Sirius Black
Sirius se sentait las. Allongé sur son lit, il attendait en silence le retour de James et Peter. Il se sentait mal d'ignorer ainsi Remus, qui lisait dans le lit près du sien, mais celui-ci ne devait pas voir la différence. Il n'y avait jamais eu besoin de mots, entre eux, et maintenant que Sirius peinait à les trouver, sans doute que ça ne faisait pas une grande différence.
Tout avait changé, depuis sa fugue. Libéré des Black, il n'avait pu que se concentrer sur son amour platonique pour James, son amitié fraternelle pour Peter. Et puis son amour dévastateur pour Remus. Il ne comptait plus les soirées qu'il avait passées, assis en tailleurs sur son lit, fixant le point étiqueté Remus Lupin tandis qu'il faisait sa ronde avec Lily Evans, avant que Rusard, cet affreux mollusque, ne leur confisque la Carte du Maraudeur.
Il savait bien qu'il n'avait aucune chance. Il savait bien que Remus était hétérosexuel, jusqu'au bout des ongles, et qu'il n'avait d'yeux que pour cette stupide Alice Flint. Pas qu'elle fut particulièrement idiote, mais Sirius l'avait mauvaise, et considérait qu'il avait le droit à un peu de méchanceté gratuite en son for intérieur. Il n'avait que ça, de toute façon.
Bon sang, elle était déjà mariée ! Enfin, fiancée, mais c'était tout comme. Elle quittait Poudlard dans quelques jours, et se marierait avec Frank Londubat courant juillet avant de commencer sa formation d'Auror. Il l'avait entendue en parler avec Lily dans la salle commune, quelques jours plus tôt. Il ne comprenait pas pourquoi Remus continuait de soupirer après elle. Il n'avait aucune chance.
Sirius retint à grande peine un reniflement désabusé. Il était bien placé pour dire ça, tiens, à être dévoré par le Feudeymon passionnel qui le prenait chaque fois qu'il croisait son regard, chaque fois qu'il devinait le V de ses hanches sous la chemise trop large. Comme si on y pouvait quelque chose, en amour. Comme si ça se contrôlait. Remus aurait probablement préféré aimer quelqu'un d'autre, tout comme Sirius aurait certainement préféré ne pas être amoureux de l'un de ses meilleurs amis.
Comme si sa vie n'était pas déjà assez merdique, franchement. Bien sûr, il avait James, et les autres Maraudeurs, il avait le Quidditch et la liberté. Mais il avait aussi le reste : sa famille biologique et son adolescence chaotique, sa sexualité encore pénalisée dans trop de pays et son amour réprimé pour son pote hétéro, et la guerre et les morts ; et il manquait de temps, manquait de mots, manquait d'amour, manquait de tout, sans toutefois s'empêcher de penser qu'il en avait, de la chance, par rapport à tous les cadavres du dehors, par rapport à tous les gamins déjà orphelins et toutes les mères, les femmes éplorées, et tous les pères, les maris brisés.
Sirius avait l'impression que tout tournait au ralenti, que tout accélérait, ou bien que le temps s'était simplement arrêté, étiré interminablement en de longs instants de silence poisseux, qui lui collait à la peau comme une putain de sangsue, qui lui crachait son venin mortel comme un putain de serpent, qui lui lacérait la gorge comme un putain de vampire. Il ne voulait pas vivre, ne voulait pas mourir, voulait juste boire sa liberté jusqu'à plus soif, voulait juste se battre à s'en couper le souffle, voulait juste vaincre, vaincre et vaincre encore jusqu'à ce qu'ils s'arrêtent, tous, jusqu'à ce qu'ils disparaissent, tous, jusqu'à ce que...
— Vos sauveurs sont arrivés ! s'exclama James en ouvrant théâtralement la porte de leur dortoir, suivi par un Peter tout sourire, coupant Sirius dans son envolée bestiale, désespérée, silencieuse.
Remus referma son bouquin de métamorphose et accueillit la deuxième moitié de leur quatuor avec un plaisir et un soulagement non feints. Fallait croire que ça creusait, d'être un loup-garou. Ou peut-être qu'il avait senti sa détresse, et n'avait pas voulu agir. Parce qu'il était un lâche, parfois, aussi, ce satané sorcier. Et Sirius s'en voulait de l'aimer plus encore pour ça, parce que c'était ce genre détail qui le rendait humain, qui faisait de lui ce qu'il était, qui il était.
Les trois autres souriaient comme des ânes, contents de finir leur année, contents de retrouver leur foyer, leurs parents ; inconscients, le temps de quelques heures, des horreurs qui se passaient au dehors. Sirius les enviait pour ça. Lui ne pouvait pas oublier le sourire de sa tarée de cousine, la fierté de ce bâtard de Lucius, et le regard sombre, profond, malade de Voldemort, quand il les avait vus par mégarde dans l'Allée des Embrumes. Mais ce n'était pas le moment de s'apitoyer sur son sort, pas vrai ?
Alors Sirius, un grand sourire aux lèvres, se servit allègrement en tarte à la citrouille, camouflant sa peine, retenant ses larmes, encore un peu. Quand il serait chez les Potter, quand il n'y aurait plus que Cornedrue, il pourrait lâcher les vannes, il pourrait se laisser aller contre le roc fraternel qu'était James, sur l'épaule maternelle d'Euphémia.
Il ne restait que quelques jours. Il fallait tenir, d'ici là. Faire semblant. Feindre jusqu'à ce que ça passe, jusqu'à ce qu'il oublie, jusqu'à ce que finalement le brouillard se lève, las d'être ignoré. Fake it until you make it, comme ils disaient.
Mais même Sirius ne pouvait se voiler la face. On ne refoule pas un amour aussi fort, on n'ignore pas un tel sentiment qui prend par les tripes, et les tritures jusqu'à en avoir envie de gerber, envie de crever, envie de rien foutre et d'agir à la fois, ambivalence permanente qui finirait bien par avoir sa peau, si Walburga et Voldemort n'avaient pas déjà eu raison de lui.
Alors, quand Remus tenta de croiser son regard, sentant bien que quelque chose n'allait pas, Sirius se contenta de fixer James avec attention ; il se contenta de feindre un intérêt enflammé pour l'amour sans borne de l'imbécile envers la rousse des dortoirs d'en face, et l'écouta radoter sur ses magnifiques yeux verts avec affection.
Parce qu'il savait que, s'il se perdait dans ses prunelles ambrées, ce soir-là, alors plus rien ne pourrait retenir ses mots ; sa langue se délierait. Et son cœur se briserait, encore une fois.
« Mes chers Maraudeurs,
Suite à ton hibou, Cornedrue, j'ai demandé à Lily si elle avait reçu son badge de Préfète-en-Chef. Il se trouve que oui ! Vous serez donc bien tous les deux dans la suite de la Tour. C'est assez rare qu'il y ait deux Préfets-en-Chef issu d'une seule et unique Maison, soyez fiers ! »
— OUI ! Putain, merci Merlin, Morgane et tous les autres ! s'écria James, allongeant toutes les syllabes, emporté par sa joie.
Sirius se retint de lever les yeux au ciel. Comme s'ils avaient eu le choix, franchement. Dumbledore n'aurait jamais mis un futur Mangemort au poste, et leur promo était assez pauvre en gens responsables, honnêtement. Et puis, il fallait bien montrer l'exemple. Le message était clair : un Sang-Pur et une née-Moldue peuvent s'entendre, s'apprécier, travailler de concert en faisant un travail remarquable. Regardez comment mes deux Gryffondor ont fait mieux que tous leurs prédécesseurs, une fois dépassée leur inimitié ! semblait crier Dumbledore au monde entier, avec ce choix.
« J'espère en tout cas que vous passez tous les trois un bon été. Vous me manquerez beaucoup, ce soir, j'ai déjà hâte de vous retrouver pour la pleine lune de septembre ! Quoi qu'il en soit, on se voit tous sur le Chemin de Traverse le 22 août, comme convenu, n'est-ce pas ?
Lunard.
PS : Patmol, s'il-te-plaît, fais-nous une fleur et assure-toi de la survie de Cornedrue. J'ai bien peur qu'il ne se noie dans son bonheur si on ne fait pas assez attention. »
Cette fois, Sirius ne retint pas son ricanement. James était déjà perdu, malheureusement. Mais tant mieux, si ça le rendait heureux. Sirius était tout à fait prêt à se coltiner Evans pour le restant de ses jours, si ça pouvait rendre son imbécile de frère heureux.
Sirius porta sa main à sa bouche alors que sa soudaine réalisation paralysait tous ses autres membres. Bon sang. Il avait souvent appelé Cornedrue son frère d'armes et d'âme, parce que c'était drôle, parce que c'était vrai, un peu. Mais il n'avait jamais pleinement réalisé à quel point James était gravé au plus profond de sa chair, à quel point son nom était inscrit au sein même de sa signature magique, de son ADN.
James était son frère.
Ce serait bientôt Halloween. On parlait des costumes que l'on porterait, des soirées qui étaient prévues. On rêvait de baisers échangés sous la pleine lune, de rencontres avec des vampires bien montés – Sirius grimaça en entendant une cinquième année sortir cette connerie –, d'amours interdites et malgré tout vécues. On parlait de tout sauf de la guerre, mais ce n'était pas Sirius qui allait le leur rappeler. Lui qui, à peine quelques mois auparavant, s'agaçait trop vite de leur insouciance...
Ces deux mois dans le vrai monde leur avaient rappelé, à tous et à toutes, que Poudlard était un paradis, un havre de paix au sein d'un pays en guerre. Les enveloppes noires, apportées pour certaines par les corbeaux des services funéraires sorciers, le leur rappelaient à présent tous les jours, et les visages se fendaient trop souvent de larmes.
Alors, ce ne serait certainement pas Sirius qui ferait son rabat-joie, vraiment. Les soirées joyeuses comme celle-ci se faisaient bien trop rares, ces temps-ci. Tout le monde riait, à toutes les tables, et les frontières entre les différentes Maisons s'étaient faites beaucoup plus floues que d'ordinaire. Sauf pour les Serpentard, évidemment, mais qui aurait bien pu vouloir parler avec les Mangemorts qui gangrénaient la Maison de Salazar ?
Buvant distraitement une gorgée de son jus de citrouille tout en évitant habilement le regard de Remus, Sirius restait songeur. C'était leur dernière année, et il ne savait pas vraiment quoi en penser. Quitter Poudlard, ce serait comme quitter la maison, en sachant qu'on ne reviendra pas avant longtemps. Mais quitter Poudlard, ça voulait aussi dire rejoindre la formation pour devenir Auror, ainsi que l'Ordre du Phénix dont lui avait parlé Fleamont. Quitter Poudlard, c'était se battre pour ses idéaux, jusqu'au bout, à en mourir s'il le fallait ; c'était venger les morts, sauver les vivants, protéger le futur de ceux qui allaient bientôt naître. Quitter Poudlard, c'était rejoindre la Résistance. Sirius avait envie de tout ça, bien sûr.
Seulement, quitter Poudlard, c'était aussi abandonner la Carte à ce crétin de Rusard, se séparer des Professeurs, du terrain de Quidditch et des passages secrets. Quitter Poudlard, c'était dire au revoir à l'enfance. Quitter Poudlard, c'était abandonner son petit frère sans un au revoir.
Son regard fut malgré lui attiré par la table des Vert-et-Argent. Elle était étrangement vide, ce soir-là. Pas de Rogue à l'horizon. À vrai dire, il n'y avait pas un seul Serpentard de sixième ou de septième année, hormis Regulus, Lestrange et quelques filles comme Maria Zabini. Sirius fronça des sourcils.
Ce n'était pas normal.
Les deux garçons parlaient à voix basse, et ils paraissaient extrêmement excités, comme exaltés, transcendés à l'idée de ce qu'ils allaient faire. Comme un seul homme, ils se levèrent, le sourire aux lèvres et les yeux brillants, se dirigeant avec empressement vers la sortie de la Grande Salle. Ils avaient à peine touché leur repas.
Regulus tourna la tête un instant, et leurs regards se croisèrent. Quelques secondes à peine, la surprise adoucit les traits de son visage, et Sirius ressentit l'urgence de crier son nom, de lui dire qu'il l'aimait, de lui dire que tout irait bien, qu'il le protégerait, qu'il n'avait besoin que d'un mot pour le tirer de la prison familiale, malgré toutes les horreurs qu'il avait entendues, malgré son cœur mille fois brisé et ses joues cent fois maculées de larmes, malgré les nuits d'inquiétude et de ressentiment, durant lesquelles tournoyaient en boucle dans son esprit les mots assassins de Rabastan Lestrange. Il ouvrit la bouche, s'apprêta à crier ce nom qu'il n'avait presque plus osé penser depuis sa Répartition, un peu plus de cinq ans auparavant, puis les portes de la Grande Salle se refermèrent sur les deux Serpentard et l'instant prit fin, laissant le jeune adulte haletant, l'air stupide et le cœur affolé.
Il le savait, désormais. Ce n'était plus qu'une question de temps avant que Regulus ne rejoigne les rangs des Mangemorts, ce petit crétin amoureux des Elfes.
Lestrange avait eu raison, l'année passée, en lui disant qu'il avait lâchement abandonné Regulus. S'il ne l'avait pas fait... Sirius s'ébroua. Ce n'était pas le moment de penser à des choses pareilles – on ne pouvait pas revenir si loin en arrière, même avec un Retourneur de Temps.
Et puis, Regulus avait fait son choix, n'est-ce pas ? Il était bien plus heureux, comme ça, ou du moins il le croyait. Lestrange l'avait bien fait comprendre à Sirius, presque dix mois auparavant, piétinant dans la joie et la bonne humeur son cœur déjà morcelé.
À côté de lui, Peter déglutit bruyamment. Son regard craintif était lui aussi tourné vers les portes closes de Grande Salle. En face, James et Lily se disputaient, comme d'habitude, mais ça ressemblait plus à une taquinerie amusée qu'à une prise de bec en règle. Ces deux-là se ramollissaient, et Sirius sentait que Lily allait céder, bientôt, face à l'assagissement de James. Fallait bien qu'être Préfet-en-chef serve à quelque chose, pas vrai ? Et Remus... Sirius ne voulait pas penser à Remus, toujours aussi beau, toujours aussi gentil, toujours aussi sage. Toujours aussi hétéro.
Pour la première fois depuis longtemps, Sirius se sentait seul. Pour la première fois depuis sa fugue, Sirius se demanda s'il avait bien fait de partir, finalement. S'il avait bien fait de fuir.
C'était un jour heureux. Plutôt rare, en ces heures sombres d'attaques, de meurtres, de terreur. Et puis, Merlin qu'il faisait moche ! Le ciel était gris, la lumière morne, le vent frais. Il y avait aussi cette foutue drache qui leur glaçait les os, à tous, malgré leurs nombreux sorts d'Imperméabilité. Fallait croire que les forces de la nature s'étaient levées contre eux, comme si elles avaient voulu elles aussi avoir voix au chapitre, quand Albus Dumbledore avait énoncé la stupide phrase traditionnelle : Si quelqu'un désire s'opposer à cette union, qu'il le fasse maintenant ou se taise à jamais. Ils s'étaient tus, tous, échangeant des regards malicieux, alors que le vent sifflait, que les arbres se pliaient et que la pluie s'intensifiait.
Seulement, voilà : les forces de la nature n'avaient pas voix au chapitre, et la joie bordait leurs cœurs, leurs sourires s'étiraient d'une oreille à l'autre, leurs yeux pétillaient de bonheur, alors que les deux poignets étaient liés par la magie. Pour l'éternité.
À sa place de témoin, Sirius jubilait. Son meilleur ami, son frère se mariait à celle qu'il aimait depuis tant d'années ! Bien sûr, c'était Evans, et Sirius en voudrait toujours autant à Lily d'avoir été aussi coincée durant leur scolarité, mais il comprenait maintenant ce qui l'avait poussée à agir ainsi. Elle était une née-Moldue, après tout, et se devait d'être parfaite pour éviter les railleries.
De toute façon, Sirius aurait accepté n'importe quoi, pourvu que son James soit heureux, pourvu que Cornedrue connaisse ce bonheur qu'il méritait tant. Au moment d'immortaliser l'instant, la pluie avait cessé et, après quelques sorts, le photographe sorcier sourit largement en hochant la tête. C'était dans la boîte, comme auraient dit les Moldus.
Alice, la demoiselle d'honneur, rejoignit son mari. Frank et elle étaient beaux, dans leurs habits bleus. À côté d'eux, Peter souriait doucement, le regard fixé sur ses pensées, alors que Dorcas et Marlene tournoyaient en riant sur la piste de danse improvisée au milieu des herbes. Minerva McGonagall tamponnait ses yeux avec un mouchoir brodé, profondément émue par le mariage de deux de ses meilleurs élèves, de deux de ses petits lions, de ses deux Préfets-en-Chef. Leur septième année s'était achevée près de cinq mois plus tôt, et pourtant il semblait que leur souvenir planerait encore longtemps au-dessus du château de Poudlard, et que leurs sourires réchaufferaient encore longtemps le cœur de leurs professeurs.
James déposa un énième baiser, qui serait suivi par des milliers d'autres, sur les lèvres de sa Lily, puis se tourna vers Sirius, Remus, Peter. Ses frères. Il souriait comme un enfant, et ses yeux chocolat brillaient comme une promesse. Tout irait bien, tant qu'ils avaient l'amour, l'amitié, la confiance. Tout irait bien, tant qu'ils restaient soudés, solidaires ; tant qu'ils étaient une famille.
Oui, vraiment. C'était un jour heureux.
Poussière, fumée, cadavres. Tout le reste avait brûlé, sur cette portion du Chemin de Traverse. Là où s'étaient trouvés, quelques heures plus tôt à peine, des magasins de vêtements et une boutique d'apothicaire, il ne restait que des poutres calcinées, des murs noirs de suie, et des corps inertes, sans âme, sans vie.
Méthodique, Sirius tâcha de ne pas laisser transparaître son dégoût, de ne pas montrer que ça l'affectait. Après tout, c'était l'une de ses seules chances de pouvoir participer à d'autres missions de cet acabit. Il tirait à peine sur la fin de sa première année de formation, mais il savait qu'il était compétent. Il avait toujours pigé vite, même sans en avoir quelque chose à faire, alors là... James et lui étaient les meilleurs Apprentis que le Département ait pu connaître depuis Alastor Maugrey, soit une douzaine d'années auparavant. Même Frank et Alice n'avaient pas été aussi bons, à leurs débuts.
Seulement, même en temps de guerre, le Bureau des Aurors n'envoyait pas les Apprentis, aussi bons fussent-ils, sur le front. Ils avaient fait une exception pour Sirius, cette fois-ci, car ils étaient de toute façon arrivés trop tard et avaient besoin d'autant de baguettes qu'il était possible de réunir pour nettoyer les dégâts.
L'attaque avait été fulgurante. Rapide, violente, intense. Les passants et commerçants tétanisés, il avait fallu quelques minutes avant que quelqu'un ne pense à prévenir les Aurors, et cela avait été suffisant pour que les Mangemorts construisent des barrières anti-Transplanage. Le temps de les neutraliser, les terroristes étaient déjà partis, et la plupart des passants qui n'avaient pas eu le temps de s'enfuir avaient trouvé la mort, le plus souvent de la plus atroces des façons.
La guerre, c'est moche. Sirius se sentait idiot de penser ça, et pourtant il était difficile de mettre des mots sur l'horreur, de dire l'indicible. Sirius n'était ni écrivain, ni poète, ni troubadour. Il était un combattant, un homme de terrain et, s'il s'était un jour intéressé à beaucoup de choses et avait lu et relu les rares pièces de littérature moldue présente dans la Bibliothèque des Black, il n'en avait plus le temps, la patience ou l'envie, à présent.
Alors, oui, la guerre, c'était moche. Et quand il trouva le cadavre de la jeune Cassandra Selwyn, une cousine éloignée qu'il n'avait pas beaucoup rencontrée, il fut heureux de ne pas avoir d'autres mots pour décrire l'ignominie qui leur enlevait des enfants, des parents, des innocents. S'il les avait trouvés, ces mots, peut-être qu'il aurait craqué, peut-être qu'il se serait effondré sur le cadavre encore chaud de la gamine de deuxième année.
Qu'avait-elle fait, cette enfant ? Même selon les termes des Mangemorts, elle n'aurait pas dû mourir. Sang-Pur, Serpentard. Ses parents étaient des sympathisants de Voldemort, ou tout du moins l'avaient été – il semblait impossible qu'ils pussent encore soutenir l'assassin de leur unique fille. Non, Cassandra s'était simplement trouvée au mauvais moment, au mauvais endroit, et les monstres qui mettaient à feu et à sang le monde sorcier ne s'étaient pas posé de questions. Ils ne s'en posaient jamais, de toute façon.
C'étaient donc ces gens – ces monstres – que les géniteurs de Sirius soutenaient ouvertement ? C'était donc ça, l'organisation dont Regulus faisait fièrement partie ? Le petit roi avait-il été présent, ce jour-là ? Le petit roi avait-il pris plaisir, en tuant ces pauvres innocents ? Avait-il lui-même emporté l'âme de la petite Cassandra, un sourire aux lèvres ?
Sirius aurait voulu ne pas en être convaincu.
— Mec, bouge-toi ! lui cria un Apprenti de troisième année. Plus vite c'est fait, plus vite on s'en va.
Il aurait voulu croire que son imbécile de petit frère avait rejoint les rangs de Voldemort à cause de l'endoctrinement, et qu'il se battait contre sa conscience alors qu'il mettait à exécution les ordres de son Maître.
— J'arrive, Frank, répondit le jeune sorcier d'une voix atone.
Seulement, la guerre, c'est moche. Sirius ne se leurrait pas ; le petit Regulus amoureux des Elfes avait sans doute disparu quand l'imbécile avait pris la Marque. Alors, Sirius prit sur lui et ferma son cœur, occulta son dégoût et sa rancœur. Faisant léviter le corps sans vie de la petite fille, il se dirigea vers les civières et reprit sa tâche, méthodique.
Deux jours avaient passé depuis l'attaque du Chemin de Traverse, et Sirius n'avait cessé de voir, comme un fantôme dansant devant ses yeux, le cadavre de la petite Cassie. La nuit, c'était pire. Il voyait les flammes, la voyait elle, encore pleine de vie, puis voyait une grande ombre, un sort de mort. L'homme retirait son masque, et Sirius découvrait alors le visage de Regulus, le regard sombre et fou si semblable à celui de Bellatrix.
Assis à son bureau, il étudiait avec attention des rapports de mission. Il devrait rédiger son premier dans quelques semaines, et il serait noté. Il fallait que ce soit parfait, donc il épluchait avec attention les archives du Bureau des Aurors. Hors de question qu'il soit recalé pour un truc aussi stupide qu'un rapport.
— Black, l'interpela Maugrey en revenant du bureau de Vivianne Boot. Viens avec moi, gamin, on a à parler, tous les deux.
Sirius se leva tout de suite. Maugrey n'était pas un homme patient, et il venait de parler avec la Cheffe du Bureau des Aurors, donc ça devait être important. Un instant, il se demanda ce qu'il avait fait de mal et si on allait le renvoyer, mais sa conduite avait été exemplaire. L'homme boitait. Sa jambe avait été arrachée quelques semaines auparavant, mais il semblait s'être habitué au morceau de bois qui faisait office de remplacement.
— On m'a confié une mission, gamin, commença l'Auror quand ils se furent éloignés des quelques oreilles indiscrètes.
Il n'avait lancé aucun sort de silence, donc ça ne devait pas être si important que ça.
— Regulus Black est bien ton frère, n'est-ce pas ?
Sirius sentit son sang se glacer. Ils n'allaient quand même pas le virer pour des liens du sang qu'il avait reniés des années auparavant, si ? Il savait bien que la paranoïa était de mise, en ces temps de guerre, mais...
— Oui, c'est mon petit frère, finit-il par répondre, légèrement hésitant. Plus jeune d'une année. Il était impliqué dans l'attaque d'avant-hier ?
Maugrey resta silencieux quelques instants, dardant son regard noir sur Sirius, puis soupira.
— J'ai dit à Boot que tu t'en ficherais, mais elle pense le contraire alors prends cette chaise et assieds-toi, gamin. Black n'a pas participé à l'attaque de l'autre jour, il était déjà mort à ce moment-là.
— Quoi ?
C'était sorti tout seul. Le cri avait franchi sa bouche avant qu'il n'ait vraiment eu conscience de ce qu'avait dit Maugrey. Regulus était mort. Il devait y avoir erreur. Regulus était mort. Mais ce n'était pas possible, pas vrai ? C'était Sirius, le plus âgé. C'était à Sirius de mourir en premier.
— Ton frère est mort, répéta Maugrey dans un grognement. L'Elfe de Maison a rapporté le corps et a été témoin de sa mort mais il ne veut rien dire sur ses circonstances. On suppose juste que c'est parce qu'il a fui Voldemouche qui était trop violent pour lui, et qu'il en a subi les conséquences. La Marque, c'est à vie qu'ils la prennent.
Regulus s'était rebellé contre Voldemort. Reg, son petit frère, ce petit garçon avec qui il avait partagé ses nuits, ses joies, ses peines, dix ans auparavant, s'était rebellé contre son Maître. Un mélange de douleur et de soulagement accabla soudain Sirius, et les larmes dévalèrent ses joues sans qu'il en ait vraiment conscience. Une main couvrant son visage, le sorcier laissait couler sa peine.
Le petit Reggie était parti. Le seul espoir de la mille fois maudite Maison des Black s'était éteint. Et, en même temps, il était mort libre. Il avait tenté de s'enfuir, il s'était libéré de ses chaînes, il était mort pour ses idéaux, à sa façon. Maugrey avait tort. Les Mangemorts ne prenaient pas la Marque à vie ; ils avaient la possibilité de s'en libérer. Ils avaient la possibilité de s'échapper, même si cela se soldait par leur mort. La Marque était peut-être indélébile, mais la soumission n'était pas éternelle et Regulus en était la preuve vivante.
Non. Regulus en avait été la preuve vivante. Maintenant, il était juste mort. Mort, décédé, parti, crevé, assassiné, plus là. Sirius n'avait plus aucun espoir de retrouver son frère, alors que les souvenirs se bousculaient aux portes de son esprit, mélodies issues tout droit de l'enfance, regards échangés dans les couloirs, cavalcades sans fin à travers cette foutue maison. Il y avait les silences, aussi, et les non-dits, les larmes, les nuits d'insomnie. Il y avait la peur du rejet, les mots de Lestrange, la douleur d'autrefois et celle d'aujourd'hui qui se mêlaient.
Il y avait tout et rien à la fois, souvenirs épars d'une relation avortée composée de jeux insouciants et de vide teinté de regret. Il y avait tous les champs du possible, tous les si avec lesquels on mettait Pré-au-Lard en potion, tous les mots qui auraient pu être dits mais avaient été tus.
Sirius se trouvait là, à contempler le ciel de sa mémoire à la recherche de quelque chose, un rien qui puisse lui rendre, le temps d'un instant, la certitude que son frère était là, quelque part, peut-être même quelques bâtiments plus loin à peine. Mais...
Le temps efface tout comme effacent les vagues
Les travaux des enfants sur le sable aplani
Nous oublierons ces mots si précis et si vagues
Derrière qui chacun nous sentions l'infini. (1)
Sirius avait trouvé les mots qui lui avaient manqué, deux jours auparavant, réminiscence d'une enfance presque solitaire, où les seuls divertissements disponibles quand on ne voulait pas jouer avec son frère étaient les livres, pages jaunies détentrices des secrets les fous, lignes d'encre retraçant les mots et les aventures de marins et de sages oubliés.
Qu'il était étrange que la littérature française lui revienne, soudain, quand sa détresse se faisait oppressante et que la mort sonnait à sa porte. Fragment d'un long poème dont il avait oublié le nom de l'auteur, les quatre vers aux consonnances étrangères dansaient devant ses yeux, remplaçant doucement le visage pâle de la petite Cassie.
Les coups de bec contre le carreau, le soupir agacé et le silence froid de l'appartement. Peter était sorti.
Les mouvements lents pour sortir du lit, le jappement de douleur en se cognant le gros orteil contre le pied du fauteuil et la fenêtre qui s'ouvre pour ne laisser voir que la nuit sombre et humide. Il avait plu.
Finalement, le corbeau ébène qui croasse en pénétrant la chambre de l'appartement londonien, la missive qui se détache et le volatile qui s'éloigne à tire d'aile, sa mission accomplie. L'enveloppe était noire.
Ses mains moites, le bourdonnement dans ses oreilles et les battements de son cœur. L'enveloppe était noire.
Fébrile, Sirius dut s'y reprendre à trois fois pour ouvrir la lettre, les doigts tremblant, avant de pouvoir lire à la lumière de sa baguette les quelques mots qui lui firent l'effet d'un coup de tonnerre.
Alphard Phineas Black.
Alphard était mort et avec lui le dernier lien de Sirius avec sa famille biologique. Alphard était mort et avec lui partaient les souvenirs. Les rires, enfant. Les pleurs, adolescent. L'espoir, la gratitude, l'amour, cette nuit de juillet 1976. Les visites et les cadeaux, les mots et les gestes, les regards et les sourires. Le soutien indéfectible de cet oncle, de cet ami, de ce père.
Pour les remplacer, il ne restait que la douleur sourde et poisseuse qui le prenait à la gorge. Il suffoquait, à quatre pattes sur le sol, la main contre son cœur et son corps agité de spasmes, le visage déformé par une grimace et les sanglots coupés de hoquets.
Enfin vinrent les larmes, à nouveau.
Sirius tira sur sa clope, le regard terne. C'était le début de sa deuxième année de formation et si, avec ce contexte de guerre, on les envoyait déjà au front, ce n'était que pour des missions non-essentielles à en crever d'ennui. James et lui parvenaient à obtenir des missions moins chiantes de temps en temps, grâce à leurs bons résultats, mais les plus intéressantes, les plus cruciales restaient hors de portée.
La dernière mission importante sur laquelle il avait travaillé était l'attaque du Chemin de Traverse de début avril, et uniquement parce qu'il était un des rares à ne pas être lié par le sang ou des liens amicaux avec les victimes. Il y avait bien Cassandra Selwyn, mais ils étaient cousins trop éloignés pour que ça compte, et il avait dû la rencontrer deux fois à peine.
Et puis après il y avait eu la mort de Regulus, et ses espoirs de participer bientôt à une mission importante s'étaient envolés. Apparemment, le deuil était quelque chose de trop grave pour qu'on le laisse se battre, en tant qu'Apprenti. S'il avait été un véritable Auror, nul doute que ça n'aurait pas eu tant d'impact que ça. Mais Sirius n'était pas un véritable Auror, et il devait se contenter de faire de la paperasse et faire des missions d'observation à propos de trafic de potions qui n'avaient rien à voir avec la guerre.
Même l'Ordre du Phénix ne suffisait plus à satisfaire son besoin de justice ; Dumbledore avait réduit le nombre de missions à cause du récent décès de Kathy Singleton, un membre prometteur de l'organisation. Malheureusement, la pauvre femme avait été déchiquetée par des loups-garous sur ordre de Voldemort.
Sirius retint un soupir alors que la salle se remplissait au fur et à mesure des arrivées. Il se sentait carrément inutile, et s'ennuyait ferme. James avait au moins Lily pour lui remonter le moral, mais ce n'était pas le cas de Sirius. Après Poudlard, Peter, Remus et lui avaient voulu faire une colocation, mais Remus avait pris peur à cause de la guerre et de l'appui que Voldemort recevait des loups-garous. S'il avait rejoint l'Ordre du Phénix, il s'était hâté de prendre la première mission venue qui l'éloignerait le plus possible des autres sorciers.
Quant à Peter... il n'était jamais là, le soir, ou alors il dormait profondément et Sirius n'avait pas cœur à le déranger. Parfois, il se sentait un peu coupable de l'avoir tiré dans cette guerre où le pauvre homme se sentait parfaitement inutile, mais sa culpabilité était rapidement étouffée par un nouveau meurtre, une nouvelle attaque, une nouvelle mission de l'Ordre. Jusqu'à maintenant.
Le sorcier fut tiré de ses pensées moroses par l'arrivée de son meilleur ami. Son frère d'arme et d'âme.
James était étrangement silencieux, ce matin-là. Les yeux cernés et le teint cireux, il se rongeait les ongles sans un mot, le regard perdu dans le vague. Faisant glisser d'une main sa propre tasse de café vers le nouvel arrivé, Sirius écrasa sa cigarette dans le cendrier, alors que Cornedrue souriait faiblement face à l'attention.
— Mes parents ont chopé la Dragoncelle, souffla James, les yeux secs. Sainte-Mangouste a appelé cette nuit. Ils sont morts ce matin.
Son regard était résolument fixé sur un coin du bureau, comme s'il refusait de voir le monde autour de lui. Comme si, en l'occultant, ses parents reviendraient à la vie. Sirius revit passer tous les moments qu'il avait partagé avec les Potter, les souvenirs dansant sous ses paupières comme autant de fées et de lucioles lors d'une nuit sans lune. Les vacances de Pâques durant sa première année, quand il avait visité des musées moldus et contemplé, pour la première fois de sa vie, les merveilles de la technologie. Le sourire d'Euphémia quand elle l'avait emmené à l'Observatoire, et lui avait montré les étoiles sous un jour nouveau. Son étoile. Les parties d'échecs et les rires, les discussions enflammées sur la politique et les histoires sordides, de celles que la presse n'avait jamais racontée, les rêves et l'espoir, la fuite et le refuge qu'ils lui avaient offert, le sourire aux lèvres et les bras grands ouverts. Le mariage de James et Lily, les repas du dimanche, l'impression fugace d'avoir enfin, peut-être, retrouvé une famille.
Seulement, voilà. Sirius se retrouvait orphelin, à nouveau. Et, à nouveau, il contemplait le ciel de sa mémoire, à la recherche du moindre détail qui pourrait changer les choses, les faire revenir, rendre le souvenir plus vrai. En vain.
Alors il contourna le bureau et prit James dans ses bras, dissuadant d'un geste Frank et Alice de s'approcher. Parce qu'il en avait besoin, parce qu'ils s'aimaient, parce qu'ils souffraient.
Parce qu'ils étaient frères.
La nuit était tombée sur Godric's Hollow. Les lumières s'éteignaient une à une dans les maisons recouvertes d'un manteau blanc, à l'exception de celle des Potter.
C'était l'anniversaire de Lily. Tous étaient là, malgré la guerre et les risques : les Maraudeurs, bien sûr, mais aussi Marlene et Dorcas, Frank et Alice, Dumbledore et Maugrey. Minerva et Filius n'avaient pas pu se libérer, retenus à Poudlard par leurs fonctions, mais les lettres qu'ils avaient envoyées suffisaient amplement à montrer leur amitié pour la jeune femme.
Sirius et James riaient et dansaient comme ils ne l'avaient plus fait depuis Poudlard. Marlene et Dorcas, lancées dans un concours de grimaces, avaient entraîné Peter dans leurs frasques, et le trio infernal était applaudi avec entrain par le grand Albus Dumbledore.
Alice et Lily chuchotaient à voix basse autour d'un verre de jus de citrouille, tandis que Frank et Maugrey parlaient de leur prochaine mission. Incapables de décrocher du boulot, ces deux-là.
— Votre attention, s'il vous plaît ! s'exclama James d'une voix forte, les joues rougies par la joie et l'ébriété. Lily et moi avons une annonce à vous faire !
Silence dans la salle. Puis chuchotements, murmures, rires étouffés. Sirius fronça des sourcils. De quoi pouvaient-ils bien vouloir parler ? Et surtout, comment était-il possible qu'il ne soit pas au courant ? Son regard croisa celui de Remus avant qu'il ne le détourne précipitamment, manquant l'air peiné du lycanthrope.
— On va avoir un bébé, sourit la rousse en posant ses mains contre son ventre encore plat, alors que l'assemblée brisait le silence de leurs rires et des félicitations de circonstance.
Sirius, lui, se sentait partagé entre la joie pure et l'impression d'avoir raté quelque chose. James était marié, il allait être père, alors que lui-même était encore désespérément amoureux du même homme depuis ce qui semblait être l'éternité. Il se dirigea cependant vers les deux futurs parents et les étreignit, fort, dans l'espoir de leur transmettre tout son amour.
Derrière eux, Frank se râcla la gorge, et ils se tournèrent vers lui.
— Euh, Alice et moi avions aussi une annonce similaire à faire. On pensait attendre un peu, mais... Autant faire d'une pierre deux coups.
— On va être parents ! s'exclama la petite blonde, ses yeux bleus pétillants de joie, alors que l'assemblée exclamait à nouveau son enthousiasme.
Lily l'attira dans ses bras, visiblement heureuse pour son amie et confidente, alors que James et Frank couvaient leur moitié respective du regard.
Lily rayonnait. Elle darda son regard vert sur Sirius et son sourire s'élargit alors qu'elle se libérait de l'étreinte d'Alice.
— Nous n'avons pas encore choisi la marraine de notre futur enfant, commenta James en remarquant l'échange de regards, mais nous connaissons déjà le nom de son parrain. Enfin, s'il accepte. L'acceptes-tu, Ô mon fier et fidèle Sirius ?
Lui ? Sirius n'avait jamais envisagé cette possibilité, étrangement. Il savait que cet enfant aurait de toute façon eu une place importante dans son cœur, mais il était difficile pour lui d'imaginer avoir un véritable lien magique avec lui. Ou elle, ou ellui. Il ne voulait qu'une chose : pouvoir déjà prendre l'enfant dans ses bras, lui appendre toutes les farces possibles et imaginables, en faire un fier membre de la Maison de Gryffondor.
— Eh, t'acceptes, hein ? s'inquiéta soudain James devant son silence. T'es mon frère mec, je m'en remettrais pas si tu refusais !
Son frère. Sirius avait souvent pensé à James comme à un frère, mais Merlin que c'était bon de savoir que la réciproque était vraie. Alors, les larmes aux yeux, le Sirius prit les futurs parents dans ses bras, les étreignant puissamment en murmurant, tout bas, la voix rauque d'émotion :
— Bien sûr que j'accepte, crétin ! T'es mon frère.
Et Lily de rire, et James de pleurer de joie, comme le grand sensible qu'il était. Nul ne prêta attention au petit hibou que Peter venait de faire entrer jusqu'à ce qu'il ne se pose sur l'épaule de Sirius, mettant fin à l'étreinte familiale.
Celui-ci fronça des sourcils en prenant la lettre, qui portait le sceau de Gringotts. Il ne recevait pas souvent leurs lettres, et la dernière fois remontait à juillet 1976. Il ne se souvenait pourtant pas avoir fait de dépenses importantes... S'éloignant légèrement des autres, il se débarrassa de l'enveloppe et commença sa lecture.
La note était brève, dénuée de tout sentiment. On l'informait simplement de la mort d'Orion, qui remontait maintenant à plusieurs mois. Sirius fut surpris de sentir une sorte de lassitude teintée de tristesse l'envahir. Orion Black n'avait jamais vraiment représenté quelque chose, pour lui. Souvent absent et sinon enfermé dans bureau, Sirius n'avait guère pu s'attacher. Contrairement à Walburga, qu'il avait aimée comme une mère jusqu'à ce qu'il ouvre les yeux sur ses opinions politiques et sur son suprémacisme Sang-Pur, Orion n'avait jamais été l'objet de son amour ou de sa haine.
Bien sûr, il partageait les vues de Voldemort, et Sirius l'avait méprisé pour ça, mais il n'avait jamais réussi à le faire sortir de ses gonds, à lui faire ressentir une haine telle qu'il en aurait eu des envies de violence. Orion n'était pas Walburga. Et, aujourd'hui, Sirius apprenait qu'Orion était mort, de Dragoncelle, comme Fleamont et Euphémia.
Un souvenir lui remonta à la surface de son esprit brumeux, comme un rêve. Des escaliers montés à reculons. Walburga, la baguette à la main, l'Avada au bord des lèvres. Orion qui lui prend le poignet, l'arrête dans sa folie. C'était étrange de se dire que cet homme qu'il connaissait si peu lui avait sauvé la vie.
— Eh, Sirius, murmura doucement James après avoir lu la lettre. Tu tiens le coup ?
Un fin sourire se dessina sur les lèvres du sorcier. Il se sentait las, mais il était vivant, lui.
— Tout va bien, James. J'espère juste qu'il est bien là où il est. Il avait peut-être des opinions de merde, mais... Bah, son fils est mort, tu sais. Il a assez souffert, je crois. Et puis, retourne donc avec les autres, tu vas être papa !
James eut un sourire incertain devant son enthousiasme surjoué, sans doute parce que le décès de ses parents dû à la même cause que celui d'Orion était encore frais dans sa mémoire. Mais il finit par attirer son frère d'armes et d'âme dans ses bras, et retourna auprès de Lily.
Sirius fut beaucoup plus calme pour le reste de la soirée, le regard perdu dans la nuit de janvier.
Un bébé, ça crie. Deux, c'est pire.
Sirius venait de l'apprendre à ses dépens en entrant dans la chambre occupée par Lily et Alice. James et Frank étaient là, accompagnés de Dumbledore et de Léonard Berthelier. Ce dernier était le meilleur ami de Frank et voulait combattre Voldemort, mais avait été forcé par ses parents de rentrer en France avant la fin de sa scolarité à Poudlard. Il n'était revenu en Angleterre que pour le petit Neville dont il était le parrain.
— Tout le monde est là ? s'enquit Dumbledore une fois que Sirius eut refermé la porte.
Lily et Alice hochèrent la tête. Elles semblaient épuisées. Neville et Harry hurlaient en chœur, jouant visiblement à Qui-gueule-le-plus-fort pour le plus grand déplaisir des adultes. Sirius se demanda vaguement où était les futures marraines, avant de comprendre que Lily et Alice seraient chacune la marraine du fils de l'autre. Cette seule observation le fit sourire. Assis dans un coin, Berthelier avait l'air mal à l'aise.
— T'es sûr que tu veux que ce soit moi, Frank ? demanda-t-il en se triturant les mains. Ta mère croit que les homosexuels sont des monstres, elle ne voudra jamais que je m'approche de son petit-fils.
Sirius retint une grimace. La famille Londubat n'était peut-être pas suprémaciste Sang-Pur, mais certaines de leurs idées empruntées aux Moldus n'en restaient pas moins nauséabonde. Au moins, il n'aurait jamais eu ce problème avec Walburga, s'il était resté chez les Black.
— Elle n'a pas son mot à dire, Léo, répondit Frank avec force. Tu seras le parrain de mon fils, quoi qu'il arrive. On est en guerre, merde ! Et on est Aurors. S'il nous arrive un truc, et que Lily et James ne peuvent pas s'occuper de Neville, alors je préfère qu'il grandisse en France, loin de la guerre.
— Augusta le réclamera, soupira Berthelier en passant sa main sur son visage, visiblement épuisé.
— Je prends le risque, affirma Frank. J'ai déjà écrit mon testament. On a nommé Lily et James comme tuteurs préférentiels. Tu viens en deuxième. Ma mère en troisième. Elle ne pourra rien faire contre ça.
Berthelier sembla hésiter encore quelques instants, puis prit une grande aspiration et murmura son accord.
— Très bien, sourit Dumbledore. Nous allons d'abord nous occuper du petit Neville, puisqu'il est né plus tôt. Monsieur Berthelier, approchez donc de Lily. Frank, prenez votre fils et placez-le entre eux. Très bien, très bien... Vous êtes prêts ? Commençons. Moi, Albus Perceval Wulfric Brian Dumbledore, reconnais en Neville Archibald Londubat...
C'était très beau. Les gestes, les paroles rituelles, la lumière douce qui baignait dans la pièce. Sirius se sentit ému, et comprit que c'était entièrement dû à la magie. Le rituel du baptême était de l'ancienne magie pour les sorciers, elle faisait partie des plus puissantes. C'étaient des liens d'amour qui se créaient sous ses yeux, et Sirius comprenait maintenant les phrases mystérieuses et en apparence naïves dont le directeur raffolait. L'amour était réellement la plus puissante des magies.
Une fois fait, Dumbledore se tourna vers le petit Harry que James tenait déjà dans ses bras. Il s'était arrêté de crier, apaisé par la magie déployée lors du rituel. Il répéta les gestes, répéta la litanie latine qui précédait la bénédiction, puis repris dans un anglais littéraire.
— Moi, Albus Perceval Wulfric Brian Dumbledore, reconnais en Harry James Potter le filleul de Sirius Pollux Black, et le filleul de Alice Marcella Londubat, née Flint, et je bénis cet enfant par le sacre de la Magie ; puissent les fleurs éclore sous ses pas, puissent ses ennemis succomber au fil de son épée, puissent ses alliés ne le jamais trahir ! Au nom de la Mère, du Fils et de la Magie, sois béni, Harry James Potter !
Sirius tenait la main droite du bébé Harry, et ses yeux embués de larmes croisèrent le regard vert si semblable à celui de sa mère. Bon sang. Ce petit machin était son filleul.
Harry. C'était un joli nom, et Sirius avait hâte de tout lui apprendre. Il avait hâte de le couvrir de cadeaux, de rendre James jaloux de l'attention que Harry porterait à son parrain providentiel. Il avait hâte de lui parler de Poudlard, des Maraudeurs et des merveilles que permettait la magie.
Oui, Sirius avait hâte de l'aimer, ce petit sorcier qui avait déjà ravi son cœur.
(1) : Ces quatre vers constituent la première strophe d'un poème de Marcel Proust : Je contemple souvent le ciel de ma mémoire. C'est un poème qui m'a touchée, et j'ai trouvé qu'elles s'appliquaient bien à la situation. Après tout, Sirius tente de s'accrocher à un souvenir qui ne veut pas venir, il voudrait retrouver ce frère qu'il a perdu, en vain : le temps efface ce qui rend les souvenirs tangibles, ils ne sont plus réduits qu'à l'état de brume vague.
Bonsoir ! Voilà donc la deuxième partie de ce chapitre, qui s'arrête au 1 août 1980. 7300 mots pour votre plaisir, et je commence à penser que le chapitre sur Sirius fera, en tout, plus de 18000 mots... J'en ai profité pour poser les bases de mon petit Léonard Berthelier (qui est d'ascendance noble, d'où son nom particulier). Il n'aura pas une grande importance dans ce tome, mais allez savoir pour la suite... Ne l'oubliez pas :p
En tout cas, l'année 1979 a été riche en décès, si je puis dire. Reg, Alphard, les Potter, Orion. Tout s'enchaîne et la fin de la Première Guerre approche. Tout ira beaucoup plus vite, après.
Quoi qu'il en soit, j'espère que ça vous a plu. N'hésitez pas à me dire ce que vous avez pensé de ce chapitre : vos impressions, vos conseils, des choses que vous aimeriez voir du point de vue de Sirius au prochain chapitre. Je vous dirais bien de me partager vos théories, mais malheureusement je suis le canon, donc... On sait déjà comment ça va finir, tout ça, pas vrai ?
Enfin bref, merci d'avoir lu et on se retrouve le 15 avril, soit jeudi prochain ! À très bientôt ;)
