Dans le chapitre précédent : Les paladins se sont rendus à l'évidence : Zarkon les a trahis. Seule Lealle refuse d'accepter les faits et elle s'enfuit du château-vaisseau.

Coran, quant à lui, finit par accepter le fait qu'Alfor avait raison : Zarkon doit être arrêté, mais pas par eux... Par une nouvelle génération de paladins.


Chapitre 5

La Sœur

Ils ne mirent pas longtemps à comprendre où Lealle était partie et ce qu'elle comptait faire. La seule surprise fut qu'elle n'avait pas pris son lion, juste une petite navette. C'était une précaution pour ne pas risquer de donner à l'ennemi plus de pouvoir, ce qui confirma ce qu'ils savaient déjà tous.

Lealle était partie après Zarkon.

Elle avait désactivé ses transmetteurs, mais Alfor fut en mesure d'accéder à son ordinateur de bord pour trouver son point de sortie, un système inhabité dans une zone neutre que Voltron utilisait souvent pour s'entraîner. L'ordinateur détecta un autre trou de ver s'ouvrant dans le secteur à la suite de celui de Lealle.

Dès qu'il obtint les coordonnées, Alfor y téléporta le château. Moins d'un millier de ticks devaient s'être écoulés depuis le départ de Lealle, mais le système était déjà silencieux, ne donnant aucun signe de la présence de Zarkon.

Ils trouvèrent Lealle sur la seule planète habitable de la zone, à quelques pas de sa navette. Elle était allongée face contre terre dans l'ombre d'un arbre aux feuilles rouges, la dague d'un garde dans le dos. Le blason galran signifiant loyauté brillait d'un doux violet à la tombée de la nuit.


Ils disposaient de très peu de temps pour faire leur deuil. Maintenant que Zarkon avait clairement montré où résidait sa loyauté, il ne pouvait que s'enhardir dans ses attaques. Mais il s'agissait de Lealle ; même Sa ne discuterait pas de ce contretemps.

La cérémonie resta simple, la famille et les coéquipiers de Lealle se rassemblant autour d'une capsule d'extraction dans laquelle Alfor déposa son corps. Les profils mémoriels étaient censés se construire petit à petit au cours d'une vie. Par coutume, les paladins passaient une nuit par an dans une capsule pour mettre à jour leur profil, généralement le jour de l'anniversaire de leur lien avec leur lion.

Lealle n'y faisait pas exception. Mais deux saisons s'étaient écoulées depuis sa dernière extraction et beaucoup de choses s'étaient passées depuis. Le soulèvement des Galras, la naissance de l'Empire, la première bataille d'Allura aux commandes de la Garde de Voltron. Extraire des souvenirs d'une quintessence résiduelle était bien moins précis qu'avec un esprit encore en vie, mais c'était le seuil moyen de combler certains trous.

Une fois le processus entamé, les autres paladins se retirèrent, laissant Allura et Alfor veiller toute la nuit. Coran resta avec eux, brisant légèrement la tradition, même si Alfor aurait été le premier à le reconnaître comme membre de la famille. De toute manière, Allura et Alfor avaient besoin de lui, alors il ne comptait pas les laisser.

Ils passèrent la nuit en silence. Alfor était agenouillé devant la capsule, les mains sur les genoux, des larmes cascadant le long de ses joues. Allura s'était installée près de lui au début, mais ses larmes n'étaient pas aussi silencieuses que celles de son père et, quand Coran vint poser une main dans son dos, elle vacilla et se laissa tomber dans ses bras pour pleurer dans le creux de son épaule.

Coran rencontra le regard d'Alfor et son cœur se serra en voyant la colère et le chagrin qui s'y trouvaient. Les yeux de Coran étaient loin d'être secs, bien sûr, mais sa douleur n'avait pas d'importance pour le moment. Il avait perdu une amie, une camarade, une sœur et il la pleurerait pendant de nombreux jours. Mais Alfor et Allura avaient encore une armée à mener. Il savait qu'après cette nuit, ils ne se permettraient plus aucune larme.

Quand l'aube arriva, accompagné de la lumière se faisant dans la pièce, ce fut l'heure des derniers adieux. Alfor fut le premier à se lever, grimaçant en étirant ses genoux, y ayant mis tout son poids ces huit dernières heures. Il hésita, puis posa une main sur le verre entourant Lealle, comme pour caresser sa joue une dernière fois.

— Tu étais tout pour moi.

Sa voix était douce et chargée d'émotion. De nouvelles larmes s'écoulèrent tandis qu'il se penchait en avant, continuant dans un murmure qui ne portait pas jusqu'à Coran et Allura.

Après un moment, il recula et le masque du Roi s'était remis en place. Voyant sa contenance, Allura s'essuya les yeux et Coran aurait voulu qu'elle n'ait pas tant hérité du sens du devoir d'Alfor. Avec un sourire triste pour Coran, elle se leva et alla rejoindre sa mère. Le petit cylindre à côté de la capsule brillait doucement, une nébuleuse de souvenirs à peine plus dense qu'au début de leur veille.

— Mère.

La voix d'Allura se brisa sur ce petit mot et elle ferma les yeux, inspirant profondément.

— Tu as tant fait pour tant de personnes et j'aurais voulu être à tes côtés pour tes derniers instants. J'aurais voulu… J'aurais voulu–

Elle perdit contenance un instant et serra le col de sa robe d'un blanc pur, signe de deuil.

— Tu aurais dû vivre, Mère. Tant de personnes ont encore besoin de toi. J'ai encore besoin de toi.

Ses yeux se posèrent sur le cylindre de souvenirs et Coran eut envie de la reprendre dans ses bras. Ils avaient déjà perdu d'autres soldats, bien sûr, mais aucun de la connaissance d'Allura. Certainement aucun qu'elle n'ait veillé. On disait toujours que les profils mémoriels aidaient à apaiser la douleur de la perte jusqu'à ce que cela soit un de nos proches qui perde la vie. C'était alors qu'on se rendait compte qu'un hologramme avec une fraction des souvenirs et de la personnalité du défunt ne pourrait jamais remplacer la vraie personne.

Allura se força à reprendre son aplomb, le dos droit et le menton levé malgré ses larmes qui continuaient de couler.

— Nous honorerons ton héritage. Nous continuerons de montrer de la bonté et de la compassion à tous ceux que nous rencontrerons, ceux qui le méritent.

Son ton se durcit sur ces mots, un ton qui n'augurait rien de bon, mais Allura continua plus doucement :

— Repose en paix, Mère. Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour te rendre fière.

Puis elle recula pour rejoindre son père, donnant à Coran une chance de parler. Il s'avança lentement, incapable de détourner le regard du visage de Lealle. Quand le grand-père de Coran était mort, son corps avait simplement eu l'air de dormir, mais l'illusion ne fonctionnait pas pour Lealle. Elle n'avait jamais été discrète ou réservée, même dans son sommeil. Elle était tout ce qu'il y a de plus grandiose et d'enthousiaste, et sa joie contagieuse la faisait briller comme une lumière.

Cette lumière s'était éteinte désormais et le visage reposant derrière la vitre était celui d'une étrangère.

Coran se tint devant la capsule, sombre et silencieux. Il fut un temps, alors qu'Alfor et Lealle étaient jeunes et tombaient amoureux, Coran avait cru qu'il y aurait toujours un fossé entre lui et la future reine. Il avait hésité à appeler ça de la jalousie, même à l'époque, mais il n'appréciait pas sa présence.

Mais il s'était avéré impossible d'en vouloir à Lealle. Son humour se rapprochait bien trop du sien et elle donnait son amour sans réserve. Le jour où elle et Alfor avaient annoncé leurs fiançailles, Lealle avait emmené Coran boire un verre, son passe-temps favori. Ils avaient parlé avec plus de sincérité qu'ils ne se l'étaient jamais permis, dévoilant des secrets, des peurs et des jalousies qu'ils avaient trop essayé de garder pour eux.

— Tu détiens une part de lui que je n'aurai jamais, avait admis Lealle, surprenant Coran par la douleur dans sa voix. Il était déjà roi quand je l'ai rencontré. Il agissait comme tel, en tout cas. Je n'ai jamais connu le prince qui a abîmé un transport, qui jouait dans la boue et qui séchait les cours. Des morceaux de cet enfant sont toujours là, je suppose, mais c'est… C'est comme si…

Elle avait soupiré, laissant sa phrase en suspens, mais Coran avait compris. C'était un paladin, une future reine et elle ne connaissait que le roi Alfor. Coran était son ami d'enfance, s'éloignant peu à peu de l'homme qu'Alfor était devenu.

Le temps y avait remédié, bien sûr. Coran était devenu le conseiller d'Alfor et Lealle avait trouvé des façons de percer son masque seigneurial. Mais cette confession (quelque peu éméchée) suffit à faire fondre le peu de jalousie qui lui restait et ils s'étaient rapidement rapprochés. Ils se confiaient l'un à l'autre sur des choses qu'ils ne voulaient pas mettre sur les épaules d'Alfor, ils complotaient pour trouver des moyens de le faire rire quand sa couronne lui pesait bien trop.

Et quand Allura grandit pour devenir tout aussi majestueuse que son père, Coran et Lealle les laissaient à leur compte pour aller braver les vide-greniers du coin. C'était une compétition entre eux, visant à voir qui reviendrait avec la meilleure affaire ou la trouvaille la plus intéressante, et si Lealle était toujours la première à conclure un accord (ayant grandi parmi des commerçants presque aussi impitoyables que ceux fréquentant les marchés aux puces), Coran avait l'œil pour les objets rares et hétéroclites.

Désormais face à son corps froid, Coran se rendit compte qu'il l'avait aimée presque autant qu'il aimait Alfor et Allura.

Coran n'avait jamais été éloquent, pas quand la situation demandait de la solennité comme à l'heure actuelle. Alors il n'essaya pas de formuler son deuil. Tout ce qu'il fit fut de poser la main contre sa vitre et de murmurer d'un ton trop bas pour que les autres puissent l'entendre :

— Ne t'inquiète pas, Lealle. Je prendrai soin d'eux à ta place.

Ensuite, il fut temps de lui dire au revoir. Alfor semblait avoir vieilli de cent ans en une nuit et ce fut avec lenteur qu'il leva la main vers les contrôles. Ses yeux brillaient de larmes qu'il ne se permettait désormais plus de verser et il murmura un dernier adieu avant d'appuyer sur le bouton.

Lealle et sa capsule disparurent, éjectées du sas et offertes à l'étreinte glaciale de l'univers.


Les autres paladins patientaient devant la salle de veillée quand Coran, Alfor et Allura en émergèrent. Coran s'y attendait ; Rukka, Sa et Keturah avaient tous été des amis chers. Meri était là aussi et elle alla aussitôt se placer aux côtés d'Allura, l'inquiétude tirant ses traits, bien qu'elle se retint d'essayer de réconforter la princesse. Elle pouvait voir, tout comme Coran, qu'Allura ne tenait le coup que par pur entêtement et fierté. Tout signe de gentillesse pourrait la faire flancher et Coran n'était pas sûr qu'Allura supporte d'être brisée une nouvelle fois.

Si le contrôle d'Allura sur ses émotions était de verre, celui d'Alfor était d'acier. Il rencontra leur regard au tour à tour, l'air grave.

— Lealle repose parmi les étoiles, dit-il.

Que sa lumière nous éclaire, murmurèrent les autres.

Après une courte pause, Alfor continua :

— Je crains que nous n'ayons plus le temps de faire notre deuil. Zarkon nous a trahis. Nous devons l'arrêter. Meri.

La jeune femme sursauta, sa peau sombre plus pâle que jamais. Elle semblait épuisée, ses cheveux ardents flasques et décoiffés, les yeux rougis par une nuit à veiller et peut-être à pleurer. De nombreux aspirants paladins s'entraînaient de près avec un mentor et Meri s'était beaucoup rapprochée de Lealle. Cette dernière la considérait comme une seconde fille et Coran pensait que cette affection était mutuelle.

L'expression d'Alfor se crispa en se tournant vers elle, mais il garda un ton ferme, le roi en lui contrôlant parfaitement son chagrin.

— Ton lien avec le lion bleu est plus fort que celui des autres recrues. Lealle avait de grands espoirs de faire de toi son successeur. Tu peux prendre la journée pour te préparer. Demain, nous verrons si le lion bleu t'acceptera.

Un silence choqué retomba et Meri sembla à deux doigts de s'effondrer. C'était rare pour un paladin de mourir au combat, mais c'était déjà arrivé. Dans ces cas-là, l'équipe et le lion avaient habituellement cinq jours pour faire leur deuil avant que les tests ne commencent. Cinq jours pour honorer son souvenir et guérir avant que quelqu'un ne le remplace dans leur cœur.

La bouche de Meri s'ouvrit pour protester, puis se referma. Elle savait qu'Alfor avait raison : ils n'avaient plus le temps. Avec la trahison de Zarkon, l'équipe souffrait déjà. Trois paladins pouvaient affronter le lion noir, mais pas avec l'armée galra qui le soutenait.

Ils avaient besoin du lion bleu, et vite.


Le lendemain, Alfor et Coran escortèrent Meri au hangar du lion bleu. Le chagrin de Blue était comme une présence tangible dans l'air, un poids qui les accueillit à la porte. Le lion était allongé sur le sol, la tête reposant sur ses pattes, les yeux sombres.

Coran et Alfor reculèrent un peu et le premier fit signe à Meri de s'approcher.

Elle s'exécuta, bien qu'avec hésitation, la main tendue vers le lion. Elle s'arrêta juste avant d'entrer en contact avec le museau de Blue, levant les yeux.

— Je sais qu'elle te manque, Blue, murmura-t-elle. À moi aussi, et je suis désolée de me présenter à toi de cette manière. Mais l'univers a besoin de toi. Les autres paladins ont besoin de toi. Je sais que je ne suis pas prête, je sais que tu ne l'es certainement pas non plus. Mais… je t'en prie. S'il y a la moindre chance que je devienne ton paladin un jour, laisse-moi me battre maintenant.

Meri s'interrompit, l'air de vouloir en dire plus, mais elle ferma les yeux et fit le dernier pas, sa main venant se poser contre la coque du lion bleu.

Blue l'accepta, plus dans un grondement que dans un rugissement, ce qui était approprié à l'atmosphère pesante qui régnait sur le château. Mais les yeux de Blue prirent une couleur ambrée familière et elle baissa la tête vers Meri, pressant son museau contre la main de la jeune femme.

Meri glapit, ses genoux la lâchant, et Coran la rattrapa de justesse avant qu'elle ne tombe par terre.

— Désolée, fit Meri en baissant la tête. (Elle pleurait, le souffle court et entrecoupé par les débuts d'un sanglot.) Désolée, je ne m'attendais pas–

Elle leva les yeux pour regarder le lion bleu et son visage sembla refléter la souffrance qui emplissait la pièce. Le lien d'un paladin avec son lion créait un écho entre leurs émotions et Coran ne pouvait qu'imaginer ce que le lion bleu ressentait actuellement. Meri cligna rapidement des yeux, s'appuyant contre la patte de Blue.

— Je suis désolée, murmura-t-elle. Je suis désolée, Blue. Désolée de ne pas être elle.


Coran trouva Meri dans la salle des capsules, regardant Allura dormir.

— Cela fait quatre jours, dit Meri sans se retourner. Il vaudrait mieux pour moi que je commence à accepter le plan du roi, pas vrai ?

Coran soupira, mais ne le nia pas. Ils avaient tous cherché des réponses qui n'existaient tout simplement pas. Zarkon était trop puissant. Les paladins avaient souffert bien trop de pertes en peu de temps. Leur dernière victoire remontait au jour où le lion bleu avait choisi Meri, quand les quatre paladins étaient allés confronter Zarkon.

Ils avaient réussi à reprendre le lion noir, et ce seulement parce qu'elle s'était elle-même battue pour se défaire du contrôle de Zarkon. Cette trahison l'avait surpris et il avait dû s'enfuir pour éviter que les paladins ne le capturent, lui aussi.

Allura était presque partie à la poursuite de Zarkon et Coran ne lui en voulait pas. Il l'en avait empêché, bien sûr ; il n'allait pas laisser Zarkon la tuer comme Lealle. Mais il comprenait sa colère.

Par la suite, Zarkon s'était montré sans pitié, écrasant peu à peu la Garde de Voltron et leurs alliés. À chaque victoire remportée par les Galras, les chances de Voltron de changer le cours de la bataille s'amenuisaient. Ils n'avaient plus d'alliés, plus de flotte pour couvrir les arrières des lions, plus de Voltron pour faire face aux forces écrasantes de l'ennemi.

L'univers avait besoin d'une équipe de paladins nouvelle et intacte. Le plan d'Alfor était le seul espoir. Coran s'était presque résigné à ce fait, mais il savait que les paladins cherchaient toujours une solution.

Coran s'assit en silence à côté de Meri, souhaitant pouvoir lui offrir des conseils, voire du réconfort, mais il n'y avait rien à dire. Quelque soit le chemin qu'elle choisissait d'emprunter, elle finirait par mourir avant qu'Allura ne sorte de stase, tout comme Alfor, Keturah, Rukka et Sa.

— J'aurais voulu qu'on n'ait pas besoin d'en arriver là, murmura Meri.

— Moi aussi.

Avant qu'ils ne puissent ajouter quoi que ce soit, les transmetteurs crépitèrent.

— Meri ! À ton lion ! Coran, j'ai besoin de toi sur la passerelle.

La voix d'Alfor était tranchante, la colère bouillonnant juste sous la surface.

Coran se mit en mouvement, Meri le devançant de peu.

— Qu'est-ce qu'il y a ? demanda-t-elle. Que s'est-il passé ?

— C'est Keturah, gronda Alfor. Elle a lancé une attaque contre Zarkon.