C'est ainsi que le lendemain, Obi Wan se retrouva à traîner ses pieds jusqu'à la salle des mille fontaines, très ennuyé par cette corvée imposée.
Qu'est-ce qui avait pris à son maître ? Qui Gon savait qu'il se désintéressait totalement de la botanique. Jusque là, il se moquait bien qu'il apprenne ou non à cultiver… Depuis son envoi sur Bandoomer, le jeune homme essayait plutôt d'éviter à tout prix ce qui touchait de près ou de loin à de l'agriculture. Et Qui Gon le savait. Alors pourquoi diable l'avait-il envoyé travailler auprès de Maître Ue ?
La seule réponse qui lui venait à l'esprit, c'est que c'était une punition. Impossible de penser à autre chose. Et cela le faisait encore plus grincer des dents.
Il leva les yeux sur l'immense salle miroitante d'eau. Il mit quelques secondes à localiser Maître Ue. Elle était vêtue d'une tunique noire, bien plus sobre et pratique que son encombrante robe. Assise en tailleur devant le bassin aux nénuphars, elle méditait. Il la rejoignit lentement, et se tint derrière elle, silencieusement. Il aurait été impoli de la sortir de sa transe.
Timidement, il tendit son esprit vers elle à travers la Force, pour la deviner. Il ne l'avait jamais vue avant hier, et ne la connaissait pas. Elle avait l'air gentille et excentrique, comme l'avait prévenu son maître. Tant qu'à passer du temps en punition avec un jedi inconnu, ce n'était pas si mal que ça tombe sur elle.
Il la trouva rapidement. Son aura était difficile à manquer. Elle respirait la chaleur, le bonheur et l'humour. Il saisit hardiment un peu de cette Force si chantante pour l'enfouir au fond de son propre cœur. Il en avait bien besoin, et cela le réconforta aussitôt. Il n'avait que rarement rencontré une Force aussi vive. La plupart des maîtres jedis avaient appris à la dompter, à la canaliser, et elle se diffusait à travers eux, tranquille et sereine. Ce n'était pas cette explosion active et remuante.
"Vous vous sentez mieux, padawan ?
Pris sur le fait, Obi Wan arrêta son siphonnage et rouvrit des yeux qu'il n'avait pas eu conscience de fermer.
Mais le visage avenant de la jedi ne contenait aucune trace de reproche.
- Vous pouvez vous servir, l'avantage de la Force, c'est qu'on peut la partager à l'infini sans qu'il n'en manque jamais !
Obi Wan n'était pas certain d'être d'accord, mais il ne la contredit pas.
- Vous êtes prêt ? J'ai récupéré un sachet de haricots de Talus, et ils aiment la pluie, c'est le moment idéal pour les planter.
En effet, la météo était pour le moins pluvieuse, ces derniers temps. Mais aujourd'hui, le soleil perçait timidement la lourde couche de nuages gris.
Ils se dirigèrent dans les jardins, encore humides de la dernière averse. Ils parlèrent de tout et de rien, et Obi Wan accepta que Maître Ue le tutoie. Il se sentait bien avec elle. Mais, malgré la demande de réciprocité, il ne put se résoudre à dire "tu" un Maître. Il accepta toutefois de l'appeler par son prénom, Asa. Ils croisèrent peu de monde. Obi Wan ne connaissait pas très bien les recoins de cet endroit. Il découvrit avec une certaine surprise qu'il existait un véritable potager du Temple.
- Oui, c'est immense, soupira Maître Ue, comme si elle lisait dans ses pensées. Malheureusement, le Temple ne dispose pas de jardiniers en tant que tels, l'entretien des plantes est laissé aux volontaires. Cela occupe le plus clair de mon temps, mais je suis débordée.
Elle soupira encore.
- Si on accordait un peu plus d'attention au potager, nous pourrions atteindre une certaine autonomie.
- Le corps agricole de Bandomeer est là pour ça.
Maître Ue allait ajouter quelque chose, mais se tut. Elle ne voulait pas décourager la bonne volonté du padawan en lui expliquant le coût de la main-d'œuvre, les frais de carburant, la pollution engendrée… Elle n'était pas là pour ça.
- Prêt à te salir les mains ?
La moue peu convaincue du jeune homme la fit rire.
- Avant tout, désherbons !
Elle lui donna deux ou trois astuces pour éviter les crampes, lui montra comment faire, et délimita une parcelle d'une dizaine de mètres carrés à nettoyer et ils se mirent au travail.
Très vite, Obi Wan fut en nage. Il pensait que ce serait un peu pénible, mais pas éprouvant à ce point ! Il ôta son manteau, puis sa veste, et resta en tunique.
- Tu es trop pressé, tu te fatigues inutilement. Prends ton temps. Fais des pauses.
Obi Wan prit son conseil au mot, et s'installa sur le muret à proximité pour souffler. Il observa comment Maître Ue opérait : à mouvements lents, calculés, aucun geste inutile. C'en était hypnotisant. Il secoua la tête et tendit son visage au maigre soleil. On percevait quand même une certaine chaleur, c'était bien agréable. Depuis quand ne s'était-il pas juste posé au soleil ?
En fait, curieusement, cette sensation ne lui paraissait pas si lointaine. Il fronça les sourcils. Cela faisait plusieurs mois qu'il n'avait pas quitté le Temple, il aurait dû se sentir bien plus en manque que ça. Soudain, il comprit.
- Asa ! Votre Force me fait penser à un soleil !
Il rougit aussitôt de ses propos confus. Mais la jardinière ne parut pas intriguée.
- C'est ainsi que je l'ai voulu. Je me suis inspiré du soleil de ma planète natale.
- C'est incroyable, j'ignorais qu'on puisse ainsi orienter notre perception, et encore moins qu'on pouvait la puiser dans la nature !
- Est-ce que ça te donne envie de venir plus souvent au jardin ?
- J'ai bien peur de n'avoir aucune affinité avec les plantes.
Maître Ue en profita pour approfondir la question de la Force.
- Tu peux aussi puiser en tes sentiments pour orienter la façon dont tu perçois son pouvoir. La Force est bien plus puissante dans la joie. C'est mon crédo : la Joie dans la Force.
- Je croyais que les sentiments étaient bannis.
- Nous ne sommes pas des machines. Nous ressentons forcément. Il est demandé aux Jedis de ne pas s'attarder sur ces sentiments, qui peuvent prendre des tournures désagréables. Mais la joie ? Être un Jedi n'interdit pas de chercher le bonheur.
- Mes recherches sont au point mort, marmonna le jeune homme, défaitiste.
- Je ne voudrais pas te paraître condescendante, mais le bonheur, c'est toi qui en décide. Préfères-tu valoriser ce qui te rend triste ou ce qui te rend joyeux ?
Asa avait quitté sa parcelle et était venue s'asseoir près de lui.
- Je n'ai pas beaucoup de raisons d'être joyeux ces temps-ci.
- Mais si. Ce sont des détails, et tu ne les remarques pas. Je vais t'apprendre. En attendant, finissons de désherber, et plantons nos haricots.
Ils se remirent au travail en silence. Obi Wan réfléchissait à ce qui aurait pu le réjouir dernièrement. Il y avait le repas de la veille. La nourriture préparée par Asa était vraiment excellente, et sa folie douce l'avait fait rire. Il avait aussi revu Bant, ça lui avait fait tellement plaisir ! Et il avait eu la note maximum à son examen d'analyse politique, pour lequel il avait tant révisé. Oui, Maître Ue avait raison, il avait des raisons d'être heureux, mais les rapports tendus avec son maître gâchaient tout. Il ne parvenait pas à aller au-delà.
- Et bien voilà, nous avons fini ! L'heure est à la plantation !
Elle lui montra comment faire un trou dans la terre avec le plantoir, poser la graine dedans et recouvrir.
- Tu vois, c'est facile !
En effet, par rapport au désherbage, c'était plus reposant. Ils eurent fini rapidement, et s'assirent pour boire un peu d'eau. Puis Asa se frotta les mains :
- Bien, maintenant, il faut danser.
- Pardon ?
- Oui, ce sont des haricots de Talus, ils sont très timides, et ne germent que si on détourne l'attention d'eux.
- Vous vous moquez de moi.
- Pas du tout.
- Aucun végétal n'est timide !
- Et bien, les haricots de Talus le sont.
Même si ses yeux riaient, elle avait l'air sérieux. Elle se leva, lissa sa tenue, ferma les yeux, se concentra et leva les bras au-dessus de sa tête.
- C'est parti pour la danse des haricots.
Et sous les yeux ébahis et consternés d'Obi Wan, elle se mit à sautiller et à se tortiller de façon désordonnée.
- Allez, viens !
- Pas question.
- Les gens ne regardent pas.
En effet, les quelques promeneurs avaient disparu. Sans cesser de danser, Asa expliqua :
- Les humains sont très pudiques, et détourne les yeux quand d'autres laissent éclater leur joie.
Un flâneur apparut au bout de l'allée, et reparti aussi sec en voyant Asa danser.
- Tu vois ? Allez, rejoins-moi, et trouve de la joie dans la danse jeune padawan !
Le ton était impérieux, à tel point que le jeune homme, qui s'était mis debout sans y penser, se demanda si elle n'avait pas utilisé la Force pour le convaincre.
- Danse, Obi Wan, danse !
Dans un petit rire gêné, Obi Wan joignit les mains au-dessus de sa tête, et commença à sautiller.
- Ressens la joie !
Il se sentait surtout parfaitement ridicule.
- Regarde, les haricots poussent !
En effet, là où il n'y avait plus que de la terre quelques minutes auparavant, des petites pousses sortaient du sol.
- Danse plus fort !
Incrédule, Obi Wan redoubla pourtant d'efforts. Maître Ue synchronisa ses mouvements aux siens, et très vite, ils inventèrent une petite chorégraphie. Sans cesser de danser, Asa éclata de rire, et Obi Wan ne put s'empêcher d'en faire autant. Ils dansèrent et rirent jusqu'à ce qu'épuisés, ils s'écroulent sur un banc proche.
C'est là qu'ils virent que Maître Jinn les regardaient, bouche bée.
- Comment ! Vous étiez là et vous ne nous avez pas rejoints ? protesta Maître Ue.
- Je, euh… C'était quoi ça ?
- La danse des haricots, répondit-elle le plus sérieusement du monde.
Obi Wan et elle repartirent dans un fou rire. Le jeune homme avait mal aux côtes, sa respiration partait en lambeaux, mais qu'il se sentait bien !
Qui Gon attendit patiemment que les deux compères retrouvent leur souffle, et demanda :
- Je venais chercher mon padawan pour un petit entraînement au sabre.
- Il est tout à vous, nous avons fini.
Mais avant de laisser partir le padawan, elle le prit par les épaules et murmura :
- N'oublie pas, Obi Wan, trouve de la joie dans ta vie. La tristesse ne vaut pas qu'on s'y attarde. Ne sois pas un haricot. Ris, vis, danse !"
