Chapitre VI

Un cri perçant troubla la nuit noire, tandis que la lune était à son plus haut. Il réveilla tout le monde. Les portes s'ouvrirent et claquèrent. Des voix s'élevèrent elles aussi. Des pas se pressèrent sur les chemins. Nico, lui, continua à dormir. Comme un mort. Même à lui, il était arrivé, dans les débuts, de vérifier sa respiration parfois. Comment quelqu'un ayant vécu dans des situations de danger quasi-constant pouvait avoir conservé un sommeil aussi lourd ? Ou peut-être était-ce cela qui provoquait une telle réaction de la part de son corps. Il s'approcha d'une fenêtre et souleva le rideau afin de voir ce qui se passait. De l'extérieur, quiconque regardant dans sa direction n'aurait vu que le morceau de tissu se déplacer, comme de lui-même, ou si un fantôme était là. Pas si étrange pour ce bâtiment.

De sa position, il voyait quelques campeurs circulant dehors sous le Soleil pâle de l'aube. La discrétion, ils ne connaissaient pas. Lorsqu'un deuxième cri retentit, il put mieux repérer sa provenance. L'une des cabines. Sans doute un gamin en plein cauchemar. Il s'étonnait d'en voir ainsi sur le pied de guerre pour si peu. Ils n'étaient pas attaqués. Il se détourna du paysage et regagna l'obscurité silencieuse de la pièce. Il aurait pu dire paisible, néanmoins il ne voulait pas tant tenter le destin. Un troisième cri pourrait très bien se faire entendre, d'ici cette fois.

Il n'était pas le dieu du Temps et ne garda pas conscience de l'heure qu'il était lorsque son gentil petit compagnon se réveilla doucement. À l'extérieur, le calme était revenu. Il resta en retrait, observant les mouvements tandis qu'il se préparait. Quand il eut terminé, ce dernier partit sans un mot. Lui le suivit de loin, invisible. Il avait des tâches à remplir, mais elles pouvaient encore attendre encore un peu.


2 ans plus tôt

Éros avait oublié combien les relations avec les mortels pouvaient être si terribles. La leur durait depuis près de trois ans. Enfin, cela pouvait varier en fonction de ce que l'on utilisait comme point de départ. Le premier jour où il vint le voir, avec sa requête impossible. Celui où lui-même retourna le voir quelques semaines plus tard après sa tentative. Ou celui où ils se virent d'un accord mutuel. Ou encore le premier où ils passèrent la nuit ensemble. Ils n'avaient jamais établi clairement les choses.

À présent, il était parti. Comme ça, sans un mot. Oh, il avait assez vite compris ses raisons, mais cela ne l'empêchait pas de les refuser. Il était persuadé que sa présence l'aidait, même si ce n'était qu'un peu. Il savait pertinemment qu'il ne pouvait remplacer personne. Personne ne peut en remplacer un autre. Au moins, il n'était pas seul, à ses côtés. Ainsi, peut-être avait-il décidé de partir, mais cela ne l'empêchait pas de garder un œil sur lui.

Trois ans, ce n'était rien pour un dieu. Toutefois, il sembla que cela suffisait, les concernant. Il se représenterait sans doute à lui, plus tard. S'il ne le remarquait pas avant. Il était certain qu'il se ferait remarquer. Non pas qu'il cherchât à le faire consciemment. Bon peut-être un peu. Un tout petit peu. Oh, cela faisait bien longtemps qu'il n'avait pas ressenti quoique ce soit à un tel point . Lui-même s'en étonnait. Il avait l'impression d'être capable de tout pour lui. Pour qu'il soit heureux.

Alors, lorsqu'il remarqua cette chose tandis qu'il observait de loin, il fallait qu'il tente sa chance. Il porta autant qu'il le put son attention sur cet élément. Tout comme lui, il suivait Nico. Depuis combien de temps ? Était-il déjà là avant ? Si oui, pourquoi ne l'avait-il jamais vu ? Il aurait dû s'en rendre compte. Même malgré le fait que toute son attention était portée sur le demi-dieu. Surtout pour cela. Qu'était cette chose ? Que voulait-elle de Nico ? Si c'était un esprit, un fantôme, ce dernier devrait le voir. Et il s'en serait occupé. Puisque ce n'était pas le cas, c'était forcément autre chose. Était-il en danger ? Le dieu n'en savait absolument rien. Cependant, il ferait tout pour le découvrir.


À présent

« C'était terrible, répéta Joe après avoir séché ses larmes. Il y avait du feu partout. »

Quand Nico entra dans le réfectoire, Joe, Lilas, tous les pensionnaires de la Cabine 11, ainsi que plusieurs autres demi-dieux étaient déjà là. En le voyant, Joe se précipita vers lui et faillit le renverser en le percutant, les bras autour de sa taille. Nico se statufia à son contact. Comment réagir exactement ? Mécaniquement, il leva les mains et les déposa sur les épaules tressautantes du garçon.

« J'ai fait un cauchemar terrible, Nico ! »

Tu es un demi-dieu, faillit-il lui répondre. Il se retint de dire quoi que ce soit et le guida vers un banc, où ils s'essayèrent. Sitôt fait, Joe sauta sur ses genoux et fourra sa tête contre son épaule. Pendant ce temps, Nico ne croisa que le regard de sa sœur qui ne paraissait pas aller beaucoup mieux que le garçon. Elle s'approcha doucement et s'assit avec eux.

« Il y avait du feu partout, et maman aussi. C'est ce qu'il a dit. C'était à la maison. Et il y avait d'autres choses aussi. Mais...

-C'était que des ombres. Je pouvais pas bien les voir. Par contre, ils n'étaient pas gentils. Ils voulaient du mal, je le sais. »

Tout en parlant, Joe s'accrocha encore plus fort à Nico, comme s'il s'accrochait à une bouée de sauvetage. Nico se rappela le rêve qu'il avait fait après leur arrivée. Il devait faire quelque chose.

Dès qu'il en eut l'occasion, Nico en fit part à Chiron.

« Je vais aller voir, annonça-t-il de but en blanc.

-Ça ne me paraît pas prudent, surtout s'il y en a plusieurs. Ce serait dangereux pour vous trois. Ils ont fait des progrès mais en situation réelle, mieux vaut ne pas autant se précipiter.

-Je n'ai jamais dit qu'ils viendraient. »

Cela ne plut pas à Chiron. Il le fixa sombrement. Pendant longtemps. Nico le regarda lui aussi durant tout ce temps, attendant qu'il réplique.

« C'est encore moins prudent. Dois-je te rappeler votre arrivée ici ?

-C'était différent. J'étais submergé. Et je devais m'assurer de leur sécurité. Si j'y vais seul, je n'aurais pas ces problèmes. »

Nico se mordit la langue à l'usage de ce terme. Pourtant, au fond de lui, c'est ce qu'il devait penser. Être avec d'autres dans de telles situations causait plus de problèmes qu'autre chose.

« J'irai que vous le vouliez ou non.

-Ça je le sais. Mais je croyais que tu ne savais pas où la maison se situait.

-Lilas pourra me le dire. »

Seul un soupir lui répondit. Et puis il sortit.

Personne n'avait rien touché. Elle était comme au jour du drame. L'étage était complètement calciné. Les fenêtres éclatées. Le toit troué. Même une partie du garçon avait brûlé. La porte lui céda sans forcer. L'odeur était infecte. Nico souleva son bras pour s'en protéger de sa manche. Les cendres et la poussière voletaient dans l'air. Contre ce brouillard, il clignait bien trop des yeux. Ainsi, il navigua à travers les pièces. Qu'est-ce qu'il pourrait bien trouver ? Il avançait à l'aveugle. Au moins, elle semblait vide. Il était tranquille.

Comparé à l'étage, le rez-de-chaussée était presque parfaitement en ordre. Le tour fut rapidement terminé. Un problème se présenta quand il voulut monter. Un trou béant se trouvait en plein milieu de l'escalier. Il aurait été incapable de l'enjamber. Quant à sauter, le bois calciné supporterait-il vraiment son poids ? Il refit un tour en bas. Et puis un autre. Il n'y avait même pas de traces d'intrusion. Alors quoi ? Ces « ils » étaient apparus à l'étage comme ça ? Il devait monter pour savoir. S'il le faisait de l'extérieur, il se ferait remarquer. Il n'avait pas le choix.

Planté devant l'escalier, si quelqu'un l'avait trouvé là, on l'aurait pris pour un fou, quelqu'un de suspect. Mais non. Oh oui, il ne pouvait pas bouger. À cause de la peur. Il tentait de le faire. Cela n'aurait pas dû être si difficile. Les ombres ne manquaient pas. Elles l'envahirent finalement. Les murmures l'assaillirent. Il se sentit trembler dans ce vide inconsistant. Ce n'était que quelques mètres, pourtant le voyage fut trop long. Il atterrit sur une zone moins endommagée du sol et se laissa tomber à genoux. Il dut reprendre son souffle pour pouvoir se relever. Tout autour de lui était recouvert de suie. S'il avait fait nuit, il aurait pu croire que le voyage s'éternisait. Mais il en était bien sortie.

Il se mit donc à observer l'étage, se déplaçant du mieux qu'il le pouvait sans risquer de faire s'effondrer le sol. Encore une fois, il ne semblait pas y avoir de traces. Rien qui indiquât une présence étrangère. Il commençait à croire qu'il avait voler sans résultat. Cela assombrit considérablement son humeur. Mais que faisait-il ? Ça ne servait à rien. Ces gamins pouvaient se débrouiller avec les autres maintenant. Et au diable la prophétie. Ces choses-là n'apportaient jamais rien de bon. Tout comme lui.

C'était avec ces idées noires et l'intention de partir que son regard fut soudain attiré. Il avait dû voir quelque chose bouger du coin de l'œil. Néanmoins, ce qu'il vit était inerte. Mais brillant.

Un collier en argent traînait par terre, quasiment sous l'armoire d'une des chambres. D'étranges symboles ornaient le pendentif. C'était certainement à la mère. Reprenant son exploration, il ne trouva rien de plus. Puis ils redescendit, prenant cette fois le risque de sauter vers le rez-de-chaussée, qui ne risquait pas de s'effondrer, lui.

Il rentra au camp avec le bijou, espérant que cela suffise à les mener quelque part.