- Il ne faut pas qu'on reste ici, grimace Scorpius en tenant son bras.
- Pour aller où ? Je murmure.
- Les sortilèges dominos sont très dangereux. Dès qu'on lève un mauvais sort, le prochain s'enclenche et ainsi de suite. Le seul moyen de lever un sortilège domino est d'en connaître toutes les composantes, tous les maléfices, tous les sorts, et de les lever en même temps… Ce qui est quasiment impossible dans un Temple de ce genre, où les sortilèges dominos peuvent être composés de milliers de sorts. S'ils couvrent tout le temple, et que les autres briseurs de sorts les lèvent sans que nous soyons en sécurité, ça pourrait nous être fatal.
Je joue avec les deux saphirs et Scorpius me regarde l'air interdit :
- Où est-ce que tu as trouvé ça ?
- Sur la statue du dragon, je désigne cette dernière, à moitié écrasée.
- Donne-moi ça !
Je me lève d'un bon alors qu'il me les arrache des mains et les replace sur les trous vides des yeux du dragon, qui s'agite légèrement. Je suis certain de l'avoir vu bouger. Les murs se remettent à trembler une nouvelle fois. Je soutiens Scorpius, qui vacille. On entend de grands fracas, des éboulements, comme des pierres qui s'écrasent contre le sol.
- Qu'est-ce que t'as fait ? Je grogne alors qu'un nuage de poussière se soulève et nous fait toussoter.
- On t'a déjà dit qu'il ne fallait toucher à rien dans ce genre d'endroits ? s'emporte-t-il.
- Je les ai rattrapés ces saphirs ! Ils sont tombés ! Je ne suis pas un voleur, Malfoy !
- J'ai dû enclencher un mécanisme en les remettant…, bredouille-t-il.
Nous attendons que le plafond nous retombe sur la tête, que les murs nous écrasent ou que le sol disparaisse sous nos pieds, mais rien. Pourtant, il se passe bien quelques choses. La poussière est désormais si présente, si opaque dans l'air qu'il est compliqué de respirer ou même d'y voir quelque chose. Les parois frémissent et c'est comme si le dragon rugissait.
- Lumos maxima !
Le sort de Scorpius ne nous aide pas à y voir plus clair. Je reste près du dragon jusqu'à comprendre, en voyant un objet grisâtre se détacher du nuage de poussière et se rapprocher de nous. Une pierre tombe sur la tête.
- Le couloir est en train de s'effondrer…
- Alors pourquoi on n'est pas déjà enseveli ? Sourcille Scorpius.
- Parce que les ailes du dragon soutiennent encore la partie du couloir dans laquelle on se trouve, je comprends.
Le bruit des éboulements se rapproche, et la poussière est de plus en plus épaisse. Scorpius attrape ma main et se colle à moi, contre le torse du dragon, dont les ailes se rabattent petit à petit, faisant s'écrouler les murs, le plafond… C'est assourdissant et effrayant. Je ne m'entends même plus respirer et je ne suis même pas certain d'être encore capable de le faire, à cause de toute la poussière. Les ailes continuent de se replier lentement et nous restons sous celles-ci, jusqu'à ce qu'elles nous enferment, nous enferment contre le torse du dragon.
Tout s'arrête de trembler. Quand les ailes s'ouvrent de nouveau, c'est comme si le dragon nous autorisait à enfin respirer. Scorpius me pousse en avant. Je trébuche contre une marche avant de me rattraper, de retrouver mon équilibre en m'appuyant contre les murs. Ils sont d'or et de pierres précieuses qui scintillent, incrustées dans le mur, qui contournent les nouvelles gravures.
- C'était un passage secret… La statue du dragon était la véritable entrée du temple, s'exclame Scorpius.
- Et si tu l'avais compris plus tôt, mes mollets ne seraient pas aussi douloureux qu'ils ne le sont actuellement.
Tout est calme et paisible ici.
Des orbes de lumières illuminent le petit escalier. Je grimpe les autres marches, alors que Scorpius me suit de près, sur les talons. Nous nous arrêtons devant un grand bassin argenté, aux friselis réguliers et apaisants. Tout est silencieux. Il couvre toute la surface, et nous ne pouvons le traverser que par le pont, qui mène jusqu'à la grande porte d'en face.
- C'est une antichambre, marmonne Scorpius.
Je me penche vers l'eau, dans laquelle des filaments d'argent se promènent au gré d'un courant imaginaire. J'entends Scorpius marmonner quelques sorts, pour s'assurer que l'endroit est sûr et que nous ne risquons pas de nous faire attaquer d'un instant à l'autre.
- Et ça, ce sont des souvenirs, je note.
- C'est une pensine. Une immense et gigantesque pensine, approuve-t-il.
Il l'examine attentivement, curieusement. Ses yeux pétillent d'intelligence et de joie. On dirait un gamin fier d'avoir trouvé le trésor. Je souris légèrement.
- Si on en apprend plus sur la construction de ce Temple, on pourra peut-être en sortir en un seul morceau.
- On s'en sort relativement bien jusqu'à maintenant, j'observe.
- Mon épaule est en vrac, Louis ! Grogne-t-il.
Je m'accroupis sur le pont et tends la main, pour toucher la surface de l'eau. Nous allons peut-être être les premiers depuis plus des siècles à savoir si le dragon foudre a réellement existé, comment et pourquoi ce lieu a été créé. J'en tremble d'excitation, et je donnerai tout, absolument tout, pour que mon père soit avec nous. Il serait complètement dingue…
- Je n'en reviens pas, souffle Scorpius, émerveillé.
- C'est cool, hein ? Je souris.
- C'est plus que cool…
Il me regarde et pour la première fois depuis des mois, son visage n'est pas déformé par la colère ou l'amertume. Il est juste heureux. Je retrouve la complicité que nous pouvions avoir autrefois, lorsque nous étions à Poudlard, des gamins qui n'avaient pas les responsabilités que nous avons aujourd'hui. Nous touchons l'eau de nos doigts exactement en même temps.
oOo
Un grand dragon s'élève dans le ciel. Il est aussi bleu que lui, chasse les nuages gorgés de pluie et se pose de temps en temps, imposant, avec agilité, entre les arbres de la forêt. Il replie ses ailes sur son corps avant de toucher la terre, pour prendre le moins de place possible. Les hommes et les femmes l'admirent en restant cachés, prêts à détaler, à l'affronter, mais aussi curieux qu'apeurés. Je m'approche au plus près. Le dragon ouvre les yeux. Ils sont bleu saphir et semblent enfermer mille tempêtes d'étoiles qui s'entrechoquent les unes aux autres et explosent en supernova.
Les personnes ont un mouvement de recul. Mais le dragon penche la tête. Il est curieux. Quand il s'abaisse jusqu'à eux, ils se tétanisent. Je me fige aussi alors que j'ai parfaitement conscience qu'il ne s'agit que d'un souvenir, et que je ne crains rien. Ce dragon pourrait tous nous tuer en une seconde. Nous ne serions plus que des tas de cendres s'il venait à nous cracher ses flammes aux visages. Cependant, après plusieurs secondes, il ne fait rien. Ses griffes s'enfoncent dans la terre, coupent les racines des arbres et les fait tomber. Il prend peur en même temps que les personnes en face de lui. Je n'ai jamais vu un dragon avec une expression aussi humaine...On dirait presque qu'il est désolé d'avoir effrayé ces gens.
Un enfant s'approche de lui, timidement et le dragon l'observe.
Je n'arrive pas à lui donner un âge. Il est assez grand pour voler, mais a une attitude presque craintive face à l'Homme.
Son museau souffle si fort que l'enfant tombe à la renverse, sur les fesses. Sa mère s'écrie. Tout le monde arrête de respirer. Jusqu'à ce que l'enfant éclate de rire, prenne appuie sur le même museau responsable de sa chute. Le dragon a un mouvement de recul. L'enfant tombe encore une fois et se met à pleurer. Il s'abaisse encore un peu plus et donne un léger coup, du bout de son museau, à l'enfant, comme pour le consoler.
oOo
Le dragon bleu a étendu ses ailes. Plusieurs autres créatures de la même espèce l'ont rejoint. Une petite fille met une couverture sur l'une des pattes d'un dragon, qu'elle salut de sa main encore potelée par l'enfance. Les dragons ont les ailes levées vers le ciel. Ils protègent les humains de la pluie torrentielle qui s'abat sur eux. Elles sont si grandes, qu'elles couvrent largement tout le village. Les éclairs déchirent le ciel et le bruit de la pluie. Mais les dragons restent imperturbables. L'un d'eux surveille les humains, du coin de l'œil.
Scorpius me regarde, interdit :
- T'as déjà vu un dragon faire ce genre de trucs ? Me demande-t-il.
- Non. Jamais, je souffle.
La foudre s'abat sur eux et tout s'arrête. Leurs ailes se mettent à trembler. Ils semblent horrifiés et poussent un hurlement qui fait se soulever les arbres. Ils s'écroulent sur le village, inertes et à la fois secoués de spasmes monstrueux qui les font se soulever, s'agiter dans tous les sens. Les sorciers ont à peine le temps de transplaner que les dragons tombent, inconscients, en détruisant tout sur leur passage. Les hommes et les femmes s'approchent des dragons, pour les soigner, évaluer les dégâts, et j'ai le même réflexe. La première personne à en toucher un, est une femme, qui est prise de soubresauts et s'écroule d'un coup. L'homme à côté d'elle hurle, et tente de la ranimer. Elle est morte.
Je me penche au-dessus d'un dragon à mon tour. Son corps est parcouru d'éclairs, agité par l'électricité qui le traverse. Les personnes s'écartent, quand la foudre s'abat sur lui une seconde fois, puis une troisième, une quatrième… Pendant plusieurs minutes, le dragon subit les attaques du ciel, qui n'a aucune pitié pour la créature.
- Ils ont servi de paratonnerre…, comprend Scorpius.
oOo
Les dragons gisent, toujours inanimés. Des fruits, des jars, des bijoux, des statuettes ont été déposés à leurs pieds. Il y a un grand soleil à présent. Celui duquel je suis le plus proche, ouvre un œil, puis un deuxième. Il tente de se remettre debout, devant les hommes qui le surveillent, prêts à se protéger. La créature chancelle. Quand il essaie de s'envoler, ses ailes se chargent d'électricité. Il les replie sur son corps et s'en couvre, comme s'il cherchait à se réchauffer, ou à se cacher. Il réessaie de s'envoler, sans succès.
- Tu penses qu'ils ont perdu l'usage de leurs ailes, à partir de ce jour ? Me demande Scorpius.
- La légende raconte que le ciel, en le dotant d'une partie de son pouvoir, l'a privé de le visiter pour le restant de ses jours…, je me rappelle. Ça a un sens…
Le dragon rugit, mais personne n'a peur. Les humains se mettent à pleurer en même temps que lui, en comprenant qu'il ne pourra plus jamais voler, à cause de ses ailes atrophiées.
Quand les autres dragons se réveillent, c'est la forêt tout entière, qui hurle de douleur.
oOo
Le village se reconstruit. A l'aide de la magie, les arbres ont repoussé, les habitations se sont de nouveau dressées et la vie reprend. Les dragons encerclent le village et le surveillent. Ils veillent sur tout ce qui se passe, délimitent les frontières entre les dangers de la forêt et la sécurité que cet endroit représente. Quand les snillusions s'approchent de trop près, les dragons foudres soufflent bruyamment pour les dissuader de descendre plus bas et d'étouffer les habitants, de les rendre malades jusqu'à en mourir.
Quand ils ne sont pas occupés à reconstruire leur village, les habitants prennent soin des dragons.
- Ils pleurent…, constate Scorpius.
Je remarque la petite rivière qui creuse la terre, fait pencher les arbres et les noie. Les sorciers du village ont protégé son accès et viennent porter aux dragons des animaux qu'ils tuent d'un coup de griffes avant de les dévorer.
L'un des dragons tentent de prendre son envol, et hurle de rage, jusqu'à faire de sortir de sa gueule, un éclair qui zèbre le ciel. Les humains prennent peur. Je ne recule pas, mais Scorpius derrière moi, à dégainer sa baguette, prêt à nous défendre. Le dragon se calme et penche la tête. A ses pieds, des œufs énormes, qui pourraient passer pour des rochers, s'agitent et tremblent légèrement.
oOo
Des étrangers ont pénétré le territoire. Ils s'approchent de trop près des dragons et les villageois n'aiment pas ça. Ils ne se méfient pas les accueillent tout de même. La nuit venue, les étrangers attaquent le village, le brûlent, le pillent et volent les œufs des dragons foudre qui font s'abattre sur eux des éclairs qui les font tomber raides morts. Mais les étrangers s'en sortent, et quand ils repartent, il ne reste presque plus rien.
oOo
Les étrangers sont revenus. Ils ont réussi à capturer un dragon. Dans une langue que je ne maîtrise pas, l'un des villageois semble les menacer, les avertir. Le village brûle toujours.
oOo
Devant nous, commence à se dresser un tas de pierres qui se confondent avec le ciel. Elles enferment les dragons foudres qui ne disent rien, les arbres, les habitations, le village entier. Je n'ai jamais vu un bâtiment, une construction aussi imposante. Quand les étrangers arrivent, les villageois arrêtent de construire, et pointent leur baguette sur eux pour les repousser.
- C'est la construction du Temple, s'émerveille Louis.
- Ils l'ont construit autour des dragons…, je souffle, impressionné. Pour les protéger de ces trafiquants.
- La légende parle d'envahisseurs…
Je tourne autour d'un étranger qui se bat contre un villageois. Il porte un uniforme rouge, très voyant.
- Il est anglais, observe Scorpius.
- Comment le sais-tu ?
- Les uniformes des sorciers britanniques étaient rouges. Lors de la conquête des communautés magiques d'Amérique, les aurors les portaient… Albus révise ses cours d'Histoire à voix haute, grimace le blond.
- Tout ce que je remarque, c'est que nos ancêtres sont de vraies pourritures.
- A ton avis, qu'est-ce qu'ils faisaient de ces dragons ? Sourcille Scorpius. On n'a jamais observé une seule espèce de dragon foudre en Europe.
- Parce qu'aucun témoignage n'en parle…, je hausse les épaules. Quant à ce qu'ils faisaient de ces dragons… Ils voulaient probablement les étudier.
Le soldat anglais tombe à mes pieds, mort. Je m'approche davantage des dragons, pour les examiner :
- Leurs écailles sont incroyables. Elles semblent retenir la foudre. Ils ont sûrement des propriétés magiques incroyables. Imagine une baguette, fait avec le ventricule de l'un de ces dragons … Ou même des gants, fait à partir de leur peau ? Sans parler de leur venin…
La tempête s'abat sur le village. Les éclairs ne touchent que les assaillants, et tout se calme, petit à petit.
oOo
Le temple est entièrement construit. Il est si haut, qu'il semble chatouiller le ciel. Il n'y a plus aucun dragon, aucun œuf. Deux hommes regardent tout leur peuple entrer dans le temple, qui pleurent le cœur fendu. On entend les cris des dragons, qui souffrent avec eux. Avant de refermer l'entrée, l'un des hommes s'avance et lève sa baguette, vers les deux hommes et lance un sort. Il leur murmure des ordres, des conseils. Des inscriptions s'étalent sur leurs deux peaux.
- C'est un serment inviolable, observe Scorpius.
- A quoi s'engagent-t-ils à ton avis ?
- A garder le secret et à protéger l'endroit. A traquer tous ceux qui ont entendu parler ou vu les dragons foudres…
Le serment a dû fonctionner, pour que le secret, l'existence des dragons foudres soient oubliés de tous, et ne deviennent rien de plus qu'une légende.
En lançant son sortilège, le dernier homme du village a juste le temps d'apercevoir un éclat rouge dans les arbres. Un anglais s'est caché, et a tout vu. Il disparaît, bien avant que les deux hommes ne se rendent compte de sa présence.
C'est sûrement grâce à ce seul témoin, que la légende du Temple du dragon foudre s'est construite… Il n'en aura fallu qu'un seul, pour que rien ne soit tout à fait oublié.
oOo
- Alors c'est pour protéger les dragons qu'on a créé ce temple…, murmure le briseur de sorts.
Nous sommes sortis du tourbillon de souvenirs. Il y en a encore des tas et des tas, qui voguent à la surface de l'eau. Des scènes de vie, sur ce qu'il s'est passé après la fermeture du temple, ou même avant. Tout se mélange…
- Ces hommes et ces femmes se sont sacrifiés pour protéger cette espèce…
- T'avais déjà vu un dragon pareil ?
Je secoue la tête.
- On en apprend tous les jours, sur les dragons. On découvre de nouvelles espèces, mais jamais je n'en avais vu une aussi amicale avec l'Homme. Les dragons sont dangereux et peuvent se montrer très cruels…
- Les dragons foudre savaient qu'ils dépendaient de ces villageois pour survivre. Ils ne pouvaient pas se nourrir seuls, se déplacer … Et ces villageois eux-mêmes, avaient besoin de ces dragons pour survivre : les snillusions les auraient bouffé les uns après les autres.
- T'as raison. Mais… Je ne sais pas. Dans leurs yeux… On sentait qu'ils avaient des sentiments pour ces humains…
- Peut-être que ces dragons avaient des cœurs d'humains, et ces humains, des cœurs de dragons.
Je lève les yeux au ciel.
- C'est de la belle poésie, mais ça ne nous avance à rien. Combien de temps a vécu ce peuple, prisonnier de ce temple qu'il a lui-même construit ? Je me demande.
- Je n'en sais rien. Mais ils ont donné leur vie pour ce dragon… Alors, je n'imagine même pas jusqu'où ils ont été, pour protéger ce lieu, et ce secret…
Nous nous avançons courageusement vers la porte, derrière le pont. Nous n'avons pas le choix. Il faut avancer.
Scorpius continue de marcher devant moi. Il ne tremble plus de peur. Mais moi, après avoir vu ces dragons et leur force, leur volonté de survivre même après avoir perdu la possibilité de voler, j'ai plus peur que jamais. Après des siècles à être enfermés à l'intérieur de ces murs, qui sait ce qu'ils sont devenus, et même s'ils sont toujours en vie…
Avant cette expédition, le dragon foudre n'était qu'un mythe. Aujourd'hui, il est une réalité passée, mais une réalité tout de même. Alors, je me mets à croire en tout, et surtout, à la survie de cette espèce que la magie et la nature ont créée.
