1895, Alger.

« Je ne comprends pas.

Soupira Hassan en tournant furieusement les pages de la Bible que la France lui avait offert, s'énervant rapidement comme à chaque fois qu'il avait du mal à saisir quelque chose. L'européen le regarda faire patiemment.

– Qu'est-ce que tu ne comprends pas ?

– Tout. Cela n'a rien à voir avec ce que j'ai appris toute ma vie sur Allah. La résurrection des morts, l'amour inconditionnel, cette place accordée à la grâce et au pardon, c'est… étranger, pour moi.

– C'est normal que tu sois perdu. Tu as été fourvoyé toute ta vie.

– Pourquoi je suis contraint d'étudier la Bible, pour commencer ? J'ai toujours été musulman, ça n'a jamais été un problème pour toi jusqu'à aujourd'hui.

– Je ne te demande pas de changer de religion, je veux juste que tu apprenne les rudiments de la mienne. C'est pour faciliter ton assimilation. »

Ah.

L'assimilation.

Depuis quelques années, France s'était mis en tête d'assimiler l'Algérie, et celui-ci n'avait jamais réellement compris ce que ça voulait dire. Il connaissait l'histoire de France par cœur, sa culture, ses mœurs, il était sur le point de connaître sa religion et peut être même d'être contraint à l'adopter dans plusieurs années. Plus le temps passait, plus il s'éloignait de la nation qu'il était avant de devenir un département français et ça l'effrayait. Et pourtant il acceptait son sort, pour plusieurs raisons. Il s'était vite rendu compte que s'il se montrait coopératif, s'il faisait mine de cesser de résister, France n'aura aucune raison de se méfier de lui. Il avait du mal à l'admettre mais Tunisie avait raison : se contenter de dire "oui" en souriant, c'était une bonne stratégie. Plus il gagnait la confiance du français, plus celui-ci le couvrait de privilèges et acceptait certaines de ses revendications. Par exemple, l'algérien avait repris le contrôle de ses propres terres alors que quelques temps auparavant, France les expropriait pour les exploiter comme bon lui semblait.

Mais alors l'assimilation… celle-là, il ne l'avait pas vue venir. Il n'avait jamais entendu parler de ce concept avant que France ne le mette en place et il était le seul européen à le faire.

« Très bien, je vais essayer.

Soupira-t-il, faisant mine de céder une fois de plus alors qu'il n'en pensait pas un mot.

– Merci Hassan. C'est très important pour moi.

– Je sais.

– Bon, je te laisse tranquille pour aujourd'hui. Retrouve-moi au dîner, Tunisie sera présent et…

– France. »

L'européen s'interrompit et haussa un sourcil, désagréablement surpris de s'être fait couper la parole, affichant cette expression d'yeux écarquillés tellement caractéristique de lui. L'agacement, mais aussi la curiosité brillaient dans ses yeux bleus. Hassan se redressa lentement et se rapprocha de lui. Le regard de Francis ne le quittait pas. Intrigué, outré, attendant probablement des excuses qui n'arriveront jamais, ou au moins la satisfaction de voir le nord-africain baisser la tête. La situation était similaire à leur première rencontre, dans l'immense palais de l'Empire Ottoman, où Hassan avait soutenu le regard de France alors que le turc lui avait expressément interdit de tenir tête à qui que ce soit.

Algérie voulait qu'il lui fasse une confiance complète et aveugle, c'était une condition nécessaire pour avoir son indépendance : puisqu'il ne peut pas y arriver par la force, il l'aura par la ruse. Sans même prendre une seconde pour réfléchir à la tournure dangereuse que prend sa stratégie, il posa ses mains sur ses joues et ses lèvres sur les siennes. Le corps du français se crispa mais ne bougea pas, comme incapable de décider ce qu'il était sensé faire. D'ailleurs, sa colonie ne lui laissa même pas le temps de réagir. Ce moment dura à peine quelques secondes avant que le maghrébin s'éloigne.

« A ce soir.

Souffla-t-il près de ses lèvres. France avait l'air au bord de l'apoplexie, il sembla vouloir poser une question mais elle resta à jamais au fond de sa gorge et il se contenta de bredouiller :

– Euh… oui, à ce soir. »

Dès que France fut parti, Algérie s'essuya furieusement la bouche jusqu'au sang et arracha les pages de la Bible une par une pour les brûler.


1914, Paris.

« France, tu es mon frère et j'ai beaucoup d'affection pour toi mais je ne peux pas trahir Allemagne comme ça… !

Italie pleurnichait littéralement. A tel point que même Algérie se sentait embarrassé de la situation. La France et l'Italie avaient convenu de se voir en secret, mais Feliciano rechignait à abandonner la Triplice. Et Francis était sans pitié dans ses négociations, usant de la manipulation avec une facilité insoupçonnée. Depuis vingt ans, l'Allemagne essayait d'isoler diplomatiquement la France et de limiter son expansion coloniale. L'heure de la revanche avait sonné pour Francis qui n'hésitait pas à pousser Italie dans ses derniers retranchements.

Il voulait se venger de l'Allemagne, alors il lui volait son allié le plus précieux.

– Je ne te demande pas de t'allier à moi, Italie. Ou du moins, pas officiellement. Mais quand l'Allemagne déclarera la guerre à Angleterre, Russie ou moi-même, tu devras te retourner contre lui.

– Je ne sais pas si…

– Italie. Depuis la première signature de votre alliance, Ludwig te prend pour acquis. Il n'a d'yeux que pour Autriche et Hongrie et il te délaisse. Il ne te donne aucun moyen, aucun soutien, et il se paye ta tête. Tout le monde s'en rend compte. Ne lui donne pas ce qu'il veut, ne sois pas la risée du continent.

Blessé dans sa fierté, Italie serra les dents, sur le point de craquer.

– Et… Qu'est-ce que j'y gagne ? A part la haine d'Allemagne qui ne me pardonnera jamais ce sale coup.

– Je suis disposé à céder à quelques unes de tes concessions territoriales. »

Italie sembla pris d'intérêt, jetant un regard hésitant à Algérie qui eut soudainement des sueurs froides.

Cependant, ce n'était pas aujourd'hui qu'il allait servir de monnaie d'échange. France remarqua où se portait le regard d'Italie et réagit aussitôt.

« La Tunisie. Je sais que tu as des vues dessus depuis bien longtemps.

Lâcha-t-il sur un ton un peu trop brusque. Italie ne remarqua pas la soudaine manifestation de possessivité hostile de son frère, il semblait avoir du mal à y croire ses oreilles.

– Tu… tu serais vraiment prêt à me donner la Tunisie ?!

– En effet. Notre alliance me tient beaucoup à cœur, et le traitement qu'Allemagne t'inflige est intolérable. J'ai amené Algérie avec moi car il sera chargé d'informer discrètement Tunisie. J'ai trop peur que Ludwig intercepte mes télégrammes si je m'en charge. »

La réunion secrète se termina avec une vigoureuse poignée de main et un italien aux anges. Mais Algérie était vraiment sceptique.

« Tu vas vraiment lui donner Tunisie ?

France lui fit un grand sourire puis éclata de rire, comme s'il venait de dire la blague de l'année.

– Bien sûr que non. »

Et quelques semaines plus tard, la guerre était déclarée.


C'est un chapitre de transition, donc il était plus court que d'habitude. On passe ensuite à la Première Guerre Mondiale.