Il peut paraître étrange de dire connaître une personne sans ne lui avoir jamais parlé, mais en ayant pris son apparence. Et c'était pourtant bien le cas d'Hermione vis-à-vis de Mafalda Hopkrik. Fidèle à elle-même, Harmony avait trouvé la situation burlesque. En ce qui concernait Hermione, ça lui rappelait surtout un épisode qu'elle aurait préféré laisser de côté. Elle n'avait jamais rencontré officiellement Mafalda, et ce même après la guerre. Elle n'avait jamais eu l'occasion d'expliquer pourquoi elle avait eu besoin de prendre son apparence il y a quatre ans après l'avoir laissée endormie et abandonnée dans un théâtre. Qui plus est, ni elle ni Harry ni Ron n'avaient eu de nouvelles des retombées de leur intrusion au ministère afin de récupérer l'Horcruxe. Ainsi l'idée même de se retrouver devant Mafalda pour lui poser des questions sur le procès d'Ombrage et obtenir des informations sur de potentielles corruptions avait de quoi mettre mal à l'aise Hermione.
Harry pensait et probablement à juste titre qu'il valait mieux qu'il garde ses distances. Son poste d'auror pourrait jouer en leur défaveur et il serait plus difficile de passer inaperçu si deux journalistes, dont Hermione Granger accompagnée de son ami de toujours Harry Potter se rendaient ensemble interroger une employée du ministère sous le nez d'Ombrage. En attendant, il allait tenter de parler avec Kingsley Shacklebolt et lui demander ce qu'il savait sur le procès.
Harmony avait pris l'opération Mafalda en main et lui avait envoyé un hibou pour lui proposer une interview personnelle en tant que femme au ministère de la Magie. Hermione n'avait pas été convaincue par l'approche, mais à son grand étonnement une réponse de Mafalda leur était parvenue. Elle acceptait l'entrevue et leur donnait rendez-vous dans son bureau au niveau 2 du ministère, jeudi après-midi. En réalité, Harmony s'était bien gardée de donner le nom d'Hermione, tout du moins de le rappeler dans son courrier. Il était certes facile de faire le lien entre les deux jeunes femmes. Pour cela, il suffisait d'ouvrir la Gazette du sorcier. C'était la hantise d'Hermione, mais Harmony se voulait très rassurante et optimiste. Il leur restait plus qu'à attendre et à définir leur angle d'approche pour la faire parler.
Entre-temps, Harry avait pu s'entretenir avec Kingsley. Ils se retrouvèrent dans un café moldu, à deux rues du ministère. Ils préféraient éviter d'être vus ensemble. Encore une fois, leur relation n'aurait pas résisté à la moindre petite enquête. Mais mieux valait ne pas éveiller les soupçons, ne pas rappeler qu'ils étaient encore là et qu'ils formaient un groupe. Harry leur avait donc rapporté sa conversation avec l'ancien membre de l'Ordre du Phoenix :
– Kingsley m'a dit qu'il n'avait pas pu lui-même assister à l'audience. Il m'a également confié ne pas avoir de souvenirs exacts de ce jugement.
Les procès à la fin de la guerre s'étaient en effet déroulés en plusieurs phases. Tout d'abord, la priorité avait été portée sur les Mangemorts qui avaient survécu. Certains avaient cependant disparu comme Corban Yaxley et son procès par contumace avait été hautement médiatisé. Il restait encore maintenant, un des sorciers les plus recherchés par l'ensemble de la Communauté Magique Internationale. En parallèle, les procès des différents membres du ministère de la Magie ayant pris part aux crimes des Mangemorts s'étaient déroulés plus discrètement. Le nouveau ministère avait ainsi tenté de préserver le peu de confiance qui restait à leur encontre. Finalement, ces procès s'étaient terminés avec les cas de collaboration des sorciers et sorcières civils.
– Par toutes les sorcières de Salem, j'ose espérer qu'avec un système judiciaire pareil, vous vous abstiendrez maintenant de donner des leçons lors des prochains rassemblements de la Communauté Magique Internationale.
Harry et Hermione lancèrent à Harmony un regard interloqué.
– Je ne comprends déjà pas comment vous pouvez encore fonctionner avec une justice aussi peu indépendante du pouvoir en place. Le Magenmagot est même présidé par le ministre de la Magie lui-même.
Harry en savait quelque chose. Il avait été jugé avant sa rentrée en cinquième année par Cornelius Fudge pour s'être défendu contre des détraqueurs. L'implication politique de Fudge avait largement influencé le déroulement de l'audience et sans l'intervention d'Albus Dumbledore, il aurait été renvoyé de Poudlard.
– Je ne comprends pas comment le conseil de Démangification a pu laisser passer cela. Ça rend le témoignage de Mafalda primordial. Il faut absolument qu'on sache ce qui a pu se dire pendant le procès.
Plus jeudi approchait, plus les nerfs d'Hermione étaient tendus. Un matin, elle arriva à la rédaction un peu plus tard que d'habitude. Elle avait passé la nuit chez Olivier Dubois. Ce n'était pas dans ses habitudes de découcher pendant la semaine justement pour éviter de casser sa routine et d'arriver en retard au travail le lendemain. La soirée s'était relativement bien passée. Elle avait besoin de se détendre et de penser à autre chose. Probablement, qu'une conversation sur les matchs de Quidditch n'était pas le meilleur candidat, mais elle s'en était accommodée faute de mieux.
En traversant la rédaction, elle remarqua que ses collègues la suivaient du regard. Elle se sentit immédiatement gênée et pensa que c'était vraisemblablement dû à son retard inhabituel. Harmony discutait assise sur le bureau de Betty. Les deux femmes avaient l'air d'avoir une conversation assez animée. Elles se turent en apercevant Hermione. Celle-ci leur dit bonjour et devant l'air consterné de ses deux collègues elle finit par ajouter :
– Bon, je sais que je suis en retard, mais je trouve cet accueil quelque peu démesuré !
– Ma chérie, lui répondit Betty Braithwaite, ce n'est pas ton retard qui nous préoccupe.
– Tu devrais t'asseoir.
Et joignant les gestes à la parole, Harmony descendit du bureau, désigna le fauteuil libre d'une main et tendit un magazine à Hermione. C'était Le Chicaneur de cette semaine. Hermione s'en saisit et s'assit laissant tomber sa sacoche par terre.
Elle eut tout d'abord un choque, car c'était sa propre image qui ornait la première page. En grosses lettres, le magazine titrait « Hermione Granger : un portrait par une proche et consœur Rita Skeeter »
Hermione en fit une lecture rapide. Évidemment, l'article était un tissu de mensonges. Mais ce qui l'interpella le plus était le passage à propos de ses origines nées-moldues.
« Hermione Granger est en effet d'origine moldue. J'ai pu à plusieurs reprises rencontrer ses parents. Ce sont de braves gens bien entendu, mais ils n'ont hélas aucune idée de l'icône que leur fille est devenue et des questions qui se posent autour d'elle notamment sur sa réussite. À l'heure où l'origine des pouvoirs magiques est très sérieusement étudiée par d'éminents scientifiques, il est totalement compréhensible de nous interroger sur la légitimité et la place qu'a pu de fait occuper Hermione Granger dans le combat contre vous-savez-qui. »
Hermione respira profondément. Elle savait que Rita Skeeter était prête à tout pour faire parler d'elle. Mais elle ne s'était pas préparée à une telle attaque. Relevant la tête, elle déclara simplement :
– Si Rita Skeeter a rencontré mes parents dernièrement, je veux bien savoir où. J'ai perdu leur trace après la guerre.
Elle reposa l'article sur le bureau de Betty.
– J'ai besoin de prendre l'air.
Elle se dirigea vers la sortie presque en courant. Elle transplana aussitôt et se retrouva au beau milieu de la forêt de Dean. C'était là qu'elle avait emmené Harry un soir et que Ron les y avait rejoints. Mais plus lointain encore, c'était ici qu'Hermione avec coutume de venir avec ses parents en vacances. Elle expulsa la boule de rage en poussant un cri qui transperça le silence de la forêt. Elle entendit les oiseaux prendre leur envol. Des larmes coulaient à présent sur ses joues. Elle aurait voulu avoir Rita Skeeter en face d'elle et la détruire. La colère lui retournait l'estomac. Elle s'assit et fit les exercices de respiration que lui avait conseillé quelques années plutôt la psychomage engagée par McGonagall. Une respiration longue, une expiration. De sa baguette, elle fit pousser une plante. Elle cala sa respiration sur le fleurissement et le flétrissement des bourgeons.
Après plusieurs minutes, elle se sentit plus calme. Il fallait qu'elle revienne à la rédaction et cette fois, elle allait répondre. Elle disparut dans un crac sonore laissant la plante fleurir et se flétrir une dernière fois.
Harmony l'attendait.
– Je suis prête à répondre.
– Veux-tu que je m'en occupe ?
Hermione fit oui de la tête.
– Il faut faire cesser ce débat sur les nés-Moldus une bonne fois pour toutes. Je devrais pouvoir parler avec le groupe de magicochercheurs qui travaillent sur la question de la transmission du pouvoir magique. En ce qui concerne les mensonges et les calomnies, il vaut mieux attaquer directement le Chicaneur. On n'aura même pas à justifier tout l'article. Rita Skeeter est déjà bien connue pour sa presse fallacieuse. Ça va aller ?
Hermione fit oui de la tête.
– Ne t'en fais pas trop. Je doute que les gens se laissent duper par cet article.
Le lendemain après-midi, elles se présentaient devant le bureau de Mafalda. Le secrétaire qui s'occupait de tout le service des Usages Abusifs de la Magie ne se donna même pas la peine de demander qui était la deuxième accompagnatrice.
Hermione était sûre que Mafalda ne verrait pas d'un très bon œil sa visite. Elle ne se trompait pas. À peine était-elle entrée à la suite d'Harmony que Mafalda Hopkrik eut un mouvement de recul.
Harmony ferma la porte et d'un coup de baguette lança un sortilège pour insonoriser la pièce.
– Je n'apprécie pas trop vos manières mes demoiselles ! Vous débarquez sans me prévenir. Vous m'enfermez et isolez mon propre bureau ? Que me voulez-vous ?
Hermione non plus n'était bien sûre d'être très à l'aise avec cette approche. Harmony répondit très calmement.
– On souhaite vous posez des questions sur le procès de Dolores Ombrage et nous ne voulons pas prendre le risque que cette conversation soit entendue et je pense que vous non plus. Siégiez-vous lors de l'audience ?
– Je n'ai jamais assisté à ce procès. Que désirez-vous savoir au juste ?
– Mais c'est pourtant vous là sur cette photographie.
Tout en parlant, Harmony avait sorti la photo de l'article de presse et l'avait posée devant Mafalda. Cette dernière la regarda attentivement :
– C'est bien moi, mais ce cliché n'a pas été pris pendant le procès de Dolores. Probablement un autre. Je ne peux rien vous dire. Puis-je savoir maintenant pourquoi ces questions ?
Harmony leva les yeux vers Hermione. C'était embêtant. L'entretien prenait une tournure qu'elles n'avaient pas prévu. En quelques secondes, Hermione prit une décision et joua cartes sur table :
– Nous cherchons à comprendre comment elle a pu être acquittée et surtout comment son retour au ministère a-t-il pu être possible. Mis à part cet article dans une édition du soir de la Gazette, il n'y a aucune archive de presse qui traite de cette affaire. Nous avons besoin de votre aide. Y a-t-il eu des pressions au sein même du ministère en ce qui concerne Dolores Ombrage ? Avez-vous entendu parler de quelque chose ?
Mafalda la regardait à présent avec attention. Hermione savait qu'elle prenait un risque, mais quelque chose lui faisait penser que la réaction de Mafalda à son entrée dans ce bureau n'était pas due à un zèle inconditionnel, mais bien à de la peur. Elle se rattacha à cette certitude pendant que Mafalda semblait réfléchir.
– Je ne peux rien vous dire. J'ai trop à perdre.
Hermione souffla intérieurement. Elles y étaient presque. Au moins, elles savaient qu'il y avait des pressions. Harmony poursuivit :
– Mrs Hopkrik, je comprends que vous puissiez être effrayée. Réfléchissez bien. Combien de temps pensez-vous être capable de supporter cette pression ? La guerre s'est terminée il y a quatre ans maintenant et vous voilà encore tenue par la peur.
Mafalda détourna le regard et garda le silence. Hermione et Harmony se regardèrent. Il ne fallait pas trop s'attarder. Elles risquaient sérieusement de la mettre en danger et il serait ensuite plus difficile de l'approcher. Elles se dirigèrent vers la sortie :
– Vous savez où nous trouver si vous changez d'avis n'est-ce pas ?
Et au moment où Harmony allait annuler son sortilège de protection, Mafalda les arrêta :
– J'ai dénoncé mon mari en tant que né-moldu. C'était faux. Mais personne ne se donnait la peine vraiment d'enquêter à cette époque. Je l'ai fait parce qu'il me battait depuis des années. Je ne pouvais plus le supporter. J'avais peur qu'il finisse par me tuer. J'ai adressé un hibou anonyme à mon propre service. Vous le savez déjà Miss Granger. J'étais rattachée au service de la confiscation des baguettes des nés-Moldus pendant la guerre. Je n'ai pas assisté à l'audience de mon mari. Tout ce que je sais, c'est qu'entre le temps où ma dénonciation est parvenue au ministère et l'envoi de mon mari à Azkaban, il ne s'est écoulé qu'une après-midi. Le soir, je rentrais chez moi seule. Libre. Mon mari est mort quelques semaines plus tard en prison. Je n'ai pas cherché à savoir comment.
Elle s'arrêta quelques instants.
– J'ignore par quel moyen, mais Dolores l'a su. Elle est venue me voir un soir dans mon bureau. Elle a fait comme vous. Elle a fermé la porte et elle a isolé la salle. Elle m'a fait comprendre qu'avec ce qu'elle savait sur moi, j'avais intérêt à m'assurer qu'elle puisse revenir au ministère après la guerre. À cette période, on commençait à sentir que les Mangemorts étaient en déroute. Et en effet vous et vos amis avez triomphé de vous-savez-qui la semaine qui a suivi. C'était la fin. Tout le monde était en liesse. J'ai reçu le soir même un hibou de Dolores. Le message était simple, mais très clair « souviens-toi Mafalda ». Comme je vous l'ai dit, je n'ai pas assisté à son procès. Par contre, j'ai fait en sorte qu'aucune nouvelle ne soit évoquée dans la presse. Je n'étais pas au courant de cet article. Je ne sais pas comment il a pu fuiter. Je pense ne pas être la seule personne sur laquelle Ombrage a pu faire pression. Mais je n'ai pas d'autres informations. Je peux peut-être trouver quelqu'un qui pourrait vous aider à en avoir.
– Une personne de confiance ? Vous en avez une en tête ?
– Oui. Je vous contacterai.
Hermione avait écouté avec effroi le récit de Mafalda. Ainsi Ombrage avait bien des moyens de pression au sein même du ministère. Elles avaient peut-être une chance de trouver des informations compromettantes.
– Merci pour votre confiance. Je vous promets que nous allons faire notre maximum.
Avant qu'elles ne sortent du bureau, Mafalda leur lança :
– Vous devez réussir. Je ne joue pas que mon poste.
