Chapitre 4 : l'enfer ou la damnation ?
Une journée s'était écoulée depuis le coup de tonnerre de l'élection surprise du shériff Swan. Cette dernière jouait à cache-cache avec tout le monde. Elle voulait avoir un peu de paix, mais sa tranquillité n'était que pure illusion. Les habitants s'étaient donnés le mot pour ne pas lui laisser un instant de répit. Entre un nain de jardin volé, (et ce n'était pas un de ces sept enquiquineurs), un chien fugueur récidiviste, (Pongo de son petit nom), et un accrochage entre deux véhicules, (mais qui pouvait avoir l'idée saugrenue de conduire un petit tracteur en pleine bourgade ?), elle n'avait pas eu une seconde à elle. Son mal de tête empirait d'heures en heures et elle ne souhaitait qu'une chose : roupiller. Elle s'apprêtait à rentrer au poste, pour taper son rapport, lorsqu'elle fut alpaguée par un concitoyen.
- Madame le maire !
Emma scruta la rue à la recherche de Regina, mais ne la trouvant nulle part, elle se tourna vers l'importun, pour lui déclarer qu'il avait la berlue. Puis, devant l'air goguenard de l'homme, elle comprit que c'était elle qu'il interpelait.
- Shériff Swan ? Pas facile de savoir sous quelle casquette vous officiez, en ce moment ! Euh, je voulais vous prévenir que des petits crétins ont vandalisé les poubelles au coin de la rue. C'est répugnant, elles se sont étalées partout !
- Et que voulez-vous que j'y fasse ? Je ne vais pas les ramasser, tout de même ?
- Euh, non, bien sûr, mais si vous pouviez appeler la collecte des ordures ménagères, ce serait peut-être plus simple, n'est-ce pas ?
- Il y a encore une mairesse à son poste pour un mois. Merci de vous adresser à elle, surtout pour les histoires de déchets, elle connaît bien, elle adore ça !
- Oui, mais c'est plus facile de vous demander quelque chose. Vous, au moins, n'allez pas nous réduire en cendres, parce que vous êtes mal lunée !
Emma se tut pour ne pas baver davantage sur son employeur, sa migraine se faisant douloureusement ressentir. Elle voulait clore cette discussion le plus rapidement possible, mais l'homme semblait vouloir lui tenir la jambe.
- Excusez-moi, mais je dois regagner le poste. Bonne journée !
- Vous ne faites pas un crochet par la mairie, avant ?
L'homme semblait dépité. Aussi, hocha-t-elle la tête fébrilement et se dépêcha de tourner les talons. Elle fit un léger détour pour faire part de la demande à Regina, mais cette dernière était absente. La blonde fixa la secrétaire de mairie, afin de savoir si elle mentait ou non. Un léger bruit dans le bureau de l'ancienne reine fit tiquer la shériff, qui foudroya du regard la pauvre assistante.
- Vous dérangez pas, je connais le chemin !
- Elle ne veut pas être dérangée, justement ! Shériff Swan ! Elle est de mauvaise humeur…
- Parce qu'elle est avenante, parfois ?
La boutade eut le don de dérider la petite femme, qui laissa passer la shériff. Il était inutile d'essayer de l'arrêter. Emma ne prit même pas la peine de frapper avant d'entrer et se figea devant le tableau qu'elle avait sous les yeux. Regina était en soutien-gorge, son chemisier dans ses mains, qu'elle tamponnait délicatement. Une tache de café, sembla-t-il à la blonde, ornait le devant du vêtement soyeux. Elle se sentit rougir, telle une adolescente, alors que la brune relevait les yeux vers son employée indiscrète. Elle ne fit pas mine de se couvrir, ni ne joua à l'effarouchée. Un superbe sourire prit place sur son visage et elle décida de désarçonner encore davantage la femme qui lui faisait face, impudemment.
- Voulez-vous des lunettes, shériff ? Une loupe ? Ou pensez-vous que je sois trop habillée, peut-être ? Désireriez-vous m'ôter quelque chose en particulier ?
Devant le visage incrédule de la blonde, Regina s'avança vers elle, telle une panthère. Emma voulut prendre ses jambes à son cou, mais en faisant demi-tour, elle se cogna brutalement dans la porte restée ouverte. Cette dernière se referma et elle tomba en arrière, dans les bras de la mairesse. La jolie brune ne s'attendait absolument pas à réceptionner sa shériff et elle glissa à son tour, la blonde serrée contre elle. Alors que le choc lui coupa le souffle, Regina reçut ensuite la masse de sa prisonnière sur son corps et gémit légèrement. Le shériff faisait son poids, tout de même. Puis elle se figea, comprenant où ses mains s'étaient accrochées durant la chute. Elle tenait la blonde par les seins. Aucune des deux femmes n'osait bouger. Regina rompit enfin le silence, qui commençait à devenir pesant, à l'instar de la jeune femme.
- J'aurais pensé qu'ils étaient plus petits. C'est une agréable surprise, shériff.
Regina ne voulait pas perdre la face devant l'autre femme, elle avait donc opté pour une attaque franche et directe. Emma ressemblait à s'y méprendre à une carpe décérébrée, incapable de prononcer la moindre phrase sensée. La mairesse en profita pour la masser légèrement, voulant savoir jusqu'où elle pouvait pousser le bouchon, avant que la blonde ne se dégage. Quelle ne fut pas sa surprise, lorsqu'elle entendit un léger souffle rauque sortir de la jolie bouche rosée. Elle massa plus rudement la poitrine offerte, et se permit de mordiller le lobe de la shériff. Cette dernière se redressa brutalement, et Regina la laissa partir, sans la retenir. La blonde ne regarda pas une seule fois en arrière. Elle s'enfuit, comme si elle avait le diable aux trousses. La mairesse se remit debout et ricana tout bas. Elle venait de donner une bonne leçon à la blonde, qui, à coup sûr, ne se permettrait plus d'entrer dans ce bureau, sans frapper au moins un coup. Elle s'habilla rapidement d'un chemisier propre qu'elle gardait en réserve et sortit tranquillement de son bureau, un sourire satisfait aux lèvres, afin d'aller chercher son fils à l'école.
Emma était mortifiée. Elle avait laissé faire sa rivale. Mais quelle mouche l'avait donc piquée ? Elle se fustigea, jusqu'à son arrivée au poste de police. Elle s'installa à son bureau et commença à traiter sa paperasse, voulant à tout prix penser à autre chose. Ce fut peine perdue. Tout la ramenait à la vision de la mairesse. Elle savait que Regina était une femme magnifique, dotée d'un caractère monstrueux. Mais elle l'avait laissée la tripoter ! Elle avait même adoré ça ! Elle était partie en courant, car si elle s'était retournée, elle aurait pu lui sauter dessus… Même si elle était hétéro. Emma prit une minute pour réfléchir à cette pensée. Une hétéro pouvait-elle subitement avoir une attirance pour une femme ? Son mal de tête revint au grand galop. Elle repoussa les dossiers accumulés, ainsi que ses pensées, devant elle et se détendit dans son siège. Cinq minutes plus tard, elle dormait comme une souche, épuisée.
Le lendemain, la fée bleue vint la voir pour lui parler de l'élection. Emma était terriblement mal à l'aise et souhaitait tout arrêter. La fée ne lui laissa cependant pas le temps d'affirmer de pareilles sornettes et lui expliqua plutôt le but de cette opération : démontrer que sa partenaire politique et elle-même pouvaient s'entendre, pour le bien commun de Storybrook. Une série d'apparitions publiques avec chacune des deux candidates serait donc une excellente idée. La fée valida sa propre initiative. Elle alla donc de ce pas porter la bonne nouvelle à la mairesse et l'institutrice. La shériff resta coite. Visiblement, plus personne ne l'écoutait. Elle ne voulait pas faire ce genre de choses. Elle avait besoin d'un verre, un très grand verre, et très fort. En fin d'après-midi, elle se dirigea vers le Granny's, pour parler avec Ruby, sa meilleure, et seule, amie. En poussant la porte du café, elle balaya rapidement l'endroit des yeux pour y trouver la louve. Elle la vit servir deux hommes. Elle se dirigea droit vers elle et la salua.
- Ruby, j'aurais besoin d'un truc fort. Vraiment très fort.
- Salut Emma. Euh, mais il n'est que dix-sept heures… Tu es sûre de toi ?
- Malheureusement, oui.
La serveuse s'amusa du ton las et quelque peu désespéré de la blonde. Elle prit une bouteille derrière le comptoir et deux verres. Elle jeta son torchon non loin de là et tapota un siège, à destination de la jeune femme. Emma ne se fit pas prier et s'assit lourdement à côté de son amie.
- Bon, alors, tu me racontes ?
- Je ne sais même pas par où commencer… Si je te disais que Regina m'a pelotée tout à l'heure ? Et que j'ai aimé ça ?
- Je dirais que tu es une sacrée veinarde.
- Pardon ?!
- Emma, tu l'as bien regardée ? Elle est magnifique. Quel homme ou quelle femme ne rêverait pas de passer entre ses draps ?
- Alors, toi, tu… la trouves à ton goût ?
- Disons que je ne lui dirais sûrement pas non… Mais son caractère, par contre… C'est surtout ça qui me fait peur !
Emma la regardait avec des yeux ronds. Elle ne savait pas si elle devait continuer cette conversation ou s'enfuir. Elle avait déjà essayé aujourd'hui cette dernière option et cela s'était révélé catastrophique. Elle choisit donc de baisser les yeux, et de se taire, pour assimiler les paroles de son amie.
- Emma ? Youhou, y a quelqu'un ?
- Je ne savais pas que tu avais des vues sur elles. Pardon de t'avoir parlé de ça.
- Hey, pas de souci. C'est assez drôle en fait. Mais explique-moi comment tu as pu en arriver là…
La shériff lui raconta ce qu'il s'était passé à la mairie et la louve explosa de rire. La blonde lui donna un coup de poing dans le bras et resta sagement assise, à attendre le diagnostic de son amie.
- Emma, tu as joué et tu as perdu. Tu sais bien qu'il faut frapper avant d'entrer, surtout dans la tanière de la sorcière. Elle t'a bien eue ! Même s'il y a des façons bien moins agréables d'être vaincue. Tu ne trouves pas ?
Emma piqua un fard et changea rapidement de sujet. La pente était définitivement trop glissante.
- Cette histoire d'élection, ça devient n'importe quoi. Surtout depuis que le petit nazi en chef a décidé de me pourrir la vie. Je dois faire des apparitions publiques avec les deux candidates. Je n'ai rien en commun avec ma mère et je ne connais pas Regina.
- Tu parles de la fée bleue ? Évite de l'énerver. Je ne sais pas qui a le plus mauvais caractère entre ta peloteuse ou madame « je laisse traîner de la poudre partout ». Quelle plaie, je te jure… Quand elle vient grignoter un truc ici, je dois passer la serpillière systématiquement après son passage.
- Je vois… Donc, on trinque à quoi ?
- Disons, à ta vie compliquée ?
- Et maintenant, sans filtre, dis ta pensée…
- Ta vie de merde !
Ruby repartit dans un grand fou rire, pendant que la blonde buvait son whisky cul sec. Elle voulait disparaître et ne plus jamais revoir le soleil.
- Rhoo, allez, y a pire ! Tu pourrais avoir les problèmes de peau de Gold !
Emma sourit, en imaginant le tableau. Son amie parvenait toujours à la faire se détendre et sourire.
- Je vais rentrer et dodo.
- Tu veux une tisane ? J'ai cru comprendre que ta mère aimait ça. Tu vois, tu as des points communs avec elle !
Emma leva les yeux au ciel et paya sa consommation. Elle partit prestement du café, sous le rire moqueur de son amie.
Elle reçut un message le lendemain, lui faisant part de sa première apparition, avec Mary-Margareth, au concours annuel de pâtisserie de Storybrook. Elle faillit envoyer son téléphone directement dans le mur. Elle détestait cuisiner, par contre, manger ne lui posait aucun problème. Mais faire des gâteaux avec sa mère était une épreuve en soi. Elle maudit en bloc la fée bleue et la pâtisserie, et se prépara mentalement pour ce satané concours. Sa mère vint la voir le soir même, le concours était deux jours plus tard. Elle lui donna une liste d'ingrédients à acheter, afin de préparer leur gâteau mystère, en plus de celui qu'elles devraient cuisiner devant les jurés. Emma s'empara du bout de papier, en maugréant. Le lendemain, elle se rendit au supermarché et revint chez sa mère, pour préparer leur dessert.
- Bonjour, Emma. On va s'amuser comme des petites folles ! Tu as tout ce qui était indiqué sur la liste ?
- J'espère bien, parce que je n'y retournerai certainement pas. J'ai horreur de faire les courses.
- Mon emploi du temps est moins flexible que le tien. Il était donc plus simple que ce soit toi qui t'en charge.
- Es-tu en train d'insinuer que je me tourne les pouces ?
- Non, bien sûr que non. Enfin, tout le monde n'a pas la chance de ronfler à son bureau… Bref, mettons-nous aux fourneaux ! Ça ne va pas se faire tout seul !
- Tiens, voilà tes ingrédients.
Mary-Margaret prépara la recette, pendant qu'Emma lui passait les ustensiles et les aliments au fur et à mesure. Elles avaient convenu de laisser la brune cuisiner, pour des raisons évidentes de survie des jurés. Emma les aurait empoisonnés, même avec un simple gâteau au chocolat. Une fois au four, les deux femmes s'installèrent sur le canapé, avec un verre de vin et papotèrent.
- Alors, tu as revu la sorcière dernièrement ? Elle ne doit pas en mener large !
- Hum, oui, pour une bricole. Rien de bien intéressant.
- Et elle commence à trembler ? Elle a peut-être envie de démissionner, pour éviter la honte de se faire dégager ?
- Elle ne m'a rien dit de tel.
La petite brune regardait sa fille bizarrement. La blonde semblait sur la défensive.
- Et c'est tout ?
- Puisque je te le dis ! Une histoire de poubelles !
- Inutile de monter sur tes grands chevaux, alors !
- Maman !
- Ma fille !
La discussion devenant stérile, Emma se leva et prit sa veste pour partir.
- Tu pars déjà ? Mais et le gâteau ?
- Il cuit tranquillement au four, je ne pense pas que je lui sois très utile. Donc, si tu le permets, je vais rentrer. Je n'ai pas réussi à ronfler à mon poste, aujourd'hui.
- Emma, ne fais pas ta mauvaise tête ! Je…
La porte se referma alors que l'institutrice était encore en train de parler. Elle croisa les bras sur sa poitrine, se demandant quelle mouche avait bien pu piquer sa fille.
Le lendemain, alors que les stands et les banderoles étaient de sortie dans toute la ville, Emma et Mary-Margaret faisaient le pied de grue derrière la table installée pour leurs confections. À la table d'à côté, se tenait Granny, qui lorgnait sur leur charlotte aux fraises. Sa tarte aux noix de pécan était très appréciée des jurés et constituait un plat signature de la grand-mère. Belle était aussi de la partie, un peu plus loin, avec un brownie à la banane. Ruby, voulant taquiner Emma, s'était également inscrite, et avait cuisiné des spacecakes. Elle avait même ajouté un écriteau pour le signaler. Emma avait envie de tous les rafler. D'une part, c'était illégal, et d'autre part, cela aurait égayé sa journée. La mairesse était également présente, Henri à ses côtés, pour présenter sa célèbre tarte aux pommes et à la cannelle.
Les jurés passaient devant les tables et notaient l'allure des pâtisseries, qui comptait pour un tiers de la note. La charlotte était magnifique, et les jurés s'extasièrent devant le travail des deux femmes.
- Votre charlotte est d'une élégance ! Elle donne l'eau à la bouche.
- Merci. Ma fille et moi-même sommes de parfaites partenaires, comme vous pouvez le constater. Ensemble, rien ne nous est impossible.
Mary-Margaret regarda du côté de la mairesse et lui envoya un sourire mesquin, pour lui signifier son désamour, et le point qu'elle venait de marquer devant tout le monde. La brune fulminait dans sa barbe, mais ne fit aucun commentaire. Elle aurait le temps de se rebiffer bientôt. Sa tarte aux pommes était souvent parmi les deux dernières pâtisseries en lice. Les jurés passèrent aux concurrents suivants, avant d'énoncer le thème de leur gâteau à faire immédiatement sur place. Ils se placèrent face aux candidats et commencèrent leurs explications.
- Bienvenue à tous, pour cette compétition gustative des pâtisseries de Storybrook ! Les concurrents nous ont montré leur création maison, que nous goûterons ultérieurement. Et voici le gâteau du jour, qu'ils vont cuisiner sous nos yeux, la place de la ville ayant été aménagée avec tout ce qu'il faut pour travailler sereinement. Merci encore aux services municipaux et à madame le maire pour permettre à notre manifestation de se tenir dans de si bonnes conditions. Il s'agit de… Attention…
- Mais il va cracher le morceau, le vieux schnock ?!
- Mademoiselle Lucas, ne soyez pas impatiente et vulgaire ! Sinon, je vous disqualifie !
- Parlez plus vite alors ! On va pas y passer toute la journée !
- Dernier avertissement !
La brune se calma, et l'homme chauve, quelque peu fané, reprit son discours.
- Donc, comme je disais, avant d'être interrompu par cette jeune énergumène, le gâteau du jour sera un crumble à la mangue !
- Mais c'est quoi un crumble ?
- Mademoiselle Lucas, débrouillez-vous !
Mary-Margaret se tourna vers sa fille.
- C'est très simple, comme recette ! Nous allons gagner haut la main !
- Si tu le dis. Je ne connais pas.
- Tu en manges, Emma…
- Ah. Mais je n'en ai jamais fait…
- Tu me laisses faire, on reprend les mêmes rôles qu'hier !
- D'accord…
Emma en avait ras-le-bol de cette comédie. Elle aurait préféré lézarder dans son canapé, plutôt que de servir de faire-valoir à sa mère. La mairesse ne la quittait pas des yeux, lui faisant comprendre que la menace de laisser Storybrook derrière elle, si elle perdait l'élection, était toujours en vigueur. La blonde soupira bruyamment, coincée entre ces deux furies. Sa mère détourna son attention, afin de commencer la préparation. Emma obéit sagement, pour avoir la paix le plus vite possible. Elle voyait Ruby en train de pianoter sur son téléphone, sûrement à la recherche de la fameuse recette. Granny et Regina, ainsi que l'ensemble des candidats, étaient déjà à l'œuvre.
- Emma, tu m'écoutes ?
- Tu veux quoi, maintenant ?
- De la farine.
Emma rechercha le paquet et l'ouvrit pour sa mère. En écartant les pans du sac, elle fut troublée par Ruby, qui poussa un hurlement en comprenant de quoi retournait la recette. Elle mit trop de pression dans sa poigne et le sachet se déchira en deux, la farine giclant partout au passage. Emma était toute blanche et elle éternua plusieurs fois, mortifiée. Sa mère lui faisait les gros yeux.
- Mais c'est pas possible ! Comment peux-tu être aussi maladroite ?
- Sûrement une histoire de karma, ou de gènes…
- Va en demander un autre, idiote !
- Avec plaisir, mère !
- Et ne t'avises pas de me parler sur ce ton, jeune fille !
Emma lui tira la langue et partit en trottinant vers les jurés. Elle revint avec le précieux sésame et le tendit à sa mère, qui le lui arracha des mains.
- Donne-moi ça avant de faire une autre bêtise ! Tu iras prendre une douche en rentrant !
- Je n'ai plus cinq ans, je sais ce que j'ai à faire !
- Tu ne sais même pas ouvrir proprement un paquet de farine ! Permets-moi d'émettre des doutes !
Les deux femmes se fixèrent, hargneusement, avant de s'apercevoir que tout le monde s'était arrêté pour apprécier le spectacle. Regina semblait ravie du tour que prenaient les choses.
Une fois leur préparation finie et la pâtisserie enfournée, la mère et la fille se regardèrent en chien de faïence, en attendant la cloche du four, pour la fin de la cuisson. Les jurés réclamèrent un peu d'attention, afin de continuer leur compétition.
- Très bien, mes amis ! Maintenant que tous les gâteaux sont au four, nous allons goûter les créations maisons de nos concurrents ! Tenez-vous prêt, ce sera un éloge triomphant ou la guillotine et le fouet.
- Le fouet m'ira très bien ! Grand fou !
La foule amassée rit de bon cœur de la boutade de Ruby, qui n'avait pas réussi à s'en empêcher. Le juré en chef leva les yeux au ciel et grinça des dents.
- Mademoiselle Lucas ! C'est du harcèlement !
- Faut rien exagérer. Même si j'étais payée, je ne pense pas avoir envie de vous emmener au septième ciel. Y a des limites, quand même… Surtout concernant la date de fraîcheur… Par contre, je peux vous présenter ma grand-mère ! Elle est très coquine, même sans son dentier !
- Ruby !
- Mamie, tu rougis ! Petite gourmande, tu veux être sûre de gagner ce concours, hein ?
- Ça suffit ! Ou je disqualifie tout le monde !
Le public était mort de rire, devant cette scène surréaliste. Les jurés, tendus, se déplacèrent à chaque table, pour goûter les gâteaux maison. Après un tour à plusieurs tables, le jury s'arrêta à celle de Belle, goûtant son dessert, et analysant entre eux la sucrerie.
- Brownie à la banane. Voyons voir cela, c'est simple, mais très gourmand.
- Oui, très simple. Doux Jésus ! Mais c'est surtout très consistant ! Vous les avez faits avec quoi ? Du plâtre, ou du ciment ?
- Euh, rien de tout cela… Mais j'ai peut-être été distraite pendant que je les faisais, parce que j'étais en train de lire un livre. Et j'ai versé un peu les doses à l'avenant. Mais c'était tellement intéressant, je ne pouvais pas lâcher mon livre ! Il y a des priorités ! Zut !
Belle se retourna et bouda. Le jury était abasourdi. Ruby lui apporta un de ses gâteaux et lui sourit. Belle mordit dedans à pleine à pleines dents et remercia la brune de sa sollicitude. Le jury passa à la table de la brune, et lut l'écriteau, indiqué spacecakes.
- C'est une plaisanterie de mauvais goût ?
- Non, c'est récréatif ! Goûtez, je ne vais pas vous empoisonner ! Sinon, la shériff va me tomber dessus, ce ne serait pas très malin de ma part !
- Permettez-moi d'émettre de sérieux doutes quant à votre jugeote, mademoiselle !
Ruby prit un air outragé, et d'un œil torve, elle fixa les trois clampins du jury, les provoquant. Ne pouvant se défiler, ils prirent un bout de gâteaux, circonspects. Après un regard entre eux, le plus âgé prit la parole pour l'ensemble de leur petit groupe.
- C'est… Euh… Normal. Peut-être un léger arrière goût. Mais le chocolat est fondant. Pas mal, miss Lucas !
- Merci, c'est trop d'honneur.
Le jury se déplaça vers la mairesse, qui leur offrit un beau sourire de circonstance. Le jury la salua et prirent chacun une part complète de sa tarte.
- Un délice, comme d'habitude ! Madame le maire, votre savoir-faire n'est plus à démontrer !
La louve interrompit les courbettes des inspecteurs de la pâtisserie.
- Hey ! Y a triche ! Vous lui faites des compliments, et ça n'a pas l'air très sincère ! Vous avez peur qu'elle ne s'énerve et vous balance une boule de feu ?
Devant l'air querelleur de la brune, la mairesse ne put s'empêcher de regimber.
- Moi, au moins, je ne leur fais pas voir des licornes !
- Moi, je n'use pas de mon statut, pour figurer au moins dans les finalistes !
- Miss Lucas, la jalousie ne vous va absolument pas au teint.
- Regina, une part de spacecakes ? Vous semblez avoir besoin de vous dérider !
- Inutile, merci, chère louve. Je n'ai nullement besoin de drogue pour avoir des hallucinations. Par exemple, le shériff Swan en train de cuisiner !
Tout le monde ricana. Il était de notoriété publique qu'Emma ne savait pas faire cuire un œuf. Cette dernière leva un sourcil en direction des deux brunes, mais s'abstint d'envenimer les choses. Elle n'avait surtout aucune envie de croiser le fer avec la sorcière. Mary-Margaret coula un regard vers sa fille, remarquant son manque de mordant habituel.
- Cessez de vous moquer d'elle, vous n'êtes pas très intelligentes, de ridiculiser ainsi ma fille ! J'aurais honte à vote place.
La mairesse lui répondit narquoisement.
- Maman ourse qui protège sa couvée ! Un peu tard, Blanche-Neige, non ? Enfin, c'est toujours mieux que rien.
La brunette prit la mouche et se saisit de la spatule qui traînait sur sa table. Elle l'envoya valdinguer non loin de Regina, ratant totalement sa cible.
- Mary-Margaret, quelle fougue ! Mais ce n'est pas très correct. Et si tu ne peux pas retenir tes nerfs pour une simple compétition de pâtisserie, ça m'étonnerait que tu y parviennes en tant que maire, dans une réunion avec des élus.
Regina lui sourit de toutes ses dents, ce qui agaça prodigieusement l'institutrice. Emma paraissait absente, mais fit un effort, pour que le calme revienne.
- Maman, ça suffit, et c'est puéril. Vous ne vous montrez pas sous votre meilleur jour.
- Je refuse de laisser cette langue de vipère se repaître de tes faiblesses !
- Merci, maman. Ta délicatesse t'honore !
Les membres du jury se raclèrent la gorge, pour reprendre la situation en main. Ils se déplacèrent jusqu'à la table de Granny, qui comme à l'accoutumée, fit un tabac avec sa tarte aux noix de pécan. Vint enfin le tour de la famille Nolan. Mary-Margaret était plus pimpante que jamais, alors qu'Emma voulait simplement disparaître.
- Voici notre charlotte aux fraises. Emma a activement participé à l'élaboration de ce dessert, n'en déplaise à la sorcière !
Le jury ne releva pas la pique et dégusta de bon cœur les généreuses parts de l'institutrice. Le sourire qu'ils arboraient alors s'effondra comme une montagne au chamboule-tout. Ils ne recrachèrent pas leurs bouchées, mais ce fut uniquement parce qu'ils n'avaient pas de poubelles à proximité.
- Mais… C'est une plaisanterie ?
- Non, pas du tout. Je ne comprends pas. Pourquoi dites-vous une chose pareille ?
- C'est infect ! Vous voulez nous tuer ?!
- Absolument pas ! Je sais encore faire un gâteau !
Mary-Margaret plongea une cuillère dans la pâtisserie et la porta à ses lèvres. Elle grimaça à son tour, sans comprendre.
- Mais c'est impossible. C'est forcément un coup monté ! La sorcière a dû faire un tour de passe-passe et a ruiné ma création !
- Pas besoin, visiblement, tu y arrives très bien toute seule.
Emma, à son tour, goûta le plat et ne se priva pas pour tout recracher. Elle contempla l'horreur gustative et soudain, elle se mit à rougir, malgré la farine qui la couvrait encore.
- Euh, si par inadvertance, la farine avait été remplacée par, je ne sais pas, du bicarbonate, ça donnerait quelque chose de similaire, non ?
Sa mère la regarda les yeux écarquillés.
- Tu n'as pas fait ça, Emma ? Par pitié, dis-moi que tu n'es pas si bête…
- Je ne suis pas stupide… Mais les deux paquets se ressemblent et ça m'ait déjà arrivé une fois… Et ça avait sensiblement le même goût. Je crois m'être trompée en faisant les courses.
Mary-Margaret se frappa le front avec sa main, devant la bêtise de sa propre fille. Elles devaient se serrer les coudes, pas se tirer dans les pattes. La mairesse arborait un air goguenard sur le visage et la plupart des personnes alentour riaient aux éclats. Ruby asséna le coup de grâce.
- On ne s'ennuie jamais avec toi, Emma ! C'est pour ça que les gens t'ont choisi ! Mais avec ta mère, vous êtes un vrai duo comique. Un peu de spacecakes ? Tu sembles en avoir rudement besoin !
La blonde était mortifiée, et son mal de crâne était de retour. Elle venait encore une fois de se couvrir de ridicule, et en public. Sa mère lui lança un regard meurtrier, ne supportant pas d'avoir été mise en défaut par son éternelle rivale. Elle s'adressa à sa fille, persiflant entre ses dents.
- Tu veux saboter nos chances d'être élues ? Tu préfères travailler avec l'autre perruche ?
- Tiens, tu la traites d'oiseau, c'est nouveau, ça. Toi qui les aimes tant, c'est un non-sens.
- Emma… Les perruches sont des oiseaux agaçants, qui font beaucoup de bruit et sont plutôt agressives. Elles ont mauvais caractère, comme elle ! Je ne suis donc pas blessante envers les perruches, qui sont de véritables plaies !
- Mais envers Regina, pas de souci ?
- Tu prends sa défense ?!
- Mais non…
Emma préféra se taire devant l'air contrarié de sa mère. Cette dernière commençait à monter dans les tours et cela n'augurait rien de bon. Le jury contemplait le désastre de cette année. Le plus âgé prit la parole, pour régler la situation.
- Bien. Vous êtes disqualifiées ! Nous servir cette horreur a eu le mérite de tous nous mettre d'accord. Donc, bon vent !
Mary-Margaret ne pouvait pas baisser les bras aussi facilement et laisser la place à son adversaire.
- Je conteste ! Je suis accompagnée d'un boulet culinaire et vous êtes drogués ! Donc je demande à ce que le jury soit relevé de ses fonctions.
La stupeur se lisait sur chaque visage présent. La petite brune venait de créer un superbe esclandre. Emma était rouge de honte et scrutait déjà par où elle pouvait s'enfuir.
- Je ne vous permets pas, madame ! Vous êtes mauvaise perdante, et ce n'est guère reluisant, surtout à votre âge !
- Pardon, êtes-vous en train d'insinuer que je suis… Vieille ?
Tout le monde se figea. Le ton employé laissait craindre un brusque accès de violence. Emma se mit devant sa mère et s'interposa, alors que son mal de tête gagnait en puissance.
- Maman, ça suffit, on a perdu, c'est pas grave.
- Ce n'est pas comme ça que tu vas gérer correctement cette ville. Tu n'as qu'à me laisser faire. Tu vas voir, nous pouvons encore gagner.
Devant la tête de caboche qui lui faisait face, Emma perdit complètement patience et annonça froidement sa décision.
- J'abandonne cette stupide compétition. Démerde-toi avec les autres, je m'en lave les mains.
Emma tourna les talons et partit sans se retourner. Les spectateurs étaient médusés, devant la scène qui se déroulait devant eux. Décidément, chaque apparition de leur shériff, dans le cadre de l'élection, était un pur divertissement ! Sa mère n'était cependant visiblement pas du même avis.
- Jeune fille, où crois-tu aller ainsi ? Tu reviens ici tout de suite, ou…
Emma se retourna brusquement, la main sur la crosse de son arme.
- Ou quoi ?!
- Emma, tu n'oserais pas tirer sur ta propre mère ?!
- Foutez-moi la paix !
La blonde se prit la tête entre ses mains et s'éloigna rapidement de l'attroupement. Tout le monde était soucieux. La sauveuse devenait-elle comme la sorcière ? Le pouvoir lui montait-il à la tête ? Mary-Margaret était-elle tyrannique, en réalité ? Il leur fallait choisir entre la peste et le choléra, apparemment, et ce n'était guère réjouissant.
Le jury reprit la main et annonça sa décision.
- L'équipe Nolan est disqualifiée et bannie à vie de cette compétition ! Idem pour Ruby Lucas, qui nous fait voir des marshmallows flottants. Oh, regardez, en voilà un tout rose ! Il en va de même pour le bloc de ciment de Belle French ! Quand on ne sait même pas lire correctement une recette de cuisine, on s'abstient ! Surtout pour une bibliothécaire… Esbroufeuse! Donc la finale sera, comme d'habitude, entre Granny et Regina Mills ! Mon dieu, faites que cette dernière reste maire, ou sinon, nous allons droit dans le mur !
Les deux dernières concurrentes en lice se toisèrent et portèrent leurs regards sur le jury. Les membres ne firent pas semblant de vouloir les départager, chacune ayant eu un coup d'œil assassin envers eux. Il y eut donc deux championnes en titre cette année-là, et il ne vint à l'idée de personne de vouloir les départager.
Près du port, Emma tentait de se calmer et de reprendre contenance, après la débâcle pâtissière. Elle avait à nouveau fait preuve d'une absurdité percutante pour la cuisine, et s'était couverte de ridicule. Elle commençait à en avoir ras-le-bol de ces crétins. Elle envisageait même de repartir à Boston. Après tout, personne ne la retenait ici. Son fils avait une mère qui veillait jalousement sur lui. Elle n'était utile à personne et se sentait plus seule que jamais. Elle savait aussi qu'une réunion avec le conseil municipal l'attendait, avec Regina comme partenaire. Elle ne voulait pas y aller, elle pouvait pressentir qu'elle n'y serait guère à son avantage, comme d'habitude. Et revoir la mairesse était au-dessus de ses forces.
Pendant ce temps-là, les gâteaux de Ruby s'envolèrent comme des petits pains, mettant les habitants en joie. Mary-Margaret était partie la queue entre les jambes et voulait coller une tarte à sa fille. La mairesse et Granny se complimentaient faussement, créant une ambiance électrique. Le jury avait été relégué aux oubliettes et faisait tapisserie. Cette journée était à mi-chemin entre un fiasco et un délire ubuesque. La moitié des spectateurs étaient sous l'emprise de la drogue, grâce aux gâteaux de Ruby, et agissaient en dépit du bon sens. La fée bleue regarda tout cela de loin, rejointe par une Zelena d'humeur facétieuse.
- Joli bordel. Je m'incline. C'est tellement mieux que le paintball, en effet. Les candidates en sont sorties grandies. Ou pas.
- Je ne vous ai pas sonné, ni demandé votre avis.
- Ma sœur est la prochaine sur la liste. Une réunion municipale… Cinquante billets qu'Emma s'endort avant la fin !
- Tenu ! Vous devrez servir de larbin à Emma si elle réussit ! Qu'en dites-vous ?
Après un moment d'hésitation, Zelena ne put s'empêcher d'acquiescer. Emma était connue pour s'endormir comme une souche à chaque réunion.
- Très bien, mais pas d'entourloupe !
- Ce n'est pas mon genre. Ne me confondez pas avec vous !
- Fauteuse de trouble !
- Emmerdeuse !
Là-dessus, la fée bleue lui tira la langue et s'évapora dans un nuage. Zelena se frotta les mains, les prochains jours s'annonçaient déjà épiques !
