3.1 Love me like you do

Raene rajuste sa coiffure, s'observe un instant dans le miroir et prend une grande inspiration. Ce soir, elle se sent belle, prête à ravir les cœurs. Un cœur. Malgré tous les prétendants qu'elle peut rencontrer, elle sait déjà vers qui son choix s'est arrêté. Mais elle ne dira rien. Elle attendra qu'il la supplie, lui demande à genoux. Même si elle sait depuis longtemps qu'il ne le fera pas. Elle chasse une poussière invisible sur sa robe de soie brodée d'argent et sort de la chambre. Du couloir, elle entend la rumeur qui vient de la salle de réception, toutes ces familles venues lui présenter leurs fils. Elle tremble légèrement, prise d'une soudaine timidité. Elle a toujours rêvé de ce moment, depuis sa plus tendre enfance. Cette soirée dont elle serait la reine, tous les regards tournés vers elle, le centre de l'attention. Elle n'est plus vraiment sûre de vouloir y goûter, maintenant. Elle s'avance lentement, se redresse un peu plus à chaque pas, marque son visage d'un air digne. Elle est une princesse et il faudra se battre pour l'avoir.

Un bras surgit d'une pièce sombre et une main pâle lui saisit le poignet. Elle pousse un petit cri de panique alors qu'on l'attire brusquement dans une chambre plongée dans les ténèbres. Seule la lumière des deux lunes d'Arkanis lui permet de distinguer le mobilier et la silhouette sombre qui se colle à elle. Sous l'éclairage argenté de la nuit, les yeux d'Armitage Hux semblent presque translucides. Le cœur de Raene frappe contre sa poitrine alors qu'il glisse une main derrière sa nuque et approche son visage du sien.

— Maintenant, murmure-t-il d'une voix rauque de désir.

Elle détourne la tête. Elle essaye de lui en vouloir. Elle essaye de ne pas céder. Mais elle sait qu'elle lui a pardonné depuis longtemps. Depuis l'instant où ces mots venimeux ont traversé ses lèvres pour venir la mordre. Et, s'il ne lui a jamais dit, elle sait qu'il lui a tout autant pardonné les horreurs qu'elle a déversées sur lui. Non. Pas pardonné. Il n'y a rien à pardonner quand on est persuadé d'entendre la vérité. En réalité, c'est à elle-même qu'elle en veut. Elle connaît les failles de Hux. Et elle s'y est engouffrée. Elle a versé du sel sur les plaies à vif de son esprit. S'il y a bien une fautive, c'est elle. Le souffle chaud du jeune homme coule sur sa gorge.

— Non, souffle-t-elle. Il faut que... que j'y aille...

— Maintenant, répète-t-il.

Elle ne le repousse pourtant pas. Elle n'en a pas la force. Elle n'en a pas l'envie. Il pose ses lèvres sur sa peau laiteuse, embrasse son cou avec fureur, comme s'il voulait la mordre, la dévorer. Sa main gauche s'empare du sein de Raene alors que la droite vient se glisser doucement le long de sa cuisse. Ses doigts caressent sa peau. Alors que Hux se saisit de sa bouche, elle se laisse complètement aller. Elle glisse ses bras autour de lui, attrape une mèche de ses cheveux et lui rend son baiser comme si sa propre vie en dépendait. Le sexe avec lui est toujours comme ça. Passionné, hâtif, sans préambule. Il agrippe sa jambe plus fermement et la soulève jusqu'à ce qu'elle s'enroule autour de ses hanches. Il n'y a plus rien que leurs deux corps collés l'un à l'autre. Il capture son poignet et le fait glisser vers son entrejambe. Les doigts de Raene se referment doucement sur la bosse qui étire le pantalon du jeune homme, remontent jusqu'à sa ceinture et la défont avec un petit bruit métallique. Hux la soulève un peu plus pour la porter à bonne hauteur et sépare leurs deux visages. Il plonge son regard bleu dans le sien. Leurs respirations se mêlent.

Elle pousse un petit cri lorsqu'il la pénètre et doit enfouir son visage dans le cou du roux pour étouffer le bruit. Il la serre contre lui, empoigne fermement ses fesses. Le premier coup de rein donne à Raene l'impression qu'elle va tomber dans les pommes. Elle retient de toutes ses forces les gémissements qui s'échappent de ses lèvres. Les grognements rauques de Hux se mêlent aux siens. Il la caresse à peine, s'enfonce en elle avec brusquerie. Il n'y a plus rien qui compte, plus rien qui existe. Seulement les hanches du militaire qui viennent cogner les siennes. Cette sensation de chaleur dans le bas-ventre. L'envie de se fondre dans le corps de l'autre. Il se retire si brusquement qu'elle a l'impression qu'il l'a giflée. Sans un mot, sans lui laisser le choix, il la retourne et la plaque de nouveau contre le mur. Ses mains caressent son ventre, saisissent de nouveau ses seins. Il revient en elle, avec plus de douceur. Ses gestes changent, se font plus profonds. Il va plus lentement, avec plus de passion. Raene l'entend respirer bruyamment, tout contre son oreille.

— Laisse-moi... laisse-moi t'aimer, chuchote-t-il.

Elle ouvre de grands yeux lorsqu'elle comprend ce qu'il vient de lui dire. Elle veut protester, se dégager, mais elle est irrémédiablement attirée par ce corps qui la domine et elle ne peut, de toute façon, pas bouger. Hux accélère de nouveau, l'enlace de plus en plus fort. Elle sent le plaisir lui tordre les entrailles, remonter le long de son ventre, lui faire tourner la tête. Ses jambes manquent de flancher alors qu'elle est secouée par une vague de jouissance. Il la sent frémir, la retient. Se presse contre elle. Raene agrippe le rebord de la commode pour s'empêcher de tomber. Il va de plus en plus vite, elle a l'impression que le monde entier est en train de s'écrouler tout autour d'eux. Il bloque sa respiration, s'immobilise un instant. Jouit en elle avec un râle de délivrance. Leurs deux corps luisant de sueur restent figés le temps d'un moment extatique. Il finit par la relâcher et elle pousse un petit soupir lorsqu'elle le sent la quitter. Raene pose son front contre le mur alors qu'Hux s'appuie contre la commode le temps de reprendre son souffle.

— Putain, mais c'est quoi ton problème ? siffle-t-elle.

Encore haletant, il lève sur elle un regard interrogateur. Elle le fusille du regard, a envie de le gifler férocement.

— Tu n'avais pas le droit, ajoute-t-elle dans un grondement. Tu n'avais pas le droit de dire ça.

Il se redresse sans un mot, se rhabille. Tremblante, elle veut qu'il réagisse, qu'il dise quelque chose pour sa défense. Il lui expliquera sans doute que c'était une blague, une simple plaisanterie pour la mettre hors d'elle. Elle serait merveilleusement tombée dans son piège. Lentement, il prend le temps de rajuster sa veste noire, replacer une mèche de cheveux derrière son oreille. Elle réalise soudainement que lui aussi est vêtu pour aller à une soirée. La sienne. Il fait partie de ceux qui viennent se battre pour elle.

— Je n'ai rien fait, Raene, déclare-t-il calmement. Rien du tout. Je ne sais pas ce que ton imagination t'a laissé penser.

Elle se précipite sur lui, toutes griffes dehors. Elle est prête à lui arracher la peau et la langue pour oser avoir dit ça. Il ne peut pas. S'il fait ça, ils ont tous les deux perdus. Elle refuse qu'ils perdent. Il attrape son poignet avant qu'elle n'ait le temps de le frapper au visage. Ils restent un instant en suspens, guettant le moindre geste de l'autre. Hux approche soudain son visage du sien. L'embrasse. Elle se fige. Elle est incapable de faire quoi que ce soit. Elle ne peut pas. Lorsqu'il s'écarte, une lueur de provocation luit dans ses yeux, comme s'il la défiait de protester. Elle se dégage brusquement. Le repousse. Du coin du pouce, il fait mine d'essuyer un filet de salive inexistant.

— Je te déteste, siffle-t-elle.

— Je sais.

Elle le regarde un instant, frémissante. Elle ne sait plus quoi dire, plus quoi faire, pour qu'il comprenne qu'il ne faut pas qu'il perde. Les yeux débordant de larmes, elle se détourne et sort brusquement de la chambre pour qu'il ne la voit pas pleurer. Il en a perdu le droit. Hux reste un instant interdit, contemple la porte ouverte par laquelle Raene vient de partir. Il passe une main dans ses cheveux avec un soupir. Qu'est-ce qu'il est con.

Raene s'engouffre dans la fête avec désespoir. Se noyer pour oublier. Elle s'est suffisamment faite attendre. Les prétendants la guettent avec impatience, prêt à se jeter sur elle le plus vite possible comme des chiens affamés. Ils la fatiguent déjà. Elle se laisse porter par les discussions, ballotter de groupes en groupes, sous la surveillance de sa mère qui ne cesse de lui vanter les mérites des hommes qui se trouvent en face d'elle. Mais elle n'en a que faire. Ils sont tous trop petits, trop grands, trop avides, trop vieux... Trop. Elle n'en veut pas. Elle pense à cette chambre qu'elle a quittée en hâte. Elle sent encore la sensation du corps de Hux contre le sien. Elle a l'impression que son odeur est encore collée à elle. Elle regarde autour d'elle. Une vague de paranoïa l'enveloppe. Peut-être qu'ils savent. Tous. Comment peuvent-ils ne pas savoir ? C'est tellement évident.

Elle devine une longue silhouette et des cheveux roux, parmi les invités. Il a réussi à se glisser en leur sein sans le moindre problème. Un instant, Raene songe que sa mère l'a probablement invité. Après tout, si l'idée d'un mariage leur a déjà traversé l'esprit, ce ne serait pas si étonnant que ça. Il n'est certes pas très fortuné, mais il est promis à un grand avenir militaire et, malgré son statut de bâtard, son nom est déjà synonyme de pouvoir. Un bon parti, donc. Elle frémit. Abandonne sans la moindre honte le jeune homme qui monologue depuis cinq bonnes minutes sur ses affaires familiales. Elle se faufile entre les invités. Repousse poliment, d'un geste de la main, quelques-uns de ceux qui tiennent absolument à lui parler. Pas maintenant. Elle ne doit pas le perdre de vue. Il lui semble que la salle n'a jamais été aussi grande, aussi bondée. Qu'elle met une éternité à la traverser.

Elle finit par s'extirper des tous ces hommes cupides, qui rôdent autour de son nom et de sa fortune. Elle a traversé une tempête, s'est sortie de sables mouvants. Elle est essoufflée comme si elle avait couru durant des heures. Hux est là. Adossé contre une fenêtre, dans l'un des renfoncements du mur. Il regarde distraitement à l'extérieur, une coupe de champagne à la main. Il doit la sentir arriver car il se tourne vers elle. Ses yeux sont froids, il n'y a pas le moindre sourire sur son visage. Elle s'approche.

— Sergent Hux, salue-t-elle.

— Adjudant. Depuis hier.

— Il n'y a toujours pas de quoi être fier. Il faut qu'on parle, n'est-ce pas ?

Il hausse un sourcil.

— Ah bon ? Je pensais pourtant que je n'étais rien. Ma présence ne devrait même pas vous importer, Miss Inka...

— Tais-toi. Viens avec moi.

S'éclipser n'est pas facile. Impossible, même. Alors elle se glisse sur le balcon, Hux sur ses talons. Elle espère simplement que personne ne les verra. Ne les dérangera. Elle essaye de se dissimuler derrière un pan du mur mais ce n'est pas très convaincant. Il n'y a plus qu'à croiser les doigts pour que ses fichus prétendants, la voyant avec un homme, la laissent tranquille. Hux s'approche de la rambarde, y pose sa main. Laisse de nouveau son regard se perdre dans le vide. Oui, il faut qu'ils parlent.

— Merci pour... pour Millicent, commence-t-il maladroitement.

— J'ai tout de suite pensé à toi, quand je l'ai vue.

— Elle est merveilleuse.

Raene a un petit sourire triste. Elle repense à cette journée, cette journée infernale qui avait pourtant si bien commencée. Hux a envie de la toucher. D'effleurer sa joue. De caresser son cou. Il se retient. Il voudrait effacer la tristesse de son visage et de n'en garder que le sourire. Un sourire si fragile qu'il manque de se briser à tout moment.

— Tu me déteste, n'est-ce pas ? souffle-t-il en baissant la tête.

— Non. Je déteste ce que tu es devenu. Je déteste la manière dont tu te comportes parfois, et dont tu parles. Comme si nous n'étions rien. Mais ensuite, je me souviens de cet homme qui m'apporte parfois un cadeau et m'a déjà réconforté des soirs d'orage. Je me souviens de celui qui m'a offert une liberté qui m'était refusée. Qui m'a rappelé que je n'étais pas seule. Lui, je ne le déteste pas. Je déteste simplement ce que tu deviens.

Il serre les poings. Dans son ventre, le monstre ronronne presque, fier d'avoir réussi à gâcher une des seules choses qui lui tenaient à cœur.

— C'est peut-être ça, le problème, non ? murmure-t-il. Trop de choses qui ne vont pas chez moi. Et tu ne peux rien faire. Tu ne peux rien changé. Parce que je suis brisé, mais qu'il n'y a plus rien à réparer. Je suis fichu, mauvais, maudit. Condamné.

— Si je pensais qu'il n'y avait plus rien à faire de toi, Armitage Hux, il y a bien longtemps que je serais partie.

Elle pose une main sur la sienne. Ses bagues d'argent brillent sous la lumière des deux lunes.

— Je vais te briser, Raene, proteste Hux. Je vais anéantir tout ce qu'il y a de bon en toi. Je le sais.

— Tu peux toujours essayer. Mais tu risques de t'y perdre.

Il redresse la tête. La regarde, droit dans les yeux. Il y voit tous ces mots qu'il rêve d'entendre. Tout va bien se passer. Toujours. Tu es en sécurité.

— A propos de ce que j'ai dit tout à l'heure..., continue Hux.

— Tout à l'heure ? fait mine de s'étonner Raene. Tu n'as rien dit. C'est simplement mon imagination qui m'a joué un mauvais tour.

Il a envie de l'embrasser. Là, maintenant. Mais il s'y refuse. Il n'a pas le droit. Ce n'est pas une fille pour lui. Il n'est de toute façon pour elle qu'un passe-temps, une manière de gagner sa liberté dans le dos de ses parents. De passer au-dessus des lois de la bienséance. Il n'est rien de particulier. Le monstre recommence à gronder. Enserre ses poumons dans ses tentacules visqueuses. Il avale difficilement la boule qui s'est formée dans sa gorge.

— Je vais rejoindre les invités, maintenant, déclare Raene en lançant un regard dépité à la salle. Après tout, c'est ma soirée. La soirée que toutes les dames attendent. Et qui sait... Mon futur mari est peut-être ici...

Ils font tous les deux semblant que cette phrase est anodine. Qu'elle ne veut rien dire en particulier. Hux se passe une main derrière la nuque, gêné. Il n'a effectivement rien à faire ici. Malgré ses lourdes protestations, Sloane l'a obligé à venir. Elle a probablement dû soudoyer Joren Inkari pour qu'il soit sur la liste.

— Tu seras là, à mon mariage ? demande soudain Raene.

Ses yeux expriment soudain une terreur sans nom. Elle réalise. Dans cette pièce, il y a très probablement l'homme avec lequel elle sera obligée de finir ses jours. Jusqu'à la fin. C'est comme une gifle, un énorme coup dans le ventre. Elle n'aura alors plus rien pour s'échapper. Elle devra renoncer à tout ce qu'elle aime. Tout... Elle a soudain envie de courir dans sa chambre, prendre quelques affaires et fuir. Fuir cette vie qu'elle ne veut pas. Fuir ces responsabilités qu'on lui a imposées dès la naissance.

— Bien sûr. Je serais là.

Il pose une main sur son épaule. Elle y frotte doucement sa joue. Prend une grande inspiration. Il faut qu'elle y aille. Qu'elle choisisse. Ce soir, elle scelle son destin. Elle fait un pas en direction de la salle. Hésite. Se lance.

— Attends ! la rappelle Hux. Souris. Pour moi. Tu as l'air misérable.

— Oh... Euh... Comme ça ?

Elle lui fait le plus beau, le plus angélique des sourires. Son visage s'illumine, et à cet instant, Hux ne la trouve même plus humaine. C'est une fée, un être magique venu se mêler au milieu des vivants. Il a de nouveau une fulgurante envie de l'embrasser. De la serrer contre lui. De rester avec elle pour toujours. C'est un nouveau monstre, qui se déchaîne au fond de lui. Un monstre malgré tout plus calme. Plus apaisant. Un monstre qui lui laisse croire que tout n'est peut-être pas perdu, finalement.

— Oui, dit-il d'une voix faible. Exactement comme ça.

— Pourquoi tu rougis ?

— Oh, pour rien...