Puisque la folie te guette.

- CRÉATURE 66 : Le Ténébreux

- Poisson : Personnage : Neal Cassidy / Baelfire (OUAT)

Les bonnes choses ne durent jamais vraiment longtemps.

Neal le savait depuis déjà bien longtemps, rien que sa vie dans la Forêt Enchantée le lui avait bien montré, si les premières années suivant sa naissance avaient été calmes et paisibles, ça n'avait pas duré bien longtemps.

Entre sa mère et sa fuite quand il avait à peine huit ans, la guerre des ogres quand il avait treize ans, son père sombrant dans les ténèbres puis l'abandonnant, l'ombre de Peter Pan l'enlevant aux Darling alors qu'il venait tout juste de se trouver enfin une famille, et tout le reste, tout ce qui avait suivi, il avait fini par comprendre que oui, rien ne durait jamais bien longtemps.

Surtout le positif, tout finissait toujours par s'effondrer un jour ou l'autre.

Il en avait une nouvelle fois la preuve, après avoir passé plusieurs heures à visiter l'ensemble du royaume afin de lancer divers sortilèges de protections, il avait de nouveau revu l'ombre qui le hantait depuis qu'il était devenu le Ténébreux.

Moins d'une journée, il n'avait même pas eu droit à une journée entière sans être obligé d'avoir devant les yeux la copie tordue, sombre et malsaine du père qu'il avait perdu et dont il ne s'était toujours pas remis de la perte.

Comment par tous les dieux, comment son père avait-il pu réussir à tenir aussi longtemps sans sombrer définitivement dans la folie malgré la présence constante de cette ombre autour de lui qui ne se taisait absolument jamais ?

Ou bien dans le cas contraire, comment était-il parvenu à les faire taire, toutes ces voix insupportables qui semblaient ne presque jamais vouloir le laisser en paix alors que c'était la seule chose qu'il voulait ?

La paix, le silence, le calme.

Tout ce à quoi il avait involontairement renoncé en ouvrant le caveau du Ténébreux, et un idiot, il avait été un tel idiot ce jour-là !

Parfois, il arrivait à faire le vide dans sa tête, à ignorer les sarcasmes de l'ombre, à le faire disparaître, au moins pendant un moment, mais ça ne durait jamais assez longtemps pour qu'il puisse réellement avoir au moins un peu de temps pour lui tout seul.

Un jour…

Il n'était le Ténébreux que depuis un jour, et il sentait déjà son esprit partir en vrille, comme si les protections qu'il avait érigées autour de lui étaient en train de toutes se fissurer et s'écrouler au même moment.

Un jour seulement, et il avait déjà le sentiment que quelque chose en lui était en train de sombrer, de s'effondrer, et qu'il ne pouvait absolument rien faire pour empêcher cela.

Alors que son père, lui, avait tenu le choc pendant deux cents ans.

Ou peut-être pas.

Il n'avait pas été là durant les deux cents années en question après tout, il n'était resté qu'un an, et son père commençait déjà à sombrer alors, donc peut-être qu'en vérité, il était effectivement devenu complètement fou.

Après tout, en un sens, quand on y réfléchissait deux minutes, cette quête insensée pour le retrouver, lui, son fils, c'était de la folie pure.

Rechercher son enfant pendant plus de deux cents ans, en espérant que ce dernier soit toujours vivant, ça relevait de l'exploit, et côtoyait dangereusement les rives de la folie.

Sauf que son père, lui, contrairement à Neal, savait parfaitement qu'il le retrouverait un jour, il voyait l'avenir, même si ce n'était que par fragments, et il avait un plan.

Il avait un but, une quête à laquelle se raccrocher pour ne pas sombrer définitivement dans la folie et les ténèbres, et peut-être était-il tout de même devenu un peu fou dans le processus, seulement, il savait parfaitement ce qu'il faisait et où il allait alors.

Mais Baelfire, lui, n'avait pas cette chance.

Lui, il ne pouvait pas voir l'avenir, il avait toujours peur de ses propres pouvoirs même s'il commençait un peu à les maîtriser (l'un des avantages d'être devenu le Ténébreux, c'est que l'apprentissage express de tout ce qu'il faut savoir au sujet de la magie était inclus. Dommage que tout le reste ou presque ne soit fait que d'inconvénients. Ça restait une malédiction malheureusement.), il était encore complètement perdu et il n'avait absolument aucune idée de ce qu'il faisait.

Il n'était pas son père, tout simplement, ce qui se révélait être à la fois une bonne et une mauvaise chose.

(Il lui manquait terriblement aussi, évidemment.

Il lui manquait plus qu'en deux cents ans, et pourtant, à l'époque, malgré la rage, la tristesse, la colère et le sentiment de solitude, d'abandon et de trahison qui l'animaient, Rumplestiltskin lui manquait malgré tout.

Il restait son père tout de même.)

Et son père n'était plus là, alors puisqu'il devait vivre avec et avait tout de même besoin de réponses, il se tourna vers l'ombre qui s'attachait à chacun de ses pas sans qu'il le veuille.

« Pourquoi ? Lui demanda-t-il alors. »

Il était seul, dans les jardins, mais avait tout de même décidé par précaution de lancer un sortilège de silence autour de lui au cas où quelqu'un l'entendrait, ainsi qu'un sort pour se dissimuler à la vue de tous, pour qu'on ne le voit pas parler tout seul.

(Et il chassa la petite voix dans sa tête, pas celle de l'ombre, mais celle de sa conscience, qui lui murmura qu'il était en train d'accumuler les mauvais choix et les mauvaises décisions – rien qui change de l'ordinaire quoi – mais ce n'était rien, pas grand-chose, juste quelques petits sorts de rien du tout, tenta-t-il de se convaincre.

Lui qui abhorrait autrefois la magie (et encore un peu maintenant, surtout la magie noire) se voyait désormais obligé de s'en servir pour ne pas passer complètement pour un fou, ça aussi c'était bien ironique…

Ce n'est pas comme si il avait tué quelqu'un ou avait arraché le cœur d'une personne dont il aurait croisé le chemin, ce n'était pas non plus comme s'il avait voulu le faire.

Enfin…

Il enfouit tout au fond de lui-même ses pensées meurtrières concernant la fée bleue, ce n'était pas ses pensées après tout, pas vraiment, mais celles de son père, c'était sa colère, sa rage, pas la sienne. Et en un sens c'était un peu comme si il y avait un peu une part de lui en lui, ce qui était à la fois réconfortant et surtout profondément dérangeant.

Il essaya aussi d'occulter le fait que sa peau ne paraissait à certains endroits plus tout à fait humaine, tout comme celle de son père à l'époque…)

L'ombre fronça les sourcils, semblant réellement confus par sa question, à moins qu'il ne s'agisse d'un nouveau tour dont il se servait pour jouer avec son cerveau.

Oh il espérait tant que la paranoïa n'était pas en train de gagner sur lui et sur sa santé mentale (enfin, ce qu'il en restait encore…).

« Pourquoi quoi ?

- Pourquoi est-ce que… je n'arrive pas à vous faire taire alors que manifestement, mon père en était capable ?

Ça avait beau remonter à plusieurs siècles, il n'avait jamais oublié les mois qui avaient suivi le jour où son père était devenu le Ténébreux, et si celui-ci avait effectivement définitivement changé en endossant ce rôle, cette malédiction, il était resté son père aussi.

Il était resté le même, enfin au début, majoritairement, et il se souvenait de moments où son père regardait dans le vide, enfin ce que lui croyait être le vide, ou marmonnait pour lui-même des propos qui ne faisaient pas sens de son point de vue, mais…

Il se rappelait aussi que ce n'était pas arrivé si souvent que ça.

L'ombre éclata alors de rire.

- Tu as vu juste, ton père a effectivement réussi à faire taire nos voix… Parce que, dès qu'il est devenu le Ténébreux, il a immédiatement embrassé les ténèbres sans la moindre hésitation.

Neal sursauta avant de le fusiller du regard.

- Non… C'est faux, ça ne peut pas être vrai, je… J'étais là durant la première année et il… Il n'était pas quelqu'un de mauvais, pas encore, il essayait de faire le bien, et ce n'était pas toujours facile, mais il vous résistait, j'en suis sûr !

Un sourire amusé traversa le visage de celui qui n'était pas Rumplestiltskin.

- Il est vrai, mais c'est uniquement parce que tu étais là… Tu n'as pas idée du nombre d'exactions que ton père a commises quand tu as disparu.

- C'était uniquement pour me retrouver, répliqua l'ancien enfant perdu.

- Oui… mais parfois aussi juste parce que ça pouvait être drôle.

Neal eut soudainement la nausée, c'était son père et en même temps ce n'était pas lui, et tout son être brûlait de rage et de colère, et oh il le savait bien, c'était facile, si facile pour l'ombre de le manipuler et de jouer avec ses sentiments pour le faire craquer, c'était certainement plus simple que ça ne l'avait été avec Rumplestiltskin parce qu'il avait le visage de son père.

- Tu sais Neal, reprit l'ombre, le fait que ton père se soit ultimement et stupidement sacrifié pour sauver toutes vos pathétiques vies ne doit pas te faire oublier qu'il a également été un monstre pendant une grande partie de sa vie.

Oh ça, Neal ne le savait que trop bien, il se souvenait des morts d'Hordor et de ses soldats, même si celles-ci étaient méritées, il se souvenait du marchand changé en escargot et écrasé pour avoir fait une simple erreur, il se rappelait bien de la servante muette que son père avait tuée parce qu'elle avait vu ce qu'elle ne devait pas voir.

Et ce n'était pas tout, il y avait l'atmosphère de terreur qu'il faisait régner sur tout le village, effrayant son propre fils sans le vouloir, il y avait ce qu'il avait fait après sa disparition, Milah assassinée, Killian et sa main coupée, tous ceux qu'il avait piégés avec ses contrats, assassinés, ou même torturés.

Il y avait la malédiction, Regina plongée dans les ténèbres, s'y noyant presque, tous ceux qui avaient subi la malédiction pendant vingt-huit ans, séparés de ceux qu'ils aimaient, et il y avait Emma, forcée de grandir toute seule, sans famille, tout ça parce que son père voulait désespérément le retrouver.

Baelfire savait mieux que quiconque qui avait été Rumplestiltskin.

Mais…

Il y avait aussi tout le reste.

- C'est exact, rétorqua le sorcier immortel. Je ne le nierai pas une seule seconde, seulement… Il y a aussi toutes les fois où il a lutté contre les ténèbres pour moi, où il m'a écouté, où il a fait le bon choix. Il y a le fait que c'est pour moi qu'il a fait tout ça, pour me retrouver, et me dire à quel point il était désolé de m'avoir abandonné… Pour que nous formions une famille à nouveau. Il y a Belle, tout ce qu'ils ont eu, ce qu'ils ont été… Mais aussi son choix d'aider à sauver Henry alors même qu'il savait que cela causerait sa mort… Il y a sa mort, le fait qu'il se soit sacrifié pour nous tous, et j'ai la faiblesse de vouloir croire que ça vaut quelque chose…

Le sourire du faux Rumplestiltskin s'accentua.

- Peut-être… Mais tu veux savoir pourquoi je t'ai dit que ton père avait sombré facilement ? Pas parce qu'il n'avait pas suffisamment de volonté, bien au contraire… Tout le monde le voyait comme quelqu'un de faible, comme un lâche, mais la vérité, c'est que la volonté d'un père de protéger son enfant quel que soit le prix à payer est une grande force. Ton père est… était comme cela, et contrairement à toi, il n'a pas résisté quand nos voix ont commencé à envahir son esprit… C'est ce qui lui a permis de rester lui-même en un sens, mais en acceptant de faire… un certain nombre de choses répréhensibles. Tu ferais mieux de suivre son exemple.

Non.

Tout en lui s'y refusait.

Même si ça implique d'accepter de laisser ton esprit sombrer lentement dans la folie ?

Il n'en était pas sûr et certain, mais si c'était sa seule option, alors il imaginait qu'il ne pouvait pas faire autrement.

- Je n'ai qu'une seule chose à te dire… Va te faire foutre. »

Le sourire de l'ombre était toujours aussi railleur quand elle disparut quelques secondes plus tard, et Neal soupira.

Les jours qui allaient suivre risquaient d'être bien longs.

§§§§

« Neal ?

La voix de Regina le sortit de ses pensées, il était seul pour une fois, l'ombre avait temporairement cessé de le tourmenter, et il se tourna vers la Méchante reine, se demandant ce qu'elle allait encore lui demander.

Il se força à sourire, malgré ses traits tirés et la fatigue morale, à défaut d'être physique, qui envahissait actuellement tout son être.

- Bonjour Regina, qu'est-ce que vous venez faire par ici ?

- Je vous cherchais à vrai dire, je voulais vous parler, vous avez disparu il y a quelques heures, et je m'inquiétais.

Neal sentit son estomac se tordre face au doute qui l'envahit alors, celui de ne pas savoir si elle s'inquiétait pour lui par peur qu'il n'aille pas bien, ou bien si elle s'inquiétait surtout de ce qu'il pourrait faire de mal en tant que Ténébreux.

L'inquiétude qu'il lisait sur son visage semblait réelle et sincère, mais la jeune femme était exactement comme son père l'avait été autrefois (elle avait été à bonne école avec le Ténébreux), c'était une bonne actrice, il ne pouvait pas lui enlever ça.

Il sentit alors un frisson glacé le parcourir de part en part en constatant qu'il réagissait exactement comme son père.

Pourquoi faisait-il cela ?

Pourquoi commençait-il à uniquement voir le pire chez les gens ?

Il secoua la tête, tâchant d'éloigner toutes ces sombres pensées.

- Je ne vais pas vous dire que je vais bien, ce serait un grossier mensonge, mais… disons que je fais de mon mieux pour tenir le coup.

Elle essaya de sourire à son tour, mais il la sentait toujours aussi soucieuse.

- Je voulais aussi vous remercier pour votre aide avec votre magie, ça nous soulage d'un grand poids, vous n'imaginez même pas à quel point… Mais je suis venue pour vous poser une question, plus… personnelle. Ça fait combien de temps que vous n'avez pas dormi ?

Le Ténébreux cligna des yeux, ne s'attendant pas à cette question, et n'y ayant pas réfléchi, parce qu'il n'avait pas eu besoin de dormir un seul instant depuis la nuit précédente.

(Il n'y était pas parvenu surtout.)

Il réalisa soudainement que le soleil était sur le point de se coucher, et que de ce fait, il n'avait pas dormi depuis…

Oh.

Effectivement.

- Depuis un jour maintenant environ… Avoua-t-il, et Regina soupira.

- Allez vous coucher dans ce cas-là, je sais qu'en tant que Ténébreux, vous n'avez plus besoin de le faire, seulement… Je pense que vous avez droit à une pause, comme tout le monde, ça vous évitera d'avoir à vous torturer l'esprit sur la situation actuelle.

Il n'arriverait probablement pas à dormir mais elle n'avait effectivement pas tort.

Et il pouvait au moins essayer, il n'avait rien à perdre après tout, et puisqu'il n'avait rien de productif à faire étant donné le fait qu'ils ne savaient toujours pas où était Zelena…

- Merci de vous soucier de moi comme ça alors que vous ne me connaissez pas plus que ça.

Elle haussa les épaules.

- Vous êtes le père d'Henry, et le fils de Rumple… Je m'en voudrais s'il vous arrivait quelque chose. »

Comme la folie qui risque de me tomber dessus à chaque instant ? Ne put-il s'empêcher de penser avec amertume.

Cette dernière était encore loin de lui pour l'instant, mais il sentait tout de même sa présence, à deux pas de lui, tapie dans l'ombre, mais le fait est qu'il n'avait pas encore sombré, et il ferait tout pour que les choses restent ainsi le plus longtemps possible.

A suivre…