Chapitre 5 : Passez-moi une corde !
Après la débâcle pâtissière, Emma n'avait plus réapparu pendant deux jours. Elle se leva ce matin-là, avec une gueule de bois phénoménale. Pourquoi avait-elle abusé ainsi de la bouteille, hier soir ? La réponse était évidente : elle avait une réunion avec le conseil municipal ce matin, et Regina était sa partenaire. Ce jeu mesquin était sans fin. Elle réussit à se lever, percutant de ses doigts de pied la commode. Elle jura entre ses dents et sut dans l'instant que cette journée allait être une catastrophe. Elle fila à la douche et, une fois présentable, engouffra une brioche dans sa bouche, son café à la main, et sortit de chez elle. Elle ne voulait vraiment pas y aller, un peu comme les gosses qui rechignaient à partir à l'école. Elle avait la désagréable impression de revenir des années en arrière. Mais ce n'était pas l'école, c'était pire. Des conseillers municipaux… Avec la reine Regina à leur tête. L'enfer sur terre. Elle se gara devant la mairie, tel un agneau que l'on menait à l'abattoir. Elle franchit le seuil de la grande salle de réunion, et y trouva déjà plusieurs personnes installées. Un petit écriteau avec son nom calligraphié était posé à côté de madame le maire, qui la toisait.
- Bonjour, shériff. Vous êtes ponctuelle. Pensez-vous qu'il risque de neiger aujourd'hui ? Peut-être devrais-je appeler les services municipaux de la voirie, pour saler les rues et se préparer à déneiger à la pelle ?
Emma, pas franchement réveillée, regarda la brune avec des yeux quelque peu vitreux. Elle ne comprit pas la boutade et marmonna des mots inintelligibles au sujet de la météo capricieuse. Certains conseillers commençaient déjà à prendre des paris, se glissant les billets sous la table.
- Ma secrétaire a fait du café. Vous avez l'air d'en avoir besoin.
- Merci, déjà pris.
- Ce n'était pas une suggestion…
- Je vais faire comme si je n'avais rien entendu…
- Vous êtes soupe au lait, en ce moment, shériff.
La blonde scruta la brune, qui arborait un léger sourire narquois. Elle s'effondra sur sa chaise, sans aucune grâce.
- Merci de ne pas vous tenir tel un pachyderme échoué, Miss Swan. Un peu de tenue, que diable !
- Vous parlez de vous ?
- Vous voulez vraiment que cela se passe mal entre nous ? Dois-je vous rappeler mes propos ? Après la … Démonstration culinaire ratée, votre mère est plutôt en mauvaise posture, suite à son pataquès. Il ne me reste qu'à dérouler cette réunion et le tour est joué. Êtes-vous de mon avis, miss Swan ?
- Faites comme bon vous semble. Ça m'est égal.
La mairesse tiqua devant l'air las et désabusé de la blonde. Cette dernière semblait vraiment n'en avoir rien à faire de son élection. Elle eut un pincement au cœur, en se voyant si facilement remplacée par une créature qui ne manifestait aucun intérêt pour son travail. Voyant que la salle était remplie de tous ses collaborateurs, Regina entama la réunion, qui portait sur l'entretien du gymnase municipal, ainsi que de la tour de l'horloge. Avec en annexe, si la réunion restait dans le temps imparti, un sujet sur la réfection du poste de police, qui n'était plus vraiment aux normes. La brune se mit debout, sourit à son assemblée et commença son discours introductif. Ce fut bref et parfaitement maîtrisé. Emma, qui voulait apprendre la façon de faire auprès de Regina, restait toujours bluffée par les capacités managériales de la souveraine. Personne ne pipait mot et un hochement de tête groupé approuva ses dires.
- Bien, passons au sujet qui nous préoccupe aujourd'hui : le gymnase. Je présume que tout le monde, ici présent, souhaite le meilleur pour nos chères têtes blondes, et qu'elles soient en sécurité pour pratiquer leurs diverses activités.
Un conseiller leva la main pour prendre la parole. Mary-Margareth aurait grandement apprécié ce geste.
- Madame le maire, ne pensez-vous pas que le budget soit, comment dire, hors cadre ? Il s'agit d'une énorme somme d'argent pour quelques bambins courant après un ballon.
La brune fusilla du regard le pauvre homme, qui allait passer un sale quart d'heure.
- Vous préféreriez peut-être qu'il y ait un accident ? Il est vrai que vous n'avez pas d'enfant. Je refuse que des mécréants tels que vous, sapiez mon autorité et mes décisions, basées sur des études externes parfaitement exécutées, pour augmenter votre salaire, déjà bien assez conséquent pour le travail fourni.
Elle se tourna vers les autres personnes présentes.
- D'autres commentaires constructifs ? Je peux poursuivre, sans intrusion débilitante ou intéressée ? Bien.
Emma sourit devant l'autoritarisme de la brune. Se mettre madame le maire à dos n'était pas un calcul intelligent. La réunion avait commencé depuis vingt minutes que déjà les conseillers suaient à grosses gouttes.
- Passons au point suivant. La tour de l'horloge. Un conseiller s'est chargé du dossier, et nous allons délibérer dessus aujourd'hui. Si vous voulez bien nous présenter le fruit de votre labeur.
- Merci, madame le maire. Voici mon projet et mes préconisations pour la remise en état de notre monument historique local !
Emma commençait déjà à ne plus écouter les élucubrations de l'homme, qui se prenait pour le centre du monde en cet instant. C'était très clairement son moment de gloire. Elle reporta son attention sur Regina, qui écoutait son subalterne avec intérêt. En tout cas, c'était l'impression qu'elle dégageait. La blonde aurait bien aimé être comme elle. Mais elle sentit l'ennui poindre rapidement. Doublé de sa gueule de bois, elle fut mise en échec par son manque de sommeil et commença à baisser les paupières. Elle s'était légèrement affalée sur son siège et somnolait presque. Regina se rendit compte que la prédisposition de la princesse à s'endormir n'importe où, était en train de prendre le pas sur sa volonté. Aussi, dans un geste mesquin, elle prit son crayon papier et le lui lança en pleine tête. Le crayon rebondit sur la chevelure blonde, sans effet sur sa propriétaire. Cela commença à énerver la brune, qui détestait la manie de la shériff de dormir tel un loir pendant ses réunions. Elle reprit le stylo et le lui enfonça dans les côtes. La jeune femme bondit sur sa chaise, qui roula plus loin, et elle se vautra à terre, sous les rires moqueurs du public. Elle alla chercher sa chaise et se rassit dessus, rouge de honte. Regina était en train de rire de son petit stratagème. La blonde lui lança un regard vitreux, mais ne dit rien. Ce fut un des conseillers qui prit la défense de la shériff.
- Madame le maire, si vous espérez être réélue en faisant des misères au shériff, ce n'est sûrement pas la méthode la plus efficace.
Emma était ahurie qu'une personne censée puisse prendre sa défense, surtout face à la sorcière. Cet homme remonta immédiatement dans son estime, même si elle ignorait son identité. L'assemblée retint son souffle. Il n'était pas de bon ton de reprendre l'ancienne reine sur sa manie de torturer les gens.
- Je ne fais pas de misères à miss Swan, je la pousse à se réveiller et à ne pas voter à tort et à travers, comme c'est souvent le cas. Dois-je vous rappeler que nous lui devons l'aménagement des docks, ce qui a entraîné une partie de leur éboulement. Elle avait voté juste à temps, alors que sa voix était décisive, parce qu'elle venait de sortir de son gros dodo habituel. Nos réunions sont vraiment soporifiques, mais j'ose espérer qu'elles le seront moins lorsque vous les mènerez, shériff !
La blonde était tellement tassée sur sa chaise qu'il ne pouvait pas être humainement possible de faire plus. Elle avait baissé la tête et ne répondit rien. Son mal de crâne, combiné à sa gueule de bois et à sa gêne semblaient avoir eu raison d'elle. Elle se leva brusquement et s'excusa pour sortir, sous un prétexte fallacieux. Regina fut plus rapide et lui ordonna de se rasseoir.
- Miss Swan, assis !
La blonde obéit bien malgré elle. La magie venait d'opérer. Elle tenta de se libérer, se morigénant de n'avoir pas anticipé l'attaque de la mairesse. Rien n'y fit, des lianes apparurent pour la scotcher à sa chaise. La sorcière fit pivoter son fauteuil vers elle et lui prit la mâchoire entre ses doigts fins.
- Maintenant, veuillez écouter le monsieur, vous pourriez peut-être apprendre quelque chose et faire de cette journée autre chose qu'une immense perte de temps, pour tout le monde. Votre inconséquence commence à me taper sur les nerfs, très chère. Et ce n'est guère saillant, même pour vous.
Emma lâcha un cri de rage, essayant toujours maladroitement de se libérer. Elle ne réussit qu'à davantage s'empêtrer dans la jungle maléfique. Satisfaite, la reine fit signe à sa cour de continuer, maintenant que le shériff était toute ouïe.
Vint la séance des votes. Chacun prit le temps d'étudier le dossier restreint qu'il tenait entre ses mains et l'unanimité apparut rapidement. Madame le maire opina également du chef aux propositions, fort bien construites, et regarda la blonde, qui semblait ailleurs.
- Ne me dites pas que vous vous êtes endormie !
De colère, elle fit pousser une épine sur une liane et l'enfonça dans l'avant-bras de la jeune femme. La foule rassemblée fut horrifiée devant la cruauté de la reine, face à une femme attachée. Emma ne poussa pas de cri de douleur, se contentant de se mordre la lèvre inférieure. Elle ne regarda pas la sorcière, qui continuait de la torturer. Aussi, tous le monde fut pris de stupeur, en entendant le shériff émettre son opinion.
- Je trouve que c'est jeter l'argent par les fenêtres. Cette vieille horloge ne sert à rien, et je m'engage à la faire détruire, d'ici quelques semaines, le temps de virer la mère fouettarde.
Elle avait parlé sous le coup de l'irritation, ce qui bluffa tout le monde. La liane épineuse s'enfonça encore plus dans sa chair, lui provoquant une grimace de douleur. Puisque la brune voulait la guerre, elle allait l'avoir. Emma en avait marre de son chantage. Storybrook méritait mieux que cette vipère.
- Auriez-vous l'obligeance de me détacher, madame le maire ? Ça peut prêter à confusion…
La belle brune mit une seconde à réagir à la voix de la blonde. Elle fit disparaître les lianes et lissa sa jupe.
- Rien n'est encore joué, miss Swan. Et votre voix est la seule qui se dresse contre ce projet. La motion pour la remise en état de la tour de l'horloge est donc acceptée !
La mairesse se retourna vers sa rivale et partenaire.
- Bien tenté, princesse !
La reine lui fit un clin d'œil, ce qui eut le don de désarçonner la shériff. Cette dernière allait partir, mais elle n'eut pas le temps de faire un pas en direction de la sortie.
- La réfection du poste de police ne vous intéresse pas, shériff ? C'est pourtant votre lieu de travail. Vous devriez en prendre davantage soin.
- Je croyais que la réunion était terminée.
- Il reste cinq minutes. Nous n'allons pas bouder notre plaisir.
- Boudons-le, au contraire !
- Miss Swan, ne faites pas l'enfant…
- Regina, cessez de m'asticoter.
Un conseiller se racla la gorge.
- Excusez-moi, mesdames, mais peut-être pourrions-nous reporter ce dernier vote. Pour ma part, et à l'instar de mes collègues, je ne souhaite pas assister à un crêpage de chignons…
- De quel droit osez-vous me dire une chose pareille ? Je suis votre patronne ! Et donc, vous…
La blonde, excédée par les caprices tyranniques de la brune, venait de prendre le siège de la brune, et de le pousser vers la porte, pour la faire sortir de la pièce. Regina n'en revenait pas de l'audace de la blonde. Emma se retourna et prit la parole.
- La séance est levée ! Tout le monde dehors ! Me remerciez pas surtout.
Les conseillers s'égaillèrent comme des moineaux. Personne n'avait envie de rester pour un dernier vote qui risquait de finir en eau de boudin. La brune fixa sa remplaçante d'un œil noir et ne fit pas mine de se lever.
- Vous êtes fière de vous ? Vous aimez saper mon autorité ?
- J'adore en effet. Votre petit chantage odieux me fout en rogne. Je suis fatiguée de me battre, Regina. Vraiment fatiguée. Continuez comme ça, et en plus de ne pas être réélue, vous vous démerderez avec ma mère, qui sera seule aux commandes. Moi aussi, je peux faire du chantage. Arrêtez de me casser les bonbons, ou je me casse d'ici et je vous laisse tous dans cette panade grotesque. J'ai déjà demandé à être démise de ces fonctions, je ne fais pas le poids face à vous, je le sais parfaitement bien. Et travailler avec ma mère me file de l'urticaire. Alors, que me reste-t-il au final ? Un fils qui n'a cure de moi, puisque vous êtes omnipotente dans sa vie. Je peux retourner à ma vie d'avant. Croyez-moi, en ce moment, un rien pourrait me faire changer d'avis et vous ne me retrouverez pas.
La brune se leva, et regarda la blonde bizarrement. Jamais Emma ne lui avait parlé de la sorte, ni même à cœur ouvert. Elle trouvait étrange que la personne avec qui elle était censée s'entendre pour garder son confortable train de vie, soit aussi celle qui venait de la menacer. C'était tellement rafraîchissant. Personne n'aurait jamais osé se dresser ainsi face à elle. Mais la shériff avait du caractère, inutile de le nier.
- Très bien. Et que proposez-vous, shériff ?
- Un break. Vous m'épuisez, tous.
- Petite nature.
- Cessez de m'insulter. Et vous m'avez fait mal, tout à l'heure.
La blonde lui montra son bras, qui présentait une profonde entaille, aux bords déchiquetés. Regina eut un léger chagrin, en contemplant son œuvre. Elle n'avait fait cela que par méchanceté. Aussi prit-elle le bras du shériff et y apposa une main. La blessure se referma aussitôt. La blonde la regarda, songeuse.
- Si tout pouvait être aussi simple. Merci. Même si c'est de votre faute.
- Ne me faites pas regretter ma bonté.
-Vous avez réparé une bêtise. Je n'appelle pas ça de la bonté. Plutôt du remords.
- Il faut toujours que vous ayez le dernier mot, shériff ?
- Comme vous, madame le maire.
Les deux femmes se sourirent, avant que la blonde ne parte. Elle était fatiguée et voulait rentrer prendre un bain.
Un peu plus loin, la fée bleue et Zelena avaient assisté au spectacle. Elles se regardèrent en chiens de faïence.
- Emma s'est endormie ! Aucun suspense de ce côté-là !
- Vous en êtes sûre ? Parce que votre sœur a clairement biaisé la chose en la torturant avec ce crayon.
- Seriez-vous en train de marchander mes cinquante billets ? Vous n'oseriez pas, rassurez-moi…
Déjà Zelena donnait forme à une boule de feu. La fée bleue ne fit pas semblant d'avoir peur.
- Éteignez-moi cette allumette, très chère. Vous allez vous brûler vos petites mimines manucurées.
La rousse referma sa main, pour mieux la tendre en direction de son adversaire du moment.
- Mon pognon. Maintenant.
- Je ne suis pas du même avis que vous. Votre sœur est intervenue pour qu'Emma ne s'endorme pas. Le pari est donc annulé. Je suis bonne joueuse, car notre shériff ne s'est pas vraiment endormie. Donc vous devriez avoir votre gage. Mais comme une intervention d'un tiers remet tout en cause, je vous épargnerai donc cette humiliation… Supplémentaire.
- Mauvaise joueuse et radin. Pas étonnant que vous soyez mariée au seigneur ! Personne d'autre n'a voulu se dévouer ?
- Retirez immédiatement ces paroles blasphématoires ! Vous êtes une gourgandine mal dégrossie !
- J'ai pas pris mon dictionnaire de vieux français. Pourriez-vous traduire, pour l'humble paysanne que je suis ?
- Ne jouez pas à ça avec moi, ou il vous en cuira !
- Vous comptez me frapper avec votre dico tout pourri et obsolète ?
- Hors de ma vue, mécréante ! J'ai été permissive avec vous, mais la prochaine fois, je ne serai pas aussi clémente. On ne m'y reprendra pas !
- Des promesses, toujours des promesses…
- Vous êtes la pire des femmes, impie et vulgaire. Je ne vous salue pas !
- Idem ! Il s'agit d'un mot plus actuel. Vous voulez mon dico ? Il date seulement de cette décennie, pas du siècle dernier !
La fée, excédée par l'outrance de la rouquine, s'évapora dans un nuage bleu, remplissant l'air de paillettes.
- Grosse dégueulasse, qui va nettoyer cette poussière poisseuse ?
La sorcière suivit le mouvement, contente d'avoir réussie à échapper à sa corvée.
Sa mère traîna Emma le lendemain dans les boutiques de la ville, pour lui faire plaisir. Dommage que leur notion de plaisir soit si différente. Mary-Margareth s'émerveillait devant les boutiques de vêtements, que la blonde fuyait comme la peste. Chaque frou-frou engendrait une salve de gémissements honteux, que même une licorne n'aurait pas osé pousser. Plusieurs habitants croisèrent les deux femmes, illuminant ainsi leur journée. Le shériff était plus traînée par sa mère qu'autre chose. Elle ressemblait à s'y méprendre à une adolescente grincheuse. L'institutrice ne semblait pas s'en formaliser et repoussait sans cesse les limites de la blonde. Celle-ci ne portait pas son arme de service, étant de repos, et elle le regrettait amèrement. Regina et Henri, qui passaient par là pour faire quelques courses, admirèrent l'étrange duo déambuler dans la rue.
- Mon chéri, en voyant ce spectacle consternant, je pense pouvoir affirmer que mon poste n'est pas menacé. Leur dignité, par contre… J'émettrais plus de doutes.
Le gamin ricana dans sa barbe, connaissant les goûts extrêmement différents des deux femmes en face de lui. Le regard d'Emma fut capté par le magasin de jeux vidéos. Elle s'éloigna de sa mère pour aller admirer la vitrine. Mary-Margaret lui prit la main et la gronda.
- Ne pars pas toute seule, Emma. Et fais attention en traversant la route. Je tiens à toi, mon bébé.
- T'en fais trop, là. C'est pas crédible. Recommence, mais sans les petites fleurs et la guimauve qui sortent de partout… J'ai envie de vomir, maintenant.
- Emma ! J'essaie de nous faire gagner des points ! Tout le monde nous regarde. Tiens-toi bien et cesse de dire des âneries.
La shériff resta pantoise. Elle n'avait plus cinq ans, mais sa mère semblait ignorer ce fait. Elle serra les poings pour ne pas faire un geste regrettable.
- Tu vas nous faire tout le bestiaire ? Je préfère voir les jeux vidéos. Je pourrais en offrir un à Henri, pour qu'on puisse jouer ensemble.
- Offre-lui plutôt un livre, tu vas passer pour une mauvaise mère, et une adolescente attardée. Regina te bat à plates coutures sur ce terrain. Pourquoi essaies-tu de rivaliser ? Emmène plutôt Henri à un match de base-ball ou de basket.
- Tu me prends pour une vraie débile, en fait.
- Mais non, tu es juste un peu lente, ce n'est pas grave, mon cœur.
Emma se retint de la gifler en public. Elle inspira un grand coup, sous le regard narquois de la mairesse, qui prenait un malin plaisir à la taquiner, en mimant un bébé nourrit au biberon. Elle tenta une incursion dans le magasin désiré, mais sa mère lui prit le bras, pour l'entraîner dans une boutique de fripes. Emma en ressortit une heure plus tard, avec un nouveau pull mauve et une robe. Elle avait été sournoisement attaquée par la vendeuse, qui s'était liguée avec sa mère. La robe avait été choisie sans elle, une fois que ses mensurations avaient été prises à la va-vite par la commerçante. Le pull avait été mis d'office dans son panier, en catimini.
Elle était pétrifiée de honte, depuis que sa mère s'extasiait en pleine rue de la belle robe qu'elle avait entre ses mains. Le bout de tissu ressemblait davantage à une agression en technicolor, pour la shériff. La couleur, entre l'ocre et l'orange, aurait presque pu passer inaperçue, du fait des grands motifs floraux qui s'entrelaçaient sans fin. Une hippie aurait pu être intéressée, à condition d'être sous acide. L'immonde vêtement atterrirait probablement directement à la poubelle, une fois chez elle. Elle n'oserait même pas en faire don aux associations pour les plus démunis. Il y avait des limites à la mesquinerie. Alors qu'elle subissait les délires vestimentaires de sa mère, elle tenta une incursion dans une boutique qui vendait des jeans. Elle voulait en remplacer un qui avait été déchiré pendant son service. Mais Mary-Margaret parvint à l'alpaguer avant qu'elle ne passe la porte du magasin.
- Hop là, Emma. Tu as suffisamment de pantalons beaucoup trop serrés. Il va falloir qu'on en discute d'ailleurs, ma fille. Il faudrait que tu sois un peu plus présentable, maintenant que tu es maire.
- C'est-à-dire ?
- Hé bien, tu n'as plus vingt ans. Il faudrait donc penser à te vêtir plus convenablement. Davantage comme une femme. De façon plus féminine, en somme.
- Je ne saisis pas le sens profond de ton idée : je suis trop masculine et donc de mauvais goût, ou je m'habille comme une prostituée pour alpaguer un client ? Ce n'est pas très clair. Pourrais-tu éclairer ma lanterne, mère ?
- Ne fais pas l'enfant, je dis simplement qu'il faut s'habiller avec son âge !
- Donc je devrais prendre exemple sur …
La shériff toisa sa mère, fit une petite moue dégoûtée et reporta son regard sur Regina, plus loin dans la rue.
- Comme l'actuelle mairesse, en fait ?
- Absolument pas ! Tu ne dois pas ressembler à la sorcière ! Tu vas bien trouver ton propre style ! Tu as vraiment la tête près du bonnet en ce moment, je ne te reconnais plus.
Emma, comprenant que sa journée de repos était gâchée, accéléra le pas, pour se débarrasser de l'importune. La petite brunette se mit à trottiner en pleine rue, derrière sa fille, qui prenait clairement la fuite. Le spectacle était assez plaisant, si on tendait l'oreille. La blonde ne cessa de bougonner des menaces de mort envers sa génitrice, qui essayait de vendre à qui mieux mieux sa relation fusionnelle mère-fille.
Après cette énième mise en scène, orchestrée par la fée bleue, Emma avala deux aspirines, une fois revenue chez elle. Au moins, sa mère ne l'avait pas suivi dans son antre. Elle décapsula une bière, jeta nonchalamment ses bottes dans un coin, et mit la télévision en marche. Trente minutes plus tard, elle ronflait doucement, épuisée par les sornettes de toutes ces satanées bonnes femmes. Elle savait que dès le lendemain, elle avait une réunion de chantier avec Regina. La perspective la mettait dans un état de profonde consternation. Elle ne connaissait rien à la construction. Détruire, ça oui, c'était son truc. Savoir assembler les pièces dans l'ordre inverse ne serait pas une sinécure. La mairesse devait sûrement avoir prévue un quelconque traquenard, pour l'humilier encore davantage. Elle préféra ne plus y penser et monta dans sa chambre, en plein milieu de la nuit, après s'être réveillée en sursaut, pensant avoir ratée l'heure du réveil.
Devoir se lever le lendemain matin tenait clairement de la séance de torture. Pourquoi fallait-il qu'elle boive systématiquement pour oublier ses malheurs ? Elle se dépêcha d'aller prendre une bonne douche, bien chaude, puis d'enfiler son sempiternel jeans bleu. Elle fit l'impasse sur le petit-déjeuner, déjà en retard à cette foutue réunion. Elle n'avait aucune envie d'y aller, mais sa présence était requise, dixit Regina. Déjà mentalement épuisée, elle prit sa coccinelle et arriva avec seulement cinq minutes de retard sur le chantier. La mairesse faisait déjà le pied de grue, et semblait impatiente de commencer. Elle tapait même du pied par terre, signe de son mécontentement.
- Bonjour, shériff. Presque ponctuelle, aujourd'hui. Vous auriez pu faire un doublé, c'est dommage.
- Bonjour madame le maire. Par où on commence ?
- Très bien, on entre directement dans le vif du sujet ? Cela me convient également. Nous allons faire le tour du chantier, s'assurer que les procédures soient bien respectées, en compagnie du contre-maître, puis relire les plans avec l'architecte et s'assurer que tout se déroule dans le bon tempo. Est-ce que cela vous paraît insurmontable ?
- Je présume que la bonne réponse est non. Qu'on en finisse…
Le projet consistait à construire une maison pour accueillir les parents, alors que les enfants joueraient dans le parc, avec de nouveaux aménagements ludiques. Cette maison servirait également de bar à jus de fruits et de salon de thé. La visite du chantier fut rapide. Puis vint la fastidieuse partie de contrôle des procédures de sécurité. Munie d'un calepin et des fiches de renseignements adéquates, Regina cochait et annotait tout ce qui pouvait poser problème. Elle inspectait la charpente, un casque jaune vissé sur la tête. Sa belle prestance en prenait un coup, avec ce champignon nucléaire sur le haut du crâne. Néanmoins, il ne serait pas venu à l'idée des gars du chantier de faire le moindre commentaire. Une banale histoire de survie, à priori. Emma suivait tel un bon toutou la mairesse, qui était parfaitement à l'aise dans son rôle. Emma enregistrait scrupuleusement ce qu'on lui disait, afin de ressortir moins bête de cette réunion. Elle ne s'était pas attendue à ce que la brune fasse cela elle-même. Elle pensait qu'elle aurait délégué la tâche à un employé, puni d'être passé par là, plutôt qu'à son bureau.
- Miss Swan, vous ne prenez pas de notes ?
- Non, j'ai une excellente mémoire.
Regina leva un sourcil, signifiant son étonnement, mêlé d'un certain scepticisme. Emma ne s'en formalisa pas. L'affaire était entendue depuis longtemps. Elle ne possédait pas assez de neurones en état de marche pour faire correctement son travail, c'était de notoriété publique, peu importe la vérité. Alors que le chef de chantier louait les efforts de son équipe, qui mettait les bouchées doubles, pour finir le projet dans le temps imparti, un sinistre grincement retentit au-dessus de leurs têtes. Emma leva les yeux en premier et vit une poutre porteuse se balancer dangereusement au bout d'une grue. Elle vit avec horreur l'anneau qui tenait l'ensemble se briser. Son instinct lui permit d'effectuer un bond, afin de pousser la brune hors de la zone d'impact du matériau. Elle enroula ses bras autour du buste de la mairesse et, prises dans l'élan, elles se vautrèrent trois mètres plus loin. Tout le monde était figé. Le chef de chantier restait là les bras ballants, interdit, face à l'accident qui venait de se dérouler. La mairesse fut la première à retrouver ses esprits.
- Shériff ! Vous me faites mal !
La blonde ne réagit pas tout de suite. Elle ne lui répondit même pas. Regina tourna la tête vers Emma, et vit que le crâne de la blonde avait percuté le sol, son corps ayant amorti l'impact, protégeant celui de la brune. Cette dernière prit peur en voyant la blonde à moitié consciente.
- Oh mon dieu ! Emma !
- Inutile de crier, je ne suis pas sourde… Vous, ça va ?
- Grâce à vous, oui. Merci. Vous pouvez vous remettre debout ?
- Donnez-moi une minute.
La blonde se mit à quatre pattes, une fois que la mairesse se fut écartée. Elle prit appui sur un tas de parpaings et se hissa à bout de bras en position verticale. Le monde tournait méchamment autour d'elle. Elle dévisagea la mairesse, qui lui sourit.
- Merci, shériff. J'ai évité le pire grâce à vous. Pour une fois, vous m'avez été utile !
- De rien… On a bientôt fini ?
- Pas encore. Surtout après cet incident.
Regina se redressa et vit dans quel état elle était. Son tailleur pantalon était plein de boue et tâché. Ce qui la contraria fortement. Ses côtes se rappelèrent à son bon souvenir, à peine remises de l'entrevue chat-chien du paintball.
- Mais c'est pas possible, vous le faites exprès ! Regardez dans quel état vous m'avez mise ! Je suis bonne pour aller me changer, et tout jeter au feu !
- C'est peut-être un peu exagéré, pour un peu de gadoue, non ?
- Vous savez combien coûte cet ensemble ?
- Plus que mon salaire mensuel, je présume. Mais moins cher que l'ensemble de lingerie en-dessous ?
- En effet ! Euh… Pardon ?! Miss Swan ! Votre impertinence n'est pas de rigueur ici !
- C'est ça… Bref, vous voulez que je vous paie le teinturier ? Un coup au pressing, et c'est comme neuf, lavé avec Mylène !
- Ne soyez pas stupide, je n'ai pas envie d'avoir une allergie avec tous ces produits chimiques. Tout le monde n'a pas la peau dure comme vous.
- Vous recommencez, Regina.
La brune arqua un sourcil, interrogative.
- Vous êtes méchante.
- Silence, cabot ! Vous m'avez fait mal, une fois de plus. Vous n'êtes pas en position pour vous plaindre ! Maintenant, terminons cette fichue réunion de chantier, et j'aimerais que vous disparaissiez de ma vue ensuite !
- Me remerciez pas de vous avoir sauvé la vie. La prochaine fois, je me contente d'admirer le spectacle de votre cerveau éclatant en mille petits morceaux tout dégueulasses !
- Miss Swan ! Je ne sais pas ce qui me retiens de vous étrangler !
- Votre sacro-saint poste de mairesse et votre petite vie bien rangée, où il n'y a pas un poil qui dépasse. Vous devez vous emmerdez avec vous-même, non ?
La brune fulminait, alors que la blonde repartait vers sa voiture.
- Vous nous quittez déjà ? Courage, fuyons, miss Swan ?
- Je me sens pas bien. Terminez sans moi, je ne vous sers à rien et j'en ai ras la casquette de vous entendre maugréer. À la revoyure !
- Shériff, revenez ! Shériff, au pied !
Emma leva les yeux au ciel et s'installa derrière son volant. Elle repartit en trombe, faisant crisser ses pneus et fit voler des petits cailloux partout, notamment sur le capot de la berline noire de la mairesse.
- Je rêve, elle s'est encore enfuie… Et elle m'a abîmée ma peinture métallisée ! C'est pas vrai, quelle journée de …
Elle s'arrêta en voyant les gars du chantier la regarder, interdits. Chacun retourna brutalement à ses occupations, ne voulant pas subir le courroux du dragon.
Emma s'engouffra sur la route menant à la forêt, voulant être seule. Elle avait de plus en plus mal à la tête, et sa vue se brouillait. Elle en voulait énormément à la brune de toujours la mettre en boîte. Elle sentit une envie de vomir monter brusquement. Elle se gara sur la bas-côté et éteignit sa voiture. Elle reposa son crâne sur l'appui-tête et ferma les yeux. Elle s'endormit comme une masse, incapable de résister à l'engourdissement qui l'étranglait.
Quelques heures plus tard, Mary-Margaret passait par la route où sa fille s'était garée. Elle la trouva affalée sur son siège, la bouche entrouverte, un filet de bave coulant sur le menton. Elle dévisagea la jeune femme, un pincement au cœur. Elle avait l'air éreintée. Elle tapota contre sa vitre, ce qui réveilla la blonde, très confuse. Cette dernière moulina pour baisser sa vitre.
- Maman ? Mais on est où ? Et quand ?
- Chérie, tu vas bien ? Tu m'inquiètes, là.
- Euh… Je… Je…
Emma regardait à droite et à gauche, sans comprendre. Sa mère ouvrit la portière et la fit sortir dehors.
- Respire, tu es pâle.
- On est quel jour ?
- Emma, depuis quand tu es ici ?
- Si je pose la question, c'est que je l'ignore !
- Tu devais avoir une réunion avec l'autre cinglée. Elle t'a fait un truc ? Elle t'a enivrée ? On dirait que tu es bourrée !
- Mais non ! C'était ce matin ? Il est quelle heure ?
- C'est bientôt l'heure du dîner. Emma, qu'est-ce qu'elle t'a fait, l'autre déglinguée du bulbe ?
- Rien. Calme-toi. Il y a eu un accident et je l'ai sauvée. Mais je me suis cognée la tête. Je dois avoir faim, j'ai rien mangé depuis hier. C'est pour ça que je ne suis pas au top de ma forme.
- Et elle ne t'a pas emmenée à l'hôpital ?! Mais je vais la défoncer, la vieille bique ! Elle ne mérite pas ce poste. Tu es trop bien pour elle ! Elle te ferait faire tout le sale boulot, connaissant sa majesté des mouches !
- Tu peux me ramener chez moi ? S'il te plaît.
- Non, tu viens à la maison. Avec ton père, on va vérifier que tu ailles bien. Tu ne tiens pas sur tes jambes, ma puce !
- Mais… non ! Pas besoin, je veux juste être tranquille !
- Je te connais, tu vas te vautrer sur ton canapé, pour picoler et attendre de t'effondrer. Hors de question ! Tu ne vas pas te conduire comme une ado débile ! Tu es adulte et tu as des responsabilités !
Emma fut traînée de force dans la voiture de sa mère et dut subir ses quolibets, ainsi que ses marques d'affection infantilisantes toute la soirée, qui fut fort longue.
Le lendemain, Mary-Margaret se rendit à la pharmacie de Storybrook, pour acheter des médicaments à sa fille. Son mal de tête n'en finissait pas de s'éterniser, et elle était encore assez pâle. L'institutrice pensa à une mauvaise grippe qui traînait, combinée aux mauvais traitements subis à cause de la rudesse de la mairesse. Aussi s'épancha-t-elle plus que de mesure avec la pharmacienne, qui n'en perdit pas une miette. Cette dernière était connue pour son penchant envers les ragots, et ceux-ci étaient croustillants et de première main ! Mary-Margaret savait pertinent bien que tout Storybrook serait bientôt au fait des cruautés subies par sa fille. Elle grossit le trait au maximum, faisant passer Regina pour la pire des tortionnaires. Ce fut une véritable débauche de mauvais goût.
- Vous vous rendez compte ? Madame le maire, qui ne devrait plus tarder à être éjecter par notre famille, ne l'a même pas remerciée correctement pour l'avoir sauvée ! Elle aurait mieux faire de s'abstenir, tout aurait été bien plus simple !
- C'est horrible ! Cette sorcière mériterait l'échafaud !
- Bien sûr ! D'ailleurs, cela pourrait être un châtiment public convenable, pour notre prochaine kermesse. Les habitants ont besoin de nouveautés.
- Un lynchage public ! Cela faisait bien longtemps !
- Oui, avec la fanfare pour accompagner sa marche funeste. Ce serait d'une classe folle.
- Je suis tout à fait d'accord. D'ailleurs, j'ai voté pour vous ! Voulez-vous des pansements en plus pour Emma ? Cette chère âme doit en avoir besoin, avec tous les coups qu'elle se prend…
- Oui, merci. Elle ne se défend même plus, elle n'est plus que l'ombre d'elle-même. Je suis sûre que la sorcière lui a jeté un sort, pour qu'elle ne rue pas dans les brancards, afin d'être réélue.
- Il faudrait pouvoir lui clouer le bec. Du goudron et des plumes ?
Mary-Margaret regarda la pharmacienne bêtement.
- Nous ne sommes pas des cowboys… Un bûcher semble nettement plus indiqué !
- Mais bien sûr, où avais-je la tête ?
Non loin de là, entre deux rayons, Zelena se faisait toute petite. Ainsi, l'institutrice prévoyait de se débarrasser de sa sœur ?! Elle reposa le tube de crème contre les hémorroïdes, et s'empressa de sortir. Il fallait qu'elle prévienne sa frangine que la défaite n'était pas une option, si elle voulait en sortir vivante. Et qu'Emma n'était plus dans la course, seulement sa timbrée de mère aux commandes. C'était digne d'un vrai film catastrophe. Elle allait devoir y mettre son grain de sel, pour remettre les compteurs à zéro. Il était hors de question que la blonde s'en sorte aussi facilement, en envoyant sa mère faire le sale boulot. Les charmant étaient vraiment une plaie suintante et purulente. Un petit sourire naquit sur ses lèvres. La vengeance est un plat qui se mange froid.
