Une main émerge de sous les couvertures pour chercher, à tâtons, le téléphone qui vibre depuis cinq bonnes minutes maintenant. Alix grogne en sortant la tête de sous son oreiller et, les yeux encore mi-clos, elle tente vainement d'éteindre le réveil. Pourquoi a-t-elle accepter de sortir hier soir en sachant pertinemment qu'elle commençait à midi, aujourd'hui ? Mais surtout, pourquoi a-t-elle autant bu ?

Elle vient essuyer son front mouillé de sueur en se redressant dans son lit. Mauvaise idée. A peine était-elle assise que déjà, son estomac se réveille violemment et sa tête se met à tourner. Elle a envie de vomir. Ou de mourir. Ou les deux. Sa bouche est pâteuse, elle sait qu'elle devrait boire de l'eau mais n'est pas certaine que son estomac la garderait. Elle veut se recoucher, replonger dans un sommeil sans rêve et ne plus bouger pendant les douze heures à venir. Soupirant, elle repose la tête sur l'oreiller, pose un bras sur son visage pour protéger ses yeux de la lumière perçant à travers les volets.

Et merde. Qu'est-ce qui lui est passé par la tête, hier soir ? Les souvenirs sont flous et Alix n'est pas sûre de ce qu'il s'est passé exactement ? Les yeux fermés, la respiration hachée, elle soupire et les souvenirs finissent par affluer dans son esprit. Le sourire de Kim et son air débile. Le concours de shoot, la tête de Kim sur son épaule, et ce pari stupide. Luka et son air tendre, Luka et ses lèvres. Et puis Kim. Encore et toujours Kim.

Ses yeux s'ouvrent brusquement, en grands et ses joues se colorent légèrement en se remémorant les évènements de la soirée dernière. Tout le monde l'a vu se frotter à Luka. Mais surtout, tout le monde a vu sa langue se fourrer dans la bouche du garçon. Elle s'est comportée comme un putain d'animal en chaleur et elle n'est pas sûre de pouvoir un jour croiser le regard de quiconque était à la soirée.

Roulant sur le ventre, la jeune femme aux cheveux roses se laisse glisser hors de son lit. Ses jambes sont faibles et la soutiennent difficilement. Faisant mentalement la liste de tous les verres qu'elle a bu hier, Alix sent son ventre se retourner et l'envie de vomir monter inexorablement. Elle a à peine le temps de rejoindre les toilettes pour vider le contenu de son estomac. Elle n'a pas beaucoup mangé, hier soir, et très vite, elle n'a plus rien à vomir. La bile brûlante remontant le long de son œsophage lui arrache quelques larmes et, sentant les spasmes de sa gorge se calmer, Alix s'essuie la bouche avec son avant-bras, reposant contre la cuvette des toilettes.

Et merde. Dans quelle merde s'est-elle fourrée, avec toute cette histoire ? Ses amies doivent la prendre pour une ivrogne couplée d'une nymphomane, et Luka doit avoir bien pitié d'elle, compte tenu des révélations de la nuit dernière. Leur conversation lui revient en mémoire d'un coup et elle laisse échapper un long grognement. La honte. Comment a-t-elle pu lui raconter cette histoire avec Jalil ? Et l'accident ? Et les problèmes du paternel ? Il ne la connaît pas, elle ne l'a jamais vu qu'en compagnie de Marinette. Pourtant, hier soir, elle lui a confié ses peurs et ses traumatismes, ceux dont elle ne parle jamais, à personne. Personne, dans la classe de Madame Bustier, ne sait pourquoi Alix est arrivée en cours d'année, alors qu'ils étaient en CM1, pourquoi elle était plus âgée et pourquoi on ne l'avait jamais vue avant. Alix a toujours eu peur d'inspirer la pitié. Elle se considère comme une fille forte et indépendante et elle ne veut surtout pas qu'on fasse preuve de charité à son égard.

Une main vient frapper son front avant de frotter ses yeux alors qu'elle geint toujours, seule, à genoux devant la cuvette des toilettes. Ce n'est que dix minutes plus tard qu'elle trouve enfin la force de se lever et de se traîner dans la cabine de douche. Avec un peu de chance, l'eau chaude va l'aider à surmonter cette journée.

Une fois lavée et habillée, Alix regarde l'heure sur son téléphone portable. Elle commence dans moins d'une heure et n'a pas pris le temps de manger... Elle ne sait pas si elle a faim, son ventre étant encore secoué par tout l'alcool ingurgité il n'y a même pas douze heure. Passant une main dans ses cheveux humides, la jeune femme les attache en un chignon relâché avant de chercher son sac à main dans toute sa chambre. Elle finit par le trouver sous son lit et se demande comment il a bien pu arriver là. Comme après chaque soirée, elle vérifie que tout est encore à sa place. Il y a deux ans, elle a perdu son portefeuille en pleine nuit et fait, depuis, très attention. Les clefs sont sur la porte, son téléphone dans la poche de son jean. Elle a bien son portefeuille également. En l'ouvrant pour checké les cartes, elle voit dépasser deux billets de vingt euros. Surprise, elle les sort pour les observer. Son porte-monnaie ayant souffert de l'achat des bières, il est peu probable que cet argent soit le sien. Et pourtant, en regardant les billets avec attention, elle trouve, rangé entre les deux, un vieux post-it abîmé. Elle peut y lire « merci pour le rhum, avec sa tu pourras t'acheter tout les macaron que tu veut »

Et Alix sourit. Le mot n'est pas signé mais elle sait de qui il vient. Il n'y a qu'un seul homme assez con pour glisser de l'argent dans son porte-monnaie et faire autant de fautes d'orthographe. Kim. Le cœur d'Alix se sert en repensant au dernier regard qu'ils se sont échangés. Elle ne sait pas comment interpréter les démons qu'elle a vu danser dans ses yeux, mais son âme saigne à l'idée de l'avoir blessé. Pourtant, elle reste en colère contre lui et ce défi futile. Que doit-elle faire à présent ? S'expliquer avec lui ? Oublier tout ce qu'il s'est passé ? Non. Ça ne marche pas comme ça, entre eux. Lorsqu'un défi est lancé, il ne peut être avorté, qu'importe ce qu'il en est. Alix va devoir coucher avec Luka, simplement pour prouver à Kim que même si lui est complètement aveugle, d'autres hommes sont capables de la trouver attirante. Et ça doit être le cas de Luka, non ? La façon dont il l'a embrassée, même s'il pensait probablement à Marinette, témoigne d'une certaine électricité entre eux. Il ne l'aurait pas dévoré ainsi s'il la trouvait dégueulasse, essaie-t-elle de se convaincre en quittant l'appartement, une pomme à la main, pour rejoindre la boulangerie Dupain.

Alix essaie de se tenir droite, derrière le comptoir principal de la boulangerie la plus réputée de la capitale. Elle ne veut surtout pas donner une mauvaise image des lieux, même si un mal de tête carabinée et un estomac à l'envers lui donne envie de se coucher par terre et de dormir sur le carrelage froid.

L'adolescente soupire. Il n'y a pas un chat, en ce dimanche après-midi et en deux heures, elle n'a vu que dix clients. La journée risque d'être longue, jusqu'à dix-neuf heures. Seule dans la boutique, elle se permet de regarder son téléphone, posée devant elle sur le comptoir. Le message envoyé à Kim, pour le remercier pour l'argent, demeure sans réponse. Alix se rassure en se disant qu'il n'a probablement pas vu le message et qu'il doit encore ronfler sur le canapé d'Adrien. Pourtant, au fond de son estomac, une douleur piquante lui rappelle leurs derniers échanges. De nouveau, Alix soupire et son esprit divague. Le visage de Kim apparaît, son sourire nigaud et ses yeux charmeurs. Et puis celui de Luka prend sa place, ses yeux perçants, sa voix apaisante, et ses lèvres contre les siennes. Alix ouvre l'application facebook sur son téléphone et cherche Luka dans les amis de Juleka. Elle hésite un instant et lui envoie une demande d'ami avant de ranger son téléphone, un client venant d'entrer.

Elle porte un sourire de circonstance mais l'envie de vomir est de plus en plus forte. Manger cette pomme n'était finalement pas l'idée du siècle. Ses doigts pianotes sur le comptoir tandis qu'une petite vieille regarde avec attention toutes les pâtisseries présentées avant de lui dire :

« Je vais prendre trois éclairs au chocolat et une tarte au citron. »

« Il n'y a plus d'éclair au chocolat, je suis désolée madame… »

« Oh…attendez je regarde… »

Et la voilà qui refixe la vitrine. Alix se retient de lever les yeux au ciel. Elle voit bien qu'il n'y a pas d'éclair au chocolat, non ?

« Vous avez des tartes aux pommes ? »

« Tout est devant vous madame. » répond-elle le plus neutrement possible. Finalement, la vieille dame repart avec simplement sa tarte au citron dans une jolie boite et Alix sursaute en sentant son téléphone vibrer dans la poche arrière de son jean. Kim a dû émerger ! Fébrilement, Alix attrape son téléphone et le déverrouille. Ce n'est pas Kim, mais Luka, qui non seulement a accepté sa demande d'ami mais vient en plus de lui envoyer un message ! Un sourire se dessine sur ses lèvres lorsqu'elle le lit.

Luka Couffaine : Alors, pas trop dur, le travail ?

Alix Kbd : Ne m'en parle pas ! J'ai cru que j'allais étriper une vieille !

Alix répond et immédiatement, les trois petits points caractéristiques laissent rapidement place à la réponse du garçon. Très vite, les deux jeunes gens se mettent à échanger de nombreux messages.

Luka Couffaine : Ah oui, carrément…

Luka Couffaine : Plus sérieusement, ça va ? Tu te remets ? C'était pas la grande forme hier…

Alix Kbd : Je sais…je me demande comment je ne suis pas encore morte de honte !

Luka Couffaine : Mais non, ça va, c'était cool. Tu étais cool. On redanse sur le king quand tu veux, ça faisait longtemps que je ne m'étais pas amusé comme ça.

Alix Kbd : Honnêtement, pareil pour moi. J'étais hyper stressée par les cours et cette soirée m'a détendue ! Grâce à toi

Luka Couffaine : Je suis honoré de l'apprendre. Ju est rentrée il y a une heure avec Rose et elles ronflent toutes les deux sur la terrasse avant du bateau. Attend, je t'envoie une photo !

Alix reçoit alors un selfie de Luka. Derrière lui se trouvent les deux filles qui semblent dormir à poing fermé et ce malgré le soleil. Alix rit et lui répond par un selfie d'elle-même devant les baguettes de pain. S'en suit un concours de grimace par téléphones interposés, interrompu trop vite à son goût par Luka, qui doit aller aider sa mère.

Alix Kbd : Quel gentil garçon ! À plus tard !

Luka Couffaine : À plus tard, terreur !

À peine repose-t-elle son téléphone que la sonnerie de la porte retentit. Alix lève la tête pour tomber sur les mines fatiguées d'Alya et Marinette. Les cheveux de Marinette sont humides et tombent sur ses épaules mais elle est habillée, fidèle à elle-même. Alya, quand à elle, porte un vieux pantalon de jogging trop grand pour elle et un pull. Elle semble disparaître sous les couches de vêtements et se met à bailler en entrant dans la boulangerie.

« Alix ! Ça va, tu tiens le coup ? » demande la sino-française en souriant avec douceur. Marinette a toujours été tellement bienveillante qu'Alix se demande parfois où elle trouve toute l'énergie qu'elle met à prendre soin des autres.

« M'en parle pas, je suis au bout de ma vie…en plus y'a personne pour me tenir éveillée ! »

« Tom et Sabine ne sont pas là ? » demande Alya en regardant autour d'elle. Normalement, le père de Mari traîne toujours dans le coin.

« Ils s'occupent de la réception du maire. » lui réponds Marinette et Alix ne comprend toujours pas pourquoi le maire a décidé de faire cette réception pour les fiançailles du prince Ali un dimanche.

« Et vous ? Ça va ? Vous rentrez tard ! »

« J'ai eu du mal à réveiller Alya, elle ronflait tellement fort sur le canapé que le Gorille n'osait plus rentrer dans le salon…il a dû renvoyer la femme de ménage ! »

« Oh je vois…Kim dormait toujours quand vous êtes parti ? » Alix s'interroge. Son meilleur ami ne lui a toujours pas répondu et il est à présent presque quinze heures. Certes, il a tendance à hiberner, mais tout de même ! Alors qu'Alya et Marinette échange un regard lourd de sous-entendu, Alix fronce les sourcils.

« Quoi ? »

« Bah…Kim est parti hier, pas très longtemps après toi. Et il était hyper énervé. Max dit qu'il a l'alcool mauvais en ce moment…Vous vous êtes disputé ou un truc dans le genre ? » demande Marinette et le ventre d'Alix se tort. Elle s'imagine les pires scénarios et se promet d'envoyer un message à la sœur aînée de Kim, qu'elle connaît bien, dès que les deux filles se retireront dans l'appartement des Dupain-Cheng. Alors qu'elle est sur le point de répondre, Alya prend la parole. Sa voix monte dans les aïgues comme à chaque fois qu'elle est excitée, ou qu'elle tient un scoop.

« Mais au lieu de parler de Kim, parlons de toi, ma grande. De toi et de Luka ! » Les joues d'Alix s'empourprent alors qu'elle lance un regard gêné à Marinette qui comprend immédiatement les raisons de son malaise. La brune écarquille les yeux et secoue les bras.

« Ah non, non, ne t'inquiète pas pour moi, Luka c'est du passé, je suis sous Adrien, je veux dire avec Adrien maintenant ! »

Alya balaye d'un geste de la main l'attitude de sa meilleure amie pour reprendre.

« Entre la danse et ce baiser, là, je VEUX savoir ce qu'il s'est passé quand vous êtes partis ! Mais surtout je veux savoir depuis quand tu as le béguin pour lui ! » Alya parle comme une adolescente de quinze ans face à ses premiers émois et Alix lève les yeux au ciel.

« Il ne s'est rien passé. Il m'a raccompagnée, on a discuté, c'est tout. Et je n'ai pas le béguin pour lui. Il est cool, il danse bien et c'était une action ! C'était moi ou Juleka… » Marinette l'observe du coin de l'œil d'un air dubitatif.

« Tu sais, ce n'est pas le genre de Luka, de jouer avec les sentiments des gens…C'est quelqu'un de bien. » et Alix se sent soudainement horriblement mal. Parce que c'est elle, qui est entrain de jouer avec ses sentiments. C'est elle qui cherche à coucher avec lui uniquement pour assouvir son besoin de victoire.

« Non mais vous iriez trop bien ensemble ! Déjà, vous êtes trop beaux. Vos cheveux se marient trop bien, et il fait pile la bonne taille pour toi. Et vous avez les mêmes goûts ! »

Et Alya se met à délirer. À l'écouter, Alix est déjà mariée à Luka et cette idée l'angoisse. Même si, à bien y réfléchir, discuter par message avec le garçon a égayé sa journée.

« Je suis d'accord avec Alya, ajoute Marinette, il y avait un truc entre vous hier soir…Mais au-delà de ça, je suis contente de voir que tu as pu te libérer un peu, hier. Tu es tellement tendue, en ce moment. »

Alix grince des dents. Marinette et son tact légendaire. « Je bosse à fond mes dossiers pour la fac et le bac se rapproche, Mari…Entre ça et… »

« et le boulot à la boulangerie, oui, je sais, je le connais par cœur, ce discours. Mais essaie de sourire un peu plus. La bonne vieille Alix me manque… » avoue-t-elle en baissant les yeux et les mots de la brune retentissent douloureusement dans la poitrine d'Alix. Cela fait longtemps maintenant qu'elle a le sentiment de se perdre. Mais entendre ses amis le dire, c'est encore pire. Et alors qu'elle cherche quoi dire, quoi répondre, son téléphone vibre et l'écran s'allume. La curiosité d'Alya la pousse à se pencher en avant pour regarder le fond d'écran d'Alix (une photo d'elle, Max et Kim prise l'été dernier à la plage) mais surtout, les notifications.

« AH ! Tu vois ! Je l'avais dit, Mari ! C'est Luka » Alya est triomphante et les joues d'Alix rosissent de nouveau en attrapant son téléphone. Alya essaie de lire les messages et Alix se retourne, derrière le comptoir, pour être à l'abri.

Luka Couffaine : J'ai oublié de te dire, terreur, mais mercredi, il y a une répet' pour le concert qu'on donne le week-end prochain

Luka Couffaine : essaie de passer, si tu n'es pas trop prise avec tes études

Luka Couffaine : Ça me ferait plaisir de te voir

Et Alix sourit comme une idiote devant son téléphone, au plus grand plaisir d'Alya qui n'en rate pas une miette. Qu'Alix ose encore dire qu'il n'y a rien, pense-t-elle en suivant Marinette à l'étage.

Alix kbd : Je serais là, gentil garçon