Le Serpent et l'Oiseau
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Hello !
Cette publication était inespérée. Mais après plusieurs semaines à me dire « Allez, cette fois c'est la bonne » je reviens sur le droit chemin !
Bon tout d'abord, pardon pour ce retard indécent. D'autant que j'ai promis à certains une publication rapide hahaha, quelle blague. Je suis désolée, j'étais la première à me croire ! Peut-être qu'en lisant ce chapitre, vous comprendrez pourquoi il a mis si longtemps à sortir. Il contient un point charnière de l'intrigue et puisqu'il impacte vraiment la suite, j'avais besoin d'y réfléchir un peu plus profondément, résultat il a connu douze mille réécritures u.u J'arrive même plus à savoir si j'en suis satisfaite. Mais bon, je préfère vous le soumettre maintenant et pas l'année prochaine.
Un grand merci à Sun Dae V, Orlane Sayan et Elise333 pour vos reviews ! Merci d'avoir pris le temps de me faire part de vos impressions, pour vos encouragements et tout le reste. C'était il y a longtemps maintenant (lol), mais un merci tout particulier à Pamphile pour son retour sur ce chapitre.
Je vous l'ai déjà dit, je crois, la publication sera rarement régulière. Mais j'y travaille, c'est une histoire qui me tient à cœur, sur laquelle j'essaie de m'amuser et de ne pas trop me prendre la tête non plus mais... (Hum) On fait ce qu'on peut ! En tout cas, je suis toujours décidée à vous la livrer jusqu'au bout.
Je rappelle comme ça faisait longtemps : c'est Noël et mes petits Aurors en herbe font leur première sortie aujourd'hui. On aime les décisions de Barty. (Qui n'apparaît pas dans ce chapitre, mais demeure pour toujours dans nos cœurs, n'est-ce pas Sun ? :D)
Je vous souhaite une bonne lecture !
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LEÇON N°5
De l'utilité du code couleur
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Dehors.
Alice était dans le froid, mais dehors et quelque part, ça lui convenait très bien. Elle avait fini par croire que Kevin ne les laisserait jamais partir. En découvrant avec effroi qu'un d'eux n'avait reçu la moindre leçon de « procédure », il avait pâli, un peu tremblant, avant d'entreprendre courageusement de leur expliquer, point par point, le code couleur.
Vert, peu de risque.
Jaune, situation potentiellement risquée mais gérable sur place.
Orange, danger avéré, renforts à prévoir.
Rouge, meurtre de masse.
La dernière couleur avait laissé place au silence. Kevin laissa passer quelques secondes avant de poursuivre son laïus.
« Normalement, vous serez envoyés sur des situations jugées de niveau vert par la Brigade. Vous serez simplement là pour découvrir ce qu'il en est. Le badge vous servira de moyen de communication. Il est basique mais efficace, et permet de savoir précisément où vous vous trouvez. Indiquez-nous la couleur et si besoin, des équipes vous viendront en aide. Sinon, à vous de gérer la situation tout seuls. Si vous avez des d'informations plus précises à nous faire part, envoyez un Patronus. »
Les instructions reçues par Kevin voulaient qu'il les répartisse par binômes, ce qui en soi, les apprentis étant un nombre impair, posait à ses yeux un problème insoluble. Il avait passé vingt minutes dans les bureaux de ses supérieurs pour s'enquérir de la marche à suivre. Chez Alice, l'amusement avait vite laissé la place à l'impatience.
Au bout d'un temps qu'il leur parurent interminable, Kevin finit par se ranger à l'avis général : la formation d'un trio – soit une petite entorse aux instructions officielles – ne signait pas la fin du monde.
— Miss Parker, il ne vous reste plus qu'à choisir vos partenaires.
Appuyée contre le mur, Jody balayait les camarades en question du regard, l'air pensif.
— Tu peux venir avec nous, si tu veux.
— T'es sûr, Londubat ? fit-elle en rattachant sa queue de cheval.
Il se contenta d'un hochement de tête.
Alice ravala une déception au goût étrange, qu'elle fut surprise d'éprouver. Tant pis. Elle n'avait aucun atome crochu avec Jody, mais c'était sans importance. Ils étaient là pour travailler, rien de plus. Kevin lui tendit un morceau de parchemin ; le nom d'une ville y était déjà inscrit.
Southampton
En théorie, ils devaient se rendre sur place pour régler un problème, rassurer les gens, demander des renforts en cas de danger. Mais Alice avait suffisamment fait l'expérience de la vie pour savoir que théorie et pratique étaient deux univers bien distincts qui, souvent, ne partageaient aucun lien.
— Direction le sud-ouest, déclara une voix féminine à côté d'elle.
Un Sortilège de Désillusion et ils disparurent dans la nuit claire et sans nuage. D'un coup de pied sur le bitume, Alice s'envola à son tour. Le froid. Elle ne s'attendait pas à le subir de plein fouet ; elle se trompait. Porté par un vent polaire, il s'infiltra sous son manteau, paralysa les muscles de son visage, en brûla chaque extrémité qu'elle n'avait pas pensé à couvrir. Jody volait sans complexe, une simple veste flottant sur ses épaules, nullement affectée par le souffle polaire, température –10°C, ressenti caisson de congélation.
Comment certaines personnes parvenaient-elles à ranger leur humanité au placard ? Mystère.
Pour oublier le froid qui lui dévorait mains, nez, yeux et oreilles, Alice laissa se perdre son regard dans le ciel troué d'une infinité d'étoiles. Si elle n'avait pas la moindre idée d'où ils se rendaient, c'était entièrement sa faute. Les matières techniques – potions, botanique, astronomie – n'étaient pas son fort. Tout le temps qu'elle aurait pu utiliser pour apprendre à ses repérer par les astres, elle l'avait perdu à relier les points de la carte du ciel avec Narcissa Black, non pas dans un esprit de sérieux, mais bien pour dessiner avec elle les constellations les plus improbables.
Ni le Sanglier en Rut, ni l'Autruche Unijambiste ne lui seraient très utiles pour trouver le Nord.
Alice commençait tout juste à prendre le rythme, s'habituer à l'agression constante du froid, quand Jody accéléra course, descendit en piqué puis vira brusquement à sa gauche. Alice raffermit la prise de ses mains gelées sur son balai, non sans crier de douleur au passage. Elle n'avait pas l'intention de se laisser distancer.
En dessous, les points lumineux s'étaient multipliés. Ils ralentirent.
Alice découvrit dans la nuit des plages d'un sable presque noir, la mer qui s'étendait au loin, une mer qu'Alice, en se préparant à atterrir, contempla avec un soupir de soulagement. Southampton. Elle y était enfin.
Une douleur lancinante, causée par le froid, lui brûlait encore les oreilles. Ses mains lui faisaient l'effet de morceaux de glace sous ses gants. Par miracle, elle parvenait encore à plier ses doigts ; le corps humain était fascinant.
Le bruit sourd d'un pied contre la terre : Londubat avait trouvé le sol à son tour. Prenant soin de rajuster son bonnet sur sa tête, il essuya rapidement les larmes qui perlaient au coin de ses yeux.
Lui aussi, constata Alice avec une pointe de soulagement, avait vécu l'épreuve du froid dans la douleur. Ce n'était pas qu'elle lui souhaitât du mal, au contraire, mais la petite part d'elle qui n'aimait pas souffrir seule se sentit presque rassurée.
Elle ne put s'empêcher de sourire devant ses joues d'un beau rouge vif – nul doute qu'elle arborait les mêmes – et les mini-glaçons qui chutaient de ses sourcils.
— Invenio, murmura Jody.
Un trait bleu, filant dans la nuit, leur indiqua la direction à suivre.
Peu à peu, la ville se changea en un labyrinthe de ruelles silencieuses et vides. A mesure qu'ils s'éloignaient du centre s'estompaient les sapins et les néons JOYEUX NOËL, les lampadaires étaient éteints, seules quelques rares lumières émanaient des salons qui n'avaient pas encore fermé leurs volets. A travers les fenêtres se dévoilaient des familles partageant un repas, des conversations animées, les rires muets, la chaleur d'un sourire, des enfants qui traversent le salon à toute allure.
Reportant son regard sur Frank, Alice s'aperçut qu'il les observait, lui aussi.
Une fête de Noël l'attendait-il chez lui ? Avait-il des traditions familiales ? Des gens qu'il était pressé de retrouver ? Était-il triste de se trouver là, avec elles, plutôt qu'en compagnie des siens ?
Peut-être que s'ils avaient été seuls, Alice aurait trouvé le courage de lui poser la question.
— C'est là.
Jody s'était arrêtée devant une maison ordinaire, des briques rouges, un jardin en jachère pour l'hiver. Les fenêtres étaient voilées par des rideaux opaques, empêchant qu'on distingue quoi que soit à l'intérieur. Alice sentit son cœur battre un peu plus vite que d'habitude alors qu'ils s'avançaient pour y frapper. Une pointe d'appréhension logée dans son ventre, elle savoura un instant la sensation d'être arrivée quelque part.
Jody s'arrêta net.
— Vous en pensez quoi, code vert ou plutôt nuances de rouge ?
— Oh.
Alice fut surprise de la trouver en train de sourire, une étincelle allumée dans ses yeux. Un pari. Jody aimait les jeux, perdre ou gagner, prenait son pied dans la compétition.
« A toi de choisir. »
La clôture n'était qu'une haie perdue dans les ronces. Les mauvaises herbes s'élevaient dans la nuit. Si on l'observait attentivement, il y avait quelque chose d'inquiétant dans ce jardin à l'abandon.
« Vingt-deux gallions, deux mornilles, six noises.
— Pas mal !
— J'ai fait courir le bruit que Wenworth avait une conjonctivite. Tous ces imbéciles sont allés parier sur Diggory.
— T'es un génie, Alice. »
La voix impressionnée de Dilwen Pritchard résonna dans son esprit. En plus d'être une activité lucrative, avec une ou deux techniques spéciales Serpentard, parier sur les matches de Poudlard était d'une facilité déconcertante. En insistant un peu auprès des bonnes personnes, une simple rumeur s'enflammait pour se changer en vérité. Narcissa trouvait la pratique vulgaire, mais Narcissa n'avait pas besoin d'argent. Dilwen et Alice jouaient pour le goût du risque, l'adrénaline, mais surtout parce que c'était un moyen facile de faire rentrer quelques gallions dans leur bourse.
Après tout, rien n'obligeait les élèves de Poudlard à parier avec elles, ou à croire ce qui se racontait dans les couloirs. Tant pis pour eux, s'ils n'apprenaient pas de leurs erreurs.
Ce temps-là était un temps révolu. Alice s'étonna de constater que la sensation, elle, demeurait intacte. Anticiper le plaisir d'une victoire ou l'amertume d'une défaite. Bien sûr qu'elle allait jouer.
— Jaune, déclara-t-elle après un temps de réflexion.
— Choix audacieux, apprécia Jody. Et toi, Londubat ?
De son souvenir, jamais il n'avait donné la moindre noise à leur petite société de paris. Tant mieux pour la société, songea Alice, il aurait été capable de la ruiner. Elle fut surprise de le voir se prendre au jeu, lui aussi.
— Je parie sur le vert.
— Toi aussi, tu penses que c'est une fausse alerte ?
Jody avait souri.
— Je suis d'accord, ce n'est pas ici qu'on s'amusera ce soir.
Il y avait une pointe d'ironie dans le regard décoché à Alice, et elle ne put s'empêcher de la défier à son tour.
« C'est ce qu'on verra. »
— Parfait, déclara Jody. Maintenant, j'ai hâte de savoir ce qui nous attend.
Et ils étaient loin de s'y attendre, justement.
Le visage d'une femme, la cinquantaine depuis longtemps dépassée, surgit dans l'encadrement. Elle avait des yeux verts lumineux, trop petits pour son visage, une coiffure montée en chantilly et lorsqu'elle recula, Alice dut plisser les yeux devant la robe jaune ornée de fleurs qui lui arrivait aux chevilles et son foulard pailleté d'un violet vif.
— Enfin !
La porte s'ouvrit complètement, heurtant le mur dans un grand fracas.
— J'aurais pu mourir dix fois en vous attendant !
Il y eut un silence sonné.
— Vous m'avez l'air en forme, articula lentement Jody.
— Vous...
Le regard de la femme se durcit encore, si c'était seulement possible.
— Vous êtes Jody Broker !
— Absolument pas.
— Si, si ! Je vous reconnais ! Broker, l'ex Poursuiveuse de Flaquemare !
— Parker.
— C'est ce que je viens de dire. Flaquemare ! Mon équipe préférée ! Une équipe intègre, talentueuse, magnifique, dont vous avez osé ternir la réputation !
Jody était blanche de fureur. C'était la première fois que le nom de son ancienne équipe était prononcé devant elle. Elle ne parlait jamais devant eux son ancienne vie et personne n'avait osé aborder le sujet devant elle.
— Vous ne savez pas de quoi vous parlez.
Ses doigts s'étaient refermés sur sa baguette, la peau s'était tendue autour des jointures de ses poings. La femme soutint son regard sans faiblir dans une atmosphère soudain électrique.
— Vous avez contacté la Brigade, rappela Frank en s'avançant légèrement.
— La Brigade ? répéta-t-elle, comme si le problème Quidditch avait occulté tout le reste dans son esprit.
— Oui. Vous voulez bien nous expliquer pourquoi ?
Elle parut se relâcher légèrement.
— Mon mari a envoyé quelqu'un pour me tuer.
— Votre mari ?
La femme n'aurait pas annoncé autrement sa prochaine destination de vacances.
— Pourquoi votre mari voudrait-il vous tuer ? interrogea Alice.
— Oh, j'ai bien deux-trois théories, souffla Jody à côté d'elle.
La question laissa leur hôte insensible.
— Oh, ça. Longue histoire, jeune fille.
— Vous nous laissez entrer pour la raconter ?
Alice pénétra dans une pièce qui s'accordait étrangement à la robe de leur hôte. Les fleurs s'étalaient partout : sur la tapisserie, en bouquet, en aquarelle, encadrées en nature morte, dans les titres des livres qui composaient la bibliothèque, Les fleurs qui se mangent, Fleurir quand on est une femme ou encore la collection Fleur bleue et ses innombrables romans d'amour.
Même le fleuriste en bas de chez Alice n'y mettait pas tant de zèle.
Londubat contempla un moment, fasciné, le fauteuil au centre du salon avant de s'en écarter soudainement, comme si les tulipes, aussi rouges que laides, risquaient d'arracher un morceau de son âme.
Alice n'était pas sûre qu'elles n'en furent pas capable.
Jody, elle, demeura le plus loin possible d'un aloe vera géant qui, semblait-il, était doté de toutes petites dents.
— C'est moi qui ai choisi la tapisserie, annonça la femme.
— Je crois qu'on a même identifié le mobile, murmura Jody qui n'avait décoléré.
— C'est...
Frank grimaça ; aucun mot n'était assez fort pour définir la tapisserie en question.
— Asseyez-vous, madame, on va... On va reprendre depuis le début.
— Mon mari a voulu me faire tuer, répéta la femme avec la condescendance qu'on réserve à un enfant trop stupide pour comprendre.
— Vous voulez dire que... Enfin, vous allez bien ?
— Oh oui, ne vous inquiétez pas pour moi. J'ai enfermé l'assassin dans la penderie.
Alice ne savait pas si c'était l'effet de la tapisserie fleurie ou la légèreté de son ton, mais le mot Assassin, à ses yeux, ne prenait pas le moindre sens. Elle resta partagée entre le désir d'éclater de rire et celui de se pincer dans l'espoir de se réveiller.
Elle en profita pour se pencher à l'oreille de Jody.
— L'assassin, c'est pas au moins niveau jaune ?
— A mon avis, c'est juste une vieille folle.
Bam. Bam. Bam.
Trois coups sourds venaient de retentir à l'étage. Ils sursautèrent.
— C'est lui, souffla la femme. C'est le mercenaire assassin qu'il a envoyé pour me tuer.
— Un... mercenaire ? répéta Alice.
Y avait-il une couleur spécifique pour l'assassin mercenaire ? Sans surprise, la procédure « détaillée » par Kevin ne leur était d'aucune aide.
— Comment s'appelle votre mari ? interrogea Londubat.
— Ambroise Selwyn. On est en procédure de divorce.
Jody se pencha à l'oreille d'Alice.
— Vraiment, cette tapisserie explique beaucoup de choses.
— N'oublie pas le fauteuil. Il a traumatisé Frank.
— Ce fauteuil traumatiserait n'importe qui.
Alice ne put s'empêcher de rire.
— En même temps, dit-elle, ne plaisantant qu'à moitié, je pense qu'il faut quand même prendre au sérieux cette histoire de divorce. Les Sang-pur ne rigolent pas avec le mariage.
— Je veux bien te faire confiance, Rowle, mais apparemment le « mercenaire » est déjà enfermé dans la penderie. Le boulot est fait, non ?
— Vous avez des amis chez qui vous réfugier ? interrogeait Frank de son côté.
L'épouse Selwyn lui jeta un regard froid.
— Si j'avais des amis, vous croyez que je serais seule à Noël devant mon gratin de courgettes ? Je n'ai pas d'amis, ce sont les siens. Ma propre famille est acquise à sa cause.
— Allez à Ste-Mangouste. Dites-leur qu'on vous envoie. Ou au Ministère, mais ne restez pas là. On s'occupe du mercenaire dans la penderie.
— Vous êtes sûr ?
— On va s'assurer que vous êtes en sécurité. Vous devriez porter plainte contre votre mari dès que possible.
— Porter plainte contre un Selwyn ? Au Ministère ? Ne soyez pas stupide. Il existe un vortex dans lequel tombent toutes les plaintes contre les Sang-pur. La mienne n'y échappera pas.
Jody la poussait contre son gré en direction de la porte.
— On s'en occupe. Si c'est bien votre mari qui a monté ce plan, il y aura des sanctions contre lui.
— Dans un monde parfait ! Mais dans un monde parfait, vous seriez venus plus tôt pour...
— Au revoir, madame. Laissez-nous faire notre boulot !
— Sans compter Flaquemare qui...
La porte claqua, laissant le silence reprendre ses droits. Jusqu'à ce qu'un son familier le brise une fois encore. Bam. Bam. Bam. Jody leur adressa un sourire avide.
— Bon, vous n'êtes pas curieux ?
Elle s'apprêtait à grimper les marches de l'escalier lorsque Frank l'arrêta.
— Attends. Je ne suis pas sûr qu'un assassin dans la penderie se gère comme un niveau vert.
— Tu y crois vraiment, à cette histoire d'assassin ? demanda Alice.
— Je pense juste qu'on devrait réfléchir à la procédure.
— A part un monologue de Kevin, on n'a eu aucun cours de procédure. On nous a envoyés pour évaluer la situation. Comment on pourrait en connaître le niveau si on n'y entre pas ?
— Je suis avec Rowle sur ce coup-là. Dans le pire des cas, on dira qu'on savait pas.
— Non, Jody. Dans le pire des cas : on meurt.
Et Londubat était mortellement sérieux.
— Ce n'est pas juste un jeu, code vert ou code jaune, c'est une vraie situation. On n'a pas le droit à l'erreur.
— Oh allez ! Vous ne trouvez pas ça bizarre cette histoire de penderie ? Comment une femme comme elle aurait pu maîtriser un assassin ? Elle a dû arroser au whisky son gratin de courgette avant d'enfermer son chat dans son placard. On n'aura pas l'air ridicule avec notre alerte rouge aux Aurors...
— Je crois que je préfère être ridicule que mort.
— Tu es d'un pessimisme, fit Jody d'une voix légère. T'en penses quoi, Alice ? Tu as peur, toi ?
Dans les yeux de Londubat, Alice lut l'espoir qu'elle se montrerait raisonnable. Parker était maligne. En ciblant l'orgueil d'Alice, elle avait touché son désir de prouver que non, elle n'avait pas peur. Cette intervention avait l'absurdité d'un rêve, mais elle devait bien avouer toutefois que les coups à l'étage lui fichaient la trouille. Elle préférait croire qu'ils n'étaient pas réels. Un chat ou un hibou changé en assassin par un esprit paranoïaque. Rien de plus. L'alcool – sans parler de la toxicité des fleurs – faisait des ravages.
— On est trois contre un, murmura-t-elle. Qu'est-ce qui peut nous arriver ?
Elle se força à soutenir son regard déçu, même s'il insinuait, acide, au fond de ses os. Non, cette histoire de mercenaire n'avait aucun sens. Ils ne pourraient que rire du pauvre chat prisonnier dans la penderie.
Non ?
— Je vous suis, déclara-t-il enfin, résigné.
Bam. Bam. Bam.
Les marches du vieil escalier craquaient sous leurs pieds. Le bruit se faisait plus fort à mesure qu'ils se rapprochaient, une masse portée contre une paroi, trop lourde, peut-être, pour corroborer l'hypothèse du chat. Les voies respiratoires d'Alice s'étaient contractées, ne laissant plus passer qu'un mince filet d'air. Et si Frank avait raison ? Et si c'était un piège ?
Trop tard pour s'arrêter.
Contraignant sa petite voix intérieure à se taire, les sens aux aguets, elle raffermit sa main sur sa baguette. Elle profita de l'angle du couloir pour passer devant Londubat. Elle n'avait pas besoin qu'il se blesse à cause d'une décision stupide, encore moins s'il s'agissait de la sienne.
Elle sentit le souffle court de Parker, à côté d'elle.
— J'ouvre. Rowle, tu dégaines. Londubat, à l'écart, pour l'instant tu observes.
Jody posa sa main sur la poignée de la penderie. Bam. Le cœur d'Alice n'avait jamais battu aussi vite. La porte s'ouvrit dans un grincement.
Alice poussa un cri.
Une silhouette bel et bien humaine se détacha de l'obscurité du placard, une silhouette fine et élancée, la baguette dans sa direction et deux yeux bleus lumineux et cruels.
C'était Lui.
Rabastan Lestrange s'avançait vers elle le sourire aux lèvres.
Alice ne put que le regarder, la gorge nouée par la surprise, envahie d'une panique brutale. Le retour d'une terreur ancienne et familière, irrespirable, qui n'existait plus que dans ses cauchemars. Il était de retour. Là, devant elle.
Rabastan.
Son nom avait sur elle l'effet d'une malédiction. Elle refusait de penser à lui mais il n'avait jamais cessé d'être là, tapi dans l'ombre, Rabastan. Son nom à elle s'échappa de sa bouche. Un murmure qui mêlait la joie, le désir et une détermination sans limite. Un murmure qu'elle connaissait par cœur.
« Alice... »
Elle n'entendit pas les cris de Londubat, ne vit pas les maléfices rebondir sans le moindre effet sur l'homme qui lui faisait face. Son cerveau ne pouvait traiter qu'une information à la fois : il t'a retrouvée.
— C'est un Épouvantard ! hurla une voix qui lui parut lointaine.
Londubat se plaça devant elle.
La créature se changea. L'homme de ses cauchemars disparut pour laisser place à un inconnu grand et mince, les cheveux poivre et sel, une teinte mélancolique dans le regard. Frank recula d'un pas. La créature ouvrit les bras dans sa direction, des bras dégoulinant de sang qui dessinèrent sur le parquet une flaque écarlate.
La main de Londubat tremblait. Il fixait le sang qui se répandait sur le sol, incapable de bouger.
— Par ici ! s'écria Parker.
Un petit flacon incolore prit la place de l'homme aux bras ensanglantés.
— Riddikulus.
Le flacon se brisa en mille paillettes. Jody la renferma dans la penderie d'un mouvement de baguette. Le silence retomba dans la pièce.
Au sol, sans même le souvenir d'être tombée, Alice vit Londubat s'approcher d'elle.
— Respire…, souffla-t-il.
Ne pas se noyer dans sa panique. Les traces de sang avaient disparu. Elle s'accrocha au parquet qui avait le mérite d'être tangible, plutôt qu'aux souvenirs qui la noyaient. Respire. Sa voix était douce. Londubat se tenait devant elle, accroupi sur le sol. Il la regardait sans la toucher, lui laissant l'espace nécessaire pour retrouver son calme, reprendre ses esprits.
Il avait raison, ce n'était qu'un Épouvantard. Aucune raison de pleurer. Alice ravala ses larmes au plus profond d'elle. Elle avait conscience que si elle s'autorisait à se laisser aller, elle ne pourrait plus s'arrêter. Respire. Elle croisa son regard brun. C'était Frank, là devant elle. L'autre n'était pas réel. Le poing qui enserrait sa poitrine parut la lâcher. Elle saisit la main tendue de l'apprenti pour se lever, n'oubliant pas cette fois de prononcer les mots qu'il fallait :
— Merci.
Non loin d'eux, Jody se pencha pour ramasser un morceau de parchemin sur le sol.
— Regardez.
Le mot était court :
JOYEUX NOËL !
Cette première expérience est sponsorisé par les jumeaux de la bonne humeur !
En espérant que vous l'ayez appréciée,
F et G
Juste une plaisanterie.
Fabian et Gideon avaient dû trouver amusant d'enfermer un Épouvantard dans une penderie pour laisser les bleus s'en dépatouiller. La femme aux fleurs pouvait aussi bien être leur mère. Ou l'un des deux sous Polynectar. Alice eut honte de ne pas avoir compris toute de suite. Cette histoire de mercenaire en plein décor fleuri était suspecte depuis le début.
Elle qui voulait être Auror n'était pas foutue de reconnaître un Épouvantard du premier coup d'oeil ! Pire, même en le sachant, elle avait été incapable de réagir.
Si elle n'avait pu le faire face à un Épouvantard, que ferait-elle quand il reviendrait tenir sa promesse ?
— Je vais tuer les Prewett, articula-t-elle en s'appuyant contre le mur.
Londubat, lui aussi très pâle, hocha la tête.
— Je suis là si tu veux un coup de main.
— Vous pouvez compter sur moi, ajouta Parker avec une grimace.
Pendant un instant, ils savourèrent le silence de la pièce, à peine heurté par ce bam, bam, bam dont ils connaissaient désormais la nature.
— Vous croyez qu'il en ont envoyé un à tout le monde ?
— Ça ne m'étonnerait pas. C'est sans doute une tradition chez les Aurors, une sorte de bizutage pour faire paniquer les jeunes.
— Peu importe, ils vont me payer ça, déclara Alice.
— Comment ?
— Un Épouvantard dans leur tiroir à chaussettes ? J'en sais rien. Je laisserai passer un peu de temps histoire de réfléchir.
— Tu sais quoi Rowle ?
La main de Jody s'était posée sur son épaule.
— Je t'aime bien quand tu parles comme ça. Ces imbéciles de Prewett n'ont qu'à bien se tenir.
Le sourire d'Alice s'effaça quand elle réalisa qu'une nouvelle adresse s'était inscrite sur le parchemin, à l'opposé de l'endroit où ils se trouvaient déjà. Ils s'étaient à peine remis de leur émotions que déjà il fallait repartir pour un tour.
— Dover, lut-elle avec un soupir. Retour aux balais…
— A mon avis, lâcha Jody, cette soirée de Noël « dédiée aux apprentis » n'est qu'une vaste blague pour divertir les titulaires.
— Je ne serais pas étonnée non plus. Mais on dépend d'eux. On est obligé de jouer le jeu.
— Pas faux.
— Allez, c'est parti pour l'est du pays.
Alice s'apprêtait à rejoindre son balai quand elle vit Londubat s'approcher d'elle.
— Tu vas bien ?
— Non.
Elle n'avait pas envie de lui mentir.
— Et toi ?
— Aussi bien que toi.
— Mais on n'a pas vraiment le choix, conclut-elle à sa place.
L'horreur née dans ses yeux à lui, elle n'était pas prête à l'oublier de sitôt. Elle ignorait l'identité de l'homme qui incarnait sa peur, mais elle ne le connaissait pas assez pour se sentir en droit de lui poser une question aussi intime. Pas alors qu'ils avaient une nouvelle intervention à gérer. Frank hocha la tête et enfourcha son balai à son tour.
Ensemble, ils décollèrent.
oOoOo
Avantage du soir de Noël, ils ne sillonnaient pas le ciel dans une nuit opaque. Si la vue des métropoles était à couper le souffle, même en campagne, ils se laissaient guider par les néons colorés. Voler était l'activité parfaite pour ne plus penser, se vider la tête pour mieux la gonfler d'air, chasser les angoisses et les souvenirs.
Ce n'était pas là qu'il pourrait l'atteindre. Pas au milieu des étoiles. Alice savoura l'illusion de sécurité octroyée par la vitesse et la hauteur. Elle aurait voulu ne jamais redescendre.
Lorsque Jody descendit en piqué, elle la suivit à regret. Ils s'arrêtèrent moins au cœur d'une ville que d'un village. Les maisons étaient espacées, le chemin qui menait à chacune n'avait pas été entretenu depuis longtemps.
Frank désigna devant eux une bâtisse en pierre, dont les murs avait depuis longtemps subi l'assaut du lierre.
— C'est là ?
— Je crois, oui.
Baguette en main, ils frappèrent à la porte.
— Entrez.
L'homme qui leur faisait face était doté d'une épaisse moustache blanche. A l'exception des photos de jeunesse de son père, parfaites pour vous remonter le moral, Alice n'avait jamais eu l'occasion d'en observer une aussi touffue.
On aurait dit un petit écureuil pâle agrippé à son nez.
— Vous êtes les Aurors ?
— C'est bien nous.
— C'est moi qui vous ai appelés. Ma femme trouve que j'exagère.
— Ils ne sont pas divorcés, c'est déjà ça, murmura Frank, presque pour lui-même.
Sur son visage, une grimace indiquait sans ambiguïté qu'il ne s'était pas encore remis de la dernière mésaventure. Le vieux moustachu, qui l'avait entendu, lui jeta un drôle de regard.
— Au bout de quarante ans, à quoi ça servirait ?
— Voilà qui est romantique, souffla Alice à son oreille.
Il laissa échapper un rire discret.
— Et puis, la tapisserie n'est pas si laide, s'amusa-t-il.
— Au moins, elle est sobre.
Leur hôte leur désigna un canapé en faux cuir, aux accoudoirs déchirés sous les griffes du chat donc Alice venait tout juste de remarquer la présence. L'animal semblait l'observer avec un mélange d'hostilité et de méfiance, comme pour la défier de s'asseoir sur son jouet préféré. Il s'étira, la gueule ouverte, et Alice s'installa sans le quitter des yeux.
— Alors, pourquoi nous avoir appelés ?
— Comme je l'ai dit à la cheminée de la Brigade, j'ai entendu des bruits suspects dans la maison d'à côté.
— Suspects ? répéta Alice. Qu'est-ce que vous entendez par « suspects » ?
— J'en sais trop rien. Ça fait des jours que ça me travaille, leurs allers et venues...
Le vieil homme s'assit sur un fauteuil en rotin, le regard dans le vague.
— Quand je suis allé les voir, ils m'ont accueilli avec un grand sourire. Et j'ai complètement oublié ce qu'on m'a dit. Selon ma femme, j'étais énervé en partant. A mon retour, j'étais tout content d'avoir ce genre de voisins.
— Vous pensez qu'on vous a ensorcelé ?
— Ce sont des sorciers, j'en suis sûr. Ils disent être une famille mais ce ne sont jamais les mêmes. Je les ai observés le soir de Noël...
— T'as vraiment que ça à faire ! cria une voix féminine depuis la cuisine.
Décidément, les vieux avaient une sacrée ouïe.
— Oui, j'ai que ça à faire ! Si ton fils était venu, on aurait au moins eu le dîner à préparer !
— Mon fils ? Ce fils est autant ton échec que le mien !
Sous son nez, le petit écureuil parut frétiller de colère.
— Tu seras bien contente quand on sera débarrassé de ces gens ! Tu feras moins la maligne, c'est moi qui te le dis !
— Poursuivez monsieur, le coupa Londubat, qui semblait regretter sa remarque sur le divorce. On vous écoute.
— Je les ai observés pour le réveillon... Je n'ai pas vu plus d'allers et venues que d'habitude. Beaucoup moins, en réalité. Je ne suis pas sûr qu'il y ait grand monde.
— Vous ne pensez pas qu'ils pourraient... être partis manger chez de la famille ?
— C'est exactement ce que je lui ai dit !
Sur le palier du salon, une femme en robe de chambre paraissait furieuse. Son mari lui rendit son regard noir. Fulminant dans sa barbe, il choisit de ne pas répondre. Il se tourna à nouveau vers Frank.
— C'est d'abord ce que j'ai pensé aussi. Puis j'ai entendu les cris.
— Les cris ?
Il hocha la tête.
— J'ai plutôt une bonne ouïe, voyez-vous. Et ces cris, j'avais l'impression de les avoir entendus quelque part, sans pouvoir me rappeler où. Je n'en suis toujours pas sûr...
— Vous les avez entendus en vous rapprochant de la maison ?
— J'avais l'impression qu'ils provenaient du sol. Je me suis dit qu'il valait mieux que je vous en informe. On sait jamais, avec tout ce qui se passe en ce moment…
Les trois apprentis échangèrent un regard. Cette fois, aucun d'eux n'avait pas parié sur le code. Mais une fois de plus, Alice n'avait aucune idée de comment classer la situation.
— On devrait aller y faire un tour, suggéra-t-elle.
Londubat hésita.
— Tu connais la procédure dans ces cas-là ? On ne sait même pas si on a le droit d'entrer dans la maison.
— On peut au moins frapper...
— Rowle a raison, on verra bien si on entend quelque chose.
Rien, dans la maison voisine, ne paraissait susceptible de retenir leur attention. Il s'agissait d'une bâtisse de campagne, salie par le temps, que l'on n'avait pas pris le temps d'entretenir.
— Si c'est encore un coup des Prewett, je prends un jumeau pour taper sur l'autre, murmura Alice en s'avançant avec prudence.
Le bois de la clôture, pourri par endroits, ouvrait sur un terrain inégal, entre la terre et la pelouse. Elle tendit l'oreille mais ne perçut que le silence. Jody s'approchait de la porte. Londubat, lui, s'était penché vers le sol.
— Attends.
Jody s'arrêta dans son geste. Il lui fit signe d'approcher.
— Je crois que j'ai entendu quelque chose. On perçoit par-dessus une sorte de bourdonnement très léger, comme avec un Assurdiato... Mais le moustachu a raison, ça vient du sol.
Alice secoua la tête.
— Je n'entends rien du tout.
— Moi non plus.
Ils finirent tous les trois la joue contre la terre humide, à écouter attentivement le sol. Rien. Alice n'entendait que le souffle du vent et le bruissement des herbes.
— Ça s'est arrêté, constata Frank.
— Qu'est-ce que tu veux faire ?
— Je pense qu'on devrait envoyer un Patronus.
Jody émit un rire moqueur.
— Pour quelle raison ? Un bourdonnement dans le sol ?
— Parce que c'est la bonne chose à faire, répliqua-t-il d'un ton calme. On n'est pas dans n'importe quel contexte, ça pourrait être n'importe quoi.
— Comme un Épouvantard sous un caillou ?
— Plutôt comme des Mangemorts.
Le silence tomba comme un couperet.
Alice se releva.
— Je vais le faire.
Même si ce n'était rien – une mouche ou un Épouvantard –, elle ne voulait pas revivre l'angoisse de la penderie. Londubat avait raison, ils ne savaient pas ce qui ce cachait dans le sol.
Il hocha la tête, reconnaissant. Un Patronus. Elle avait parlé vite pour lui offrir son soutien, mais en faire apparaître un nécessitait déjà une grande maîtrise, le faire parler était plus difficile encore. Malgré tout son talent en Sortilèges et Défense contre les forces du mal, elle avait beaucoup échoué dans la petite salle de classe.
Mais Alice n'était plus étudiante.
Elle était apprentie-Auror.
Un nuage argenté jaillit de sa baguette et tournoya dans le ciel pour trouver sa forme originelle. Apprentie, se répéta-t-elle encore, se souvenant, une douce chaleur au creux du ventre, de la portée du papier d'admission entre ses mains.
Alice.
La pensée de cette réussite s'effaça au profit d'une autre, une image aussi nette qu'une photographie, un sourire légèrement tordu, suffisant à lui seul à effacer l'oiseau dont les contours s'étaient dessinés dans la brume.
— Tout va bien, Alice ?
Elle revint à elle dans un sursaut.
Non. Sa baguette tremblait entre ses mains. Elle fit une nouvelle tentative, sentant le regard de Londubat dans son dos. Un filet de fumée, inconsistante et terne, se perdit dans l'air.
— Désolée, souffla-t-elle. Je vais y arriver.
Mais la formule restait bloquée en elle, toute sa détermination n'y changerait rien.
A côté d'elle, Londubat agita sans un mot sa baguette. Une tortue apparut, solide et lumineuse. L'animal flotta un instant, semblant absorber ce que lui murmuraient les lèvres de Frank, avant de s'élever plus haut dans le ciel, puis disparaître sous leurs yeux.
— Ça, c'est un Patronus, commenta Jody en s'asseyant dans l'herbe, l'air blasé.
Alice resta debout, ravalant l'humiliation. Elle ne savait plus si elle éprouvait de la reconnaissance, de la honte ou de la colère. Un cocktail des trois, sans doute.
Lorsque la réponse arriva enfin, ce fut sous la forme d'un loup imposant, duquel émanait une voix grave et rocailleuse.
— Ne bougez pas. Une équipe arrive.
— Ils vont tous débarquer avec des bonnets de Noël pour chanter une chanson, vous verrez.
Aucune joie ne se dégageait du sourire de Jody.
— Le chœur des Aurors, ironisa Alice. Je suis presque curieuse de voir à quoi ça pourrait ressembler.
— Dis pas de conneries. Tu imagines Barty Croupton en train de pousser la chansonnette ?
— Ça pourrait être intéressant. Pour la science, je veux dire.
Jody lui renvoya un regard ironique.
— Pas sûre que la science ait besoin de ça.
Le silence retomba dans la nuit.
— J'imagine qu'on les attend, murmura Alice.
— A ton avis, Rowle ?
Ils n'eurent pas à attendre longtemps. Un pop, plus un autre, et un autre encore, retentirent dans la ruelle vide. Bientôt, se tint devant toute équipe d'intervention, parmi lesquels elle reconnut Fabien et Gideon, guidée par un homme au visage fermé.
— A qui appartient la tortue ?
Dans l'obscurité, Alice mit quelques secondes à comprendre ce qu'il y avait d'étrange dans ce visage. La peau était marquée par les cicatrices, mais c'était son œil qui retint son attention. Si on pouvait appeler ça un œil. C'était une bille bleue collée à son visage qui passait d'un apprenti à l'autre à une vitesse vertigineuse.
— C'est à moi, déclara Frank. Je suis désolé, on ignorait si on devait vous déranger.
— Oubliez vos excuses. Les sous-sols, ça m'intéresse. C'est là que vous avez entendu les cris ?
— J'ai cru les entendre, en tout cas.
— A Dover ! T'entends, Dawlish ? Peut-être pas une coïncidence. On va essayer d'entrer.
— Nous aussi ?
A Jody, il n'accorda à peine un regard.
— Restez derrière. On va vérifier si la maison est protégée.
D'un geste, il intima aux autres de rester à leur place. Il s'approcha de la porte en premier, la baguette tendue devant lui, murmurant des incantations à peine audibles dans un silence total.
Il finit par se tourner vers son équipe.
— Magie noire.
Une constatation froide, presque chirurgicale.
— Dawlish, ordonne au Bureau d'envoyer des renforts. Les autres, ne bougez pas d'un pouce.
— Tu crois que c'est...
— J'en sais rien encore. Robards, Perez et Hopkins, sécurisez le périmètre. Personne ne doit entrer ou sortir. Je soupçonne un détonateur dans le champ de force... Va falloir le désamorcer.
— Un détonateur ? chuchota Alice.
— C'est lorsqu'une magie inconnue provoque une réaction, répondit Londubat à voix basse. Si on n'a pas le bon « code » magique, les lieux cachés peuvent parfois s'auto-détruire.
— Ah.
Ils avaient bien fait de demander de l'aide. Cet endroit nécessitait un niveau de magie qu'aucun d'eux ne possédait encore.
— Fabian, occupe-toi de l'amorce. Je fais le reste.
— Tu es sûr, Fol Œil ? Parce que...
— Pas le moment de douter. Fais ce que je t'ai appris, c'est tout.
Fabian fit jaillir de sa baguette un sort d'une précision redoutable. Pour une grande gueule, un amuseur, il était d'une justesse folle. Un tel niveau de maîtrise laissa Alice pantoise.
Le dénommé Fol Œil maniait une magie plus incroyable encore. Il détruisait le champ de force avec méthode, comme on déferait un morceau de tissu fil par fil, pour en garder toute la longueur intacte. Ses doigts ne tremblaient pas, il se montrait calme et patient, subtil, et Alice ne put détacher les yeux de son travail, fascinée. Qui avait dit qu'Auror était un métier pour les brutes ?
Au bout de longues minutes, il recula.
L'atmosphère avait changé. Les protections, comprit Alice, avaient fini par tomber.
— L'endroit est trop bien protégé, marmonna Fol Œil. Ça ne me dit rien qui vaille.
Des hommes en noir arrivaient encore au compte-goutte, presque invisibles dans l'obscurité.
Le chef des Aurors se tourna vers ses troupes :
— Allons-y.
La porte explosa.
— Les apprentis restent ici !
— Nous aussi ? interrogea Gideon.
— Bien sûr que non. Vous, vous venez.
Bientôt, toutes les entrées furent assaillies par les Aurors. Alice les regarda disparaître à l'intérieur le ventre noué. L'Épouvantard ne serait sans doute pas là, cette fois, pour faire de la soirée une simple blague.
Il y avait trop d'empressement, de sérieux, de peur contenue dans les ordres criés par les Aurors.
Restez derrière.
Alice ne pouvait pas détacher ses yeux de la maison.
Un juron retentit, lointain, puis des mots qu'elle ne comprit pas, comme prononcés dans une langue étrangère. Des silhouettes qui se découpent dans la nuit, qui se mêlent et se démêlent.
— Vous !
Elle reconnut Perez qui pointait son doigt sur elle.
— Ramenez deux équipes d'intervention de Sainte-Mangouste. Maintenant !
— Mais co...
— Envoyez un Patronus, bordel. Vous ne pouvez pas sortir du périmètre. Il faut tout vous apprendre ?
Un Patronus. Elle demeura figée. Sa baguette tremblait dans sa main.
— Je m'en occupe, Alice.
A côté d'elle apparut une fois de plus la tortue argentée, si belle, si consistante, prête à porter son message. Frank paraissait si calme dans la nuit. Placide. Son visage était fermé, comme si la détermination en avait chassé l'émotion.
Elle cligna des yeux. Elle était immobile mais tout bouillonnait autour elle, la peur montait dans ses veines comme l'océan dévorait le sable un jour de grande marée, lentement, implacablement. Il y avait les cris des Aurors, les mots qu'elle ne comprenait pas, des yeux bleus qui surgissaient devant elle et la prenaient à la gorge.
Dans l'entrée, un mouvement soudain.
— Faites de la place !
Des silhouettes mobiles qui en tiraient d'autres, lourdes, figées, des corps soulevés sans résistance à la lueur des étoiles. Trois. Ou quatre, peut-être.
— On s'écarte !
— Ce sont des moldus ?
— J'en sais rien mais il y a au moins deux morts.
— Celle-là... je crois qu'elle est encore vivante... peut-être plus pour longtemps.
— Fol Œil !
— Où ils sont ces putains de guérisseurs ?
D'autres silhouettes, encore.
Rien d'autre à faire que les regarder s'agiter.
A la lumière d'une baguette, Alice aperçut un corps et ce qu'elle vit lui tordit le cœur. La peau saillait sur les os, son visage était creusé par les blessures, la fatigue et les mauvais traitements. A la vue de cette fille qui aurait pu avoir son âge, qui était probablement même plus jeune qu'elle, une sensation de nausée l'envahit tout entière.
On l'embarqua dans un véhicule volant qui s'éloigna dans la nuit.
— Personne pour garder cet endroit ?
— C'est Noël, y'avait personne ou presque. Celui qui gardait les lieux a dû se barrer en vitesse.
— Pas le temps d'effacer les traces ?
— Pas toutes. Les apprentis sont encore là ?
Alice sursauta en voyant Fol Œil leur faire signe.
— Tout a été vérifié. Vous voulez entrer ?
Non. Mais elle entra sans se poser de questions.
— Les cris que vous avez entendus devaient provenir du sous-sol.
La bâtisse lui paraissait soudain plus sombre que la nuit même. Une grotte au plafond noir et sans étoiles. Elle pénétra en silence à la suite de Frank et Jody. La pièce était plongée dans l'obscurité, seulement éclairée par la baguette de Fol Œil.
— Vous aviez raison, ils étaient cachés au sous-sol.
Il les dirigea vers un escalier en colimaçon au fond d'un long couloir. A l'intérieur régnait une odeur rance de poussière. Alice manqua de trébucher sur une marche irrégulière. Elle se força à avancer jusqu'au second couloir, plus sombre encore. Peut-être valait-il mieux rester dans le noir. Elle finit par allumer sa baguette pour éclairer une série de chambres noires. L'air chargé de poussière était acide, une note de vomi, de sang peut-être et sans doute, de sueur. Elle découvrit avec horreur que chaque porte était méticuleusement numérotée de un à dix. Une petite table et quelques chaises installées dans le couloir devaient permettre la surveillance.
La surveillance de quoi ?
« Et puis j'ai entendu les cris. »
Les mots du vieux moustachu, qu'elle n'avait pas vraiment pris au sérieux, lui revinrent. Elle s'avança, aussi maîtresse d'elle-même qu'au milieu d'un cauchemar.
Des attaches pendaient aux murs de pierre, seringues et divers instruments qu'elle craignait d'identifier étaient entreposés sur les étagères, mais ce fut la vision du sol qui lui arracha un frisson.
Des éclaboussures brunes près des murs.
Si certains endroits avaient été nettoyés, à d'autres, le sang avait dû s'incruster dans le sol.
Alice rassembla sa volonté pour ne pas détourner les yeux. Ignorant son envie de vomir, elle s'attarda sur les détails, et chaque découverte fut pire que la précédente. Elle contempla avec horreur les miroirs teintés placés entre le couloir et les chambres. Pour quoi faire ? Garder un œil sur ce qui se passait à l'intérieur ? Donner aux bourreaux l'occasion de se délecter du spectacle ?
Jody avait dû quitter l'antre de l'horreur, Alice ne la voyait plus.
Londubat, lui, se tenait droit, tendu à côté d'elle.
— C'était du bon travail, lâcha Fol Œil. Vous avez opéré avec prudence. Et plus d'intelligence que la plupart des Aurors.
Elle avait bien conscience que le compliment n'aurait dû s'adresser qu'à Frank. Alice fut incapable d'articuler le moindre mot.
— Ça fait un moment qu'on enregistre des disparitions inquiétantes de moldus par ici. Aucun indice. Rien. Il y en a plus que ce que je pensais...
— Ils ont eu le temps de fuir, intervint Londubat. On aurait dû…
Maugrey lâcha un soupir dans lequel se devinait toute sa lassitude.
— Vous seriez morts si vous étiez entrés, déclara l'Auror d'un ton dur.
— Ils ont dû percevoir notre présence.
— Ils étaient préparés à ça. Mais pas non plus si préparés. M'est avis qu'ils étaient distraits, n'ont pas eu le temps d'effacer toutes leurs traces. C'était Noël après tout.
— Quels sorciers peuvent faire… une chose pareille ?
Fol Œil reporta son regard sur Alice, qui comprit que le silence lui servait à peser chacun de ses mots.
— Je me suis dit que c'était pas plus mal de vous montrer la vérité du métier. La violence que c'est, parfois. La violence que ce sera dans le futur. Si vous n'êtes pas prêt pour ça, c'est le premier conseil que je vous offrirais : partez.
Il les laissa seuls dans la chambre. Alice était trop sonnée pour le suivre. Faire le calcul n'était pas difficile. L'idéologie qui mettait en avant la pureté des sorciers contre les moldus, elle la connaissait. Le nom d'un sorcier était souvent prononcé. Lui, le sauveur, celui qui rendrait les sorciers – les vrais – à leur juste place, sans la moindre considération pour les « inférieurs ».
Alice ferma les yeux, prise de vertige.
Comment pouvait-on en arriver là ? Pire, y était-il mêlé, lui aussi ? Avait-il en lui assez de cruauté pour se délecter de la souffrance des moldus à travers des miroirs teintés ?
Le revoir l'avait remuée. Au fond d'elle, elle connaissait la réponse.
— On devrait y aller, Alice.
La voix de Londubat était si douce qu'elle l'entendit à peine. Elle frissonna.
— Et si tu ne l'avais pas entendu ? Et si...
Et si j'avais eu l'imprudence de nous faire entrer ?
Il secoua simplement la tête.
— Ça n'est pas arrivé.
Elle leva les yeux vers lui. Ils étaient partenaires de travail, mais elle comprit soudain que la collaboration utilitaire et cordiale ne lui suffisait plus. Elle se sentait idiote d'en vouloir plus alors qu'il faisait déjà tant. Elle n'avait pas le droit de lui en vouloir parce qu'il ne lui disait pas « tout va bien se passer », parce qu'il ne la prenait pas dans ses bras pour la rassurer. Alice n'avait rien d'une poupée fragile. Frank aussi avait été choqué par l'horreur. Le pacte ne garantissait pas la moindre notion d'amitié, et il ne lui devait rien.
Alors qu'elle croisait son regard, une étrange retenue l'empêcha de franchir elle-même la distance. La manière dont il gérait la situation l'impressionnait. Fol Œil l'avait dit : Londubat ferait un bien meilleur Auror qu'elle.
De retour à l'air libre, elle ne put que cligner des yeux, brûlés par la lumière artificielle. Lorsqu'elle vit Fabian s'approcher d'eux, Alice ne songeait plus à sa mauvaise blague. Elle fut rassurée de le voir.
— Vous allez bien ?
Bien était un grand mot, mais elle hocha la tête. Elle allait bien à côté des corps qu'on avait emportés.
— On a rapatrié les moldus à Ste-Mangouste. Deux d'entre eux étaient vivants. Quelques Aurors restent pour faire des analyses et voir si on ne peut pas identifier quelques-uns des...
— Ce sont des Mangemorts ? demanda Alice en le voyant hésiter.
— C'est trop tôt pour le dire. Rentrez chez vous. Demain, journée de repos pour tout le monde. Interdiction de sortir.
Fabian leur tendit à chacun un portoloin. Jody roula des yeux.
— Une journée ? Quelle générosité.
— Je sais. Je suis désolé que vous ayez eu à assister à ça. On se voit plus tard.
De toute évidence, Fabian, lui, n'en avait pas terminé. Gideon faisait des prélèvements avec Dawlish autour de la bâtisse. Alice échangea avec Londubat un dernier silence, posa sa main sur la vieille chaussure et disparut.
.
(A suivre)
.
N/A
J'espère que ce chapitre vous a plu.
Au programme du chapitre suivant : la fête du nouvel an organisée par Alice, pour ramener un peu de gaité dans vos cœurs. Est-ce que Travis et Frank seront là ? Qui d'autre ? Suspense... :)
Le chapitre 6 est fini, pas de souci là-dessus, c'est le 7 que je suis bien occupée à retravailler. Un jouuur, les chapitres viendront, c'est promis !
Bref, si vous êtes encore là malgré mes délais plus qu'aléatoires, n'hésitez pas à laisser un petit mot, je les lis toujours avec plaisir !
A bientôt, prenez soin de vous !
