Je le regardai émue de connaître l'histoire poignante de ces pirates, et me retournai moi aussi vers la mer agitée par les nouveaux arrivants. Ils dominaient les eaux. Il n'y avait aucun autre moyen de décrire l'atmosphère qui les entourait.
Lorsque le bateau le plus proche jeta l'ancre, les trois Commandants s'avancèrent.
« THATCH ! COMME ON SE RETROUVE ! » cria Joz-san.
Le dénommé Thatch était un homme d'à peu près la même taille qu'Ace et Marco-san. Il avait les cheveux bruns, relevés devant en une banane, et le reste plaqué à l'arrière. Il portait une barbiche noire, un uniforme constitué d'une chemise et d'un pantalon chics et blancs, ainsi qu'une ceinture et des bottes marron. Un foulard jaune était attaché autour de son cou et une cicatrice longeait son œil gauche. Il se tenait droit et souriait gaiement.
« Toujours aussi bruyant Joz ! railla-t-il.
— Thatch ! s'exclama Ace. Bienvenue, vous avez l'air d'aller bien, c'est un soulagement ! On a une petite nouvelle avec nous.
— Une nouvelle ? »
Il examina du regard ceux qui composaient le navire devant lui, puis me remarqua. Avant même que je puisse me présenter, il tourna les épaules et cria vers la cabine derrière lui.
« Père ! Une nouvelle recrue ! »
Leur père. J'allais rencontrer le très renommé Barbe Blanche. Edward Newgate, l'Empereur des mers, le seul ayant rivalisé avec Gol D. Roger, ex-Seigneur des Pirates.
Le bruit de ses pas nous parvint distinctement, puis la porte s'ouvrit. Je retins mon souffle. L'éminent Capitaine sortit et se tint face à nous. Il nous surpassait de toute sa hauteur. Mes yeux pétillaient sans doute de fascination. C'était lui.
L'immense vieil homme d'au moins quatre mètres qui se dressait devant nous était une montagne de muscles. Une large cape blanche à bords jaunes, et rouge à l'intérieur, recouvrait ses épaules et laissait à découvert son torse nu et déchiré de multiples cicatrices. Il portait un pantalon jaune rentré dans ses grandes bottes noires et un épais tissu de ceinture entourait sa taille. Il était également vêtu d'un bandana enroulé autour de sa tête et tenait une très longue lance dans sa main. Mais le plus incroyable restait sa moustache blanche et majestueuse en forme de croissant de lune qui ornait symboliquement les voiles du bateau et les tatouages des pirates.
« Père ! Bon retour ! s'exclama Marco-san avant de me pointer du doigt. Voici la jeune femme qui est arrivée il y a peu. »
Le Capitaine baissa la tête et me fixa intensément. Autour de moi, tout semblait avoir été happé par l'atmosphère de majesté qui l'entourait. J'étais devant la légende. Mais il n'était pas question de me laisser intimider. Je m'avançai jusqu'aux côtés d'Ace et inspirai une grande bouffée d'air avant de lancer avec énergie :
« Je suis Nami, navigatrice de l'équipage pirate des Chapeaux de Paille. Mon Capitaine se nomme Monkey D. Luffy et c'est l'homme qui deviendra le Seigneur des Pirates ! Je suis soudainement tombée par hasard à bord d'un de vos bateaux que j'ai endommagé. J'en suis désolée et j'en prendrai la responsabilité. J'espère que vous m'accepterez avec vous, le temps que je retrouve mes compagnons dispersés. »
J'en ai peut-être trop dit pour une présentation. J'espère qu'il n'en tiendra pas compte...
Je me courbai en serrant les dents pour atténuer l'anxiété qui renaissait en moi.
Un rire résonna. Je me redressai perplexe, et vis l'imposant Capitaine qui riait ouvertement. Ace qui s'était joint à lui, me donna une tape amicale sur le dos.
« Ben alors ! Je croyais que t'avais peur ! » se moqua-t-il.
Il souhaita ensuite lui aussi un bon retour à son père avant de poursuivre :
« Voici Nami. On s'est rencontrés quand j'étais en mission à Alabasta. Elle fait partie de l'équipage de mon petit-frère !
— Tu es la bienvenue fillette, répondit Barbe Blanche un large sourire. J'espère que tu sauras prendre la responsabilité de tes actes.
— O-Oui !
— Alors tu es une connaissance de Ace. Prends soin de lui, il est mon très cher fils. »
Je lui souris en guise d'accord. Il accosta notre bateau et tous les pirates se mélangèrent dans différents vaisseaux. Ace m'expliqua que celui sur lequel nous étions était initialement le navire du Capitaine et que tous ceux qui avaient été empruntés pour leur mission appartenaient aux différents Commandants ainsi qu'à eux-mêmes. Les bateaux que j'avais visités étaient donc une minime partie des trois principales divisions.
Je fis la connaissance du joyeux Thatch qui s'avérait être le Commandant de la quatrième flotte. Il me mit tout de suite en confiance par sa bonne humeur et son aisance à la communication. Nous lui racontâmes comment je m'étais retrouvée là et tout ce qui s'était passé ces deux derniers jours. Il avait éclaté de rire tout au long du récit sous ma moue boudeuse.
Tous les membres de l'équipage explosaient de joie par la venue de leurs compagnons.
« On a toujours un peu peur quand nos amis s'en vont en mission, même si l'on connaît la force de chacun et qu'on leur fait entièrement confiance. On est des pirates et notre route est parsemée de dangers. C'est ce qui est amusant et c'est notre plus grande fierté. Mais c'est aussi notre faiblesse » m'avoua Ace pendant leurs émouvantes retrouvailles.
Ils me souhaitèrent tous la bienvenue, puis la fête commença.
