La pluie tombait déjà depuis de longues minutes lorsque la brune arriva au parc, elle marcha aussi vite que possible pour ne pas rater l'adolescente mais lorsqu'elle arriva à leur petit abris, elle se rendit compte que quelqu'un l'avait devancé. Elle grimaça de déception, elle n'avait absolument aucune envie de partager son petit moment en compagnie de la lycéenne avec quelqu'un d'autre, elle voulait garder cet instant rien que pour elle. Elle grimpa les deux petites marches pour se mettre sous l'abri et, en s'installant, elle constata que l'intrus était en réalité la belle blonde qu'elle avait tant hâte de revoir depuis la dernière matinée de pluie.

« Bonjour. » Lança-t-elle avec un immense sourire en venant s'asseoir à sa place.

La jeune femme ferma son parapluie et le laissa sur le côté avant de froncer des sourcils, elle n'avait pas reçu de réponse, absolument aucune taquinerie sur son comportement immature par rapport à son travail. Elle releva alors le visage en direction de l'adolescente qui portait son éternel uniforme au blason de son établissement scolaire. Elle était, comme à son habitude, assise à l'opposé du banc et sa tête reposait contre la poutre, elle avait son carnet de dessin sur les genoux et elle tenait son crayon dans sa main qui se trouvait inerte sur la feuille. Ses cheveux d'or étaient relâchés, ils tombaient librement sur ses épaules et recouvraient son visage.

Presque timidement, la brune s'approcha et vint délicatement lui glisser une mèche derrière l'oreille pour révéler la partie gauche de son visage. L'adolescente dormait et, au vu des cernes qui coloraient le bas de ses yeux, l'envie de la réveiller se volatilisa immédiatement de son esprit. Elle lui retira doucement ses écouteurs pour protéger ses oreilles de l'agression sonore que représentait la musique qu'elle écoutait, elle lui prit le crayon de la main et fit lentement glisser son carnet de dessin pour venir poser le tout sur son sac qui se trouvait posé sur le banc. Au moins, de cette manière, la blonde pouvait paisiblement rattraper ses heures de sommeils manquantes.

Elle revint se mettre à sa place pour ne pas la déranger et elle avala tranquillement une gorgée de son café tout en sortant de son sac le livre japonais qu'elle lisait en ce moment, elle avait retrouvé se roman dans le fond de sa bibliothèque et elle avait décidé de le recommencer. Elle avait normalement dû le lire pendant ses années de faculté mais elle ne l'avait jamais terminé, elle l'avait laissé de côté avant de tout simplement finir par l'oublier. L'histoire n'avait pas su suscitée l'attention de son âme d'adolescente qui s'en était bien vite détournée, pourtant aujourd'hui, elle trépignait d'impatience de découvrir la suite. Elle vivait littéralement les mots qu'elle lisait, elle voulait savoir si cette histoire d'amour allait finalement sortir gagnante malgré les diktats de la société et surtout, la différence d'âge des deux personnages.

La brune capta du mouvement dans le coin de son champs de vision alors elle releva la tête en imaginant que l'adolescente était réveillée mais ce n'était pas le cas, elle avait simplement changé de position pour se recroqueviller sur elle-même en venant croiser ses bras sur son corps comme pour se protéger d'une attaque invisible. Elle observa attentivement les traits de l'adolescente qui étaient sacrément paisible malgré la fatigue qui se lisait très facilement sur son visage.

La jeune femme se demanda si elle avait pris la bonne décision en l'encourageant, en la poussant à suivre son rêve d'adolescente. Elle n'avait aucune envie de voir la jolie blonde s'épuiser à la tâche alors qu'elle pouvait aisément opter pour un avenir beaucoup plus simple mais elle n'avait pour autant pas la force de détruire à néant l'éclat qui brillait dans son regard émeraude. Pour rien au monde, elle ne voulait voir la passion quitter ses yeux qui semblaient actuellement bien fatigués.

La blonde passait sans doute ses nuits à dessiner au lieu d'en profiter pour se reposer. Comment pouvait-elle lui en tenir rigueur alors qu'elle avait eu la même mauvaise habitude au lycée ? Elle avait passée des nuits entière à lire des ouvrages en tout genre pour intensifier sa culture sur le japon, elle avait lu encore et encore sans se lasser jusqu'à ce qu'elle obtienne son diplôme avec succès. Une fois en faculté, elle avait eu beaucoup moins de temps pour sa lecture personnelle, elle avait tout de même énormément lu mais rien d'autre que des ouvrages sur lesquelles elle avait travaillée en classe.

Elle avait, depuis son plus jeune âge, développée une véritable passion pour la lecture et le japon mais elle les avait mis de côté pendant ses études avant de partir faire sa période de stage dans une école spécialisée dans le pays du soleil levant.

En y repensant bien, la brune se rendit compte que sa vie avait virée à la catastrophe après son retour aux États-Unis. Elle avait passée quelques jours avec son père avant de recevoir sa titularisation, rêvant d'aventure et de découverte, elle avait immédiatement déposé sa candidature dans des villes plutôt éloignée de la sienne. Elle avait reçu plusieurs réponses positives mais elle avait jeté son dévolue sur cette petite ville perdu dans le Maine. Ce choix avait tout d'abord été le meilleur qu'elle n'ait jamais fait, elle avait cru avoir trouvé une maison ainsi qu'une raison de rester mais finalement, sa décision avait provoqué sa perte.

« Dis-moi, est-ce que tu penses que je peux encore m'en sortir ? » Chuchota-t-elle en regardant l'adolescente endormie.

Si elle le pouvait, elle reviendrait dans le passé et tous ses choix seraient différents. Elle resterait au Japon, elle ne reviendrait jamais du moins, pas avant d'avoir acquis une certaine notoriété qui forcerait le respect de tous. Si elle n'était pas revenue, si elle n'avait pas choisi cette maudite ville, elle ne serait pas dans un tel état mais sans ça, aurait-elle eu la chance de rencontrer la belle blonde ?

« Vous avez dit quelque chose ? » Marmonna Emma en frottant ses yeux.

« Pardon, je lisais à voix haute. Tu semblais si bien dormir, j'ai hésité à te réveiller mais dis-moi, tu dors bien la nuit ? Je sais que je t'ai incité à t'accrocher la dernière fois mais quand même... » Souffla-t-elle doucement.

« Tout va bien. Ma nuit a été longue, la fille avec qui je partage ma chambre s'est transformée en loup-garou. » Soupira la lycéenne qui se réinstalla correctement.

Ce n'était qu'un demi-mensonge. La blonde avait, une fois de plus, passée sa nuit à travailler sur sa planche de dessin mais, même si elle l'avait voulu, elle n'aurait pu fermer l'œil. Ruby était tombée de sommeil dès que son visage avait touché son oreiller mais, en un rien de temps, sa respiration calme s'était transformée en ronflement bestial si bien que même Granny, qui ne dormait pourtant pas dans la même chambre, avait eu du mal à trouver le sommeil.

La jeune femme sourit doucement et, en posant ses yeux sur le carnet de dessin, elle se rappela qu'elle avait un petit quelque chose pour l'adolescente. Elle attrapa alors son sac à main duquel elle sortit un imposant livre qu'elle avait acheté sur le trajet, elle observa la première de couverture puis elle le donna à la blonde.

« C'est pour toi, je me suis dit que ça te plairait. »

« Vous êtes sur ? Mais ce livre coûte une petite fortune ! » S'exclama Emma en admirant le livre qui reprenait point par point diverse méthode de dessin pour enrichir sa technique.

« Je finis toujours par manger ce que tu prépares, vois ce cadeau comme une compensation de ma part. » Sourit la jeune femme.

« Vous êtes fantastique. » Souffla-t-elle doucement.

Elle ouvrit le livre en grand et commença à le feuilleter avec curiosité, même en économisant, elle n'aurait jamais pu l'acheter avant quelques années alors elle comptait bien en prendre très soin. Tout en lisant les conseils qui étaient donnés, elle attrapa son carnet à dessin et commença à croquer sans vraiment regarder ce qu'elle faisait. Sa main bougeait au rythme de ses yeux qui lisaient les étapes une par une, elle sourit doucement en se disant qu'elle allait pouvoir offrir une nouvelle perspective à ses personnages qui étaient jusqu'alors bien trop fade à ses yeux.

« Vous savez, pour faire une histoire, il faut inventer des personnages. Dans les livres, ils sont fictifs, le lecteur se fait sa propre impression mais dans une bande dessiné, le dessin est la clé pour que le personnage soit aimé ou non. Laisser un personnage sans visage est impossible. Au début, je m'inspirais du visage de mes parents et je le retouchais de manière à lui donner une dimension différente à chaque fois mais là, je bloque totalement. Je suis en train de créer la méchante reine mais aucun visage n'est suffisamment intense pour retranscrire la beauté de ce personnage. J'ai beau dessiné, je n'y arrive pas, surtout que maintenant, je ne me rappel plus du visage de ma mère, je ne peux pas l'utiliser pour y arriver. » Lança Emma qui ne comprenait pas vraiment pourquoi l'envie d'en parlait lui était venu d'un coup.

La brune la regarda attentivement et combla la distance qui les séparait pour venir s'asseoir à quelques centimètres de l'adolescente, elle jeta ses cheveux en arrière puis elle lui offrit un doux sourire.

« Inspire-toi de mon visage si tu veux, ça t'aidera peut-être à développer ton imagination. »

« Vous êtes certaine ? » Demanda tout de même la blonde.

La belle inconnue sourit un peu plus et hocha doucement la tête de haut en bas alors la lycéenne prit son crayon à papier en main, elle tourna la feuille pour avoir une page vierge et elle commença à dessiner les contours de son visage. D'abord la mâchoire puis la gorge, les oreilles et quelques mèches, elle ajouta des traits de construction ici et là de manière à pouvoir se positionner correctement dans l'espace puis elle se lança dans les détails.

« Une averse par temps ensoleillé. » Chuchota doucement la brune en tournant la tête pour être frappée par les rayons du soleil.

« Pardon ? » Questionna-t-elle en relevant le visage de sa feuille.

« C'est ce qu'on appelle le « mariage de la renarde ». En japonais, on dit « sobae » : pluie par soleil brillant ou « wataku-shiame » : averse localisée. On compare aussi ses pluies sans nuage à des larmes, les pleurs célestes. » Informa la jeune femme en fixant le ciel.

« Vous connaissez bien le sujet. Ça aussi, c'est un simple passe-temps ? » Demanda la blonde sans vraiment chercher de réponse.

La brune resta silencieuse en regardant le ciel, le doux sourire avait disparu de ses lèvres pulpeuses et un voile de douleur s'était glissé dans son regard chocolat.

« Tu sais, à un moment, sans m'en apercevoir, j'ai oublié comment vivre, comment lire, comment sourire. » Avoua-t-elle en mordillant nerveusement sa lèvres inférieure.

« Vous parlez de votre travail ? »

« Entre autres. »

L'adolescente la regarda fixement et vit parfaitement l'éclat de tristesse qui passa rapidement dans les yeux chocolat, elle avait touché une corde sensible qu'elle allait laisser tranquille. Elle n'avait aucune envie de pousser à bout son inconnue. Tout le monde possédait ses casseroles, tout le monde traînait un poids derrière lui – elle était plutôt bien placée pour le savoir – mais parfois, certains êtres humains ne ressentaient pas le besoin d'en parler. Elle allait simplement attendre que la jeune femme ait envie de lui en parler, elle pouvait attendre l'éternité tout entière s'il le fallait.

« Vous lirez mon histoire quand je l'aurais terminée ? » Questionna-t-elle simplement pour apaiser la soudaine tension.

« Avec plaisir, oui. » Sourit la brune, soulagée de ne pas avoir à entrer dans le vif du sujet.

Emma lui rendit son sourire et continua son croquis sous une autre perspective, elle se fit alors une promesse : elle allait écrire la plus belles des histoires afin de lui redonner envie de lire, afin de la faire sourire, afin de lui faire comprendre à quelle point sa vie était importante. Elle mettait un point d'honneur à le faire, elle avait une nouvelle motivation pour y arriver. Elle ignorait absolument tout de cette jeune femme, son nom, son âge, sa couleur préférée, elle ne connaissait rien et pourtant, elle se sentait irrésistiblement attirée par l'intensité de son regard chocolat, par la douceur de son sourire. Cette femme n'était plus une inconnue pour son cœur qui s'emballait rien qu'en sentant sa délicate odeur de pomme.

« Il est l'heure, retourne au lycée maintenant. » Sourit la brune.

« Vous aussi. Retournez au travail. L'autre jour, vous avez écouté ce que j'avais sur le cœur, ça m'a fait plaisir. Je ne vous promets pas d'être d'une grande aide, je n'ai pas encore mis la main sur une baguette magique capable d'effacer les souffrances, mais si vous avez des soucis, je vous écouterais à mon tour. » Assura la blonde qui rangea ses affaires à contre cœur.

La jeune femme resta silencieuse et regarda l'adolescente disparaître au loin. Elle se leva finalement à son tour et décida de rentrer, elle n'avait plus aucun intérêt à rester sous cet abri si elle était seule. Elle prit quelques minutes pour arriver à son appartement, elle laissa ses chaussures dans l'entrée et s'écroula dans son lit en repensant à la conversation qu'elle avait eu.

« Retournez au travail. »

Si seulement elle le pouvait, si seulement elle y arrivait. Chaque jours, elle essayait, elle essayait vraiment mais son corps refusait de lui obéir. Elle se retrouvait souvent prise de tremblement, respirer devenait compliquer, ses jambes cessaient de la porter et elle éclatait toujours en sanglot contre sa porte d'entrée. Elle était tout simplement faible, faible et incapable de remettre les pieds à son lieu de travail.

Elle ferma les yeux pour se reposer un petit peu, penser à son travail la vidait de toutes ses forces, mais elle sentit son téléphone vibrer alors elle se redressa. Elle l'attrapa, en pensant recevoir un appel de son père, mais elle fut déçue de voir que le nom affiché en était un tout autre.

« Daniel. » Fit-elle doucement en se laissant tomber sur le dos.

Daniel était sans doute la dernière personne – en dehors de la lycéenne du parc – avec qui elle acceptait d'avoir des interactions dans cette ville, rien que l'idée d'aller acheter son pain à la boulangerie l'effrayait au plus haut point. Elle l'avait rencontrée en arrivant à StoryBrooke, il était l'un de ses collègues de boulot. Il était aussi très beau garçon : des cheveux bruns parfaitement coiffés, une barbe toujours bien taillée, un langage des plus courtois, un sourire magnifique, une élégance à tout épreuve. Elle était immédiatement tombée sous son charme mais ils étaient tous les deux d'accord pour ne pas mélanger vie privée et vie professionnelle alors ils avaient gardé leur romance secrète de tous. La journée, ils s'adressaient quelques politesses pour ne pas attirer l'attention et alimenter les commérages mais le soir, ils refaisaient le monde autour d'un divin repas préparé par l'homme. La brune le savait, elle aurait très bien pu finir sa vie avec lui si leur histoire avait pris une tournure différente. Ils avaient bêtement cru au dicton « relation discrète, relation parfaite » et aujourd'hui, tout était terminé. Peut-être que s'ils avaient eu le courage de s'assumer devant le monde entier, rien de tout cela ne serait arrivé.

« Et tu sais, j'ai pu sentir le goût de son repas. » Souffla-t-elle doucement en repensant à tous les repas qu'elle avait mangé à la place de la blonde.

« C'est bien, tes troubles digestifs commencent à s'estomper. » Fit le brun, content de l'apprendre.

Elle n'irait pas jusque-là, elle était loin d'être guérit mais c'était déjà mieux que rien. Depuis de bien trop long mois, elle n'était en capacité de sentir le goût uniquement du chocolat et du vin rouge. Pourquoi ses deux aliments ? Elle-même n'en savait rien, elle n'avait jamais été une grande fan de chocolat et elle buvait une coupe de vin, de temps à autres, lors de ses dîners en amoureux avec Daniel. Finalement, le vin rouge et le chocolat – noir de préférence – étaient devenue la base de son alimentation, tout le reste lui semblait fade. Quelle n'avait pas été sa surprise lorsque sa bouche s'était retrouvée envahis par plusieurs saveurs différentes après avoir pris une morceau de ce croque-monsieur.

« Tu as vraiment bien fait de démissionner. Arrêter en fin d'année dernière aurait peut-être été mieux niveau timing mais bon... si seulement tu m'avais écouté un peu plus tôt. » Assura l'homme.

« Peut-être. » Souffla-t-elle.

Daniel parlait doucement, presque tendrement, comme s'il avait dans les mains un petit être fragile qui risquait de se briser s'il haussait légèrement le ton. A l'époque, alors que la jeune femme était à l'apogée de sa souffrance, il ne l'avait pas pris au sérieux. Il ne l'avait tout simplement pas cru, la version des autres étaient peut-être moins dure à entendre et à accepter. En attendant, il l'avait laissée seule dans son combat au moment où elle avait cruellement besoin de soutiens, elle avait dû se battre seule alors qu'elle avait besoin d'aide. Même si elle vivait l'enfer, son travail était la seule chose qui lui permettait de ne pas perdre pied et, même ça, elle avait fini par le perdre. Son patron – sous les conseils de Daniel qui affirmaient pourtant vouloir son bonheur – l'avait forcé à rencontrer le médecin du travail qui l'avait, rien qu'en la voyant, déclaré inapte à continuer. Il l'avait alors mis sous arrêt maladie en espérant que son état connaisse une amélioration mais ce ne fut malheureusement pas le cas.

« On s'occupera des formalités après les vacances. Je préviendrais la direction. » Assura-t-il.

« Je suis vraiment désolé de te déranger après notre rupture. » Souffla-t-elle gênée.

« Je suis content que tu aies rencontrée cette vieille femme. Tu sais, la personne dont tu m'as parlé, celle qui apporte ses repas au parc. C'est bien pour vous deux. Repose-toi, Regina. »

Il raccrocha et la brune éclata en sanglot, sa vie n'était plus qu'un immense tissus de mensonge. Elle avait menti à Daniel sur l'inconnue du parc, elle mentait à l'inconnue du parc, elle avait même menti à son père sur son état de santé pour ne pas l'inquiéter plus que nécessaire. Elle mentait à longueur de journée. Elle mentait tellement qu'elle ne savait plus comment distinguer le vrai du faux dans sa tête. Elle était perdue dans un brouillard de mensonge et elle était incapable de retrouver le chemin de la vérité.