Echo ; Trépas
Le jeune homme soupira imperceptiblement. Son regard était ancré par-delà la vitre de sa fenêtre, posé sur un point debout, dehors, dans la neige. Quel idiot. De son point de vue, il ne perdait pas une miette des mouvements du jeune homme. Celui-ci était occupé à rouler encore et encore la neige pour former une boule presque aussi grosse que son corps. Le rouquin avait deviné qu'il essayait de faire un bonhomme de neige ― mais comment comptait-il rajouter la tête du bonhomme au-dessus de cette masse gargantuesque de neige ?
Le jeune garçon aux cheveux flamboyants mourait d'envie de lui demander ce qu'il foutait, alors que la température avoisinait les moins quatre et qu'il ne portait qu'un simple manteau léger et une écharpe même pas correctement nouée autour de son cou. Ses mains, découvertes, étaient si rouges qu'il ignorait comment le brun parvenait encore à faire rouler sa boule. Il allait se détruire la santé ainsi.
Mais il ne pouvait se résoudre à sortir de sa cachette pour lui poser la question.
Parce qu'ils ne s'étaient pas vus depuis dix ans, et que trop de choses avaient changé.
Leur relation n'était plus ce qu'elle avait coutume d'être, entamée par l'absence de contacts et définitivement brisée par ce que le garçon avait appris. Dix ans, c'était long, et c'était riche en révélations. Il n'était plus le petit enfant innocent qui ne comprenait rien au monde désormais. Il était conscient de ce qu'il était, et de ce qu'il serait encore dans les années à venir.
Et pour l'éternité.
Fixant toujours la silhouette du jeune homme sans oser respirer, de crainte que celui-ci ne l'entende, il attendit. Il ne savait pas encore ce qu'il attendait ― que l'autre s'effondre sans crier gare, ou qu'il abandonne sa besogne ? ― mais il restait là, incapable de bouger. Il ne pouvait percevoir le froid, mais cela ne l'empêchait pas de se demander comment le brun tenait toujours. Et surtout, dans quel but il faisait ce cirque.
Soudainement, une grue en origami se posa sur l'épaule du jeune homme aux cheveux flamboyants. Il avança la main pour qu'elle s'y pose, avant de déplier délicatement le papier qui la formait. Malgré ses gestes précis qui témoignaient de son habitude de l'événement, il était stupéfait. Se pouvait-il que…
Les mots inscrits à la craie blanche sur le papier noir dans l'écriture de son protecteur le frappèrent avec violence. Son regard bleu se déporta dans les secondes suivantes sur la silhouette du garçon qui continuait de s'affairer, avant de se durcir légèrement. D'un geste fluide, il fit glisser ses doigts dans sa direction, et, soudainement, l'écharpe du garçon s'enflamma.
(Il visait originellement le bas de son manteau. Il avait encore des progrès à faire niveau distance, songea-t-il avec consternation. Un tel manque de précision était indigne de son statut. Heureusement que son cadet ne l'accompagnait pas, ou son ego en aurait pris un coup sévère.)
A son grand étonnement, l'autre ne bougea pas réellement ― pas en tout cas comme aurait dû le faire un homme dont l'écharpe vient de s'enflammer. Il se contenta de la fixer, avant de considérer avec agacement son bonhomme de neige qui fondait à vue d'œil. Mais qu'attendait-il pour la retirer ?
Une seconde grue apparut, et il la déplia plus brusquement cette fois, découvrant presque exactement les mêmes mots, à une exception près. Il fit claquer sa langue. Il pouvait deviner rien qu'à la façon dont les lettres étaient formées qu'il avait agacé l'Ecrivain. Ils se connaissaient depuis assez longtemps pour que le jeune homme devine ses émotions à travers sa façon de former les lettres.
Son regard se porta de nouveau sur la silhouette de l'homme qui regardait son écharpe flamber. D'un nouveau geste fluide, il éteignit les flammes avant de soupirer. Il allait devoir se montrer plus discret, se flagella-t-il mentalement. Mais il ne pouvait pas laisser l'autre s'immoler quand même.
De longues minutes s'écoulèrent, au cours desquelles le brun ne fit rien. Et puis, tout d'un coup, il se jeta dans la neige, s'y enterrant totalement. Avant que le jeune homme qui l'épiait ne comprenne à quoi il jouait, une troisième grue était apparue sur son épaule. Oh, bon sang.
Devait-il se résigner ? Le jeune homme avait bien du mal à s'y résoudre. Mais il avait déjà ignoré les injonctions de son protecteur deux fois. Il devait s'y plier désormais, où il serait puni pour son insubordination ― et la dernière fois que cela avait été le cas de quelqu'un de son entourage, il ne l'avait jamais revu.
Le jeune homme serra les dents en observant le bout de papier qui formait la grue. Il dut se faire violence pour se résoudre à ne rien faire pendant les minutes qui passèrent, sans que l'autre ne ressorte de sous la neige.
Et puis, lorsqu'il n'entendit plus un son, pas même un battement de cœur, il sortit de sa cachette.
― C'est bien toi ?
― Pourquoi t'as fait ça ?
― Je voulais te revoir.
― C'est impossible.
― Je ne suis pas stupide.
― Bien sûr que si. Tu transgresses un interdit !
― Qui ne concerne que toi.
― Bien sûr que non.
― Je n'ai pas peur.
― Tu devrais.
― Je t'ai retrouvé.
― Tu n'aurais pas dû me chercher.
― Même si je t'aime ?
― Tu ne sais pas ce que ça veut dire.
― Et toi ?
― Je ne t'aime pas.
― Mais est-ce que tu sais ce que ça veut dire ?
