Je reviens après une longue absence.

Bonne lecture.

Merci de me suivre.


RENCONTRE


J'étais stressé, l'ambulance allait bientôt arriver, June avait eu des contractions durant sa sortie quotidienne.

J'allais devenir père.

C'était au-delà de tout ce que j'avais pu rêver. Je ne savais quoi en penser mais je ne pouvais m'empêcher d'être heureux malgré le fait que je savais que ce serait éphémère et douloureux.

Car cet enfant n'était pas le mien. Il serait accueilli dans les bras de Serena.

Je patientai près de la grille, fébrile. J'avais un besoin viscéral de la toucher, de vérifier si elle allait bien. Depuis que j'étais revenu du Canada j'avais pris mes distances. C'était dur de la considérer comme mienne alors que j'étais marié et elle aussi. Nos conditions différaient mais c'était bien réel.

J'aperçus l'arrivée du véhicule. En ouvrant la porte, je découvris June qui me sourit avec complicité. Un lien invisible nous unissait, je percevais son affection, je m'en nourrissais. Nous allions être uni pour la vie à travers cette nouvelle vie qui allait arriver. Je n'eus aucun scrupule à l'entourer de mon bras pour l'aider à monter les marches menant chez les Waterford, elle était enceinte, elle était précieuse. Je pouvais exprimer ma tendresse sans que cela ne parut bizarre aux yeux de tous ces spectateurs venus constater ce miracle.

Quand Serena déboula avec ses sacro-saintes paroles inutiles et hypocrites, elle mit un terme brutal à ce moment unique. J'eus envie de la virer, horripilé par notre bonheur qu'elle s'octroyait. June parvint à l'envoyer sur les roses et nous reprîmes le chemin jusqu'à l'intérieur. Je dus l'abandonner à la porte de sa chambre, elle devait se changer et revêtir la tenue virginale de la naissance. Un simulacre que June supportait mal aussi.

Quand elle fut hors de ma vue, je repris mon rôle de gardien et d'œil. J'en avais trop vu dans cette maison, Waterford était ingérable et je craignais le pire pour mon enfant. Non, je devais me ressaisir, je devais accepter que June serait bientôt contrainte de partir. Je ne savais pas ce que j'allais faire ensuite. Cela me mettait à mal. Mon avenir était tout tracé avant que June ne fasse une razzia dans ma vie. Elle avait tout emporté sur son passage, ma loyauté, mon cœur, mes principes, mes convictions.

Si elle disparaissait de ma vie, que me resterait-il ? Que pourrais-je bien faire de l'héritage qu'elle m'avait laissé ? Comment pourrais-je participer à sa rébellion si elle n'était pas là pour m'encourager ? Comment gérer cette dualité constante qui me déstabilisait ?

Et comment pourrais-je gérer ma paternité avortée alors même que la chaire de ma chaire serait sous mes yeux en permanence ?

Que de questions que je ressassais nuit après nuit, allongé auprès d'une gamine étrangère. J'étais témoin d'un système défaillant qui permettait à certains de contourner les règles et souiller tout ce qui avait été mis en place, Waterford le premier.

Il était dans le salon, lui et les autres commandants se congratulaient, fiers d'avoir réussi à mettre en place un système qui fonctionnait si bien dans lequel les femmes se taisaient, subissaient, humiliées, effacées par leur conjoint. Au contact de June, j'avais appris à voir les failles de ce système auquel je croyais à la base. Sauf que je savais bien que tout ce pataquès autour de la cérémonie était de la poudre aux yeux pour faire tolérer à leurs épouses leur infidélité.

Une polygamie masquée en somme.

Je les observais se taper dans le dos comme le faisait les hommes il y a quelques décennies, n'assistant pas à l'accouchement de leur compagne, se contentant de les laisser souffrir seules et d'attendre patiemment avec un verre que le bébé leur tombe dans les bras sans le moindre effort. Je ne pensais qu'à June. J'aurais aimé lui tenir la main, la rassurer, voir naître notre bébé, la soutenir quand il l'emmènerait loin d'elle.

Cette idée me dévastait. J'aurais préféré mille fois les savoir loin de Gilead, en sécurité quitte à ne jamais les revoir. J'y avais cru avec Mayday, j'y avais cru.

Rita apparut subitement, tendue, et me transmis un message qui provoqua du soulagement chez moi. Waterford perdit son sourire quand je lui fis part de la nouvelle. Un voile d'inquiétude se profila sur son visage qu'il cacha rapidement. Que craignait-il ?

Toute l'effervescence retomba, la foule masculine se dissipa peu à peu. Les femmes cantonnées à la cuisine et à la salle de naissance se dispersaient elles aussi. Je fis en sorte que chacun reparte à bon port. Je n'aperçus pas June. Elle devait être remontée. Serena était pâle comme la mort. Elle monta à l'étage, sûrement pour ôter cet accoutrement virginal ridicule. Je devais être vigilant, je sentais que la tension de Serena était annonciatrice de catastrophe, elle supportait mal la défiance de June. Elle avait deux facettes et il n'y avait rien de pire car on ne savait sur quel pied danser avec elle.

Elle était dangereuse, obsédée par son désir de maternité au point de me demander de concevoir un enfant avec sa servante dans la plus grande clandestinité et illégalité.

Quand la foule ne fut qu'un lointain souvenir, je voulus m'éclipser pour aller voir comment June allait, c'était sans compter sur Eden. Elle était partout, comme une ombre. Elle me proposa à manger, je refusai, préférant rentrer chez moi. Nous étions en fin de journée de toute façon et le commandant m'avait fait comprendre qu'il n'avait plus besoin de mes services.

Assis sur le rebord de ma fenêtre, je guettai la chambre de June, je guettai le moindre signe de sa présence. Elle apparut enfin, adossée aussi à sa fenêtre. Elle ne me voyait pas, me donnant son dos. Elle resta ainsi longuement, probablement soulagée mais soucieuse comme je pouvais l'être. Je ne savais pas de quoi demain serait fait. J'aimerais que nous soyons que nous trois. Loin d'ici, dans un monde imparfait mais plus libre et moins hypocrite.

Je finis par aller fumer, j'avais renoncé à fumer à l'intérieur pour ne pas incommoder Eden, elle était jeune, elle ne méritait pas d'être intoxiquée de la sorte. Je ne savais pas quel avenir se profilait pour elle, ni pour moi. Accoudé à la balustrade, je tirais tranquillement sur ma clope quand je l'aperçus dans les bras du nouveau gardien. Ils partageaient une douce étreinte et s'embrassaient en oubliant le monde environnant. C'était risqué mais je comprenais. Ils s'étaient trouvés, et j'en fus soulagé. Elle avait besoin d'affection, tout le monde méritait d'être aimé. Si tant est-ce qu'il s'agisse d'amour entre eux. Étonnamment, je n'avais rien vu arriver, trop concentré sur June.

Eden remarqua ma présence et paniqua, quittant les bras de son prétendant. Elle courut vers notre maison, je rentrai à l'intérieur, et s'ensuivit une discussion des plus pénibles quand elle franchit le seuil. Eden n'était pas stupide, elle avait compris que c'était June qui monopolisait toute mon attention et mon affection, mon désamour pour elle prenait tout son sens à ses yeux. J'étais rôdé pour mentir, je démentis calmement pour ne pas paraitre suspect et elle plongea en pleine abime spirituel et émotionnel. J'avais frôlé la catastrophe. J'avais encore frôlé le mur.

Elle pleura longuement, une bonne partie de la nuit. J'étais sorti plusieurs fois du lit, exaspéré et inquiet. Je ne la connaissais pas, il était difficile de prévoir ses réactions, je devais être vigilant avec elle. C'était une question de vie ou de mort.

Quand Waterford réclama mes services dans la matinée, je me montrais circonspect. Sa requête était inhabituelle et semblait sortir encore des limites. Un signal d'alarme résonna dans ma tête, cependant, l'idée de passer du temps seul avec June me réconfortait. Elle apparut près de la voiture, livide et absente. Elle ne me jeta pas un seul coup d'œil et grimpa dans le SUV sans un mot. Le long du trajet enneigé, je tentai de lui tirer les vers du nez, de plus en plus stressé, elle n'était pas dans son état normal. Que lui avaient-ils fait, bon sang ! Les pires scenarii se dessinaient dans mon cerveau, conduisant par automatisme. En arrivant au lieu de rendez-vous, je ne compris pas ce que nous faisions devant cette bâtisse abandonnée. Il y avait une autre voiture, quelqu'un attendait. Mais attendait quoi ? Qu'est-ce que June avait à voir avec tout cela ?

Le choc fut rude en découvrant sa fille et sa martha qui patientaient dans un grand salon vide. Elles attendaient son arrivée à l'évidence. Comment Waterford avait réussi ce tour de force ? June retrouva des couleurs et son bonheur était douloureux à voir tant cette rencontre était intense. J'assistais à leurs retrouvailles, soucieux et ému. J'aperçus une autre facette de la vraie June, elle était une mère avant tout, et elle devait faire face aux reproches de sa fille. Il était difficile pour moi d'être confronté aux dommages causés par ces adoptions forcées, séparant des êtres qui s'aimaient de manière inconditionnelle. Et elle allait subir cela une nouvelle fois quand Serena s'approprierait notre bébé. Supporterait-elle encore pareil préjudice ?

Le gardien présent à mes côtés regarda sa montre et demanda à la martha de regagner la voiture avec Hannah. Cela me ramena sur Terre, nous étions en danger ici, il fallait que nous rentrions nous aussi. Mais June ne l'entendit pas de cette oreille. Elle avait encore besoin de temps pour dire au revoir à sa fille. Y parviendrait-elle ? C'était pourtant évident, elle y était parvenue, elle avait une force surhumaine, une volonté qui forçait mon admiration. Une fois sa fille rassurée et repartie, je fis tout mon possible pour la faire rentrer à l'intérieur. Nous avions perdu beaucoup de temps même si c'était le temps dont elle avait besoin pour lâcher prise et faire une croix sur sa fille. Elle s'effondra dans la neige, une fois le véhicule hors de vue, elle était dévastée. Réellement. Un véritable champ de ruines. Je tentai de la soutenir, de la relever, de l'entrainer à l'intérieur, le cœur en vrac. Son chagrin était le mien. Elle n'arrivait pas à avancer, elle m'agrippa avec violence, s'accrochant à moi pour ne pas faire naufrage.

J'étais tellement désolé, abimé par ses larmes, par son renoncement. Il fallait…

J'entendis des bruits de moteur. Des voitures arrivaient !

-Viens, June, il faut rentrer.

Elle parut percuter, me suivit, et se laissa guider vers une pièce dans laquelle je lui demandai de rester cachée.

-Je reviens vite.

Une promesse que je n'aurais pas dû faire car à peine les deux gardiens en face de moi, je compris qu'il y avait un problème, je ne les connaissais pas, ils venaient sûrement d'un autre district proche d'ici et se questionnaient sur ma présence ici. Mes réponses ne les avaient pas convaincus, ils me soupçonnaient sûrement de faire partie de la résistance car il y avait une rumeur selon laquelle certains des nôtres avaient retourné leur veste.

Putain ! je ne pouvais pas laisser June ici seule, livrée à elle-même alors qu'elle pouvait accoucher à tout moment, je devais trouver une solution !

Je n'eus pas le temps de me défendre car ils me tombèrent dessus sans prévenir et ce fut le néant.


La suite quand je pourrai

il reste encore deux chapitres pour cette saison 2