Bonjour bonsoir a toutes et tous !

Je remercie du fond du cœur BlueRavenCordyr et Bernard.f pour leurs reviews encourageantes, j'espère que ce chapitre vous plaira ainsi qu'à tout les lecteurs et lectrices de l'ombre !


CHAPITRE 4 : L'ESPRIT DE NOËL

- Vous ne voulez toujours pas me parler de votre famille ?

Cela faisait bientôt deux mois que Jean se rendait chaque samedi chez sa psychologue. C'était une femme d'une cinquantaine d'année, très douce et qui sentait la clémentine. Elle recevait ses patients chez elle, dans son patio à l'ombre d'un saule pleureur. Cet endroit était devenu un véritable écrin de réconfort pour Jean qui y trouvait toujours un plaid, quelques chants d'oiseaux et des caramels disposés sur la table basse qui le séparait de Madame Mertens.

- Non.

Il avait rapidement réussi à s'ouvrir à cette femme. Elle l'avait accueilli sur un pied d'égalité, pas comme s'il était malade et qu'elle avait une autorité supérieure. Juste comme une personne capable d'en aider une autre. Elle semblait toujours touchée quand Jean lui demandait en arrivant comme elle allait, et même si au fond de lui Jean ne voyait pas où tout ça le menait, il se sentait mieux.

- Et vos cauchemars ?

- Ça va mieux. J'en fais moins souvent et ils sont moins durs. Maintenant je suis juste perdu dans les ruines avec la peur qu'il arrive mais je ne le vois jamais.

- C'est une grande avancée !

Jean la regarda sans lever la tête tout en laissant un maigre sourire étirer ses lèvres. Pour elle, tout semblait être un progrès. C'était appréciable de se sentir valorisé mais il avait parfois l'impression qu'elle exagérait.

- Et d'une façon générale, comment vous sentez-vous face au monde ? Vous arrivez à réagir en adéquation avec ce qui vous entoure, à ne pas vous épuiser ?

- Je crois. Rien ne me passionne vraiment mais j'arrive à suivre mes cours.

- Et vos douches brûlantes ?

Jean fit craquer ses doigts en baissant les yeux. Elle nota silencieusement qu'il continuait à se faire du mal car oui, s'empêcher de manger, de dormir, prendre des douches qui lui brûlait la peau ou sortit en t-shirt à moins cinq degrés était dans son cas une façon de se faire du mal, de ressentir quelque chose et de se punir pour la faiblesse dont il pensait faire preuve.

- Je ne fume plus. Enfin depuis la semaine dernière je n'en ai pas eu envie en tout cas.

- Et le café ?

- Juste mon thermos.

Jean se détourna complément de la séance quand il aperçut un petit oiseau voltiger autour de l'arbre sans feuilles. L'hiver était bien là et le jeune homme s'étonna de voir cet oiseau jusqu'à ce que, en suivant sa course frénétique entre les branches, il le voit se poser sur l'une d'entre elle qui supportait une petite boule de graisse et de graines. Pas étonnant venant de sa thérapeute.

- Et si nous parlions de Pompéi ?

- Pourquoi faire, grogna le jeune homme en s'enfonçant plus profondément dans le fauteuil, les bras croisés contre son torse.

- Parce que toutes vos angoisses semblent venir de là. Quelque chose vous a frappé ce jour-là ?

- Vous voulez dire à part voir des cadavres qu'on présente comme une attraction touristique ?

- Qu'avez-vous ressenti face à cette personne ? Questionna simplement madame Mertens en faisant fit de la remarque cinglante de Jean. Elle avait vite compris que son patient utilisait le sarcasme comme moyen de défense et que couplé à sa mauvaise gestion des émotions, pas que de la colère, il valait mieux ignorer ses piques.

Le jeune homme prit une grande inspiration et ferma les yeux. Il avait beau agir comme un adolescent ingrat, il appliquait toujours les méthodes qu'elle lui avait donné pour mieux comprendre ce qu'il sentait ou pensait. Au fond, accepter une aide psychologique lui faisait mal car il avait l'impression que oui, comme on avait pu lui répéter tant de fois, il avait un problème.

- Une immense détresse.

La thérapeute nota sans dire un mot. Elle avait posé cette question une seule fois auparavant, quand Jean avait parlé de cette journée comme étant la source de ses cauchemars et angoisses actuelles. Il avait simplement évoqué une fatigue et une déprime passagère face à la mort, mais elle avait senti plus et avait attendu qu'il s'ouvre à elle pour revenir à ce sujet. En le voyant chercher ses mots en effectuant des petits mouvements inconscients avec ses mains, comme s'il brassait tout le vocabulaire qu'il possédait, elle comprenait que c'était le bon moment.

- Comme quand vous voyez un proche en détresse en fait. J'avais l'impression que j'avais une réaction empathique mais envers moi-même. Ça m'a fait comme si un vide avait explosé en moi et que rien pourrait le combler.

- Vous avez déjà eu ce genre de réaction hyperempathique ?

- Non, lâcha Jean en haussant les épaules. Il n'était pas insensible mais avait conscience que l'empathie en toute circonstance n'était pas son fort.

- Et c'est depuis cette émotion que vous vous sentez mal ?

- Plus mal.

- Plus mal, corrigea madame Mertens avec un sourire désolé.

Ce que Jean ignorait, c'est que ses silences étaient pour elle tout aussi riches que leurs échanges. Il ne mentionnait jamais son père, parlait de sa mère au passé avec une nostalgie troublante, mettait un point d'honneur à éviter de parler de ses relations amoureuses. Une liste entière était dédiée à ses possibles antécédents dans son dossier, et aucun point n'était meilleur qu'un autre.

- Je sais pas, si j'étais un clou ça aurait été le coup de marteau fatale pour m'enfoncer dans la merde.

- Vous avez souvent cette impression d'être enfoncé plus bas que terre.

- Ouais, je sais, ricana le jeune homme en croisant les jambes lascivement. Vous m'avez déjà dit que j'avais aucune confiance en moi.

- C'est un problème que l'on peut aborder si vous voulez, tenta madame Mertens en se penchant vers Jean dans une envie de signifier qu'elle était là pour l'épauler.

- Et donc parler de mes parents. Non.

- Vous préférez que leurs fantômes vous causent du tort ?

Jean soupira en regardant sa thérapeute. Elle avait cet air qu'elle avait déjà abordé plusieurs fois, quand elle avait failli obtenir la réponse qu'elle attendait et qu'il se braquait. La dernière fois, c'était pour lui faire admettre que oui, il se faisait du mal.

- Je vis pas avec leurs fantômes.

- Toutes vos angoisses semblent pourtant puiser leurs forces d'eux !

La thérapeute laissa tomber son sourire apaisant quand elle remarqua à quel point le corps entier de Jean se refermait. Il croisait les bras et ses poings étaient serrées au point de faire ressortir ses phalanges d'un blanc presque immaculé. Il avait croisé encore plus, si c'était possible, ses jambes, s'était enfoncé dans le fauteuil et sa mâchoire s'était contractée visiblement. Quant à son regard, s'il en avait été capable il aurait foutu le feu au pot de fleur qu'il fixait.

- C'est pas eux.

Elle n'ajoute pas un mot. Jean était en équilibre entre l'échange et le silence. C'était à lui de décider s'il voulait parler et même si un jour ou l'autre il devrait le faire pour continuer d'avancer, cela devait venir de lui pour être efficace.

De longues minutes de silence s'écoulèrent, pesantes. L'oiseau s'envola de sa branche une fois le ventre plein et voltigea au-dessus du patio avant de s'éloigner au-delà de la vision de Jean. Sa mâchoire lui faisait mal, mais la contracter plus fort que tout était la seule chose qui empêchait ses larmes de jaillir.

Il jeta finalement un coup d'œil à la pendule accrochée là, et voyant que sa séance était finie se permit de lancer à demi-mot, comme s'il avait espoir qu'elle n'entende jamais ;

- C'est juste mon père.

oOo

- Vous allez faire quoi pour noël alors ?

Connie grimaça. Non, vraiment, Eren n'avait aucun tact.

Pas qu'il soit au courant de la situation de Jean, mais quand celui-ci avait mis en évidence le fait qu'il devait rester ici pendant les vacances pour des raisons personnelles, enchérir sur cette question n'était en rien pertinent.

- Je vais aller voir mon grand-père, déclara Armin en frottant ses mains couvertes d'une paire de moufles.

- J'espère que mes parents ont prévu un grand repas, toute ma famille sera là !

- Et toi Connie ?

- Je sais pas.

Eren arqua un sourcil avant de se tourner vers Sasha et Armin en expliquant l'attendu, à savoir qu'il rentrerait avec Mikasa chez ses parents. Connie fit la moue devant ce manque d'intérêt pour sa personne et enfonça un peu plus son bonnet sur ses oreilles tout en tournant la tête vers Jean.

Ce dernier regardait d'un air distrait le département d'art, les yeux dans le brouillard et les lèvres bleutées. Il avait enfin recommencé à se couvrir plus convenablement mais malgré-lui, il refusait de ne porter quoique ce soit de plus qu'un pull.

- Tu peux rentrer avec moi, lui chuchota Connie en prenant garde à ce que Eren n'en entende pas un mot. Mes parents seront heureux de te voir.

Jean haussa les épaules.

Il pouvait bien sûr annuler son rendez-vous avec sa psy et aller dans la région de Connie, mais d'un côté la perspective de passer des vacances de noël à pester sur l'entièreté du monde l'enchantait plus qu'il ne l'admettrait jamais. Je commence à ressembler au Grinch pensa-t-il, se faisant sourire tout seul.

- T'inquiète. Si besoin je viendrais en car.

Le petit groupe put enfin quitter les marches lorsque Mikasa sortit de la bibliothèque. Studieuse, la jeune femme avait emprunté une dizaine de livres à étudier pendant ses vacances, une idée qui avait même épaté Armin.

Tous se séparèrent vers l'arrêt de bus, chacun dans une direction opposée. Jean aurait pu prendre le même qu'Eren et Mikasa, mais même s'il appréciait l'étudiante pour une raison inconnue il savait qu'il n'aurait pas supporté un trajet face à la tête de gland qu'était son demi-frère.

Seuls Connie et Sasha passèrent le voir avant leur départ. Connie refusa de le quitter sans une énorme accolade amicale et une dernière invitation à le rejoindre, tandis que Sasha lui avait offert une petite boîte en métal rempli de sablés de noël qu'elle avait fait. C'était des petits poneys couverts de glaçages formant des écharpes et des nez rouge, un hommage au vieux surnom qu'Eren donnait à Jean, ce qui selon la cuisinière en herbe était, de toute façon, plus original que des cerfs. C'était ce genre de petites attentions qui rappelaient à Jean à quel point il avait deux amis en or.

Ses vacances passèrent rapidement. Il s'autorisait un poney par jour, au moment de son film de noël sur lequel il évacuait toute la haine en lui. Trop niais, trop coloré, trop romantique, trop classique, il avait la critique facile.

Le plus dur était le matin, au réveil. Il était affreusement seul dans son appartement, aucun bruit, aucune vie. Il ne s'en plaignait pas, il préférait nettement le silence de la solitude aux reproches incessants mais voir des gens heureux dès qu'il mettait un pied dehors ou qu'il allumait la télévision commençait sincèrement à le gonfler. Il avait délaissé son téléphone car même avec tout l'amour du monde, supporter les stories pleines d'esprit de noël et de bonheur familial lui donnait la nausée.

Le vingt-cinq décembre arriva finalement. Aucun cadeau à ouvrir, et juste des messages de ses amis lui souhaitant un joyeux noël comme on souhaiterait bonne année à quelqu'un qui a tout perdu dans celle qui s'achève : par politesse, pour ne pas évoquer la souffrance derrière le sourire. Jean avait prévu de rester enfermé à regarder de vieux westerns, mais un cas de force majeur se présentait à lui.

Il avait fini tous les sablés de Sasha la veille dans un élan dramatique. Et même s'il était seul, il pouvait s'offrir un bon repas. C'était une des choses qu'il avait accepté avec ces rendez-vous chez madame Mertens, il méritait d'être heureux, il méritait de se faire plaisir. Et pour marquer le coup, il s'offrit un pavé de saumon, quelques haricots et petites pommes de terre, une bouteille de vin blanc et une forêt noire rien que pour lui.

Alors qu'il venait d'enfourner son saumon, son téléphone sonna et il se crispa en voyant le nom affiché. Pourtant, parce qu'on lui avait toujours dit qu'il fallait être poli, répondre aux téléphones et à ses parents, il décrocha.

- Allô.

- Joyeux noël Jean.

Jean resta silencieux. Il n'avait pas entendu la voix de sa mère depuis son anniversaire plusieurs mois auparavant, et surtout il entendait des rires et des bruits de couverts en fond. Visiblement, personne ne souffrait de son absence.

- Bon noël maman.

Bon, car pour lui il n'y avait rien de joyeux. Il voulait qu'elle le comprenne, mais quand il l'entendit reprendre son souffle pour lui parler, il su immédiatement qu'elle n'avait pas saisi le message.

- Je pensais venir te voir après le nouvel an, voir ton appartement et-

- Non maman. J'ai pas envie de vivre ça en sachant que vous allez encore vous engueuler après.

Il finissait à peine sa phrase qu'une voix masculine se fit entendre, puis le bip du téléphone. Jean pouffa de rire en posant son portable sur la table de son salon, ravalant amèrement des larmes de colère. C'était comique cette situation, pourquoi sa mère voulait-elle l'appeler sans faire attention à qui pouvait l'entendre, ils allaient encore passer le repas à se disputer.

Pas que son père soit un monstre pour les autres, il ne l'était que pour lui. Trop petit, trop maigre, trop faible, trop efféminé, trop bête, Jean n'avait rien pour lui aux yeux de cet homme. Que dirait-il aujourd'hui face à un étudiant en histoire aux cheveux longs, consultant chaque semaine une psychologue pour des problèmes d'angoisse et de dépression ? Il se moquerait sans doute. Je te l'avais dit, t'es faible. T'es malade. T'es pas normal.

Il avait tellement entendu cette remarque qu'il avait fini par y croire. Pendant des années, il s'était vu comme un rebut de la société, un fou que personne ne veut croiser à part ceux déjà piégés comme Connie. Il surjouait la confiance pour intimider, mais la moindre remarque le travaillait en réalité pendant des heures, des jours et finalement des années. Sa colère trop facile à toucher était une arme face à ce qui pourrait le blesser. Gueule le plus fort et on te gueulera pas dessus était devenu son mantra. Sans Connie, il serait devenu un sale con, peut-être même pire qu'Eren.

Son saumon n'avait plus aucune saveur suite à ce coup de téléphone. Il pianota distraitement sur son téléphone pour informer Connie de ce qui venait de se passer et comme il s'y attendait, ce dernier l'appela aussitôt.

- Tu encaisses ?

- Je m'y attendais. Mais je préfère t'appeler que …

- T'as bien fait, coupa Connie qui ne voulait même pas imaginer ce que Jean aurait pu faire d'autre. T'es sûr que tu veux pas nous rejoindre pour le nouvel an ?

- Non t'inquiète. Je vais avancer mon projet de fin d'année et m'acheter ma petite bouteille de champagne.

- Tu lâches rien, ricana son ami au bout du fil. Jean se moqua de lui-même et discuta de longues minutes avec Connie avant de le laisser aller ouvrir ses cadeaux, après que celui-ci ait précisé que ses parents avaient acheté quelque chose à Jean.

Ce dernier passa les derniers jours de ses vacances à étudier, dessiner, nourrir les oiseaux et faire du pain d'épice pour Sasha. Il avait l'impression d'avoir été propulsé à ses soixante-dix ans mais il s'en moquait.

Pour la première fois depuis des mois, il ne faisait plus que des rêves.

Pour la première fois depuis des mois, il se contentait de ce qu'il avait et était reconnaissant envers ses amis, envers lui-même, et essayait d'être plus indulgent envers ses fautes.

Alors quand minuit sonna le soir du trente-et-un décembre, le seul souhait qu'il formula était de continuer sur cette lancée.

Et ce soir là, il fit le plus beau des rêves, dans les bras amoureux d'un jeune homme aux joues constellés de taches de rousseurs, un rêve qu'il prit comme le signe qu'il se réconciliait enfin avec lui-même, bien loin de réaliser à quel point ses rêves avaient une signification encore plus profonde que sa thérapeute pouvait le croire.