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Harry regarda les livres sur la table et se mordit la lèvre d'indécision. Puis il se dirigea vers la porte et se hâta de suivre Malfoy. Même s'il imitait le vivant, Malfoy se déplaçait rapidement sans un corps de chair et Harry dut courir pour le garder en vue.

Au lieu de descendre, Malfoy monta. Harry se cacha, il essayait de se faire discret dans sa filature et il souhaita avoir apporté sa cape avec lui. Bien sûr, il était un adulte maintenant et porter une cape d'invisibilité partout était absurde. Et il ne devrait vraiment pas espionner de toute façon. Il était seulement curieux.

Après un moment, Harry savait où Malfoy se rendait. A mi-chemin, la tour d'Astronomie contenait plusieurs salles privées, circulaires, généralement utilisées pour les rangements et hors des limites des élèves, mais deux des salles avaient de larges fenêtres avec vue sur le domaine. Ils contenaient un certain nombre de bureaux et de tables qui étaient utilisés par les plus vieux élèves pour réviser et préparer les examens.

Harry s'arrêta. Il n'y avait pas un endroit où il pouvait attendre sans se faire repérer. Il n'était même pas sûr pourquoi il ressentait le besoin d'espionner. Il était sûrement normal pour une mère de rendre visite à son fils, même s'il n'était pas… vivant.

Harry quitta la tour et continua de marcher, faisant un vague signe de la main aux élèves alors qu'il passait à côté d'eux. Il ne reconnut seulement qu'une poignée et savait que cela prendrait du temps avant qu'il ne reconnaisse plus d'entre d'eux de vue. Seule Minerva semblait connaître chaque enfant, comme Dumbledore avant elle. Harry se demanda comment ils faisaient cela.

Harry décida de se tapir sur les marches d'en face. Il conjura un rouleau de parchemin et une plume et prétendit écrire une lettre à Hermione. C'était une bonne idée. Alors au lieu de prétendre, il décida d'actuellement le faire. Il venait juste de la voir, bien sûr, mais elle devenait ridiculement excitée quand elle recevait du courrier. Harry comprenait. Elle avait eu cette théorie que c'était d'une certaine façon liée au « syndrome de l'enfant-unique » mais Harry se disait que tout le monde aimait recevoir une gentille lettre ou un colis de temps en temps.

Il avait rempli une bonne page de descriptions de ses classes et de ses élèves quand la porte s'ouvrit et Narcissa Malfoy sortit de la pièce. Elle s'arrêta soudainement quand elle le vit et puis, lissa ses traits.

« Bonjour, M. Potter. »

Harry posa avec gêne son rouleau et sa plume de côté alors qu'il se levait.

« Bonjour, Mme Malfoy. Il est bon de vous voir à nouveau. »

Il tendit sa main et elle l'agita. Ses doigts étaient fins et froids. Ses lèvres bougèrent alors qu'elle tenta de sourire, mais la tristesse sur son visage semblait trop grande pour le maintenir.

Elle hocha de la tête, enleva sa main et plaça la capuche de sa cape noire sur sa chevelure pâle.

« Merci. »

Elle commença à descendre les marches pour se rendre à l'évidence aux portails. Harry se sentit idiot, il pensa qu'il devait lui parler. Elle lui avait sauvé la vie après tout. Il se dépêcha de la rattraper.

« Cela vous dérange-t-il si je fais un bout du chemin avec vous ? » demanda-t-il.

Elle lui jeta un coup d'œil de côté et le geste rappelait tellement celui de son fils qu'Harry sourit.

« Bien sûr que non », fit-elle. « Votre retour à Poudlard a fait parler ou plutôt votre départ du Ministère. »

« Oui, je suppose que c'était une surprise pour la plupart des gens. »

« Pas pour moi. »

Harry s'arrêta presque de marcher. Ses pas furent incertains, mais il regagna son équilibre.

« Pardonnez-moi ? »

Narcissa lui sourit faiblement.

« Cela semble évident. Vous avez passé toute votre enfance à fuir un fou. Que tout le monde s'attende à ce que vous entrepreniez plus d'action de ce genre en tant qu'adulte semble idiot. J'ai toujours pensé que vous alliez vous cacher au loin ou peut-être voyager. »

Harry la dévisagea, impressionné par sa clairvoyance. Même ses amis proches avaient été choqués par sa décision.

« Je l'ai considéré, mais voyager seul ne me semblait pas particulièrement attrayant. »

« La presse vous pense déjà marié à la fille Weasley. »

« Ginny ? Oui, cela allait se concrétiser. Un jour, nous étions à la recherche de bagues et elle a soudainement révélé qu'elle n'était pas prête et je m'étais presque évanoui de soulagement. Après avoir explosé de rire, nous avons tracé notre chemin pour devenir de grands amis. Maintenant elle est en Argentine pour jouer au Quidditch. »

Harry avait passé beaucoup de temps à s'expliquer avec Ron et les autres Weasley. Il savait qu'ils avaient tous voulu que lui et Ginny se soient mariés pour s'installer ensemble, mais les dernières lettres de Ginny pointaient un sentiment fleurissant pour un de ses coéquipiers. Harry ne lui souhaitait que du bien.

« On ne devrait pas se marier trop jeune si l'on veut se marier par amour. »

« Avez-vous ? » interrogea-t-il et puis il se demanda s'il n'avait franchi les limites.

« Non. Mon mariage avec Lucius a été arrangé quand nous étions tous les deux jeunes, mais pendant notre enfance nous avions l'habitude de jouer ensemble. Etrangement, nous avions toujours su que nous étions faits l'un pour l'autre et nous n'avions jamais remis en question cet arrangement. Bien sûr, que Lucius soit devenu magnifique a été un avantage, mais je suis tombée amoureuse bien avant. Il était quelque peu maladroit adolescent, bien que je ne le lui dirai jamais. »

Harry arbora un grand sourire. Il supposait que Lucius était magnifique, si l'on appréciait les grands blonds diaboliques. A cette pensée, son esprit se focalisa sur son fils.

« Êtes-vous venue rendre visite à Draco ? » s'enquit-il.

Elle acquiesça. « Je ne devrais probablement pas. Je pense que ce serait plus facile si j'acceptais sa mort, mais je n'y arrive pas. »

Elle arrêta de marcher et serra ses mains ensemble, même si ses traits restaient sereins. Ses jointures blanchirent sous la pression.

« Mais… il est et il est lui-même et il se souvient de tout et… »

Elle détourna son regard, le posa sur la bruyère s'étendant sur le versant de la colline. Une inspiration brutale lui releva la poitrine et Harry sentit son cœur se serrer de sympathie. Il se souvint de toutes les fois où il avait souhaité que Sirius soit resté en arrière comme un fantôme, et pour la première fois il se rendit compte à quel point cela aurait été horrible.

« Je ne peux pas… je le vois, mais je n'arrive pas à le toucher, ou passer la main dans ses cheveux, ou même tenir sa main… »

Elle cacha son visage entre ses mains pendant un moment, puis elle releva son visage pour regarder Harry à travers des yeux embués de larmes.

« Par Merlin, il est mort ! Draco est mort. Pourquoi je n'arrive pas à accepter que mon fils soit parti pour toujours ? Pourquoi je n'arrive pas à le laisser s'en aller ? »

Au grand désarroi d'Harry, ses épaules tremblèrent et elle commença à pleurer. Harry toucha ses épaules avec compassion, la tint tendrement dans ses bras quand elle se retourna et elle pleura sur son épaule. Cela le surprit de voir qu'il était plus grand qu'elle et elle n'était pas une petite femme. Il lui donna des petits coups de réconfort sur le dos et essaya de la calmer.

« Il me manque tellement », dit-elle, sa voix était rauque à cause de ses pleurs. « Mon Draco me manque. Oh mon dieu, je donnerai n'importe quoi pour le ramener. Ce n'est pas… ce n'est pas juste. Il était si jeune. Il était si jeune et plein de vie. »

Harry sentit sa gorge se serrer et les larmes lui venir aux yeux. Putain, il pleurait pour Malfoy. La douleur de Narcissa était comme un sombre puit de désespoir qui l'attirait dans ses profondeurs. Harry retint les larmes et la tint dans ses bras jusqu'à ce qu'elle s'éloigne de lui.

Elle recula avec assurance et effaça les traces sur son visage grâce à un mouchoir au bord dentelé qu'elle avait tiré d'une poche.

« Par Circé, vous devez certainement penser que je suis une idiote de pleure pour cela. Je suis terriblement désolée, M. Potter, pour vous avoir fait endurer cela. »

Harry ne put que sourire faiblement. « Vous n'avez pas à vous excuser. Le deuil prend son temps et il ne disparait jamais vraiment, même si cela devient plus soutenable au fil des ans. Il n'y a aucune honte à pleurer. Et s'il vous plaît, appelez-moi Harry. »

« Alors je vous remercie pour m'avoir écoutée. Cela faisait longtemps que je ne m'étais pas effondrée comme cela. » Elle secoua sa tête et essaya de sourire. « Vous savez, avant j'avais espéré que vous et Draco deveniez amis. »

Le sourire d'Harry devint sincère. « Cela aurait été une farce. »

« Oh, arrêtez. Vous auriez trouvé plus de choses en commun que vous ne l'auriez pensé. J'admets que Draco était un enfant gâté, mais il avait un bon cœur. »

Elle se tourna et elle commença de nouveau à marcher.

Harry trouva cela difficile d'imaginer que Malfoy possédait un bon cœur se tapissant sous toutes ses crétineries, mais il tint sa langue en se doutant que Narcissa serait peu amusée par son manque de confiance après sa crise de larmes. Il parvint à lui faire un signe de tête d'encouragement et ils arrivèrent au portail.

« Harry Potter, je vous remercie pour ce moment. Je suis certaine que vous avez de meilleures choses à faire que d'écouter mes plaintes. »

Harry secoua sa tête. « Non, je ne suis pas occupé. Et j'ai toujours une dette envers vous, vous le savez bien. »

Il désigna vaguement la forêt où elle lui avait sauvé la vie, et ainsi sauvé tout le monde magique.

Elle agita sa main et les portes s'ouvrirent.

« Il n'y aura probablement peu de chance que vous ayez la possibilité de payer cette dette, M. Potter. Harry. Mais n'ayez pas peur, je ne vous demanderai pas de le dépenser pour quelque chose de frivole. »

« Je le sais. »

Elle s'avança et les portes se refermèrent avec un clang, le fer entre eux les enfermait chacun de leur côté. Ses yeux rencontrèrent ceux d'Harry.

« Au revoir, Mme Malfoy. »

« Au revoir, Harry Potter. »

Elle leva sa baguette et disparut.


Harry ne vit pas Malfoy cet après-midi-là, et ce dernier n'apparut pas à l'heure du coucher. Harry était fatigué, mais il resta allongé tout éveillé en pensant à Malfoy. Ressentait-il toujours de la tristesse en voyant sa mère ? C'était très probable s'il ressentait toujours de la colère ou de l'agacement.

Que faisait Malfoy ? Ruminait-il ? Où se rendaient les fantômes pour ruminer ? Mimi Geignarde résidait principalement dans les toilettes des filles où elle était morte. Où Malfoy était-il mort ? Cela perturbait Harry de ne pas le savoir. Cela lui semblait capital de le découvrir et il se résolut à rechercher les détails dans les anciens numéros de la Gazette du Sorcier.

Tandis qu'il repensait à sa conversation avec Narcissa, Harry plongea dans un sommeil agité.

Il se réveilla plus tard et se retourna en clignant des yeux dans les ténèbres. Sa chambre était silencieuse. Il jeta un coup d'œil à la chaise où Malfoy s'asseyait habituellement en essayant de visionner sa forme fantomatique, mais le siège était vide. Il soupira et ferma les yeux en s'enfouissant profondément sous sa couverture.

Quelque chose de froid effleura sa cheville et ses yeux s'ouvrirent à nouveau. Il s'assit pour voir Malfoy assis en tailleur, perché au-dessus de son lit. Ses coudes reposaient sur ses genoux et son visage dans ses mains.

« Malfoy ? », s'enquit Harry. « Que fais-tu ? »

« Assis là. »

« Pas de leçons d'ingrédients ? Pas de chants ? Que se passe-t-il ? »

Malfoy haussa des épaules. « Je suppose que je n'ai pas envie de te tourmenter. Il est intéressant de t'observer dormir. Tu sembles différent sans tes lunettes. Plus jeune. »

Harry fronça des sourcils. Il se rendit compte qu'il était maintenant plus vieux que Malfoy qui était figé à ses dix-neuf ans et le resterait pour toujours alors qu'Harry changerait. Harry finirait par vieillir et par mourir et Malfoy conserverait une jeunesse illusoire.

Harry releva ses oreillers contre la tête de lit et s'y installa. Il frotta ses yeux et se demanda s'il devait jeter le sort Tempus, mais il supposa que le savoir ne servait à rien : il n'avait pas besoin de se lever tôt.

« Vas-tu bien ? » demanda-t-il plutôt.

« Non, Potter. Je suis mort au cas où tu ne l'avais pas remarqué. »

« Très drôle. Je veux dire… Je ne sais pas. Cela te rend-il triste quand ta mère te rend visite ? Aujourd'hui, elle semblait très… »

« Tu lui as parlé ? » La voix de Malfoy était entrecoupée.

« Oui. Tu lui manques. »

Malfoy était silencieux pendant une minute et dit : « Bien sûr que je lui manque. »

« Elle te manque aussi », devina Harry.

« Ferme là, Potter. » Ses mots sortirent étonnement avec calme et sans venin.

Ils restèrent en silence et Harry lui demanda : « Comment es-tu mort ? »

Malfoy garda le silence si longtemps qu'Harry craignit qu'il ne répondrait pas du tout, mais il le fit : « Greg m'a tué. »

Harry expira alors qu'il n'avait pas eu la sensation de retenir sa respiration.

« Je le sais ça. Mais pourquoi ? »

Malfoy haussa des épaules en un mouvement argenté à peine visible dans les ténèbres.

« Il m'accusait d'être responsable de la mort de Vince'. Je pensais qu'il finirait par tourner la page, surtout que Vince' était celui qui a lancé ce maudit feu, mais… » Il soupira. « Nous étions condamnés à reconstruire Poudlard. Le savais-tu ? C'est pour cette raison que nous étions là. Probablement pas, tu ne sais même pas comment je suis mort. Tu t'en fiches assez de ma vie pathétique, n'est-ce pas Potter ? »

Harry ne pouvait pas le nier, donc il garda le silence.

Malfoy continua de parler.

« Nous travaillions au château à faire des travaux insignifiants et sans intérêts. Ils ne nous laissaient pas avoir nos baguettes, donc nous faisions tout avec nos mains : on vidait les pièces des bureaux brisés, des décombres et autres. Ce jour-là Greg et moi avions pris une pause et nous marchions près du lac. Nous nous disputions à propos de quelque chose de stupide et c'est rapidement devenu affreux. Greg a dit que j'étais responsable de la mort de Vince' parce que c'était ma faute si nous étions revenus à Poudlard pendant la bataille. Il clamait que j'étais obsédé par toi ou quelque chose comme ça. Cela m'a mis en colère. Nous nous sommes battus comme des moldus, en luttant et en se percutant l'un contre l'autre – une idiotie quand on est plus petit et plus léger. Ce dont je me souviens en dernier est qu'il m'étranglait. »

Les mains de Malfoy se rendirent à son cou et Harry réalisa pourquoi il n'y avait aucune marque sur son corps – Goyle l'avait étranglé à mort. Les mains de Malfoy retombèrent et ce n'est qu'à cet instant qu'il remarqua de légères marques d'un argenté plus sombre visibles autour du cou de Malfoy. Harry frissonna.

Malfoy eut un petit rire. « Ouais, mort étranglé par mon propre meilleur ami. J'ai toujours eu de la chance. »

Harry prononça presque : « Peut-être que tu aurais dû mieux choisir tes amis », mais il se souvint que Malfoy avait essayé de faire ça au cours de leur première année, et Harry avait refusé son amitié pour celle de Ron Weasley. Harry tint sa langue.

« Je déteste être mort. Ma mère, la nourriture et d'autres choses inconcevables me manquent, comme la vase dans un lac et l'irritation due aux orties, ou le froid mordant quand tu enlèves les couvertures en une matinée glaciale. »

Malfoy bougea soudainement, s'avançant et tendant une main. Harry retint sa respiration tandis que la main de Malfoy caressa sa joue.

« Peux-tu la sentir ? »

Harry acquiesça. « Oui, c'est… froid. »

Malfoy hocha sèchement de la tête et il enleva sa main glaciale.

« Eh bien, je ne ressens rien. Ni froid, ni chaleur, ni tiédeur ou ni douceur ni dureté ou… »

Malfoy flotta hors du lit et se dirigea vers la porte en glissant comme un fantôme au lieu de prétendre d'être vivant.

« Apprécie ta solitude, Potter. Je vais voir les Sombrals. »

Il passa à travers la porte et disparut.

Harry fronça les sourcils alors qu'il s'enfonçait dans ses couvertures et frappait son oreiller pour avoir une position plus confortable. Il détestait ressentir de la pitié pour Draco Malfoy, mais c'était trop tard, le dommage était fait. Toute la colère et la satisfaction d'Harry avaient disparu, noyées dans un déluge de compassion.

Pendant qu'il fermait les yeux et essayait de s'endormir une dernière pensée traversa son esprit : Avait-il dit Sombrals ?


Note : Qui a ressenti de la compassion et de la tristesse pour Narcissa et Draco ? :'(