NUIT #37
Quatre heures après minuit:

Il dormait.

Elle s'avança vers lui les bras levés, la mâchoire serrée, les palpitations saccadées de son coeur lui donnaient envie de déguerpir au plus vite.

Elle devrait pas être ici. Pas maintenant.

Elle le savait, et pourtant — cela rendait l'expérience tellement plus satisfaisante. Elle brisait les règles, mais n'avait pas le coeur à s'en soucier.

Il dormait, comme si la vie n'avait pas d'emprise sur lui, il dormait comme l'homme innocent qu'il n'était pas.

Elle s'approcha sur la pointe des pieds. L'image qu'elle renvoyait devait être pathétique.

C'était étrange, elle pensa, comme sa forme endormie paraissait pure, en totale incohérence avec la personne qu'il était. Hermione le savait, derrière ses traits angéliques, Drago Malefoy était un démon qui se délectait du chaos dans lequel son camp avait plongé le monde.

Elle le regarda dormir quelques minutes, muette, se demandant bien s'il rêvait. De quoi devait-il rêver ?

Sûrement qu'elle meure, elle et tous les membres de l'Ordre. Oui — il les haïssait. Au début, elle avait été surprise par l'intensité de sa haine, par sa férocité, le Malefoy adolescent qu'elle avait connu était un être pétri de rancune mais cette haine là, elle n'en avait jamais vu d'aussi profonde.

En lui parlant — du moins en essayant d'échanger quelques mots avec lui sans que cela ne dérape en une session de cris, d'injures et de menaces— elle avait compris.

Dès que l'Ordre avait une victoire, Malefoy perdait quelque chose. Il avait d'abord perdu sa mère, tuée après qu'il ait échoué à tuer Neville, puis son père, son manoir, sa fiancée.

Hermione l'avait écouté énumérer toutes les choses qu'on lui avait arrachées.

Elle ne l'avait pas plaint. Pas une seule fois.

Pire, elle s'était mise à le détester avec la même ferveur. Comment pouvait-il subir tout ça et rester auprès de Voldemort? Comment pouvait-il encore les haïr en ayant tout perdu? Comment pouvait-il vivre en sachant pertinemment qu'il n'était plus que l'ombre de lui-même ?

Combien d'hommes, plus vaillants, avaient péri pour la bonne cause?

Pourquoi n'avait-il pas perdu sa vie?

Quel genre de dieux veillaient sur Draco Malefoy ?

Les dieux du chaos, Hermione en était persuadée.

Alors non— son allure endormie ne l'amadouait pas, elle savait que tout n'était qu'illusion. À l'intérieur, il était sale, pourri, rongé par une noirceur qu'elle avait appris à apprivoiser.

Elle le détestait. Il la détestait.

C'était simple, rien d'ambigu, rien qui ne nécessite plus ample réflexion.

Il était vivant. Et tout près d'elle.

Ron avait disparu. C'était simple, et pourtant si cruel.

Mais Draco Malefoy respirait encore, comme une incarnation de l'injustice même.

Elle le détestait. C'était normal, cette haine tenace — tellement plus normal que les horreurs de l'extérieur. Dans cette cave humide où elle l'interrogeait, ils avaient créé leur cocon de haine. Chacun retrouvait ses rôles, suivaient sa partition. Sang de Bourbe. Mangemort. C'était simple. C'était blanc et noir.

Hermione n'avait plus la force d'apprécier les nuances, ni même de les assumer. Elle essayait d'être ce que les circonstances voulaient qu'elle soit.

Mais la colère était si forte. Aveuglante.

Elle le détestait, là encore, c'était si simple de le détester. La haine lui prenait trop d'énergie mais lui donnait aussi une raison de plus de se lever du lit.

Elle ne ressentit donc aucune culpabilité lorsqu'elle pointa le bout de sa baguette sur la tête blonde de Malefoy.

Il était là. Ron était loin. Perdu. Peut-être—-

Non—-

Peut-être — mort.

Elle pressa un peu plus la baguette contre le crâne de Malefoy et murmura le premier sort qui lui vint à l'esprit.

Et le sang jaillit.

Rouge sur blanc.

Le temps n'était plus aux nuances.


NUIT #37

Quatre heures et dix minutes après minuit:

Le sang de Malefoy reposait sur sa peau, s'infiltrant dans chacun de ses pores.

Hermione le sentait.

Comme un venin.

Comme un poison.

Elle entendait vaguement les cris de Malefoy. Ils se perdaient, comme rendus muets par le sang qui lui battait aux tempes.

Elle monta les marches comme un automate. Pied gauche. Pied droit. Le reste n'existait plus. Peut-être que ses mains tremblaient, peut-être qu'elle hallucinait.

Peut-être qu'il criait encore. Elle ne savait pas vraiment.

Soudainement, plus rien n'était simple. Ni le calme angoissant qu'elle ressentait, ni l'acide qui se frayait un chemin dans sa gorge.

Elle ouvrit la porte et la lumière du couloir l'éblouit pendant un instant. Elle ferma les yeux très fort - quelques étoiles dansèrent sous ses paupières - elle se sentit nauséeuse.

Ses yeux étaient encore clos lorsque une main atterrit sur son épaule. Elle lâcha un cri, ou bien un sanglot. Elle ne savait plus, sa propre voix lui paraissait déformée.

Zabini lui faisait face, il était près - trop près. Il était en colère - non, furieux. Il la regardait, ses yeux prenant en compte chaque goutte de sang qui avait taché ses vêtements.

Elle put dire le moment exact où il comprit ce qu'il venait de se passer dans la cave. Ses yeux s'arrondirent, sa bouche s'ouvrit, il avait l'air absurde.

Son expression était presque risible, le choc lui donnait un air idiot qui ne lui seyait pas.

Avec sa voix que Hermione ne supportait pas, cette maudite voix trop haut perchée pour un homme de son âge et de son envergure, il demanda la question inévitable.

« Qu'est-ce que t'as foutu Granger ? Qu'est-ce que tu lui as fait!?»

Il dévala les escaliers, sans attendre la réponse. Qu'aurait-t-elle pu dire ?

J'ai laissé Malefoy dans sa mare de sang. Je ne ressens aucun regret.

Peut-être qu'elle aurait pu le dire de vive voix, après tout, aucun des deux n'était dupe. Chacun savait la vraie nature de l'autre. C'était dangereux et trop rare en tant de guerre.

Zabini se doutait déjà qu'elle était capable du pire. Quant à ces maudits regrets; il savait qu'elle n'en avait aucun.

Mais avouer ses méfaits à voix haute serait l'avouer à la terre entière, marquant une étape de plus vers une déshumanisation qu'elle exécrait, vers l'unique chose qui la terrifiait plus qu'un avenir sans Ron.

Elle ne pouvait pas être honnête avec les autres.

Elle marcha jusqu'à sa chambre, évitant les regards ahuris de Cho et Neville. Ses pieds la guidèrent mais son esprit était ailleurs. Encore coincé dans la cave, accroché à l'image du crâne ensanglanté de Malefoy.

Leurs conversations n'avaient jamais été tendres, auprès de lui Hermione se laissait aller à se démons. Elle cédait à sa haine, à sa bêtise. Chaque insulte qu'il vociférait à son encontre était une insulte à la mémoire des victimes de la guerre. Elle criait dans cette cave, elle creusait dans tout le tas de rage qui existait en trop grande quantité en elle. Elle puisait dans chaque frustration, crachant chaque goutte de venin qu'on lui avait contrait à avaler. Elle déversait tout sur Malefoy, et il lui rendait bien.

Tout ça, c'était avant la nuit dernière.

La nuit dernière Ron est mort aux yeux du monde. Mais pas pour elle - non jamais pour elle.

Et Malefoy, cet ignoble con avait l'insolence de respirer, de vivre, de manger leur nourriture alors qu'il ne coopérait pas.

Il ne coopèrerait jamais.

Elle le détestait, et ce sentiment était si puissant. Parfois plus puissant que l'amour qu'elle avait pour Ron.

Elle le détestait comme jamais. Cette haine, si profonde, une haine qu'elle ne pensait jamais ressentir, qu'elle ne voulait pas ressentir l'empêchait pour l'instant de se sentir coupable.

Non, elle revoyait l'image du crâne ensanglanté de Malefoy, et c'était terrible — terrible comme cela la réconfortait.

Zabini ouvrit la porte de la chambre sans toquer, comme s'il arrivait en terrain conquis.

Et elle sut que ce réconfort ne serait que de courte durée. Elle le vit dans le regard noir de Zabini, qui la dévisageait avec tout le mépris dont il était capable.

Qu'ont-ils pu penser? Elle, couverte de sang, avec Malefoy, au loin, hurlant à tue-tête?

Zabini s'avança et la prit par les épaules.

Sans délicatesse. Non - ses doigts s'enfoncèrent dans sa chair.

Elle put enfin déceler quelques mots que Malefoy vociférait deux étages plus bas.

Comment pouvait-il être encore conscient ? Peut-être que la haine l'avait anesthésié.

Elle arriva à comprendre quelques mots malgré le brouillard dans lequel était plongé sa tête. Salope. Sang de Bourbe. Connasse de Granger.

Je vais te tuer.

Je vais te tuer, il continuait de répéter, et une part d'elle eut envie de sourire et de repartir dans la cave, de plonger dans la gueule du loup pour qu'il mette ses menaces à exécution.

Comme pour accentuer le torrent de haine de Malefoy, Zabini la secoua. Une manière silencieuse de la maudire.

Elle eut envie de lui dire, tue-moi, finissons en. Finissons enfin avec les morts, les nuits solitaires et froides. Finissons en avec l'incertitude et cette angoisse perpétuelle qui me bouffe les entrailles.

Zabini se mit à crier, ses mots n'avaient pas de sens. Simplement des syllabes de haine.

Il la gifla, et le brouillard de son esprit se dissipa sous le choc.

«— Tu crois tout pouvoir faire. Plus jamais tu ne t'approches de lui. Il a intérêt à survivre, j'te le dis Granger. Sinon je te vire de cette maison en te traînant par ce tas de merde que t'appelles cheveux, je vais te dégager loin d'ici, m'en fous que t'aies un mini weasley dans le tiroir tout prêt à venir au monde. M'en fous. M'en fous si Luna est contre. Si Draco crève, je ferai en sorte que tu crèves. C'est pas des paroles en l'air, j'suis très sérieux.»

Il parlait vite, trop vite, Hermione regardait ses narines se dilater une à une, ce spectacle réduisait un peu la violence de ses propos. « Tu m'écoutes Granger? Je vais le dire à Kingsley. Tu vas déguerpir de l'Abri illico. Tu mérites pas mieux... Pour qui tu te prends putain? »

Peut-être qu'elle avait mérité cette violence. Elle savait que ce qu'elle avait fait à Malefoy était répréhensible, lâche. Un acte à mille lieues des beaux principes de Gryffondor. Elle savait qu'elle risquait gros. Mais sur le coup, voir la chevelure blonde de Malefoy se teinter de rouge lui avait fait un bien fou.

Voir ses yeux s'ouvrir de stupeur, le sentir trembler de douleur. Ça lui avait fait oublier les yeux bleus de Ron. Ces yeux qu'elle s'efforçait de ne pas imaginer fermés, ces yeux qui la hanteraient toute sa vie.

Zabini la traîna, comme un vulgaire déchet, vers la cuisine. Ses mains enserraient ses poignets, elle savait que cela ferait des ecchymoses. Elle s'efforça de le suivre dans les couloirs exigus aussi vite que possible. Ses jambes avaient la tremblote, son corps prit conscience de ce qu'il l'attendait avant son cerveau.

Prit conscience de ce qu'elle avait fait, surtout.

Une horrible pensée lui vint, était-elle mieux que Malefoy? Elle n'avait jamais prétendu être parfaite, mais elle savait qu'elle valait mieux que Malefoy.

Valait-elle toujours mieux que lui ?

Peut-être pas.