Rune - 193 mots

Tout le monde savait que les pratiques de magie noire se répandaient de plus en plus autour de Versailles. Philippe était le premier à en avoir averti son frère, pas exactement en parlant de sorcières mais en le mettant en garde contre les forces qui se liguaient contre lui. On lui avait déjà fait comprendre à demi-mot qu'il aurait le soutien du peuple si jamais son frère « n'était plus roi. » Et ça l'avait horrifié, mais après une énième dispute plus grave que les autres, il était quand même parti.

Philippe cligna des yeux pour s'habituer à la pénombre et remarqua les runes étranges qui luisaient au sol, puis, en levant la tête, il aperçut un cercle de sorciers encapuchonnés qui maintenant une silhouette à terre. Il reconnut instantanément la stature, les cheveux bouclés, le profil de cette silhouette.

« Louis ! hurla-t-il pendant que les adorateurs du diable brandissaient une lame au-dessus de son frère. Louis ! Non ! Non ! »

Le duc d'Orléans se réveilla en sursaut. Il n'arrivait pas à pardonner à son frère mais tous ces complots qui s'ourdissaient dans l'ombre continuaient de lui faire tellement peur.

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Essayer - 186 mots

Louis ne savait pas vraiment comment dire à son frère qu'il l'aimait. C'était pourtant, paradoxalement, deux mots qui sortaient assez facilement de sa bouche : « Je n'ai toujours témoigné que de l'amour et du respect… ». Mais, quand il les disait, c'était souvent plus en roi qu'en frère, pour rappeler à Philippe qu'il lui laissait passer beaucoup de choses que ses prédécesseurs n'auraient pas considéré d'un bon œil. Ce n'était jamais vraiment tendre. Mais cette fois, Philippe méritait qu'il fasse l'effort… Louis prit une grande inspiration, ne parvint pas à ouvrir la bouche, fit la moue de contrariété.

« Tu n'arrives pas à le dire ? le provoqua son frère avec un sourire narquois.

-Je suis en train d'essayer ! rétorqua le roi. »

Peut-être qu'il fallait qu'il arrête d'être roi pour le dire… Qu'il arrête de songer aux complots et aux trahisons qui le visaient sans arrêt, aux relations catastrophiques qu'avaient eu ses prédécesseurs avec leurs cadets. Parce que c'était injuste, Philippe ne méritait pas ça et c'était une insulte aux liens qui les unissaient. Alors, Louis s'avança et le serra dans ses bras.

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Montre - 203 mots

« La messe est à onze heures, déclara Philippe en jetant la montre de gousset à son frère. Ne sois pas en retard. »

Louis sourit et regarda son cadet, qui conservait un air solennel et sérieux, les yeux fixés sur les nobles qui leur faisaient face, premier cobaye du système de mise en scène de la royauté que le duc d'Orléans avait mis au point.

« Je dois te féliciter, mon frère, lança Louis. C'est un système parfait, où chacun sait où est sa place.

-Et je sais où est la mienne, rétorqua Philippe. »

N'importe quel roi aurait été ravi de cette apparente soumission d'un prince à son monarque, mais Louis y vit surtout un accord, une preuve que son frère s'était rangé à ses idées, lui qui avait souvent redouté que leurs petites différences ne deviennent des obstacles trop importants.

« Hé, lui lança son frère pendant que tout le monde évacuait les lieux.

-Quoi ?

-Tu as les épaules trop rentrées. Redresse-toi !

-Philippe !

-Quoi ? Tu as dit que je pouvais aussi te contrôler ! »

Louis souffla et leva les yeux au ciel. Il devrait pourtant savoir que Philippe ne manquait jamais de telles occasions !

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Pendu - 193 mots

« Mon frère, je te jure que ce n'est pas moi ! Je te jure que ce n'est pas moi ! »

Philippe était tellement désespéré qu'il ne savait pas ce qui le bouleversait le plus : que la justice du roi réclame qu'il soit pendu sans honneurs pour avoir trahi la couronne ou que son frère puisse croire qu'il était coupable. Il ne lui venait même pas à l'idée que le mettre à mort était radicalement impossible, puisqu'on ne tuait plus les frères de monarque en France. Tout ce qu'il savait, c'était que toutes les preuves l'accusaient et qu'il comprenait très bien que Louis puisse le soupçonner… et en même temps, il ne le supportait pas !

« Ce n'est pas moi, répéta-t-il, à genoux par terre, en appuyant sa tête contre le ventre de son aîné. Ce n'est pas moi… »

En même temps qu'il l'étreignait désespérément, Louis passa une main distraite dans ses cheveux et lui caressa le crâne et la nuque. Philippe ferma les yeux, le souffle court. Il aimait tellement son frère, ils ne pouvaient pas croire que c'était lui qui avait comploté contre lui, c'était injuste !

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Nénuphar - 177 mots

Quand ils étaient très petits, et que Louis n'était pas encore roi, Philippe et lui avaient décidé de se cacher dans une fontaine du château de Saint-Germain pour espionner les nobles qui passeraient dans les allées. Depuis leur naissance, ils étaient habitués au fait que ces gens étaient indignes de confiance, même s'ils ne savaient pas exactement ce que ça signifiait. En plus, il faisait très chaud ce jour-là, alors ils avaient passé de longues heures à barboter, puis ils s'étaient tapis à plat ventre dans le bassin en pierre et, leurs petites mains et leur tête à hauteur des yeux émergeant de l'eau, ils avaient observé les allées et venues. Quand leur mère était arrivée pour les faire rentrer au château, elle avait ri.

« À défaut d'être le roi de France, mon fils, dit-elle à Louis en le soulevant dans ses bras, tu es déjà le roi des nénuphars ! »

En effet, une grosse fleur rose aux feuilles humides était posée sur la tête du petit garçon, comme une couronne. Ou un ridicule couvre-chef.