Salut à tous, le chapitre d'aujourd'hui est une courte nouvelle policière. C'est la première fois que j'écris dans le genre et j'espère que ça vous plaira. Plus d'infos à propos de cette histoire après la présentation générale du chapitre et les RAR.
RAR
Katymyny : The Irregulars est vraiment, géniale, j'avoue avoir été sceptique au début quand j'ai vu la bande annonce (justement parce que ça me semblait très (peut-être trop) éloigné du canon d'ACD), mais j'ai quand même tenté le coup et j'ai vraiment adoré. Je te souhaite d'avoir un jour l'occasion de la regarder.
Contente que tu partages mon avis sur les fandoms ! Et oui, la dame du parc était effectivement Mrs Hudson et Sherlock (cet entêté) l'a effectivement tirée des griffes de son ex-mari (si l'on suit canon de la BBC). Merci pour ton compliment !
Effectivement, le ship Lestrade-Sherlock m'a fait un peu bizarre mais je te remercie de m'avoir fait découvrir ce texte.
En te souhaitant une bonne lecture !
TITRE : L'aventure du pied-du-diable
SITUATION : AU, inspiré d'une nouvelle d'Arthur Conan Doyle
RESUME : Alors qu'une série de meurtres sans lien met Scotland Yard dans la difficulté, Sherlock devient le stagiaire de John, jeune sergent.
Cet OS est une adaptation d'une des nouvelles du canon holmésien (que vous pouvez trouver dans le recueil Son dernier coup d'archet si vous ne l'avez pas lue) version BBC. Le concept m'a été inspiré par les fics de Alienigena (et c'est finalement aussi le concept de base de la série). Si vous ne les avez pas lues, allez-y, elles sont géniales ! Pour ceux qui auraient lu la nouvelle, j'y ai apporté une petite modification. Pour tout le monde, j'ai également voulu donner un peu plus de crédit à John (qui est quand même souvent insulté (voire rabaissé) par notre détective préféré), c'est pourquoi, dans cette fic, il est sergent à Scotland Yard et un peu plus perspicace que l'original. Comme elle est assez longue, je l'ai séparée en deux parties. Vous aurez donc la deuxième la semaine prochaine.
Je rappelle que l'abus d'alcool et la consommation de drogues sont dangereux pour la santé !
John soupira sans doute pour la quarantième fois depuis une demi-heure. Ce stupide dossier n'en finissait pas de se remplir et l'enquête n'avançait pas d'un poil. Les victimes, toute tuées de la même façon, s'alignaient à la morgue et tout Scotland Yard était incapable d'avoir ne serait-ce qu'une piste, lui compris. Il avait beau lire et relire les rapports, les témoignages des proches, il n'y avait rien, rien et rien. Toutes les victimes étaient mortes dans leur salon et arboraient une expression de terreur, de révulsion que John n'avait jamais vue à quiconque.
Son portable sonna, le tirant de sa lecture dans un sursaut. HARRY affichait l'écran. John retint un nouveau soupir, sachant très bien ce qui l'attendait s'il décrochait. Il lutta un moment contre sa compassion, se répétant que son état d'exaspération ne serait en aucun cas arrangé par une discussion stérile avec sa sœur au bord du coma éthylique. Puis finalement, il porta le combiné à son oreille.
« Harry ?
– B'soin que t'm'aides, Joh'… fit la voix fatiguée et tremblante de sa sœur à travers l'appareil.
–Tu sais très bien que je ne peux pas, Harry. Je suis de service. Je ne devrais même pas être en train de te parler.
– Clara est encore partie… enchaîna la jeune femme sans se soucier d'un seul des mots qu'il avait prononcés.
Evidemment si tu es dans cet état toute la journée. C'est même un miracle qu'elle soit revenue cinq fois vers toi, songea John avant de se fustiger mentalement pour être aussi dur. Sa sœur n'était pas la seule responsable de son addiction. Il y'avait d'abord leurs parents et leur stupide accident de voiture parce qu'ils avaient tous deux beaucoup trop bu, il y'avait les nombreux problèmes d'Harry au lycée – et ce même si c'était terminé depuis quelques années à présent – et puis il y'avait John qui, malgré tous ses efforts, n'arrivait pas à l'aider. Et qui peu à peu l'avait abandonnée. Il s'en voulait mais se sentait incapable de renouer réellement avec elle tant qu'elle n'allait pas en cure comme il n'arrêtait pas de le lui demander, en vain.
–Tu sais ce que je vais te dire.
– Mais j'peux m'en sortir s'le ! s'écria Harriet de l'autre côté de la ligne.
John observa un silence significatif.
– Viens John… le supplia-t-elle au bout d'un moment.
– Harry…
– J't'en prie… J'arrêterai… J'le pr'mets.
C'était la même chose à chaque fois. Elle le suppliait, il tenait bon, elle promettait d'arrêter de boire et comme à chaque fois, ses serments ne duraient que quelques jours ou un peu plus d'une semaine, Clara revenait et Harry recommençait faisant fuir la femme qu'elle aimait avant de noyer sa peine dans la vodka. C'était un cercle vicieux duquel elle ne se sortirait jamais. John avait l'impression d'être le seul être à peu près normal, lambda de sa famille.
– J'essaierai, d'accord ? dit-il. Quand j'aurais fini le boulot.
– M'ci, grand frère.
John sourit, même si elle ne pouvait le voir. Des pas se rapprochaient dans le couloir.
– Je dois te laisser, Harry. Je risque d'avoir des problèmes avec mon patron sinon.
– Tu viens, c'est promis ?
– Oui. C'est promis, murmura John même s'il savait qu'il risquait de se décourager avant de pouvoir franchir la porte de l'immeuble – ou le dépotoir de son avis – de sa sœur.
Il raccrocha à l'instant où Gregory Lestrade, l'un des DI de Scotland Yard, son supérieur, entrait dans son bureau. Il jeta un œil vers le téléphone que John venait de poser et sourit tristement.
– Oui, c'était ma sœur, fit John face à la question muette.
Greg resta silencieux un moment, se demandant sans doute s'il devait aborder le sujet plus en profondeur, puis se ravisa pour simplement lâcher :
– Tu te souviens que le stagiaire arrive aujourd'hui ?
– Oh merde !
Ce n'était pas comme si c'était lui qui était chargé de l'accueil dudit stagiaire… Ou plutôt si, mais John avait d'autres choses en tête en ce moment.
– Celui qui n'a absolument aucune raison de venir ici ? Qui étudie la chimie avancée ?
– Celui-là même.
– Je me demande bien ce qu'il vient faire à Scotland Yard et pourquoi le surintendant l'a accepté.
– Oh je crois que son frère a très fortement insisté. Il est haut placé au gouvernement de ce que j'ai compris. Je l'ai aperçu une fois dans les couloirs. Il est plutôt effrayant.
– A quelle heure il arrive ?
– Il devrait pas tarder. Je te l'amènerai. Du nouveau ?
– Pas vraiment, non. Ça m'a tout l'air d'une affaire insoluble.
– Tu finiras bien par trouver. Il faut que je me sauve
John adressa un signe de tête à son collègue et se replongea dans sa lecture, se demandant bien ce qu'un étudiant en chimie venait faire dans la police.
John était en train de relire la convention de son mystérieux stagiaire, essayant de deviner de quoi il pouvait bien avoir l'air avec le peu d'information qu'il pouvait trouver. Il avait de vagues connaissances en graphologie qui ne lui avaient, pour être tout à fait honnête, pas vraiment servi jusqu'à présent. Et s'il devait rester très juste avec lui-même, l'écriture en pattes de mouche de son stagiaire ne l'aidait pas vraiment, mis à part qu'il avait l'impression étrange de lire les ordonnances de son médecin. Son cerveau associa automatiquement ce postulat à la possibilité que son interlocuteur soit intelligent. A dire vrai, il préférait. Il n'aimait pas vraiment l'inaction. Donc, à part la différence d'âge très mince entre eux, le nom étrange (et très snob de l'avis de John) du jeune homme, ainsi que cette question – que venait-il faire à Scotland Yard, bon sang ? – qui tournait en boucle dans sa tête, John n'était franchement pas mieux avancé. Et peut-être pas dans les meilleures conditions, entre sa sœur et son enquête qui pédalait dans la semoule.
Alors quand la porte de son bureau s'ouvrit dans un grand fracas, emballant comme autant de chevaux de course son cœur, John sursauta et renversa son thé sur le bureau. Il leva précipitamment la tête pour croiser le regard rougi d'un jeune homme qui faisait à peine la vingtaine, ses cheveux noirs – plus que – négligemment coiffés et plutôt débraillé, malgré son costume trois pièces qui semblait tout droit sorti d'un film d'espionnage. John resta un instant figé, son regard glissant sur l'importun, ce dernier faisant de même, avant que son thé – bouillant, comme s'il n'avait pas assez d'emmerdes pour la journée, et il était 9h30 – vienne délicatement lui couler sur la jambe. John se leva brusquement, renversant sa chaise au passage et comme toute personne sensée en pareille situation l'aurait fait, jura entre ses dents :
–Eh merde…
Son bureau était inondé, ainsi que tous les papiers qui reposaient dessus jusqu'à présent.
– Vous ne savez pas frapper avant d'entrer ? fit John d'une voix sèche à l'intention de l'inconnu qui avait pénétré dans son bureau.
L'autre se contenta de lui adresser un regard perçant par-dessus ses mèches folles, la main toujours posée sur la poignée de la porte. Le sergent avait la désagréable impression d'être passé sous rayons X.
Finalement, il se détourna de ce regard un peu trop dérangeant pour enlever les documents qui pouvaient être sauvés. C'était bien son jour. L'autre l'observait toujours.
– Si vous pouviez aller chercher de quoi essuyer au lieu de me reluquer comme ça, ça serait bien aimable, fit John, essayant de récupérer un semblant de contenance.
Il n'était pas certain qu'exploser devant des inconnus, sur son lieu de travail, soit une très bonne idée. Après un instant de flottement, l'autre s'exécuta et revint quelques secondes plus tard avec un rouleau de sopalin. John se demanda fugitivement comment cet homme, qu'il n'avait jamais vu ici une seule fois depuis les quelques années qu'il travaillait à Scotland Yard, s'était débrouillé pour trouver ce qu'il lui avait demandé en si peu de temps. Néanmoins, il ne préféra pas demander et se contenta de prendre le papier pour éponger son bureau en le remerciant à mi-voix. L'inconnu avait recommencé à le fixer. John faisait en sorte de ne pas croiser son regard. Il trouvait la situation plutôt gênante, voire même un peu inquiétante. Qui fixait les gens de cette manière, sérieusement ? Et que venait-il faire ici sans qu'on lui ait annoncé une quelconque visite ?
Lorsqu'il eut terminé d'éponger son thé, remis sa chaise à sa place et contemplé l'ampleur des dégâts que sa frayeur avait provoquée, John envoya un simple message à Lestrade lui demandant s'il n'avait pas par hasard un autre exemplaire des documents liés à l'affaire. Puis il se tourna vers l'inconnu, toujours debout devant la porte et qui ne l'avait pas quitté des yeux. John se passa une main à l'arrière de la tête, tant parce qu'il était affreusement mal à l'aise que parce son soudain accès de colère lui donnait l'impression d'être franchement ridicule.
– Excusez-moi pour… Enfin, ça n'avait rien avoir avec vous. Fermez la porte et asseyez-vous. Vous êtes ? ajouta John quand l'autre se fut exécuté.
– Sherlock Holmes, répondit son interlocuteur, d'une voix de baryton assez étonnante pour son aspect juvénile.
Le stagiaire… Manquait plus que ça. Déjà, l'esprit romanesque de John imaginait le jeune homme trouver son frère, au pouvoir visiblement étendu, pour lui raconter que son maître de stage l'avait accueilli avec une grossièreté sans nom et son patron le renvoyer pour mauvais comportement. D'autant plus que l'apparence, certes négligée du dénommé Holmes, criait au snobisme des familles aisées et un peu coincées, tout comme son nom, d'ailleurs.
– Je ne m'emporte pas comme ça d'habitude.
– Pourtant ça n'a pas l'air d'être la première fois que votre frère vous appelle après avoir vidé toute une cave à vin, lâcha Holmes d'un ton tranchant.
John se figea, abasourdi, ses yeux s'arrondissant comme des soucoupes.
– Pardon ?! fut la seule chose qu'il fut capable de dire, et encore, il lui fallut une bonne dizaine de secondes.
Un sourire carnassier s'étirait sur les lèvres de son interlocuteur. Je l'ai peut-être un peu cherché, songea John. Mais BORDEL comment est-ce qu'il sait ça ?
– Votre frère. Ce n'est pas la première fois qu'il vous appelle en étant complètement saoul.
– J'avais bien compris, fit John en serrant le poing sous la table, essayant de maîtriser sa voix, la question n'était pas quoi mais comment vous savez ça.
Et pourquoi en étaient-ils venus à parler des problèmes d'alcool d'Harry ?
– J'ajouterai que son état est en parti dû au fait que sa femme l'ait quitté.
John ne put s'empêcher d'écraser avec violence son poing sur la table. Holmes jouait avec ses nerfs et le savait très bien. L'autre eut le bon sens de sursauter lorsque la main de John s'abattit sur le bureau. La prochaine fois, c'est dans ta tête, songea John. Il prit une longue inspiration. Il était d'un naturel patient, mais aujourd'hui, celle-ci avait été mise à rude épreuve. Et il n'était que 9h30, bon sang.
– Vous savez que je peux mettre fin à votre convention de stage dès maintenant ? Je ne suis pas sûr qu'évoquer ma vie privée dès votre arrivée soit la meilleure idée que vous ayez eue. Je peux laisser glisser l'incident et on en parle plus. Ou vous pouvez continuer votre petit cirque mais je pourrais suggérer à la brigade des stup' une petite perquisition chez vous.
A ses mots, Holmes se tendit comme un arc, se levant sans doute inconsciemment. Son regard se fit plus perçant, plus menaçant, tel un aigle face à sa proie. Pourtant, John ne se démonta pas et le fixa droit dans les yeux.
– Ne prenez pas cet air surpris. Je sais observer et vous ne dissimulez pas aussi bien que vous semblez le croire. Ou vous êtes malheureusement tombé sur quelqu'un qui connaît plutôt bien les addicts.
La joute visuelle continua un moment, aucun d'eux ne voulant céder avant que finalement, Sherlock Holmes ne baisse le regard et ne se rassoie. John en fit de même.
– Bien. Considérons l'incident comme clos, d'accord ?
Holmes lui adressa un regard assassin mais hocha tout de même la tête. A cet instant, Lestrade passa la tête à travers la porte.
– Je te rapporte le dossier. J'ai demandé à la morgue de m'envoyer un fax des rapports des légistes.
Lestrade adressa un drôle de regard à Holmes, raide comme la justice dans son siège tandis que John s'approchait de lui pour récupérer le dossier.
– Tout se passe bien ?
Le sergent acquiesça, adressant un sourire qu'il voulait rassurant à son collègue.
– Je gère la situation.
Greg eut une moue que John aurait qualifiée de dubitative si elle ne disparût pas aussi vite qu'elle était apparue. Finalement, Lestrade quitta la pièce, laissant John de nouveau seul avec Holmes qui le suivit du regard alors qu'il s'asseyait.
– Il y'a une chose qui m'intrigue, murmura au bout d'un moment John, qu'est-ce qui a poussé un étudiant en chimie à faire un stage à Scotland Yard ?
– Vous avez, de manière plus qu'évidente, besoin de mon aide. Et puis c'est un domaine qui est intéressant.
John se retint de ricaner. A la place, il esquissa un sourire.
– Vous pensez sincèrement que nous avons besoin de votre aide ?
– Oui.
John n'arrivait pas à croire l'arrogance de ce jeune homme. Son regard le défiait de lui dire le contraire.
– Sans vouloir me montrer rabaissant, ici, les stagiaires servent à faire les cafés et les photocopies.
– Mais vous n'êtes pas comme ça, riposta aussitôt Holmes. Vous détestez l'inaction. Vous ne supporteriez pas que je passe ma journée dans votre dos à ne rien faire. Cela tombe bien, je ne suis pas venu pour vous servir de domestique.
John était tellement abasourdi par son culot et par ce qu'il avait déblatéré tout naturellement à propos de quelqu'un qu'il ne connaissait que depuis un quart d'heure au maximum, qu'il fut incapable de répondre quoi que ce soit. D'abord Harry et maintenant ça ? Etait-il une sorte de médium ? Ce qui était sûr, c'était que Sherlock Holmes semblait ravi de son effet.
– Nous nous entendons au moins sur ça, conclut-il tout naturellement, comme si c'était lui qui avait à décider des activités qu'il réaliserait durant son stage.
John aurait dû le virer, là maintenant. Sans hésitation. Il lui avait manqué de respect par deux fois, se montrait absolument détestable et pour ne rien arranger, avait tous les symptômes d'un junkie – comment personne ne s'en était aperçu, c'était un mystère – il aurait vraiment dû le renvoyer là.
Mais cet étrange jeune homme qui semblait déplacé dans l'univers auquel il avait l'air d'appartenir, qui maniait l'ironie et le sarcasme à la perfection pour appuyer là où ça faisait mal, ce mystérieux jeune homme intriguait trop John.
Il avait besoin de percer ce mystère. Et le sergent lut dans les yeux de Holmes qu'il l'avait parfaitement compris.
– Si vous m'expliquiez en détail cette affaire de meurtres ?
– Qu'est-ce qui vous dit que je suis chargé de l'affaire ? fit John, curieux de voir jusqu'où la clairvoyance de son stagiaire pouvait aller.
– Vous êtes vraiment aussi stupide ? Le dossier est sur votre bureau.
– Et vous ne devriez même pas avoir essayé de le lire. Tout ceci est hautement confidentiel.
– Etrange. Vous ne relevez même pas l'insulte. Vous préférez me faire remarquer mon indiscrétion. Vous avez le sens du devoir.
– Je ne suis pas sûr que ça vous regarde. Et puis de toute façon, ça ne vous intéresse pas.
Ça n'était même pas une question. John le savait.
– En effet, non. Les gens stupides ne m'intéressent pas. Ne vous offusquez pas, quasiment tout le monde l'est.
A nouveau, John se fit la réflexion qu'il aurait dû le virer de son bureau à grands coups de pieds dans l'arrière-train. Il se demandait pourquoi il ne le faisait pas.
– Alors, cette affaire, ça vous intéresse ou pas ?
Aussitôt, Holmes se fit tout ouï, s'appuyant sur ses coudes, les mains repliées en cloche sous son menton. John faillit rire. Il se concentra simplement sur son dossier.
– Trois morts suspectes à seulement quelques semaines d'intervalle. Rien ne relie les victimes. Toutes mortes dans leur salon, l'autopsie révèle un empoisonnement. Point commun : toutes les victimes ont la même expression d'horreur sur le visage. On ne sait pas comment le poison est entré dans leur corps, ni pourquoi elles ont été tuées. La piste la plus probable est un serial killer.
– Mais ? fit Holmes, les yeux fermés.
John haussa un sourcil. Il aurait pu croire qu'il dormait. Mais la question, jetée d'une voix douce et basse, prouvait l'existence d'une intense réflexion sous ce crâne.
– Les tueurs en série cherchent à se faire attraper. Ils cherchent la lumière, la publicité. Celui-là n'en a pas l'air. Il est aussi libre que l'air, rien ne l'accuse. On n'a retrouvé aucune empreinte chez les victimes, aucun signe impliquant qu'elles se seraient débattues… C'est comme si le tueur commettait son crime à distance. A ce stade-là, normalement… un tueur en série aurait essayé de se manifester. Ce sont des psychopathes. Tout ce qu'ils cherchent, c'est de voir leur génie reconnu. J'ai l'impression qu'il y'a autre chose derrière ces meurtres mais je ne vois pas quoi.
– Vous avez interrogé les proches ?
– Evidemment, fit John un peu trop brusquement. Vous nous prenez pour des incapables ?
Le regard que lui lança Holmes en ouvrant un instant les yeux sous-entendait très clairement que oui. John ne préféra pas relever. Il doutait que frapper son stagiaire, bien que la chose lui fasse un grand bien, lui servirait beaucoup.
– Il n'y a vraiment aucun lien entre eux ?
John roula des yeux et avança le dossier vers son interlocuteur. Il avait très bien compris la demande sous-jacente. Holmes se plongea aussitôt dans la lecture des rapports d'autopsie, des recueils de témoignages, des proches et de ceux qui avaient découvert les corps, des interrogatoires. A nouveau, John eut l'impression que le jeune homme scannait toutes les informations qu'il rangeait ensuite dans une case de sa tête. Il aurait tout donné pour savoir ce qu'il se passait à l'intérieur du cerveau de son interlocuteur en cet instant
– Votre piste me semble cohérente.
– C'est vrai que j'avais tellement insisté pour avoir votre avis.
Holmes le foudroya du regard. John sourit, amusé. L'autre se rembrunit, se rendant compte qu'il avait foncé droit dans le piège.
– Donc vous pensez que ce n'est pas un tueur en série ?
– Non.
– Et pourquoi ferait-il ça alors ?
– C'est votre boulot de le découvrir, non ?
John lui accorda cette victoire. Celle-là il l'avait vraiment cherchée.
John se demandait comment il s'était laissé convaincre d'aller à la morgue avant de se souvenir du comportement affreusement puéril et insupportable de son stagiaire. Il commençait à regretter de ne pas l'avoir mis à la porte. Au moins avait-il une certitude, il n'était absolument pas prêt à avoir des enfants.
Toujours était-il qu'il se trouvait à présent dans un taxi à la droite de Sherlock Holmes qui semblait plongé dans ses réflexions. John appréciait le silence, étrangement. Il avait l'habitude des calmes gênants en compagnie d'inconnus, or, il ne le trouvait pas spécialement malaisant aux côtés de son stagiaire qui regardait fixement le paysage londonien défiler à travers la fenêtre à laquelle il était appuyé.
John allait lui-même se plonger dans ses propres pensées quand la voix de baryton du jeune homme déclara simplement :
– J'observe. Et je déduis.
– Pardon ? fit John, pas sûr de suivre.
– C'est comme ça que je sais. J'observe les gens et je déduis.
– Vous avez conscience que le fait de fixer intensément quelqu'un pendant plusieurs minutes peut, soit être mal interprété, soit devenir très rapidement inquiétant, voire flippant ?
Holmes esquissa un sourire.
– Ça fait partie de la méthode.
– Donc vous tentiez de m'intimider. Pourquoi ? Me soudoyer ?
Sa question, seulement à moitié sérieuse, n'obtint aucune réponse.
– J'avais vu juste ? demanda-t-il au bout d'un moment.
– A propos de ?
– De vous. De votre frère.
– Je croyais qu'on ne devait plus en parler.
– On en parle pas. Je veux simplement savoir si j'avais raison.
John lui lança un regard à la dérobée, attendit quelques secondes, pesant le pour et le contre de la nécessité de lui répondre. Il ne voulait pas entamer un nouvel esclandre dans le taxi. Puis finalement, il déclara:
– Je n'aime effectivement pas l'inaction. Je ne supporte pas l'injustice et mon sens du devoir en découle. Harry est effectivement alcoolique… Je n'arrive pas à l'en détourner. Clara l'a quittée plusieurs fois avant de revenir mais son addiction est plus forte. Elle est repartie. Ça arrive souvent.
Holmes sourit.
– Je ne pensais pas avoir raison sur toute la ligne.
– Harry est un diminutif d'Harriet, répliqua John en sortant de la voiture qui venait de s'arrêter.
Il paya le taxi et sans attendre Holmes, s'avança vers l'entrée de St Barts. L'autre le rejoignit en quelques enjambées et John se fit la réflexion qu'il était vraiment très grand.
– C'était votre sœur.
– Selon toute vraisemblance.
John tint la porte ouverte à son stagiaire puis ils rejoignirent l'accueil. Le sergent montra son badge de police avant de demander l'accès à la morgue, accès qu'on lui offrît presque aussitôt. Il déclina l'aide qu'on lui proposa pour les guider et s'engagea dans la cage d'escaliers.
– Je vous préviens, vous risquez de ne rien découvrir de concluant.
– C'est à moi d'en décider, fit Holmes.
– C'est automatique ce petit air condescendant ou ça m'est exclusivement réservé ?
Pour toute réponse, Holmes accéléra le pas en lui adressant un sourire mutin. John secoua la tête, amusé malgré lui. Il rejoignit son stagiaire en pressant le pas à son tour. Ils atteignirent finalement la morgue où une jeune femme était penchée sur un corps. Elle semblait absorbée par sa tâche et sursauta en entendant les pas de John et Holmes. Elle sourit au premier et adressa un regard intrigué au second.
– Salut Molly.
– Salut John. Je peux faire quelque chose pour t'être utile ?
Molly Hooper était l'une des légistes auxquels John avait souvent affaire au cours de ses enquêtes. La jeune femme était timide de prime abord mais était néanmoins dotée d'un fort caractère dont on ne se doutait qu'au moment où elle le laissait exploser.
– J'aurais besoin que tu me ressortes tous les corps de l'enquête.
Elle acquiesça et se mit aussitôt à la tâche, ouvrant trois tiroirs, pour les trois victimes.
Un homme âgé de plus de soixante ans, sans histoire, divorcé, ses enfants partis vivre ailleurs en Angleterre, qui vivait seul dans un petit appartement de la couronne londonienne. Pas quelqu'un qui s'attirerait les foudres d'un potentiel ennemi aux méthodes d'assassinat plus qu'étranges.
Une jeune femme – fort belle de l'avis de John – la trentaine, récemment mariée et filant le parfait amour, travaillant comme ingénieure dans une grande entreprise d'aéronautique à l'avenir prometteur. Elle était issue d'un milieu modeste et, fille unique, avait reçu de nombreux sacrifices de la part de ses parents afin d'en arriver là où elle en était. Là encore, qui pourrait lui vouloir du mal ?
La troisième victime était un quarantenaire bedonnant aux cheveux grisonnants, de bonne famille, marié depuis des années, quatre enfants, professeur à l'University College of London, respecté et aimé de ses élèves, réputé brillant. Rien qui ne pousserait au meurtre encore une fois.
Le seul point commun qu'avait les trois victimes, c'était l'expression de terreur que même la mort n'avait pas enlevée à leurs visages. Leurs bouches se tordaient dans un cri muet perpétuel et leurs yeux, bien qu'à présent fermés, reflétaient alors la puissance de l'horreur qu'ils avaient ressenti avant de mourir. Leurs traits étaient crispés, ridés par la peur.
Holmes s'approcha tour à tour de chacun des corps, les examinant minutieusement, les détaillant sous toutes les coutures comme s'il les disséquait du regard. John l'observa faire, bras croisés sur la poitrine, curieux de voir son stagiaire en action. Il doutait d'obtenir un indice sur les techniques qu'il employait pour lire si facilement en lui – et en les autres à le croire – mais il restait attentif. Molly s'approcha doucement de lui et chuchota :
– Un nouveau ?
— On peut dire ça.
Elle n'eut pas le temps de poser d'autres questions, Holmes se relevant brusquement, un air pincé aux lèvres.
– Il semblerait que vous aviez raison. Ils ne m'apprennent rien. Rien de plus intéressant que ce que disait le rapport.
– Vous vous attendiez à quoi ? A ce qu'ils vous parlent ?
John récolta un regard noir en guise de réponse. Il ne s'en formalisa pas, ni même de l'œillade perplexe de Molly.
– Allons-y dans ce cas. Merci Molly.
Et sans attendre de réponse de son stagiaire, John quitta la pièce avec un signe de la main pour la légiste qui les regarda partir, une drôle d'expression sur les lèvres. John était certain que Holmes lui avait fait de l'effet. En même temps, le jeune homme en imposait rien que par sa présence et son regard changeant semblait si perçant qu'il était difficile de rester impassible face à ce dernier. John devait avouer que Sherlock Holmes était de ces personnes et personnalités qui marquaient les esprits.
– Je n'arrive pas à comprendre le cheminement de pensée de ce criminel, déclara soudainement Holmes alors qu'ils montaient dans un taxi.
Cela faisait une dizaine de minutes qu'ils en attendaient un qui voudrait bien les prendre et ce, en silence. Il semblait que Holmes lâchait les choses telles qu'elles lui venaient à l'esprit. John tourna la tête vers lui et dissimula avec grand-peine l'expression amusée sur son visage.
– Qu'y a-t-il de si drôle ? bougonna Holmes en s'installant dans le taxi.
– Votre tête.
– Je ne comprends pas. Et je déteste ne pas comprendre.
John reprit son sérieux.
– Je ne comprends pas plus que vous, Mr Holmes. Il ne suit aucune hiérarchie, il n'y a aucune logique, c'est comme s'il tuait pour s'amuser, au hasard. Ça n'a aucun sens. On ne sait même pas où il frappera et si même, il frappera encore.
– Peut-être qu'il essaie de détourner l'attention d'autre chose… du véritable indice. Gardez le « Mr Holmes » pour mon frère. Vous pouvez m'appeler Sherlock.
John haussa un sourcil face au changement de sujet soudain avant de demander :
– Détourner l'attention ? Comment ça ?
– Ces meurtres n'ont aucun rapport, aucun sens. Et si justement, le but, c'était de n'avoir aucun sens pour faire croire à une série de meurtres? Tromper les stupides membres du Yard en les lançant sur la piste d'un serial killer. Ça serait la seule explication rationnelle.
John fit exprès d'ignorer l'insulte à peine voilée à propos de lui et de ses collègues et préféra reprendre :
– Vous apprendrez, Sherlock, que l'être humain n'est pas toujours rationnel.
– Eh bien, il devrait. Son jugement serait bien moins biaisé par les sentiments
Il y'avait tant de révulsion dans ce simple mot qu'un instant, John ne sut quoi dire. Il ne préféra pas demander la source de cette haine injustifiée et se replongea dans ses réflexions.
– Mais détourner de quoi ? »
Sherlock haussa les épaules. La voiture s'arrêta devant le Yard et ils en descendirent.
Sherlock bougonnait, visiblement pas heureux de devoir quitter le commissariat. John comprit entre deux grognements qu'il trouvait que rien n'avait avancé et qu'il n'avait rien trouvé de concluant. Il faillit répliquer au jeune homme que cela faisait trois semaines que ce problème s'éternisait. John non plus n'avait pas vraiment envie de voir sa journée se terminer. Il n'était pas certain de vouloir aller voir Harry. Avec un peu de chance, la journée lui aurait permis de décuver.
Pour la deuxième fois dans la journée, la porte du bureau de John s'ouvrit à la volée, le faisant sursauter, mais cette fois, aucun thé ne fut renversé. C'était Lestrade, l'air complètement déconfit.
« Qu'y a-t-il ? demanda John.
– Il a de nouveau frappé.
John se tendit comme un arc.
– Où ça ?
– Tredannick Wartha. Une petite bourgade de l'autre côté de Londres, un peu isolée.
– On aura jamais de soirée tranquille, hein ? fit John, faussement ennuyé. J'arrive.
Lestrade lui adressa un signe de tête avant de repartir. John fouilla dans les tiroirs de son bureau sous l'œil perçant de Sherlock. Il en sortit rapidement un calepin et un crayon qu'il fourgua dans la poche de son blouson.
– Vous ne partez pas ? demanda-t-il à son stagiaire en se saisissant de son téléphone.
– Alors que les choses commencent à devenir intéressantes ? Vous plaisantez !
– Vous ne devriez pas vous réjouir autant de la mort de quelqu'un.
– Mais l'enquête avance !
John lui adressa un regard incrédule. Puis finalement, il sortit pour rejoindre Lestrade devant la voiture de police qui attendait. Sherlock lui emboîta le pas.
– Théoriquement, je ne devrais pas accepter que vous me suiviez, vous savez ? S'il vous arrive quelque chose, je suis responsable.
– Je suis majeur et vacciné, ma responsabilité n'échoue qu'à moi. Et puis c'est théoriquement.
John roula des yeux.
– Je ne peux vraiment pas vous laisser venir.
– Vous ne m'en empêcherez pas.
– Et un revolver vissé contre votre tempe non plus ? hasarda John en tapotant la poche rebondie de sa veste.
– Mon frère serait scandalisé d'apprendre que j'ai été menacé par un officier de police.
– Oh vraiment ?
– De toute façon, vous avez besoin de moi. Vous allez manquer tous les indices. En plus, votre adresse légendaire fera disparaître toutes les preuves.
John lui adressa un regard mi-scandalisé, mi-amusé alors qu'ils sortaient du commissariat. Sherlock, quant à lui, arborait un regard triomphant. Comment faisait-il pour le mener si facilement à la baguette ?
– John ? Qu'est-ce qu'il fait là ? interrogea Lestrade en désignant Sherlock du menton.
– Il ne peut plus se passer de moi. Plus sérieusement, ajouta John face à la moue outrée du jeune homme, il pourrait nous être utile
– Un étudiant en chimie ? dit Greg d'un ton pour le moins convaincu.
Avant que John n'ait pu expliquer quoi que ce soit, Sherlock était passé en mode «rayons X» – John ne voyait pas vraiment comment nommer autrement ses démonstrations de génie – et débitait d'une voix saccadée quelques faits plutôt secrets à propos du DI qui se décomposait à mesure que les déductions s'enchaînaient. Sherlock se tut finalement, apparemment satisfait de son effet et entra dans le taxi comme si son petit numéro lui avait donné l'autorisation de suivre.
– Bordel… lâcha Lestrade au bout d'un long moment. Mais comment il sait tout ça ?
– Je n'en ai strictement aucune idée mais son talent peut se révéler vraiment utile. Il est insupportable mais s'il peut faire avancer l'enquête…
Greg acquiesça et ils entrèrent tous deux dans la voiture de police, Lestrade au volant, John en passager tandis que Sherlock, à l'arrière, battait frénétiquement une mesure avec ses doigts, impatient d'arriver à destination.
Sherlock dut cependant patienter pendant près d'une heure, la demeure où avait eu lieu le meurtre se trouvant à l'opposé des bureaux de Scotland Yard. Alors qu'ils avançaient vers la scène de crime, déjà banalisée par leurs collègues, Sherlock marchait les yeux rivés sur le sol, tournant sur lui-même. John ne fit pas de commentaire et se contenta de suivre Lestrade. Alors qu'ils atteignaient le perron – fait d'un marbre blanc immaculé – de l'immense demeure, John eut le déplaisir d'y apercevoir Anderson. Le légiste de Scotland Yard était sans doute la personne la plus détestable de l'univers tout entier, même si Sherlock Holmes se plaçait lui aussi haut dans le classement, et une haine mutuelle s'était développée entre John et lui, sans que le sergent ne sache vraiment pourquoi. Peut-être cela avait-il un rapport avec le fait que Donovan, une de leurs collègues, que John avait poliment éconduite, s'était tournée vers Anderson par dépit. Le médecin légal était sans doute jaloux, sans compter, qu'issus de la même promotion, John avait réussi le concours auquel Anderson avait échoué avant d'entrer en école de médecine pour exercer le métier qui l'avait conduit ici.
Donovan surgit de derrière lui et John ne put s'empêcher de rouler des yeux. Il ne manquait plus qu'elle. Depuis qu'il lui avait gentiment fait savoir qu'il n'était pas intéressé par elle, elle lui vouait une animosité à peine voilée. Autant dire que John n'était pas vraiment en bon terme avec ses collègues.
Sherlock le rejoignit et dut sans doute remarquer la légère tension des épaules du sergent car il fronça les sourcils.
– C'est qui cet énergumène ? exigea de savoir Anderson.
– Un collègue, répondit John, n'ayant pas envie d'expliquer pourquoi son stagiaire était ici alors qu'il ne le devrait pas.
– Je ne tiens pas à ce que cette scène de crime soit contaminée par des éléments inutiles, répliqua Anderson.
Lestrade s'apprêtait à rabrouer le légiste quand Sherlock le devança :
– Il vaudrait mieux que vous vous en éloignez dans ce cas.
Il y'eut un instant de flottement durant lequel personne ne parla. John ne put retenir le petit sourire qui franchit ses lèvres. Il avait une petite idée de ce qui allait se produire et si la chose allait le satisfaire, il n'était pas sûr qu'elle plaise au légiste. Sans un mot de plus, Sherlock passa devant la sergente et le médecin, vite suivi de John. Il s'arrêta dans l'entrée de la maison.
– Vous pourrez continuer vos petites affaires de cette façon, ajouta le jeune homme.
– Qu'insinuez-vous ? s'offusqua Anderson tandis que John se retenait d'éclater de rire.
– Moi ? Rien.
– Qui vous a parlé de ça ?
– Oh, votre déodorant.
– Mon déodorant ?
– Oui, il est pour homme.
– Evidemment puisque j'en mets ! répliqua Anderson, l'air exaspéré.
– Tout comme elle. Mais je suis certain qu'elle est passée pour une simple petite discussion. N'est-ce pas ? lâcha Sherlock en se tournant vers Donovan.
Puis il laissa ses interlocuteurs seuls, John sur ses talons, retenant à grand-peine son envie de rire. Même Lestrade avait un petit sourire.
– Je croyais qu'il était inapproprié de sourire quand il y'a un meurtre, dit anodinement le stagiaire.
John lui envoya un regard incrédule.
– Vous n'auriez pas dû faire ça, dit-il finalement. Ils vont vous détester.
– C'est ce que les gens font, répliqua Sherlock en haussant les épaules.
John n'eut pas vraiment le temps de répliquer que ça n'était pas vraiment normal, qu'ils entraient dans le luxueux salon de Tredannick Wartha. Une tapisserie datant sans doute de plusieurs décennies s'étalait sur les murs percés de larges baies vitrées. Une imposante cheminée dont l'âtre était éteint envahissait ce dernier. Une table en bois d'acajou se trouvait au centre de la pièce. Et autour de cette dernière, devant un jeu de cartes, une étrange scène se déroulait.
Deux hommes, le regard fou riaient, criaient et chantaient à tue-tête aux côtés du cadavre du jeune femme dont l'expression de terreur ne trompait pas. Le criminel avait à nouveau frappé. La tête de la morte pendait mollement contre le dossier de la chaise, ses bras donnaient l'impression de vouloir toucher le sol sans jamais l'atteindre.
– Brenda, George et Owen Tregennis. Frères et sœur. On dirait que le tueur n'a pas réussi son coup cette fois, commenta Lestrade d'un ton morne.
John et Sherlock s'avancèrent d'un même pas dans la pièce. Le regard du second scannait la pièce, l'analysant sous toutes ses angles. Rapidement, il en fit le tour, observant chaque recoin, analysant chaque brin de poussière. Sa progression ressemblait à une chorégraphie compliquée aux yeux de John qui ne put détourner son regard de son stagiaire, fasciné par ses mouvements. Ce ne fut que lorsque Sherlock se décida à rejoindre les victimes pour examiner le corps de Brenda Tregennis que le sergent revint à lui. John s'imposa, s'occupant lui-même du corps tandis que Lestrade essayait, en vain, de faire parler les deux frères qui ne cessaient de marmonner des choses incompréhensibles, de se lancer des regards hagards avant d'éclater de rire.
Ils étaient devenus fous à lier. Ils ne pourraient certainement pas servir de témoins. John palpa un moment le corps de Brenda, huma près de ses lèvres mais rien, rien n'indiquait l'empoisonnement qu'il savait être la cause de la mort de la jeune femme et de la folie des deux frères. Comment le tueur s'y prenait-il ? Dans sa vision périphérique, John aperçut les silhouettes d'Anderson et Donovan s'appuyant contre la porte en chêne massif qui gardait l'entrée au salon.
– C'est leur domestique, Mrs Porter qui les a découverts comme ça, déclara la sergente.
– Faites-la venir, ordonna Lestrade en rendant les armes.
John se redressa à son tour et échangea un regard perplexe avec son supérieur.
– Il fait froid, vous ne trouvez pas ? dit-il au bout d'un moment.
– Evidemment, la fenêtre est ouverte, lui fit remarquer Sherlock.
– C'est moi qui l'ai ouverte, murmura une voix chevrotante.
Tous trois se tournèrent alors vers une petite femme replète, la cinquantaine, ses cheveux châtains ramenés en chignon sur le haut de son crâne.
– J'étais venue voir si messieurs et mademoiselle avaient besoin de quelque chose et je les ai trouvés comme ça. Je me suis évanouie en les découvrant. Quand j'ai repris mes esprits, j'ai tout de suite ouvert la fenêtre et appelé la police.
– Pourquoi avoir ouvert la fenêtre ? demanda John, perplexe.
– Il y'avait une odeur étrange…
– Vous n'avez rien vu ? Personne ? Rien entendu ? fit Sherlock, devançant Greg et John.
– Pas depuis le départ de Mr Mortimer.
· Le frère des victimes. Il est venu voir ses frères et sa sœur, a partagé une partie de cartes avant de s'en aller. Nous l'avons fait rappeler, déclara Anderson. Il ne devrait pas tarder.
John acquiesça pour montrer qu'il avait entendu. L'animosité du légiste à son égard était palpable même s'il se gardait de le faire savoir. John jeta un coup d'œil vers Sherlock. Le jeune homme semblait pensif.
– Vos employeurs avaient-ils des ennemis ? Quelqu'un qui pourrait leur en vouloir ? interrogea Lestrade.
– Pas que je sache. C'était des gens adorables, surtout mademoiselle Brenda ! Et ses frères, des hommes si brillants ! Quel gâchis…
La domestique se moucha bruyamment, récoltant un claquement de langue dédaigneux de la part de Sherlock. John lui envoya un regard d'avertissement auquel il répondit par un air innocent.
– Merci madame. Vous pouvez disposer, dit-il finalement.
Il y'eut un moment de silence alors que la domestique repartait.
– Eh bien espérons que le frère se montrera plus loquace, déclara Lestrade du ton las de ceux qui n'ont pas beaucoup espoir.
John approuva d'un soupir. Sherlock semblait toujours autant plongé dans ses pensées. Pour ne pas rester sans rien faire, John entreprit à son tour de faire le tour du salon, examinant minutieusement tout ce qui lui semblait important. Il ne trouva rien de concluant.
Finalement, Mortimer Tregennis se manifesta dans la maison avec force de bruits. Il déboula dans la pièce, l'air scandalisé. C'était un homme maigre, la quarantaine et pourtant voûté comme si des années alourdissaient ses épaules. Ses yeux sombres étaient à demi-dissimulés sous des lunettes rondes, son visage émacié par ses cheveux bruns. Il triturait nerveusement son chapeau entre ses mains et évitait les regards. John eut l'impression de voir deux personnes différentes. Le sergent fronça les sourcils et, presque par automatisme, se tourna vers Sherlock qui fixait sans ciller le nouvel arrivant. John comprenait plus ou moins le malaise de ce dernier. Le regard clair et perçant du jeune homme avait le don de rendre timide le plus bavard des hommes. Il en était certain.
Lorsque le regard de Mortimer Tregennis se posa sur ses frères et sœur attablés, l'une gisante, les autres chantant toujours, il eut un mouvement de recul avant de tout simplement tomber dans les pommes. Lestrade l'empêcha de s'effondrer sur le luxueux tapis du salon in extremis en faisant glisser une chaise derrière l'homme. Quand ce dernier revint à lui, John lui tendait un verre d'eau. Il vit du coin de l'œil que derrière lui, Sherlock roulait des yeux, agacé de perdre autant de temps.
– Bien. Maintenant et si vous nous exposiez les faits ?
D'un même mouvement, John et Greg se tournèrent vers Sherlock pour lui adresser un regard lourd de reproche. L'intéressé leur offrit son sourire le plus innocent avant de se tourner à nouveau vers Tregennis. Ce dernier posa d'une main tremblante le verre d'eau sur la table et déclara :
–J'étais venu rendre visite à ma famille. Je suis souvent loin de Londres pour des raisons professionnelles. Je devais d'ailleurs prendre un avion demain matin, c'est pour ça que je suis reparti après la partie de cartes.
– Pourquoi ne pas être resté chez vos frères et votre sœur ? demanda John, tout en notant quelques informations.
– Je suppose qu'il n'y a aucun mal à cacher ce genre de choses… Il y'a quelques temps, trois ans en fait, quand nos parents sont décédés, il y'a eu un petit différend entre ma famille et moi à propos du partage de l'héritage. Cela s'est arrangé depuis, bien entendu, mais j'ai quitté la maison familiale à ce moment-là.
– Mais qu'est-ce qui vous empêchait de rester pour cette nuit ? insista John.
Le regard semi-indigné, semi-inquiet que lui lança Tregennis indiquait qu'il savait parfaitement où pourrait le mener ses réponses.
– Mon hôtel est plus proche de l'aéroport, tout simplement. L'avion décolle à 6h30 demain matin, j'ai le billet si vous voulez vérifier. Je préférais tout simplement être sur place. Maintenant, avec cette tragédie…
John acquiesça tout en terminant de noter les quelques informations fournies par Tregennis. Il décida d'observer un instant de silence pour laisser à l'homme le temps de se remettre, cependant, Sherlock ne l'entendait pas de cette oreille.
– A quelle heure avez-vous quitté la maison ?
– Il était quelque chose comme 18h30.
Le stagiaire jeta un œil au corps de Brenda. John savait, qu'à vue d'œil, la mort de la jeune femme remontait à peu près à deux heures, soit précisément, à une dizaine de minutes près, l'heure à laquelle Mortimer était parti. Ce n'était cependant pas suffisant pour l'incriminer. Il faudrait attendre le rapport d'autopsie.
– Vous n'avez rien remarqué d'anormal dans le comportement de vos frères et de votre sœur ? intervint Lestrade. Des signes d'anxiété ? Ont-ils fait mention d'un quelconque danger qui pourrait les menacer ?
– Non, jamais. Ils étaient de meilleure humeur que je ne les ai jamais vus ! Quant à une possible menace, Mrs Porter a dû vous dire que nous n'avons aucun ennemi.
– Vous n'avez vraiment rien vu qui puisse nous guider ? ajouta John.
Tregennis eut l'air de réfléchir un instant.
– Si… peut-être… Je n'en suis pas certain mais… alors que nous jouions, j'ai cru voir quelque chose à travers la fenêtre… C'était peut-être un animal, il faisait trop sombre pour le dire… Je ne vois rien d'autre.
A la droite de John, Sherlock esquissa un drôle de sourire que John fut incapable d'interpréter.
– Bien, merci Mr Tregennis, déclara Lestrade. Nous reviendrons sans doute vers vous pour d'autres renseignements complémentaires.
Il acquiesça avant de se lever. Sherlock posa une dernière question que John n'entendit pas. Alors que Greg disait à Anderson qu'il pouvait faire porter le corps de Brenda à la morgue et appeler un hôpital psychiatrique pour prendre en charge George et Owen, John se tourna vers Sherlock.
– Il est étrange, vous ne trouvez pas ?
Le jeune homme sembla soudain sortir de sa torpeur.
– Ou bien il est coupable et assez stupide pour mentionner une dispute qui pourrait lui servir de mobile, ou bien il est innocent et dans ce cas… le mystère reste insoluble.
– Oh non… je dirais bien qu'il se clarifie.
John ouvrit des yeux ronds.
– Ne me dites pas que vous avez résolu l'affaire ?
– Non, pas encore. Je ne suis pas sûr. Mais j'ai des pistes.
– Ce serait trop vous demander que de m'en faire part ?
Pour toute réponse, Sherlock lui sourit.
– Je suis sergent de police, je vous rappelle. Vous n'êtes pas en droit de retenir des preuves.
– Je n'en ai pas. Pour l'instant. Je vous ferai part de ce que je pense quand je serai sûr de moi.
John roula des yeux. Pourquoi avait-il accepté qu'il le suive ? A croire qu'il aimait s'encombrer de poids pénibles et inutiles.
– Je peux au moins savoir si l'une de vos pistes implique Mortimer Tregennis ? marmonna John alors qu'ils ressortaient de la grande demeure.
Il venait de se rappeler de la promesse faite à sa sœur dans la matinée. Celle-ci tombait visiblement à l'eau.
– L'une d'entre elles, oui. Vous disiez qu'il était assez bête pour laisser entendre qu'il avait un mobile pour tuer ses frères et sœur. Je pense qu'au contraire, il est assez intelligent pour nous faire croire le contraire. Il est possible qu'il soit très bon comédien.
– Et il aurait assassiné trois autres personnes avant eux pour brouiller les pistes selon vous ?
– C'est une possibilité. Tout aussi envisageable s'il n'est pas le tueur.
John resta silencieux un moment.
– Reste à savoir quelle est l'arme du crime.
Sherlock grimaça. Il n'était pas difficile d'en déduire que sur ce point-là, au moins, il était aussi perdu que John.
– Vous avez quelque chose de prévu ce soir, sergent Watson ? Je pense qu'une petite visite chez le fiancé de mademoiselle Brenda Tregennis s'impose. Un certain Leon Sterndale, déclara-t-il en brandissant une carte de visite.
John faillit s'empêtrer les pieds en s'arrêtant subitement de marcher.
– Son fiancé ?
– Vous avez examiné son corps, vous avez forcément vu la bague qu'elle portait à la main droite.
– Non, je…
Sherlock roula des yeux et se remit à marcher.
– Pas étonnant que Scotland Yard croule sous les dossiers classés ! Vous voyez mais n'observez pas. Venez, nous n'avons pas une minute à perdre !
– Wow, wow, wow, fit John en le saisissant par la manche. D'abord, vous allez m'expliquer comment vous avez trouvé ça, ensuite, l'interrogatoire de Mr Sterndale peut attendre demain. Nous ne le dérangerons pas maintenant et puis comme vous l'avez mentionné, j'ai peut-être quelque chose à faire ce soir. Nous n'aurons aucune piste supplémentaire avant demain matin.
– Mais le jeu est en marche, Watson ! En plus, vous n'avez aucune envie d'aller voir votre sœur.
John leva les yeux au ciel, excédé.
– Ça, ça me regarde. Je maintiens que nous irons l'interroger demain. Comment avez-vous eu cette carte de visite ?
– Sterndale est un collègue de Tregennis. Un médecin dans l'humanitaire, toujours engagé dans des missions en Afrique. Il est apparemment passionné de botanique et de nouvelles découvertes. Je lui ai demandé l'adresse.
– Rentrez chez vous. Et ne vous avisez pas d'aller interroger cet homme ou je me verrai dans l'obligation de vous faire arrêter
Sherlock ne répondit rien.
– Non mieux, reprit John. Vous allez venir avec moi. Je serai certain que vous m'obéirez.
Cette fois, ce fut le stagiaire qui roula des yeux. Il lui emboita pourtant le pas tandis que Lestrade les rejoignait. Une ambulance venait d'arriver pour emporter les deux frères.
– Je n'ai jamais vu un truc pareil, déclara le DI alors que les médecins tentaient d'emmener avec eux George et Owen qui vociféraient un flot de paroles inintelligibles. Je me demande même s'il s'arrêtera un jour. »
Personne ne répondit bien que John se posât la même question.
Ce fut l'odeur de cramé et le bruit d'explosion qui réveillèrent John en sursaut le lendemain. Il jura entre ses dents en avisant l'heure plus que matinale, 5h45 et se précipita dans le salon de son appartement pour y voir un Sherlock tout penaud, le visage noirci par la fumée qui envahissait la pièce.
Ça avait été visiblement une très mauvaise idée de le forcer à venir dans son appartement.
– Bordel mais qu'est-ce que tu es en train de faire ?! s'écria John.
– Je voulais juste gagner du temps, fit Sherlock alors que John se jetait sur les fenêtres pour évacuer la fumée.
Lorsqu'il réussit à retrouver une vision claire, il remarqua la bouilloire explosée sur le sol, déversant une eau sans doute bouillante, les morceaux de pain cramés et le visage déconfit de son invité.
– En foutant ma cuisine en l'air ? hasarda John, hésitant entre la mauvaise humeur et l'envie d'éclater de rire.
– C'était pas prévu… marmonna Sherlock en se passant une main dans les cheveux.
John se saisit d'une serpillère et entreprit d'éponger le sol en demandant à son stagiaire de jeter le pain noir qu'il avait voulu faire griller. A cet instant, Mrs Hudson, la logeuse de John entra dans l'appartement, emmitouflée dans sa robe de chambre.
– John ? Est-ce que tout va bien ? J'ai entendu du bruit.
– Oui. Juste un accident de cuisine. Désolé du dérangement.
Il foudroya Sherlock du regard qui eut le bon sens de prendre un air désolé. La logeuse sembla alors remarquer qu'il n'était pas seul. Son visage s'éclaira d'une étrange lueur que John ne préféra pas relever. Mrs Hudson avait la fâcheuse manie de vouloir le caser avec n'importe qui.
Il finit par reposer la serpillère et se tourna vers son stagiaire.
– Tu m'expliques ?
L'incident avait visiblement banni le vouvoiement qu'avait instauré le sergent la veille. Mrs Hudson marmonna quelque chose comme « Je vais vous laisser régler ça seuls… » et disparut dans les escaliers.
– Pour interroger le fiancé de Brenda. Je voulais juste gagner du temps. Et ça a mal tourné…
– Faire exploser une bouilloire… On me l'avait jamais faite celle-là.
John passa une main lasse dans ses cheveux en soupirant.
– C'était de toute façon inutile, on ira pas prendre sa déposition aussi tôt. Tu es vraiment aussi doué en cuisine ?
– Je considère que manger est quelque chose d'absolument inutile et chronophage. Je n'ai jamais appris à faire quoi que ce soit de comestible.
– Et tu t'es dit que commencer ici serait une bonne idée ?
Sherlock n'apporta aucune réponse, une moue étrange sur le visage. John laissa échapper un ricanement.
– Eh bien nous n'aurons pas de thé ce matin. Tu ne t'es pas brûlé au moins ?
– Non.
Le sergent dépassa son stagiaire pour se servir un verre d'eau. Il en proposa un également à Sherlock qui accepta, l'air surpris.
– Quoi ? fit John.
– La plupart des gens m'aurait déjà fichu à la porte dans cette situation.
– Il y'a vraiment si peu de gens qui t'apprécient ?
Sherlock haussa les épaules.
– Je n'ai jamais eu une côte de popularité très élevée. Mais ce n'est pas comme si ça m'intéressait, vous savez.
– Tu as presque fait exploser ma cuisine. Je crois qu'on a dépassé le stade de la politesse d'usage.
Sherlock lui jeta un regard intrigué.
– Ça ne t'intéresse pas ? reprit John au bout d'un moment.
– Les gens ordinaires sont stupides. Je n'ai pas besoin d'eux.
John resta silencieux un moment. Il hésitait entre se sentir offensé et pris de compassion. Malgré l'air inaccessible qu'il essayait de se donner, Sherlock devait se sentir affreusement seul. John mettrait sa main à couper qu'il utilisait ses dons de déduction pour se défendre, créer une muraille entre lui et le reste du monde.
– Pourquoi est-ce que tu me regardes comme ça ? interrogea le sujet de ses pensées.
– Pour rien.
Il y'eut un instant de flottement.
– Le café en bas est ouvert assez tôt. Sauf si Monsieur Sherlock Holmes se sent trop supérieur pour avaler quoi que ce soit.
Le regard de l'intéressé le fusilla presque aussitôt.
– Si ça peut te faire plaisir, dit-il finalement.
John sourit.
– Tu ferais mieux d'aller te débarbouiller avant ça. Tu ressembles à un ramoneur. Première porte à droite. »
Sherlock acquiesça et le dépassa avant de s'engouffrer dans la salle de bains.
Fin de la première partie, la suite la semaine prochaine !
