ET SUZAKU SAVAIT AIMER


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Et vous le haïssez ? Avouez-le, Madame.

L'amour n'est pas feu qu'on renferme en une âme :

Tout nous trahit, la voix, le silence, les yeux ;

Et les feux mal couverts n'en éclatent que mieux.


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Le visage de Kallen est baigné de lumière.

Accroupie sur le sol crasseux, elle peut la voir au-dessus de sa tête, loin par-delà ses mèches en bataille. Elle ne peut pas dire si la lumière est artificielle ou naturelle, mais elle a tellement froid que cela lui importe peu. Elle ressent quand même la chaleur, aussi illusoire soit-elle.

Elle porte un corps sans vie dans ses bras et elle a l'impression que la mort traverse ses os pour venir glacer son propre cœur. Des traces de larmes collent encore à ses cils et la robe britannienne — pourtant si jolie mais tellement haïssable — qu'on lui a fait porter est déchirée, pleine de boue, plus que loques et souillons, qui l'a aidé à attacher le cadavre contre elle.

A présent, Kallen doute. Elle peut entendre l'activité des privilégiés britanniens dans les étages d'au-dessus, mais ne s'inquiète pas de cette présence humaine. Aucun bourgeois ne viendra si bas et elle peut se cacher du personnel de cuisine.

Non, à présent, Kallen doute de C.C.

Juste avant de lui annoncer qu'elle se rendait en Euro-Britannia, la sorcière est venue la voir dans sa cellule (outrepasser la sécurité n'est pas un problème pour elle) et l'a inclus à son plan.

Quelques semaines après leur rendez-vous soudain, Kallen devait trouver un moyen de s'échapper de sa prison dorée et se rendre dans les sous-sols du bâtiment impérial à un endroit précis, donné au préalable, et C.C lui avait assuré qu'une fois qu'elle y serait, elle saurait agir en conséquence.

S'échapper n'avait pas été simple mais, après avoir assommé un garde et avoir récupéré une carte numérique, la japonaise s'était débrouillée suffisamment bien pour arriver à bon port sans avoir fait trop de grabuge.

Dans la noirceur crasseuse des sous-sols du palais de la Zone 11, Kallen avait trouvé le cadavre de Lelouch.

Zero est mort, Zero est mort. Pendant des heures elle s'était répété cette unique phrase, se retenant vaille que vaille de hurler sa détresse à une lune invisible, brisée, désespérée, perdue et, surtout, seule. Elle avait pleuré. Elle avait frappé le mur de pierre. Gémissante. Amoureuse. Croyante. Délaissée.

« Agir en conséquence » ? La bonne blague, se dit Kallen en escaladant un escalier de service abandonné.

C.C l'a fourrée dans un sacrée pétrin sans aucune explication et elle est en train de mourir de faim et de tristesse, privée de la lumière du jour, avec pour seule compagnie, le corps sans vie du seul homme qu'elle n'a jamais aimé.

La chose néanmoins inexplicable avec le cadavre de Lelouch est qu'il n'a pas l'air de se décomposer. Kallen a beau le regarder chaque jour et chaque nuit, sa peau livide continue de scintiller tel du nacre dans le noir, douce et glacée.

Alors elle se dit qu'il y a encore une chance, même si elle continue de pleurer sans personne pour l'entendre dans ces sous-sols miteux. Et, parfois, dans un moment de folie solitaire fugace, elle espère — non sans une certaine forme de violence — que ses larmes perdues trouvent écho chez Suzaku, quelque part dans son pays qu'il assiège sans vergogne, complice fortuné des meurtres de sa propre patrie. La haine l'aide à réchauffer le peu d'espoir qu'il lui reste, quand bien même elle ne déteste pas sincèrement Suzaku et quand bien même elle donnerait tout pour qu'il vienne l'aider en ce moment même.

Ainsi, et même si elle doute, Kallen remet sa vie entre les mains tâchées de C.C et se surprend à prier lorsqu'elle n'arrive plus à dormir. Détournant la tête pour ne pas à supporter la vision d'un Lelouch mort.


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« Zero, les troupes côté Est sont parées ! » hurla Ohgi de l'autre côté du couloir.

Zero n'acquiesça même pas, s'en contentant à un hochement de tête pour lui-même. La porte de sa chambre était encore fermée alors qu'il aurait déjà dû être dehors en train de donner des ordres pour commencer l'opération.

C'est une bonne chose que les troupes de la côté Est soient parées, se dit-il tandis que ses yeux fixaient les reflets de la lumière sur son masque polit. Ils avaient mis du temps avant de trouver une bonne cachette le long des Montagnes de Narita mais maintenant que cela était fait, leur plan avait plus de chances de se passer sans encombre.

En avait-il seulement envie ? Ressentait-il seulement des émotions ?

Sous le masque de Zero, Suzaku volait des valeurs qui n'étaient pas les siennes et jouait avec la vie d'hommes qu'il était censé combattre, comme si rien de tout cela ne pouvait le toucher. Quand il enlevait le masque, il était vide.

Simplement et ridiculement vide.

Pourquoi lui ? Pourquoi moi ?

Il avait juste l'impression d'être un fantôme. Tout s'était passé trop vite. Il n'avait pas eu le temps de se faire à l'idée que tout ce qu'il avait accompli ses dernières années avait été réduit en poussière, d'une pression du doigt, par le chagrin de V.V.

C.C l'avait laissé avec le corps ensanglanté de Lelouch dans la caverne détruite pendant approximativement un quart d'heure (le temps n'avait plus d'emprise sur lui de toute façon), et elle portait un costume de Zero propre lorsqu'elle était revenue. Elle le lui avait donné, en plus du masque, et l'avait aidé à se relever, maintenant le cadavre de leur ami commun sur son dos — Ami ? Il n'était plus mon ami.

« Mais tu ne voulais pas non plus qu'il meure. »

La sorcière l'avait conduit dans le Knightmare de Lelouch, abandonnant le Lancelot sur place, avant d'ordonner elle-même le repli des Chevaliers Noirs. Ils avaient volé pendant plusieurs heures — Rolo avait essayé de les contacter mais C.C avait coupé la communication sans décrocher — jusqu'à retourner sur la côte japonaise.

Suzaku avait enfilé le costume de Zero, l'esprit vide et les mains tremblantes. La sorcière, elle, avait caché le corps de Lelouch dans son Knightmare après l'avoir nettoyé, lui faisant savoir, après un appel au téléphone, qu'elle avait renvoyé Rolo vers Villetta en lui racontant que son supposé grand-frère avait été sévèrement blessé et qu'elle veillait sur lui.

Suzaku avait hoché la tête sans un mot et C.C lui avait mis une gifle.

« Ce soir, ce n'est pas toi qui es mort. Fais-lui honneur ! Fais-toi pardonner ! Tu n'as donc aucune volonté ? »

C'était comme si C.C acceptait le fait que le japonais fut triste du décès de Lelouch elle l'avouait et devait probablement bien être la seule.

« Tu regrettes tellement que ça te tue de l'intérieur. »

Oui, Suzaku regrettait. Néanmoins, s'y attarder dessus était infiniment plus douloureux que de faire ce qu'on attendait de lui. Alors il ne pensait à rien, se contentant d'élaborer des stratégies en fonction de ce qu'il savait sur Britannia. Certes, la facilité avait le goût froid de l'abandon mais il faisait déjà des cauchemars toutes les nuits. Se torturer psychologiquement encore là-dessus ne lui servait à rien autant plonger dans le premier gouffre venu.

Depuis, il incarnait Zero et Suzaku Kururugi devait avoir été porté disparu, loin de la Résistance Japonaise. Il se demandait comment pouvaient réagir les Knight of Round et le reste de la population britannienne, avant de se rappeler qu'il n'était pas considéré comme un vrai chevalier à cause de ses origines nippones.

Zero soupira et se leva de sa couchette, enfilant son masque. Il fallait qu'il y aille maintenant, ou les Chevaliers Noirs finiraient par se douter de quelque chose. Il ouvrit la porte de sa chambre, découvrant, avec surprise, Ohgi sur le palier.

« Zero ! » s'écria celui-ci en lui faisant un salut.

Le commandant des Chevaliers Noirs le rassura d'un geste de main, l'encourageant à continuer. Ohgi se rembrunit aussitôt, virant nerveux. Suzaku fronça les sourcils sous le casque.

« Je… Je sais que je ne devrais pas te demander ça alors que l'opération commence bientôt mais… »

La voix du soldat chancela mais, lorsqu'il reprit, son ton monta.

« Si l'occasion se présente, j'aimerais que l'on aille sauver Kallen ! Elle est prisonnière depuis des mois, on ne peut pas continuer sans elle ! »

Partagé avec la crainte, Ohgi semblait surpris de s'adresser ainsi à son chef, et Suzaku leva les yeux au ciel, exaspéré — Lelouch était-il si intimidant avec ses subordonnés ? Pas étonnant qu'il soit adulé par les japonais.

Un bref silence passa avant qu'il ne réponde, la voix vibrante à travers le micro du casque.

« Kallen est l'une de nos meilleures pilotes, Ohgi. Tu n'as pas à t'inquiéter. Il ne fut jamais question de laisser Britannia s'accaparer nos soldats sans riposter. »

Un sourire tremblant éclaira le visage du japonais alors que Zero venait poser une main sur son épaule : « Nous récupérerons Kallen. Fais-moi confiance. »

Suzaku en aurait vomis de dégoût, en colère d'être autant hypocrite. Zero se contentait de prendre son ton de messie habituel. Son être se disloquait en deux et il ne savait plus quoi penser.

A la place, il pressa légèrement l'épaule de Ohgi de ses doigts, avant de se reculer et, sans un mot, les deux hommes retraversèrent le couloir de l'Ikagura.

Le soldat se racla la gorge : « Les anciens du FLJ sont déjà à leur poste et les radars de Rakshata ont été placés aux endroits convenus. Nous n'attendons plus que vos ordres. »

Zero hocha la tête, sa voix forte — pleine de convictions — résonnant dans le Knightmare géant de l'Ordre : « Eh bien, allons-y. »


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QUELQUES JOURS PLUS TÔT

« Tu ne trouves pas que Zero est bizarre ces temps-ci ? » lâcha Diethard Ried d'un ton tranquille en avalant une gorgée de son café.

Ohgi recracha le sien dans une gerbe incontrôlée, subitement pris d'une quinte de toux, pendant que l'ex journaliste britannien plissait le nez de dégoût.

« T'es sûr que tu vas bien ? marmonna-t-il, circonspect.

— Non mais c'est toi qui ne vas pas bien ! Pourquoi tu parles soudainement de Zero, là, comme ça ?

— « Comme ça » ? Je n'ai rien dit, que je sache. Je le trouve juste bizarre depuis quelques semaines, c'est tout.

— Et pourquoi tu le trouverais bizarre, hein ? répliqua hargneusement Ohgi en s'essuyant la bouche. C'est Zero dont on parle là !

— Et alors ? Ce n'est pas un dieu, tu sais. Il est humain, il pourrait attraper un rhume ou quelque chose comme ça. »

Un sourire narquois se dessina sur les lèvres de Diethard Ried pendant que le soldat le fusillait d'un regard noir, bien conscient qu'il se fichait de lui.

« Pourquoi tu fais l'étonné, Ohgi ?

— Je ne fais pas l'étonné, arrête de dire n'importe quoi ! »

Malgré ses paroles invectives, le japonais jeta une œillade autour d'eux, comme pour s'assurer qu'il n'y avait personne pour les entendre dans le coin. Ils se trouvaient à côté de la machine à café, non loin du hall du quartier général, là où se réunissaient, la majorité du temps, les soldats pour une pause. Son attitude sur le défensive n'échappa pas au journaliste, qui se pencha vers lui, serpentin.

Ohgi déglutit, subitement moins sûr de lui. Si lui et le britannien étaient dans le même camp depuis les débuts de l'Ordre, lorsqu'il avait fallu libérer Suzaku Kururugi, le jeune homme n'oubliait pas qu'il servait les chaines de TV britanniennes au départ. Le patriotisme qui animait son propre combat ne pouvait certainement pas toucher son cœur aussi, restait-il méfiant.

De son côté, Diethard Ried faisait face à un choix. Il avait déjà des doutes sur la loyauté d'Ohgi — qui n'étaient apparus que très récemment — mais s'il commençait également à se pencher du côté de leur leader, c'était la fin des haricots.

Bien sûr, il aurait pu se tromper. Comme il l'avait dit, Zero était humain et un écart d'humeur de sa part trouvait similitude chez chacun de ses soldats. La guerre n'était pas facile, après tout.

Néanmoins, restait l'impression persistante, désagréable, que les discours de leur chef ne portaient plus la même ferveur qu'auparavant. Même ses gestes semblaient avoir changés, de même pour sa carrure, passée de longiligne à épaisse, voire musclée.

Diethard Ried était de plus en plus persuadé que quelque chose clochait. Qui sait ? Peut-être était-ce le signe annonciateur d'une intrigue qui le dépassait lui-même ? Il l'espérait à moitié. L'aventure le tentait plus qu'elle ne le devrait, en fin de compte.

Se décidant finalement à passer à l'action, le journaliste s'empara du bras d'Ohgi, faisant tomber son café, avant de l'entrainer dans un couloir vide de l'Ikagura, sous ses protestations ignorées.

« Sérieusement Diethard ! s'écria le japonais en s'écartant avec brusquerie. Je crois que tu réfléchis trop. Ce genre de comportement ne devrait pas-

— Ohgi, arrête. Je crois que tu te mens à toi-même. »

Un court silence accompagna ses paroles, pendant lequel le journaliste se permit d'apprécier les yeux ronds et l'air stupéfié de son interlocuteur.

« Tu es trop véhément quand tu parles de l'état de Zero, reprit-il d'une voix espiègle, alors ne me dis pas que tu n'as rien remarquer toi non plus. »

Il vit Ohgi s'humecter les lèvres, d'un seul coup indécis. Le sourire de Diethard s'élargit et il posa une main se voulant rassurante sur l'épaule du soldat.

« Alors ? Qu'en penses-tu ? »

Le teint d'Ohgi avait viré blême entre temps. Le regard qu'il posa sur le britannien n'avait plus rien de colérique et, lorsqu'il prit la parole, son ton était descendu de quelques octaves :

« C'est vrai qu'il a changé depuis l'attaque du labo secret de l'empire. Tu crois qu'il serait tombé malade ?

— On dirait surtout que ce n'est plus le même Zero.

— Ça ne tient pas debout et tu le sais. On n'a jamais vu Zero en personne, on ne peut pas dire si c'est lui ou quelqu'un d'autre. Zero a disparu pendant un an après la Rébellion Noire, tu te souviens ? On n'a dépassé ce stade de connaitre son identité, Diethard ! Maintenant, la seule chose que l'on peut faire, c'est croire en lui et le suivre. »

Diethard Ried savait qu'Ohgi n'avait pas tout à fait tort — en effet, il savait dans quoi il s'embarquait lorsqu'il avait décidé d'abandonner sa vie morose de journaliste privilégié pour celui de traitre terroriste.

Mais c'était plus fort que lui. Il n'arrivait pas à arrêter de penser que quelqu'un d'autre, un inconnu, avait remplacé leur Zero et que cela pourrait être n'importe qui. Un ennemi, un étranger. Peut-être même un politicien de la Fédération Chinoise. Qui pouvait savoir ?

Mais la flamme vacillante dans les yeux d'Ohgi calma ses ardeurs. Au moins avait-il allumé ses soupçons Diethard pourrait ainsi au moins compter sur une personne le moment venu.

Il adressa un dernier sourire à Ohgi avant de partir, le laissant figé d'incompréhension dans le couloir. Ils ne pouvaient pas prendre le risque de continuer à discuter de cela dans un endroit aussi exposé. Diethard se doutait qu'il aurait ses réponses bien assez tôt, de toute façon.

La vérité finit toujours par refaire surface.


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« A toutes les unités de la côte ouest ! Déplacez-vous en direction de la centrale et dissimulez-vous dans les renfoncements de la montagne ! »

Ça ne va pas. Ça ne va pas du tout.

Le début de l'opération avait pourtant bien commencé. Les troupes placées sur la côte est avaient contourné les montagnes de Narita sans se faire repérer, pendant que d'autres soldats avaient escaladé le flanc par le nord, réussissant à se faire prendre par l'armée Britannienne — mais dans l'unique but de faire diversion. Le reste de leur propre force pouvait ainsi agir en toute impunité et se glisser en territoire ennemi sans se prendre une défense préparée de plein fouet.

Mais Suzaku n'avait pas le Geass — alors Zero n'avait plus rien de miraculeux. Il le savait, et avait tout de même accepté le plan suicidaire de C.C.

Si elle n'était pas immortelle, il l'aurait probablement tué depuis longtemps cela dit.

Face aux ordinateurs striés d'éclairs rouges, les trois opérateurs de l'Ikagura ne cessaient de scander les mauvaises nouvelles.

« Le Knightmare de Szymanowski ne répond plus !

— Pareil pour celui d'Asahina.

— La Septième Escouade se disperse ! Zero ?

— Dites aux soldats de la Septième Escouade de rejoindre D3 à l'est.

— Trois autres Knightmares ont perdu la communication avec l'Ikagura.

— Comment se porte la Première Escouade ?

— Pour le moment, elle avance à une vitesse constante mais nous perdons des unités au fur et à mesure que nous approchons du Palais Impérial. Doit-on communiquer le repli maintenant, Zero ?

— Non ! On continue de suivre le plan ! »

Mais Schneizel fut plus rapide qu'eux tous, selon toute vraisemblance.

Suzaku devait avouer qu'il ne s'y attendait pas. Son plan était simple mais efficace : leurs sept escouades se répartissaient en trois groupes et se plaçaient de chaque côté des Montagnes de Narita. Une faisait diversion pendant que les deux autres prenaient à revers le Palais Impérial et venaient l'attaquer de front.

C'était risqué, certes — Britannia restait tout de même la première puissance mondiale, militaire et économique, mais Lelouch avait réussi à emmagasiner une quantité non-négligeable d'équipement, qui avait réussi à tenir tête à l'Empire pendant de nombreux mois. De plus, récemment, l a Fédération Chinoise s'était rangée aux côtés de l'Ordre des Chevaliers Noirs, doublant ainsi leur effectifs initiaux.

Suzaku n'était pas stupide. Sur le papier, Britannia restait plus puissant que le Japon. Mais les circonstances jouaient en sa faveur : la politique britannienne avait légèrement chancelé ses dernières semaines et il savait que, dans ces conditions, les Knight of Rounds seraient envoyés à Pendragon pour le prochain couronnement d'Odysseus.

Laissant alors le QG de l'Empire dans la Zone 11 sans réelle surveillance. Lorsqu'ils s'en rendraient compte, de l'autre côté du monde, il sera déjà trop tard.

En clair, le moment parfait pour un Coup d'État. C.C n'aurait probablement pas approuvé — estimant que c'était trop bancal et qu'il y avait trop de paramètres instables à prendre en compte pour une opération de cette envergure — mais Suzaku avait quand même décidé de parier sur sa connaissance du terrain ennemi.

Théoriquement, il était là contre son gré (les circonstances désobligeantes ne l'avaient pas spécialement aidé). Dans ces cas-là, les paramètres instables ne l'atteignaient guère.

« Que les unités restantes de la côte ouest se préparent à s'engager !

— Reçu.

— Zero, Khayrallah ne répond plus. »

Merde. La situation se corsait indéniablement.

Schneizel semblait avoir réagi avec plus de rapidité que ne l'aurait laissé prévoir une attaque surprise — la surprise étant l'atout principale sur lequel reposait l'entièreté de leur plan. L'armée Britannienne avait surgi sans prévenir pour venir bloquer leur appât initial au sommet des Montagnes, ce qui avait provoqué plusieurs avalanches de roches venues s'écraser sur leurs troupes en contre-bas.

Ce n'est pas grave. Suzaku essayait de s'en persuader. Ce n'est pas grave. Ses traumatismes ne devaient pas — ne devaient plus — ressurgir sur le champ de bataille. Il devait enfouir ses crimes d'antan tout au fond de son âme, là où personne ne pourra les voir, et surtout pas lui-même.

« Hinata, donne-moi le bilan global de la situation. »

Suzaku s'avança jusqu'à l'immense écran, ses mains venant s'agripper aux commandes manuelles de l'appareil numérique. A côté de lui, la voix de la jeune recrue sonnait lugubre à ses oreilles.

« Nos effectifs — du moins les Knightmares — ont été réduits de trente-deux… Non, trente-cinq pourcents depuis le début de l'opération. Trois chefs d'escouade ont perdu la communication avec le QG ou sont… morts sous les projectiles. Le reste des escouades poursuivent néanmoins le plan et les offensives auront atteint le Palais Impérial dans moins d'un quart d'heure si Britannia ne riposte pas. »

Un quart d'heure. C'était beaucoup. Si les escouades-appâts avaient mis si peu de temps avant de se faire neutraliser, Schneizel aurait une éternité devant lui pour terminer de préparer la défense du Palais de la Zone 11.

Dans ce cas…

« Rakshata ! », cria Zero. La femme aux mèches vanille se retourna dans sa direction, un sourcil levé, et Suzaku pointa son doigt directement sur elle.

« Je veux que tes radars vérifient si les Knightmares de nos soldats peuvent toujours marcher et que tu fasses le compte des morts ou des blessés ! Nous avons besoin de voir quelles sont nos pertes précisément !

— Bien reçu, capitaine.

— Ohgi ! » Le soldat japonais sursauta brusquement lorsque le doigt ganté de son chef se tourna vers lui.

« O-Oui !

— Tu vas venir avec moi ! Je prends le Gawain, et toi un Glasgow.

— Mais, mais…

— Comme Kallen n'est pas là, tu vas la remplacer. Vous avez presque tous les deux la même expérience et je t'ai déjà fait confiance plusieurs fois.

— A-A vos ordres ! »

En réalité, Suzaku n'en savait strict rien mais, comme il avait compris de C.C qu'Ohgi avait été le chef de la Résistance japonaise avant l'arrivée de Lelouch et qu'il faisait partie des vétérans respectés de l'Ordre, son improvisation ne devait pas être trop grossière.

« Enfin, Diethard, on va avoir besoin de toi pour repérer la position exacte des Knightmares ennemis. Tu vas aider au commandement de l'Ikagura.

— Bien, Zero. »

D'un seul coup, c'était comme si une étrange fièvre s'emparait sans prévenir de Suzaku — qui se mettait, sans réellement s'en rendre compte, à oublier la limite bancale avec le rôle qu'il jouait. Mais c'est si grisant…

Sans perdre plus de temps, lui et Ohgi se précipitèrent dans les couloirs de l'Ikagura, en direction de leur Knightmare respectif. Le soldat japonais lui jetait des coups d'œil effrayés par intermittence, auxquels Suzaku ne fit pas attention. Il ne pensait qu'à rejoindre, enfin, le champ de bataille, laissé de lui trop loin, trop longtemps, derrière les remparts d'une rébellion dérobée.

Prendre des vies. Sauver des vies. Cette notion aussi devenait floue. A croire qu'il avait fallu que Lelouch meure pour que toutes ses convictions tombent, château de cartes fait de traumatismes bancales.

« N'est-pas pourtant la simple vérité ? Ton monde était si fragile. »

Le Gawain était plus difficile à manier que le Lancelot, mais quelques accélérations vinrent à bout de ce bref manque d'entrainement. Suzaku avait trop l'habitude des Knightmares lisses de Britannia et celui-ci — conçu spécialement pour Zero et la libération de la Zone 11 — comportait des mécanismes nouveaux pour lui. L'appareil semblait néanmoins plus rapide, avec des réacteurs plus fonctionnels mais, par extension, plus lourds. La fuite, comprit Zero. Le repli, meilleure stratégie pour ne pas perdre complètement la face devant l'Empire. Lelouch avait probablement dû penser à cela également.

« Rakshata, au rapport, lança-t-il en allumant la radio.

— Pour être tout à fait honnête, ce n'est pas joli-joli. Beaucoup de chefs d'escouade sont morts dans les avalanches, comme redouté. Si on continue à ce train-là, on va encore perdre la moitié des soldats restants avant d'atteindre le Palais.

— A ton avis, combien d'hommes nous faudrait-il pour achever le Coup d'État ?

— Hinata ? … Ouais, elle est d'accord avec moi. Le mieux, ce serait de ne pas en perdre du tout. Enfin, pas plus que maintenant, tu vois ce que je veux dire.

— Très bien. Je vais appeler Ohgi, on va y aller en renfort et tenter de percer une avancée, ça nous fera gagner du temps. De ton côté, appelle Li Xingke et ses hommes.

— Je doute qu'il soit ravi de n'être mis dans la confidence que maintenant… Sauf ton respect, Zero.

— Si tu n'omets pas que la défaite de Britannia repose sur l'intervention de la Fédération Chinoise, je doute que ça lui posera trop de soucis. Qu'il mette son ego de côté, et puis Tianzi a toujours été beaucoup plus conciliante que lui. »

Encore une fois, Suzaku improvisait sans vraiment être au courant des rapports sociaux qu'entretenait initialement le véritable Zero. Toutefois, selon toute vraisemblance, la supercherie fonctionna — il l'entendit au léger rire de Rakshata, qui lui promis de convaincre le chevalier chinois, avant qu'il ne raccroche.

« Ohgi ! appela-t-il une nouvelle fois en reconnectant la radio.

— Oui !

— On va foncer dans les jardins à l'arrière du Palais Impérial. Tu prends l'aile gauche et je prends droite.

— Mais, les escouades offensives ne sont toujours pas arrivées-

— Précisément. Britannia ne s'attendra pas à ça, et nous ne pouvons pas les laisser préparer leur défense en perdant plus de temps ainsi. C'est pour cela que nous allons ouvrir la voie.

— Mais, à deux, ce n'est pas trop risqué… ?

— Ohgi, serais-tu en train de contester mes ordres une nouvelle fois ? »

Un bref silence passa, la voix modifiée de Suzaku résonnant, froide, dans le micro. Le Zero factice se doutait qu'un leader devait parfois reprendre ses soldats mais il espérait que son ton sut convaincre la témérité peureuse d'Ohgi.

« Non, Zero.

— Parfait. Qu'est-ce que tu as à faire dans ce cas ?

— Neutraliser l'ennemi sur l'aile gauche du Palais Impérial.

— Très bien. Allons-y. »

Et les deux Knightmares se séparèrent.

Lorsque le Gawain se déposa sur l'herbe fraichement coupée des jardins, des Burais vinrent aussitôt s'en prendre à lui. Suzaku avait déposé son casque à côté de lui sur le siège, et il pouvait le sentir rebondir contre sa cuisse à chaque saut du Knightmare Frame alors qu'il combattait contre ses prétendus alliés.

Tandis qu'il abattait une à une les machines ennemies, il pouvait presque arriver à oublier que ces soldats auraient pu être sous ses ordres deux mois auparavant. Et qu'il était en train de détruire leur robot sans remords — ou presque.

Suzaku abattait le dernier Burai au moment où, d'un seul coup, la voix de Rakshata résonna dans son micro.

« Zero ! Zero ! Tu m'entends ?

— Oui, que-

— Diethard vient de partir ! Il a pris un Knightmare, on n'a pas pu l'arrêter, je ne sais pas ce qu'il- »

La communication se coupa brusquement. Suzaku s'étrangla : on venait de l'attaquer par derrière.

Qu'est-ce que… ?

Dans un grésillement, il entendit vaguement la voix d'Ohgi hurler à Diethard d'arrêter, avant que le Gawain ne s'écrase au sol, face contre terre.

« Diethard… ? murmura Suzaku, grognant de douleur.

— Je suis désolé, Zero. Mais je dois savoir si tu es l'ennemi du Japon ou si nous pouvons te faire confiance. »

Une peur insidieuse s'empara soudainement de Suzaku. « Attends, Diethard ! Qu'est-ce que tu veux ? » hurla-t-il, la panique faisant vibrer son ton.

Il étouffa une plainte dans le col de son costume en sentant le métal écraser ses vertèbres. Le britannien n'avait pas complètement fait basculer tout le poids du Gawain sur son pilote, mais si ça continuait comme ça, il allait finir étouffer sous la force du Knightmare.

Il entendait Diethard qui continuait de parler au-dessus de lui, mais se força à ne pas y faire attention, cherchant son casque à l'aveugle. La capsule de commande s'était effondrée sur lui, et les bouts de verre éparpillés lui mordaient les doigts.

Mais pas la moindre trace du casque de Zero.

Je suis foutu. La réalité frappa Suzaku de plein fouet. Je suis putain de foutu.

Il pensa d'abord à la fuite. Ou alors se dissimuler dans le Gawain pendant encore un moment. Mais dans les deux cas, la mort l'attendait au tournant il risquait de se faire abattre s'il courrait, ou alors mourir transpercé par l'acier du Knightmare.

Il entendit des sons plus forts au-dehors. On essayait visiblement de déloger les pièces du Gawain au-dessus de la capsule de commande, et Suzaku resta parfaitement immobile, incapable de bouger autre part.

« Zero ! » La voix de Diethard.

Tais-toi. Ferme-la, Diethard.

Zero, ce n'est pas moi.

Au bout d'encore quelques minutes — une éternité, aux yeux de Suzaku — la lumière éclaira la capsule détruite, et une main nue apparue dans son champ de vision.

Il eut envie de pleurer. Mais attrapa la main.

« Non… Non… Suzaku Kururugi… ? »

Ohgi. Ses yeux furent la première chose que Suzaku aperçut lorsqu'il le tira hors du cadavre du Gawain.

« Ohgi ! » s'écria-t-il aussitôt en se jetant sur le soldat japonais. Il le regardait avec des yeux ronds comme des soucoupes, perdus, lui-même au bord des larmes.

Mais avant qu'il ne puisse sortir autre chose, deux main puissantes enserrèrent sa poitrine par-derrière, le tirant loin de la prise d'Ohgi.

« Diethard ! cria ce dernier. Attends deux minutes-

— Nous sommes en plein territoire ennemi, Ohgi, reprends-toi ! Zero est un traitre, voilà tout !

— Mais-

— Ce n'était pas moi, Zero ! » Le hurlement de Suzaku résonna dans les jardins, et il sentit l'emprise de Diethard se resserrer sans ménagement sur sa poitrine.

« Ce n'était pas moi, pleurnicha-t-il. Je n'ai rien à faire ici, je n'ai pas à combattre pour vous ! »

« Pathétique. Regarde-toi. A pleurer face à l'ennemi. Dans les bras de l'ennemi. »

« Mais… Et le Japon…

— Mais laissez-moi à la fin ! Je ne suis pas un jouet, je ne suis pas de la chair à canon ! Vous croyez vraiment que je suis un TERRORISTE, moi ?! Je combats Zero depuis des années ! Je ne VOULAIS PAS prendre sa place ! Je ne voulais pas… Je ne voulais pas… »

Les larmes coulaient sur ses joues. L'incompréhension dans les prunelles d'Ohgi trouvait écho dans son propre cœur.

« Je ne voulais pas que Lelouch meure… Putain… Je l'aimais, il ne devait pas… Il ne pouvait pas…

— Lelouch… ?

— Bon. » Diethard reprit la parole, insensible à la douleur de Suzaku et au sentimentalisme d'Ohgi.

« On va le vendre à Britannia. Quitte à perdre un leader, autant que ce soit un meurtrier corrompu. »


Merci d'avoir lu !